Lacuisson des œufs mollets nécessite un peu plus de temps que celle des œufs à la coque et moins de temps que des œufs durs. Il faut faire en sorte que le jaune soit encore coulant, ce qui signifie que les bactéries qui s’y trouvent pourraient encore résister. Il est donc déconseillé de manger des œufs mollets pendant la grossesse.
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Lagelée de raisins est facile à faire et nécessite seulement des raisins, du sucre et un peu de pectine. Comment ajouter des grains de raisin dans des salades? Ajoutez des grains de raisin dans des salades : avec de la laitue, du cresson, du fenouil, des noix, du jambon fumé Des sauces : Cuits avec la viande, les grains de raisin lui serviront de jus de cuisson. Avec un rôti de
Unecollection de trois gelées pour les trois couleurs de vin: rouge, blanc et rosé. Ces trois cuvées ont été vinifiées dans le centre même de Paris au 55 rue de Turbigo dans le 3ème arrondissement. Passez les voir, ils vous explont tout! Pour chacune des gelées nous avons voulu révéler les saveurs naturellement présentes dans chacune des cuvées. Pour la cuvée de vin
Quelplaisir de savourer un bon repas, et quelle joie de l’accompagner d’un bon verre de vin. Mais comment trouver LA bouteille idéale pour votre recette? Les accords vins et mets, ce n’est pas si compliqué! Explorez nos conseils pratiques et les pastilles de goût afin d’obtenir des mariages réussis à tout coup.
Préparation Jus de chevreuil. Démarrez le jus à feu vif en colorant les os et les parures (départ à froid avec du beurre salé). Ajoutez la garniture, déglacez 2 fois avec le vin rouge, mouillez à hauteur avec le bouillon de volaille. Filtrez le jus, mettez-le à réduire en écumant toutes les 10 minutes pour obtenir 24 cl de sauce.
. Alain-Fournier Le grand Meaulnes roman La Bibliothèque électronique du Québec Collection Classiques du 20e siècle Volume 22 version À ma sÅ“ur Isabelle Première partie I Le pensionnaire Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189... Je continue à dire  chez nous », bien que la maison ne nous appartienne plus. Nous avons quitté le pays depuis bientôt quinze ans et nous n’y reviendrons certainement jamais. Nous habitions les bâtiments du Cours Supérieur de Sainte-Agathe. Mon père, que j’appelais M. Seurel, comme les autres élèves, y dirigeait à la fois le Cours Supérieur, où l’on préparait le brevet d’instituteur, et le Cours Moyen. Ma mère faisait la petite classe. Une longue maison rouge, avec cinq portes vitrées, sous des vignes vierges, à l’extrémité du bourg ; une cour immense avec préaux et buanderie, qui ouvrait en avant sur le village par un grand portail ; sur le côté nord, la route où donnait une petite grille et qui menait vers La Gare, à trois kilomètres ; au sud et par derrière, des champs, des jardins et des prés qui rejoignaient les faubourgs... tel est le plan sommaire de cette demeure où s’écoulèrent les jours les plus tourmentés et les plus chers de ma vie – demeure d’où partirent et où revinrent se briser, comme des vagues sur un rocher désert, nos aventures. Le hasard des  changements », une décision d’inspecteur ou de préfet nous avaient conduits là . Vers la fin des vacances, il y a bien longtemps, une voiture de paysan, qui précédait notre ménage, nous avait déposés, ma mère et moi, devant la petite grille rouillée. Des gamins qui volaient des pêches dans le jardin s’étaient enfuis silencieusement par les trous de la haie... Ma mère, que nous appelions Millie, et qui était bien la ménagère la plus méthodique que j’aie jamais connue, était entrée aussitôt dans les pièces remplies de paille poussiéreuse, et tout de suite elle avait constaté avec désespoir, comme à chaque  déplacement », que nos meubles ne tiendraient jamais dans une maison si mal construite... Elle était sortie pour me confier sa détresse. Tout en me parlant, elle avait essuyé doucement avec son mouchoir ma figure d’enfant noircie par le voyage. Puis elle était rentrée faire le compte de toutes les ouvertures qu’il allait falloir condamner pour rendre le logement habitable... Quant à moi, coiffé d’un grand chapeau de paille à rubans, j’étais resté là , sur le gravier de cette cour étrangère, à attendre, à fureter petitement autour du puits et sous le hangar. C’est ainsi, du moins, que j’imagine aujourd’hui notre arrivée. Car aussitôt que je veux retrouver le lointain souvenir de cette première soirée d’attente dans notre cour de Sainte-Agathe, déjà ce sont d’autres attentes que je me rappelle ; déjà , les deux mains appuyées aux barreaux du portail, je me vois épiant avec anxiété quelqu’un qui va descendre la grand-rue. Et si j’essaie d’imaginer la première nuit que je dus passer dans ma mansarde, au milieu des greniers du premier étage, déjà ce sont d’autres nuits que je me rappelle ; je ne suis plus seul dans cette chambre ; une grande ombre inquiète et amie passe le long des murs et se promène. Tout ce paysage paisible – l’école, le champ du père Martin, avec ses trois noyers, le jardin dès quatre heures envahi chaque jour par des femmes en visite – est à jamais, dans ma mémoire, agité, transformé par la présence de celui qui bouleversa toute notre adolescence et dont la fuite même ne nous a pas laissé de repos. Nous étions pourtant depuis dix ans dans ce pays lorsque Meaulnes arriva. J’avais quinze ans. C’était un froid dimanche de novembre, le premier jour d’automne qui fÃt songer à l’hiver. Toute la journée, Millie avait attendu une voiture de La Gare qui devait lui apporter un chapeau pour la mauvaise saison. Le matin, elle avait manqué la messe ; et jusqu’au sermon, assis dans le chÅ“ur avec les autres enfants, j’avais regardé anxieusement du côté des cloches, pour la voir entrer avec son chapeau neuf. Après midi, je dus partir seul à vêpres. – D’ailleurs, me dit-elle, pour me consoler, en brossant de sa main mon costume d’enfant, même s’il était arrivé, ce chapeau, il aurait bien fallu, sans doute, que je passe mon dimanche à le refaire. Souvent nos dimanches d’hiver se passaient ainsi. Dès le matin, mon père s’en allait au loin, sur le bord de quelque étang couvert de brume, pêcher le brochet dans une barque ; et ma mère, retirée jusqu’à la nuit dans sa chambre obscure, rafistolait d’humbles toilettes. Elle s’enfermait ainsi de crainte qu’une dame de ses amies, aussi pauvre qu’elle mais aussi fière, vÃnt la surprendre. Et moi, les vêpres finies, j’attendais, en lisant dans la froide salle à manger, qu’elle ouvrÃt la porte pour me montrer comment ça lui allait. Ce dimanche-là , quelque animation devant l’église me retint dehors après vêpres. Un baptême, sous le porche, avait attroupé des gamins. Sur la place, plusieurs hommes du bourg avaient revêtu leurs vareuses de pompiers ; et, les faisceaux formés, transis et battant la semelle, ils écoutaient Boujardon, le brigadier, s’embrouiller dans la théorie... Le carillon du baptême s’arrêta soudain, comme une sonnerie de fête qui se serait trompée de jour et d’endroit ; Boujardon et ses hommes, l’arme en bandoulière, emmenèrent la pompe au petit trot ; et je les vis disparaÃtre au premier tournant, suivis de quatre gamins silencieux, écrasant de leurs grosses semelles les brindilles de la route givrée où je n’osais pas les suivre. Dans le bourg, il n’y eut plus alors de vivant que le café Daniel, où j’entendais sourdement monter puis s’apaiser les discussions des buveurs. Et, frôlant le mur bas de la grande cour qui isolait notre maison du village, j’arrivai, un peu anxieux de mon retard, à la petite grille. Elle était entrouverte et je vis aussitôt qu’il se passait quelque chose d’insolite. En effet, à la porte de la salle à manger – la plus rapprochée des cinq portes vitrées qui donnaient sur la cour – une femme aux cheveux gris, penchée, cherchait à voir au travers des rideaux. Elle était petite, coiffée d’une capote de velours noir à l’ancienne mode. Elle avait un visage maigre et fin, mais ravagé par l’inquiétude ; et je ne sais quelle appréhension, à sa vue, m’arrêta sur la première marche, devant la grille. – Où est-il passé ? mon Dieu ! disait-elle à mi-voix. Il était avec moi tout à l’heure. Il a déjà fait le tour de la maison. Il s’est peut-être sauvé... Et, entre chaque phrase, elle frappait au carreau trois petits coups à peine perceptibles. Personne ne venait ouvrir à la visiteuse inconnue. Millie, sans doute, avait reçu le chapeau de La Gare, et sans rien entendre, au fond de la chambre rouge, devant un lit semé de vieux rubans et de plumes défrisées, elle cousait, décousait, rebâtissait sa médiocre coiffure... En effet, lorsque j’eus pénétré dans la salle à manger, immédiatement suivi de la visiteuse, ma mère apparut tenant à deux mains sur sa tête des fils de laiton, des rubans et des plumes, qui n’étaient pas encore parfaitement équilibrés... Elle me sourit, de ses yeux bleus fatigués d’avoir travaillé à la chute du jour, et s’écria – Regarde ! Je t’attendais pour te montrer... Mais, apercevant cette femme assise dans le grand fauteuil, au fond de la salle, elle s’arrêta, déconcertée. Bien vite, elle enleva sa coiffure, et, durant toute la scène qui suivit, elle la tint contre sa poitrine, renversée comme un nid dans son bras droit replié. La femme à la capote, qui gardait, entre ses genoux, un parapluie et un sac de cuir, avait commencé de s’expliquer, en balançant légèrement la tête et en faisant claquer sa langue comme une femme en visite. Elle avait repris tout son aplomb. Elle eut même, dès qu’elle parla de son fils, un air supérieur et mystérieux qui nous intrigua. Ils étaient venus tous les deux, en voiture, de La Ferté-d’Angillon, à quatorze kilomètres de Sainte-Agathe. Veuve – et fort riche, à ce qu’elle nous fit comprendre – elle avait perdu le cadet de ses deux enfants, Antoine, qui était mort un soir au retour de l’école, pour s’être baigné avec son frère dans un étang malsain. Elle avait décidé de mettre l’aÃné, Augustin, en pension chez nous pour qu’il pût suivre le Cours Supérieur. Et aussitôt elle fit l’éloge de ce pensionnaire qu’elle nous amenait. Je ne reconnaissais plus la femme aux cheveux gris, que j’avais vue courbée devant la porte, une minute auparavant, avec cet air suppliant et hagard de poule qui aurait perdu l’oiseau sauvage de sa couvée. Ce qu’elle contait de son fils avec admiration était fort surprenant il aimait à lui faire plaisir, et parfois il suivait le bord de la rivière, jambes nues, pendant des kilomètres, pour lui rapporter des Å“ufs de poules d’eau, de canards sauvages, perdus dans les ajoncs... Il tendait aussi des nasses... L’autre nuit, il avait découvert dans le bois une faisane prise au collet... Moi qui n’osais plus rentrer à la maison quand j’avais un accroc à ma blouse, je regardais Millie avec étonnement. Mais ma mère n’écoutait plus. Elle fit même signe à la dame de se taire ; et, déposant avec précaution son  nid » sur la table, elle se leva silencieusement comme pour aller surprendre quelqu’un... Au-dessus de nous, en effet, dans un réduit où s’entassaient les pièces d’artifice noircies du dernier Quatorze Juillet, un pas inconnu, assuré, allait et venait, ébranlant le plafond, traversait les immenses greniers ténébreux du premier étage, et se perdait enfin vers les chambres d’adjoints abandonnées où l’on mettait sécher le tilleul et mûrir les pommes. – Déjà , tout à l’heure, j’avais entendu ce bruit dans les chambres du bas, dit Millie à mi-voix, et je croyais que c’était toi, François, qui étais rentré... Personne ne répondit. Nous étions debout tous les trois, le cÅ“ur battant, lorsque la porte des greniers qui donnait sur l’escalier de la cuisine s’ouvrit ; quelqu’un descendit les marches, traversa la cuisine, et se présenta dans l’entrée obscure de la salle à manger. – C’est toi, Augustin ? dit la dame. C’était un grand garçon de dix-sept ans environ. Je ne vis d’abord de lui, dans la nuit tombante, que son chapeau de feutre paysan coiffé en arrière et sa blouse noire sanglée d’une ceinture comme en portent les écoliers. Je pus distinguer aussi qu’il souriait... Il m’aperçut, et, avant que personne eût pu lui demander aucune explication – Viens-tu dans la cour ? dit-il. J’hésitai une seconde. Puis, comme Millie ne me retenait pas, je pris ma casquette et j’allai vers lui. Nous sortÃmes par la porte de la cuisine et nous allâmes au préau, que l’obscurité envahissait déjà . À la lueur de la fin du jour, je regardais, en marchant, sa face anguleuse au nez droit, à la lèvre duvetée. – Tiens, dit-il, j’ai trouvé ça dans ton grenier. Tu n’y avais donc jamais regardé ? Il tenait à la main une petite roue en bois noirci ; un cordon de fusées déchiquetées courait tout autour ; ç’avait dû être le soleil ou la lune au feu d’artifice du Quatorze Juillet. – Il y en a deux qui ne sont pas parties nous allons toujours les allumer, dit-il d’un ton tranquille et de l’air de quelqu’un qui espère bien trouver mieux par la suite. Il jeta son chapeau par terre et je vis qu’il avait les cheveux complètement ras comme un paysan. Il me montra les deux fusées avec leurs bouts de mèche en papier que la flamme avait coupés, noircis, puis abandonnés. Il planta dans le sable le moyeu de la roue, tira de sa poche – à mon grand étonnement, car cela nous était formellement interdit – une boÃte d’allumettes. Se baissant avec précaution, il mit le feu à la mèche. Puis, me prenant par la main, il m’entraÃna vivement en arrière. Un instant après, ma mère qui sortait sur le pas de la porte, avec la mère de Meaulnes, après avoir débattu et fixé le prix de pension, vit jaillir sous le préau, avec un bruit de soufflet, deux gerbes d’étoiles rouges et blanches ; et elle put m’apercevoir, l’espace d’une seconde, dressé dans la lueur magique, tenant par la main le grand gars nouveau venu et ne bronchant pas... Cette fois encore, elle n’osa rien dire. Et le soir, au dÃner, il y eut, à la table de famille, un compagnon silencieux, qui mangeait, la tête basse, sans se soucier de nos trois regards fixés sur lui. II Après quatre heures Je n’avais guère été, jusqu’alors, courir dans les rues avec les gamins du bourg. Une coxalgie, dont j’ai souffert jusque vers cette année 189..., m’avait rendu craintif et malheureux. Je me vois encore poursuivant les écoliers alertes dans les ruelles qui entouraient la maison, en sautillant misérablement sur une jambe... Aussi ne me laissait-on guère sortir. Et je me rappelle que Millie, qui était très fière de moi, me ramena plus d’une fois à la maison, avec force taloches, pour m’avoir ainsi rencontré, sautant à cloche-pied, avec les garnements du village. L’arrivée d’Augustin Meaulnes, qui coïncida avec ma guérison, fut le commencement d’une vie nouvelle. Avant sa venue, lorsque le cours était fini, à quatre heures, une longue soirée de solitude commençait pour moi. Mon père transportait le feu du poêle de la classe dans la cheminée de notre salle à manger ; et peu à peu les derniers gamins attardés abandonnaient l’école refroidie où roulaient des tourbillons de fumée. Il y avait encore quelques jeux, des galopades dans la cour ; puis la nuit venait ; les deux élèves qui avaient balayé la classe cherchaient sous le hangar leurs capuchons et leurs pèlerines, et ils partaient bien vite, leur panier au bras, en laissant le grand portail ouvert... Alors, tant qu’il y avait une lueur de jour, je restais au fond de la mairie, enfermé dans le cabinet des archives plein de mouches mortes, d’affiches battant au vent, et je lisais assis sur une vieille bascule, auprès d’une fenêtre qui donnait sur le jardin. Lorsqu’il faisait noir, que les chiens de la ferme voisine commençaient à hurler et que le carreau de notre petite cuisine s’illuminait, je rentrais enfin. Ma mère avait commencé de préparer le repas. Je montais trois marches de l’escalier du grenier ; je m’asseyais sans rien dire et, la tête appuyée aux barreaux froids de la rampe, je la regardais allumer son feu dans l’étroite cuisine où vacillait la flamme d’une bougie. Mais quelqu’un est venu qui m’a enlevé à tous ces plaisirs d’enfant paisible. Quelqu’un a soufflé la bougie qui éclairait pour moi le doux visage maternel penché sur le repas du soir. Quelqu’un a éteint la lampe autour de laquelle nous étions une famille heureuse, à la nuit, lorsque mon père avait accroché les volets de bois aux portes vitrées. Et celui-là , ce fut Augustin Meaulnes, que les autres élèves appelèrent bientôt le grand Meaulnes. Dès qu’il fut pensionnaire chez nous, c’est-à -dire dès les premiers jours de décembre, l’école cessa d’être désertée le soir, après quatre heures. Malgré le froid de la porte battante, les cris des balayeurs et leurs seaux d’eau, il y avait toujours, après le cours, dans la classe, une vingtaine de grands élèves, tant de la campagne que du bourg, serrés autour de Meaulnes. Et c’étaient de longues discussions, des disputes interminables, au milieu desquelles je me glissais avec inquiétude et plaisir. Meaulnes ne disait rien ; mais c’était pour lui qu’à chaque instant l’un des plus bavards s’avançait au milieu du groupe, et, prenant à témoin tour à tour chacun de ses compagnons, qui l’approuvaient bruyamment, racontait quelque longue histoire de maraude, que tous les autres suivaient, le bec ouvert, en riant silencieusement. Assis sur un pupitre, en balançant les jambes, Meaulnes réfléchissait. Aux bons moments, il riait aussi, mais doucement, comme s’il eût réservé ses éclats de rire pour quelque meilleure histoire, connue de lui seul. Puis, à la nuit tombante, lorsque la lueur des carreaux de la classe n’éclairait plus le groupe confus des jeunes gens, Meaulnes se levait soudain et, traversant le cercle pressé – Allons, en route ! criait-il. Alors tous le suivaient et l’on entendait leurs cris jusqu’à la nuit noire, dans le haut du bourg... Il m’arrivait maintenant de les accompagner. Avec Meaulnes, j’allais à la porte des écuries des faubourgs, à l’heure où l’on trait les vaches... Nous entrions dans les boutiques, et, du fond de l’obscurité, entre deux claquements de son métier, le tisserand disait – Voilà les étudiants ! Généralement, à l’heure du dÃner, nous nous trouvions tout près du Cours, chez Desnoues, le charron, qui était aussi maréchal. Sa boutique était une ancienne auberge, avec de grandes portes à deux battants qu’on laissait ouvertes. De la rue on entendait grincer le soufflet de la forge et l’on apercevait à la lueur du brasier, dans ce lieu obscur et tintant, parfois des gens de campagne qui avaient arrêté leur voiture pour causer un instant, parfois un écolier comme nous, adossé à une porte, qui regardait sans rien dire. Et c’est là que tout commença, environ huit jours avant NoÃl. III  Je fréquentais la boutique d’un vannier » La pluie était tombée tout le jour, pour ne cesser qu’au soir. La journée avait été mortellement ennuyeuse. Aux récréations, personne ne sortait. Et l’on entendait mon père, M. Seurel, crier à chaque minute, dans la classe – Ne sabotez donc pas comme ça, les gamins ! Après la dernière récréation de la journée, ou, comme nous disions, après le dernier  quart d’heure », M. Seurel, qui depuis un instant marchait de long en large pensivement, s’arrêta, frappa un grand coup de règle sur la table, pour faire cesser le bourdonnement confus des fins de classe où l’on s’ennuie, et, dans le silence attentif, demanda – Qui est-ce qui ira demain en voiture à La Gare avec François, pour chercher M. et Mme Charpentier ? C’étaient mes grands-parents grand-père Charpentier, l’homme au grand burnous de laine grise, le vieux garde forestier en retraite, avec son bonnet de poil de lapin qu’il appelait son képi... Les petits gamins le connaissaient bien. Les matins, pour se débarbouiller, il tirait un seau d’eau, dans lequel il barbotait, à la façon des vieux soldats, en se frottant vaguement la barbiche. Un cercle d’enfants, les mains derrière le dos, l’observaient avec une curiosité respectueuse... Et ils connaissaient aussi grand-mère Charpentier, la petite paysanne, avec sa capote tricotée, parce que Millie l’amenait, au moins une fois, dans la classe des plus petits. Tous les ans, nous allions les chercher, quelques jours avant NoÃl, à La Gare, au train de 4 h. 2. Ils avaient pour nous voir, traversé tout le département, chargés de ballots de châtaignes et victuailles pour NoÃl enveloppées dans des serviettes. Dès qu’ils avaient passé, tous les deux, emmitouflés, souriants et un peu interdits, le seuil de la maison, nous fermions sur eux toutes les portes, et c’était une grande semaine de plaisir qui commençait... Il fallait, pour conduire avec moi la voiture qui devait les ramener, il fallait quelqu’un de sérieux qui ne nous versât pas dans un fossé, et d’assez débonnaire aussi, car le grand-père Charpentier jurait facilement et la grand-mère était un peu bavarde. À la question de M. Seurel, une dizaine de voix répondirent, criant ensemble – Le grand Meaulnes ! le grand Meaulnes ! Mais M. Seurel fit semblant de ne pas entendre. Alors ils crièrent – Fromentin ! D’autres – Jasmin Delouche ! Le plus jeune des Roy, qui allait aux champs monté sur sa truie lancée au triple galop, criait  Moi ! Moi ! », d’une voix perçante. Dutremblay et MouchebÅ“uf se contentaient de lever timidement la main. J’aurais voulu que ce fût Meaulnes. Ce petit voyage en voiture à âne serait devenu un événement plus important. Il le désirait aussi, mais il affectait de se taire dédaigneusement. Tous les grands élèves s’étaient assis comme lui sur la table, à revers, les pieds sur le banc, ainsi que nous faisions dans les moments de grand répit et de réjouissance. Coffin, sa blouse relevée et roulée autour de la ceinture, embrassait la colonne de fer qui soutenait la poutre de la classe et commençait de grimper en signe d’allégresse. Mais M. Seurel refroidit tout le monde en disant – Allons ! Ce sera MouchebÅ“uf. Et chacun regagna sa place en silence. À quatre heures, dans la grande cour glacée, ravinée par la pluie, je me trouvai seul avec Meaulnes. Tous deux, sans rien dire, nous regardions le bourg luisant que séchait la bourrasque. Bientôt, le petit Coffin, en capuchon, un morceau de pain à la main, sortit de chez lui et, rasant les murs, se présenta en sifflant à la porte du charron. Meaulnes ouvrit le portail, le héla et, tous les trois, un instant après, nous étions installés au fond de la boutique rouge et chaude, brusquement traversée par de glacials coups de vent Coffin et moi, assis auprès de la forge, nos pieds boueux dans les copeaux blancs ; Meaulnes, les mains aux poches, silencieux, adossé au battant de la porte d’entrée. De temps à autre, dans la rue, passait une dame du village, la tête baissée à cause du vent, qui revenait de chez le boucher, et nous levions le nez pour regarder qui c’était. Personne ne disait rien. Le maréchal et son ouvrier, l’un soufflant la forge, l’autre battant le fer, jetaient sur le mur de grandes ombres brusques... Je me rappelle ce soir-là comme un des grands soirs de mon adolescence. C’était en moi un mélange de plaisir et d’anxiété je craignais que mon compagnon ne m’enlevât cette pauvre joie d’aller à La Gare en voiture ; et pourtant j’attendais de lui, sans oser me l’avouer, quelque entreprise extraordinaire qui vÃnt tout bouleverser. De temps à autre, le travail paisible et régulier de la boutique s’interrompait pour un instant. Le maréchal laissait à petits coups pesants et clairs retomber son marteau sur l’enclume. Il regardait, en l’approchant de son tablier de cuir, le morceau de fer qu’il avait travaillé. Et, redressant la tête, il nous disait, histoire de souffler un peu – Eh bien ! ça va, la jeunesse ? L’ouvrier restait la main en l’air à la chaÃne du soufflet, mettait son poing gauche sur la hanche et nous regardait en riant. Puis le travail sourd et bruyant reprenait. Durant une de ces pauses, on aperçut, par la porte battante, Millie dans le grand vent, serrée dans un fichu, qui passait chargée de petits paquets. Le maréchal demanda – C’est-il que M. Charpentier va bientôt venir ? – Demain, répondis-je, avec ma grand-mère, j’irai les chercher en voiture au train de 4 h. 2. – Dans la voiture à Fromentin, peut-être ? Je répondis bien vite – Non, dans celle du père Martin. – Oh ! alors, vous n’êtes pas revenus. Et tous les deux, son ouvrier et lui, se prirent à rire. L’ouvrier fit remarquer, lentement, pour dire quelque chose – Avec la jument de Fromentin on aurait pu aller les chercher à Vierzon. Il y a une heure d’arrêt. C’est à quinze kilomètres. On aurait été de retour avant même que l’âne à Martin fût attelé. – Ça, dit l’autre, c’est une jument qui marche !... – Et je crois bien que Fromentin la prêterait facilement. La conversation finit là . De nouveau la boutique fut un endroit plein d’étincelles et de bruit, où chacun ne pensa que pour soi. Mais lorsque l’heure fut venue de partir et que je me levai pour faire signe au grand Meaulnes, il ne m’aperçut pas d’abord. Adossé à la porte et la tête penchée, il semblait profondément absorbé par ce qui venait d’être dit. En le voyant ainsi, perdu dans ses réflexions, regardant, comme à travers des lieues de brouillard, ces gens paisibles qui travaillaient, je pensai soudain à cette image de Robinson Crusoé, où l’on voit l’adolescent anglais, avant son grand départ,  fréquentant la boutique d’un vannier »... Et j’y ai souvent repensé depuis. IV L’évasion À deux heures de l’après-midi, le lendemain, la classe du Cours Supérieur est claire, au milieu du paysage gelé, comme une barque sur l’Océan. On n’y sent pas la saumure ni le cambouis, comme sur un bateau de pêche, mais les harengs grillés sur le poêle et la laine roussie de ceux qui, en rentrant, se sont chauffés de trop près. On a distribué, car la fin de l’année approche, les cahiers de compositions. Et, pendant que M. Seurel écrit au tableau l’énoncé des problèmes, un silence imparfait s’établit, mêlé de conversations à voix basse, coupé de petits cris étouffés et de phrases dont on ne dit que les premiers mots pour effrayer son voisin – Monsieur ! Un tel me... Seurel, en copiant ses problèmes, pense à autre chose. Il se retourne de temps à autre, en regardant tout le monde d’un air à la fois sévère et absent. Et ce remue-ménage sournois cesse complètement, une seconde, pour reprendre ensuite, tout doucement d’abord, comme un ronronnement. Seul, au milieu de cette agitation, je me tais. Assis au bout d’une des tables de la division des plus jeunes, près des grandes vitres, je n’ai qu’à me redresser un peu pour apercevoir le jardin, le ruisseau dans le bas, puis les champs. De temps à autre, je me soulève sur la pointe des pieds et je regarde anxieusement du côté de la ferme de La Belle-Étoile. Dès le début de la classe, je me suis aperçu que Meaulnes n’était pas rentré après la récréation de midi. Son voisin de table a bien dû s’en apercevoir aussi. Il n’a rien dit encore, préoccupé par sa composition. Mais, dès qu’il aura levé la tête, la nouvelle courra par toute la classe, et quelqu’un, comme c’est l’usage, ne manquera pas de crier à haute voix les premiers mots de la phrase – Monsieur ! Meaulnes... Je sais que Meaulnes est parti. Plus exactement, je le soupçonne de s’être échappé. Sitôt le déjeuner terminé, il a dû sauter le petit mur et filer à travers champs, en passant le ruisseau à la Vieille-Planche, jusqu’à La Belle-Étoile. Il aura demandé la jument pour aller chercher M. et Mme Charpentier. Il fait atteler en ce moment. La Belle-Étoile est, là -bas, de l’autre côté du ruisseau, sur le versant de la côte, une grande ferme, que les ormes, les chênes de la cour et les haies vives cachent en été. Elle est placée sur un petit chemin qui rejoint d’un côté la route de La Gare, de l’autre un faubourg du pays. Entourée de hauts murs soutenus par des contreforts dont le pied baigne dans le fumier, la grande bâtisse féodale est au mois de juin enfouie sous les feuilles, et, de l’école, on entend seulement, à la tombée de la nuit, le roulement des charrois et les cris des vachers. Mais aujourd’hui, j’aperçois par la vitre, entre les arbres dépouillés, le haut mur grisâtre de la cour, la porte d’entrée, puis, entre des tronçons de haie, une bande du chemin blanchi de givre, parallèle au ruisseau, qui mène à la route de La Gare. Rien ne bouge encore dans ce clair paysage d’hiver. Rien n’est changé encore. Ici, M. Seurel achève de copier le deuxième problème. Il en donne trois d’habitude. Si aujourd’hui, par hasard, il n’en donnait que deux... Il remonterait aussitôt dans sa chaire et s’apercevrait de l’absence de Meaulnes. Il enverrait pour le chercher à travers le bourg deux gamins qui parviendraient certainement à le découvrir avant que la jument ne soit attelée... Seurel, le deuxième problème copié, laisse un instant retomber son bras fatigué... Puis, à mon grand soulagement, il va à la ligne et recommence à écrire en disant – Ceci, maintenant, n’est plus qu’un jeu d’enfant ! ... Deux petits traits noirs, qui dépassaient le mur de La Belle-Étoile et qui devaient être les deux brancards dressés d’une voiture, ont disparu. Je suis sûr maintenant qu’on fait là -bas les préparatifs du départ de Meaulnes. Voici la jument qui passe la tête et le poitrail entre les deux pilastres de l’entrée, puis s’arrête, tandis qu’on fixe sans doute, à l’arrière de la voiture, un second siège pour les voyageurs que Meaulnes prétend ramener. Enfin tout l’équipage sort lentement de la cour, disparaÃt un instant derrière la haie, et repasse avec la même lenteur sur le bout de chemin blanc qu’on aperçoit entre deux tronçons de la clôture. Je reconnais alors, dans cette forme noire qui tient les guides, un coude nonchalamment appuyé sur le côté de la voiture, à la façon paysanne, mon compagnon Augustin Meaulnes. Un instant encore tout disparaÃt derrière la haie. Deux hommes qui sont restés au portail de La Belle-Étoile, à regarder partir la voiture, se concertent maintenant avec une animation croissante. L’un d’eux se décide enfin à mettre sa main en porte-voix près de sa bouche et à appeler Meaulnes, puis à courir quelques pas, dans sa direction, sur le chemin... Mais alors, dans la voiture qui est lentement arrivée sur la route de La Gare et que du petit chemin on ne doit plus apercevoir, Meaulnes change soudain d’attitude. Un pied sur le devant, dressé comme un conducteur de char romain, secouant à deux mains les guides, il lance sa bête à fond de train et disparaÃt en un instant de l’autre côté de la montée. Sur le chemin, l’homme qui appelait s’est repris à courir ; l’autre s’est lancé au galop à travers champs et semble venir vers nous. En quelques minutes, et au moment même où M. Seurel, quittant le tableau, se frotte les mains pour en enlever la craie, au moment où trois voix à la fois crient du fond de la classe – Monsieur ! Le grand Meaulnes est parti ! l’homme en blouse bleue est à la porte, qu’il ouvre soudain toute grande, et, levant son chapeau, il demande sur le seuil – Excusez-moi, monsieur, c’est-il vous qui avez autorisé cet élève à demander la voiture pour aller à Vierzon chercher vos parents ? Il nous est venu des soupçons... – Mais pas du tout ! répond M. Seurel. Et aussitôt c’est dans la classe un désarroi effroyable. Les trois premiers, près de la sortie, ordinairement chargés de pourchasser à coups de pierres les chèvres ou les porcs qui viennent brouter dans la cour les corbeilles d’argent, se sont précipités à la porte. Au violent piétinement de leurs sabots ferrés sur les dalles de l’école a succédé, dehors, le bruit étouffé de leurs pas précipités qui mâchent le sable de la cour et dérapent au virage de la petite grille ouverte sur la route. Tout le reste de la classe s’entasse aux fenêtres du jardin. Certains ont grimpé sur les tables pour mieux voir... Mais il est trop tard. Le grand Meaulnes s’est évadé. – Tu iras tout de même à La Gare avec MouchebÅ“uf, me dit M. Seurel. Meaulnes ne connaÃt pas le chemin de Vierzon. Il se perdra aux carrefours. Il ne sera pas au train pour trois heures. Sur le seuil de la petite classe, Millie tend le cou pour demander – Mais qu’y a-t-il donc ? Dans la rue du bourg, les gens commencent à s’attrouper. Le paysan est toujours là , immobile, entêté, son chapeau à la main, comme quelqu’un qui demande justice. V La voiture qui revient Lorsque j’eus ramené de La Gare les grands-parents, lorsque après le dÃner, assis devant la haute cheminée, ils commencèrent à raconter par le menu détail tout ce qui leur était arrivé depuis les dernières vacances, je m’aperçus bientôt que je ne les écoutais pas. La petite grille de la cour était tout près de la porte de la salle à manger. Elle grinçait en s’ouvrant. D’ordinaire, au début de la nuit, pendant nos veillées de campagne, j’attendais secrètement ce grincement de la grille. Il était suivi d’un bruit de sabots claquant ou s’essuyant sur le seuil, parfois d’un chuchotement comme de personnes qui se concertent avant d’entrer. Et l’on frappait. C’était un voisin, les institutrices, quelqu’un enfin qui venait nous distraire de la longue veillée. Or, ce soir-là , je n’avais plus rien à espérer du dehors, puisque tous ceux que j’aimais étaient réunis dans notre maison ; et pourtant je ne cessais d’épier tous les bruits de la nuit et d’attendre qu’on ouvrÃt notre porte. Le vieux grand-père, avec son air broussailleux de grand berger gascon, ses deux pieds lourdement posés devant lui, son bâton entre les jambes, inclinant l’épaule pour cogner sa pipe contre son soulier, était là . Il approuvait de ses yeux mouillés et bons ce que disait la grand-mère, de son voyage et de ses poules et de ses voisins et des paysans qui n’avaient pas encore payé leur fermage. Mais je n’étais plus avec eux. J’imaginais le roulement de voiture qui s’arrêterait soudain devant la porte. Meaulnes sauterait de la carriole et entrerait comme si rien ne s’était passé... Ou peut-être irait-il d’abord reconduire la jument à La Belle-Étoile ; et j’entendrais bientôt son pas sonner sur la route et la grille s’ouvrir... Mais rien. Le grand-père regardait fixement devant lui et ses paupières en battant s’arrêtaient longuement sur ses yeux comme à l’approche du sommeil. La grand-mère répétait avec embarras sa dernière phrase, que personne n’écoutait. – C’est de ce garçon que vous êtes en peine ? dit-elle enfin. À La Gare, en effet, je l’avais questionnée vainement. Elle n’avait vu personne, à l’arrêt de Vierzon, qui ressemblât au grand Meaulnes. Mon compagnon avait dû s’attarder en chemin. Sa tentative était manquée. Pendant le retour, en voiture, j’avais ruminé ma déception, tandis que ma grand-mère causait avec MouchebÅ“uf. Sur la route blanchie de givre, les petits oiseaux tourbillonnaient autour des pieds de l’âne trottinant. De temps à autre, sur le grand calme de l’après-midi gelé, montait l’appel lointain d’une bergère ou d’un gamin hélant son compagnon d’un bosquet de sapins à l’autre. Et chaque fois, ce long cri sur les coteaux déserts me faisait tressaillir, comme si c’eût été la voix de Meaulnes me conviant à le suivre au loin... Tandis que je repassais tout cela dans mon esprit, l’heure arriva de se coucher. Déjà le grand-père était entré dans la chambre rouge, la chambre-salon, tout humide et glacée d’être close depuis l’autre hiver. On avait enlevé, pour qu’il s’y installât, les têtières en dentelle des fauteuils, relevé les tapis et mis de côté les objets fragiles. Il avait posé son bâton sur une chaise, ses gros souliers sous un fauteuil ; il venait de souffler sa bougie, et nous étions debout, nous disant bonsoir, prêts à nous séparer pour la nuit, lorsqu’un bruit de voitures nous fit taire. On eût dit deux équipages se suivant lentement au très petit trot. Cela ralentit le pas et finalement vint s’arrêter sous la fenêtre de la salle à manger qui donnait sur la route, mais qui était condamnée. Mon père avait pris la lampe et, sans attendre, il ouvrait la porte qu’on avait déjà fermée à clef. Puis, poussant la grille, s’avançant sur le bord des marches, il leva la lumière au-dessus de sa tête pour voir ce qui se passait. C’étaient bien deux voitures arrêtées, le cheval de l’une attaché derrière l’autre. Un homme avait sauté à terre et hésitait... – C’est ici la Mairie ? dit-il en s’approchant. Pourriez-vous m’indiquez M. Fromentin, métayer à La Belle-Étoile ? J’ai trouvé sa voiture et sa jument qui s’en allaient sans conducteur, le long d’un chemin près de la route de Saint-Loup-des-Bois. Avec mon falot, j’ai pu voir son nom et son adresse sur la plaque. Comme c’était sur mon chemin, j’ai ramené son attelage par ici, afin d’éviter des accidents, mais ça m’a rudement retardé quand même. Nous étions là , stupéfaits. Mon père s’approcha. Il éclaira la carriole avec sa lampe. – Il n’y a aucune trace de voyageur, poursuivit l’homme. Pas même une couverture. La bête est fatiguée ; elle boitille un peu. Je m’étais approché jusqu’au premier rang et je regardais avec les autres cet attelage perdu qui nous revenait, telle une épave qu’eût ramenée la haute mer – la première épave et la dernière, peut-être, de l’aventure de Meaulnes. – Si c’est trop loin, chez Fromentin, dit l’homme, je vais vous laisser la voiture. J’ai déjà perdu beaucoup de temps et l’on doit s’inquiéter, chez moi. Mon père accepta. De cette façon nous pourrions dès ce soir reconduire l’attelage à La Belle-Étoile sans dire ce qui s’était passé. Ensuite, on déciderait de ce qu’il faudrait raconter aux gens du pays et écrire à la mère de Meaulnes... Et l’homme fouetta sa bête, en refusant le verre de vin que nous lui offrions. Du fond de sa chambre où il avait rallumé la bougie, tandis que nous rentrions sans rien dire et que mon père conduisait la voiture à la ferme, mon grand-père appelait – Alors ? Est-il rentré, ce voyageur ? Les femmes se concertèrent du regard, une seconde – Mais oui, il a été chez sa mère. Allons, dors. Ne t’inquiète pas ! – Eh bien, tant mieux. C’est bien ce que je pensais, dit-il. Et, satisfait, il éteignit sa lumière et se tourna dans son lit pour dormir. Ce fut la même explication que nous donnâmes aux gens du bourg. Quant à la mère du fugitif, il fut décidé qu’on attendrait pour lui écrire. Et nous gardâmes pour nous seuls notre inquiétude qui dura trois grands jours. Je vois encore mon père rentrant de la ferme vers onze heures, sa moustache mouillée par la nuit, discutant avec Millie d’une voix très basse, angoissée et colère... VI On frappe au carreau Le quatrième jour fut un des plus froids de cet hiver-là . De grand matin, les premiers arrivés dans la cour se réchauffaient en glissant autour du puits. Ils attendaient que le poêle fût allumé dans l’école pour s’y précipiter. Derrière le portail, nous étions plusieurs à guetter la venue des gars de la campagne. Ils arrivaient tout éblouis encore d’avoir traversé des paysages de givre, d’avoir vu les étangs glacés, les taillis où les lièvres détalent... Il y avait dans leurs blouses un goût de foin et d’écurie qui alourdissait l’air de la classe, quand ils se pressaient autour du poêle rouge. Et, ce matin-là , l’un d’eux avait apporté dans un panier un écureuil gelé qu’il avait découvert en route. Il essayait, je me souviens, d’accrocher par ses griffes, au poteau du préau, la longue bête raidie... Puis la pesante classe d’hiver commença... Un coup brusque au carreau nous fit lever la tête. Dressé contre la porte, nous aperçûmes le grand Meaulnes secouant, avant d’entrer, le givre de sa blouse, la tête haute et comme ébloui ! Les deux élèves, du banc le plus rapproché de la porte se précipitèrent pour l’ouvrir il y eut à l’entrée comme un vague conciliabule, que nous n’entendÃmes pas, et le fugitif se décida enfin à pénétrer dans l’école. Cette bouffée d’air frais venue de la cour déserte, les brindilles de paille qu’on voyait accrochées aux habits du grand Meaulnes, et surtout son air de voyageur fatigué, affamé, mais émerveillé, tout cela fit passer en nous un étrange sentiment de plaisir et de curiosité. Seurel était descendu du petit bureau à deux marches où il était en train de nous faire la dictée, et Meaulnes marchait vers lui d’un air agressif. Je me rappelle combien je le trouvai beau, à cet instant, le grand compagnon, malgré son air épuisé et ses yeux rougis par les nuits passées au dehors, sans doute. Il s’avança jusqu’à la chaire et dit, du ton très assuré de quelqu’un qui rapporte un renseignement – Je suis rentré, monsieur. – Je le vois bien, répondit M. Seurel, en le considérant avec curiosité... Allez vous asseoir à votre place. Le gars se retourna vers nous, le dos un peu courbé, souriant d’un air moqueur, comme font les grands élèves indisciplinés lorsqu’ils sont punis, et, saisissant d’une main le bout de la table, il se laissa glisser sur son banc. – Vous allez prendre un livre que je vais vous indiquer, dit le maÃtre – toutes les têtes étaient alors tournées vers Meaulnes – pendant que vos camarades finiront la dictée. Et la classe reprit comme auparavant. De temps à autre le grand Meaulnes se tournait de mon côté, puis il regardait par les fenêtres, d’où l’on apercevait le jardin blanc, cotonneux, immobile, et les champs déserts, ou parfois descendait un corbeau. Dans la classe, la chaleur était lourde, auprès du poêle rougi. Mon camarade, la tête dans les mains, s’accouda pour lire à deux reprises je vis ses paupières se fermer et je crus qu’il allait s’endormir. – Je voudrais aller me coucher, monsieur, dit-il enfin, en levant le bras à demi. Voici trois nuits que je ne dors pas. – Allez ! dit M. Seurel, désireux surtout d’éviter un incident. Toutes les têtes levées, toutes les plumes en l’air, à regret nous le regardâmes partir, avec sa blouse fripée dans le dos et ses souliers terreux. Que la matinée fut lente à traverser ! Aux approches de midi, nous entendÃmes là -haut, dans la mansarde, le voyageur s’apprêter pour descendre. Au déjeuner, je le retrouvai assis devant le feu, près des grands-parents interdits, pendant qu’aux douze coups de l’horloge, les grands élèves et les gamins éparpillés dans la cour neigeuse filaient comme des ombres devant la porte de la salle à manger. De ce déjeuner je ne me rappelle qu’un grand silence et une grande gêne. Tout était glacé la toile cirée sans nappe, le vin froid dans les verres, le carreau rougi sur lequel nous posions les pieds... On avait décidé, pour ne pas le pousser à la révolte, de ne rien demander au fugitif. Et il profita de cette trêve pour ne pas dire un mot. Enfin, le dessert terminé, nous pûmes tous les deux bondir dans la cour. Cour d’école, après midi, où les sabots avaient enlevé la neige... cour noircie où le dégel faisait dégoutter les toits du préau... cour pleine de jeux et de cris perçants ! Meaulnes et moi, nous longeâmes en courant les bâtiments. Déjà deux ou trois de nos amis du bourg laissaient la partie et accouraient vers nous en criant de joie, faisant gicler la boue sous leurs sabots, les mains aux poches, le cache-nez déroulé. Mais mon compagnon se précipita dans la grande classe, où je le suivis, et referma la porte vitrée juste à temps pour supporter l’assaut de ceux qui nous poursuivaient. Il y eut un fracas clair et violent de vitres secouées, de sabots claquant sur le seuil ; une poussée qui fit plier la tige de fer maintenant les deux battants de la porte ; mais déjà Meaulnes, au risque de se blesser à son anneau brisé, avait tourné la petite clef qui fermait la serrure. Nous avions accoutumé de juger très vexante une pareille conduite. En été, ceux qu’on laissait ainsi à la porte couraient au galop dans le jardin et parvenaient souvent à grimper par une fenêtre avant qu’on eût pu les fermer toutes. Mais nous étions en décembre et tout était clos. Un instant on fit au dehors des pesées sur la porte ; on nous cria des injures ; puis, un à un, ils tournèrent le dos et s’en allèrent, la tête basse, en rajustant leurs cache-nez. Dans la classe qui sentait les châtaignes et la piquette, il n’y avait que deux balayeurs, qui déplaçaient les tables. Je m’approchai du poêle pour m’y chauffer paresseusement en attendant la rentrée, tandis qu’Augustin Meaulnes cherchait dans le bureau du maÃtre et dans les pupitres. Il découvrit bientôt un petit atlas, qu’il se mit à étudier avec passion, debout sur l’estrade, les coudes sur le bureau, la tête entre les mains. Je me disposais à aller près de lui ; je lui aurais mis la main sur l’épaule et nous aurions sans doute suivi ensemble sur la carte le trajet qu’il avait fait, lorsque soudain la porte de communication avec la petite classe s’ouvrit toute battante sous une violente poussée, et Jasmin Delouche, suivi d’un gars du bourg et de trois autres de la campagne, surgit avec un cri de triomphe. Une des fenêtres de la petite classe était sans doute mal fermée ils avaient dû la pousser et sauter par là . Jasmin Delouche, encore qu’assez petit, était l’un des plus âgés du Cours Supérieur. Il était fort jaloux du grand Meaulnes, bien qu’il se donnât comme son ami. Avant l’arrivée de notre pensionnaire, c’était lui, Jasmin, le coq de la classe. Il avait une figure pâle, assez fade, et les cheveux pommadés. Fils unique de la veuve Delouche, aubergiste, il faisait l’homme ; il répétait avec vanité ce qu’il entendait dire aux joueurs de billard, aux buveurs de vermouths. À son entrée, Meaulnes leva la tête et, les sourcils froncés, cria aux gars qui se précipitaient sur le poêle, en se bousculant – On ne peut donc pas être tranquille une minute, ici ! – Si tu n’es pas content, il fallait rester où tu étais, répondit, sans lever la tête, Jasmin Delouche qui se sentait appuyé par ses compagnons. Je pense qu’Augustin était dans cet état de fatigue où la colère monte et vous surprend sans qu’on puisse la contenir. – Toi, dit-il, en se redressant et en fermant son livre, un peu pâle, tu vas commencer par sortir d’ici ! L’autre ricana – Oh ! cria-t-il. Parce que tu es resté trois jours échappé, tu crois que tu vas être le maÃtre maintenant ? Et, associant les autres à sa querelle – Ce n’est pas toi qui nous feras sortir, tu sais ! Mais déjà Meaulnes était sur lui. Il y eut d’abord une bousculade les manches des blouses craquèrent et se décousirent. Seul, Martin, un des gars de la campagne entrés avec Jasmin, s’interposa – Tu vas le laisser ! dit-il, les narines gonflées, secouant la tête comme un bélier. D’une poussée violente, Meaulnes le jeta, titubant, les bras ouverts, au milieu de la classe ; puis, saisissant d’une main Delouche par le cou, de l’autre ouvrant la porte, il tenta de le jeter dehors. Jasmin s’agrippait aux tables et traÃnait les pieds sur les dalles, faisant crisser ses souliers ferrés, tandis que Martin, ayant repris son équilibre, revenait à pas comptés, la tête en avant, furieux. Meaulnes lâcha Delouche pour se colleter avec cet imbécile, et il allait peut-être se trouver en mauvaise posture, lorsque la porte des appartements s’ouvrit à demi. M. Seurel parut, la tête tournée vers la cuisine, terminant, avant d’entrer, une conversation avec quelqu’un... Aussitôt la bataille s’arrêta. Les uns se rangèrent autour du poêle, la tête basse, ayant évité jusqu’au bout de prendre parti. Meaulnes s’assit à sa place, le haut de ses manches décousu et défroncé. Quant à Jasmin, tout congestionné, on l’entendit crier durant les quelques secondes qui précédèrent le coup de règle du début de la classe – Il ne peut plus rien supporter maintenant. Il fait le malin. Il s’imagine peut-être qu’on ne sait pas où il a été ! – Imbécile ! Je ne le sais pas moi-même, répondit Meaulnes, dans le silence déjà grand. Puis, haussant les épaules, la tête dans les mains, il se mit à apprendre ses leçons. VII Le gilet de soie Notre chambre était, comme je l’ai dit, une grande mansarde. À moitié mansarde, à moitié chambre. Il y avait des fenêtres aux autres logis d’adjoints ; on ne sait pas pourquoi celui-ci était éclairé par une lucarne. Il était impossible de fermer complètement la porte, qui frottait sur le plancher. Lorsque nous y montions, le soir, abritant de la main notre bougie que menaçaient tous les courants d’air de la grande demeure, chaque fois nous essayions de fermer cette porte, chaque fois nous étions obligés d’y renoncer. Et, toute la nuit, nous sentions autour de nous, pénétrant jusque dans notre chambre, le silence des trois greniers. C’est là que nous nous retrouvâmes, Augustin et moi, le soir de ce même jour d’hiver. Tandis qu’en un tour de main j’avais quitté tous mes vêtements et les avais jetés en tas sur une chaise au chevet de mon lit, mon compagnon, sans rien dire, commençait lentement à se déshabiller. Du lit de fer aux rideaux de cretonne décorés de pampres, où j’étais monté déjà , je le regardais faire. Tantôt il s’asseyait sur son lit bas et sans rideaux. Tantôt il se levait et marchait de long en large, tout en se dévêtant. La bougie, qu’il avait posée sur une petite table d’osier tressée par des bohémiens, jetait sur le mur son ombre errante et gigantesque. Tout au contraire de moi, il pliait et rangeait, d’un air distrait et amer, mais avec soin, ses habits d’écolier, Je le revois plaquant sur une chaise sa lourde ceinture ; pliant sur le dossier sa blouse noire extraordinairement fripée et salie ; retirant une espèce de paletot gros bleu qu’il avait sous sa blouse, et se penchant en me tournant le dos, pour l’étaler sur le pied de son lit... Mais lorsqu’il se redressa et se retourna vers moi, je vis qu’il portait, au lieu du petit gilet à boutons de cuivre, qui était d’uniforme sous le paletot, un étrange gilet de soie, très ouvert, que fermait dans le bas un rang serré de petits boutons de nacre. C’était un vêtement d’une fantaisie charmante, comme devaient en porter les jeunes gens qui dansaient avec nos grands-mères, dans les bals de mil huit cent trente. Je me rappelle, en cet instant, le grand écolier paysan, nu-tête, car il avait soigneusement posé sa casquette sur ses autres habits – visage si jeune, si vaillant et si durci déjà . Il avait repris sa marche à travers la chambre lorsqu’il se mit à déboutonner cette pièce mystérieuse d’un costume qui n’était pas le sien. Et il était étrange de le voir en bras de chemise, avec son pantalon trop court, ses souliers boueux, mettant la main sur ce gilet de marquis. Dès qu’il l’eut touché, sortant brusquement de sa rêverie, il tourna la tête vers moi et me regarda d’un Å“il inquiet. J’avais un peu envie de rire. Il sourit en même temps que moi et son visage s’éclaira. – Oh ! dis-moi ce que c’est, fis-je, enhardi, à voix basse. Où l’as-tu pris ? Mais son sourire s’éteignit aussitôt. Il passa deux fois sur ses cheveux ras sa main lourde, et tout soudain, comme quelqu’un qui ne peut plus résister à son désir, il réendossa sur le fin jabot sa vareuse qu’il boutonna solidement et sa blouse fripée ; puis il hésita un instant, en me regardant de côté... Finalement, il s’assit sur le bord de son lit, quitta ses souliers qui tombèrent bruyamment sur le plancher ; et, tout habillé comme un soldat au cantonnement d’alerte, il s’étendit sur son lit et souffla la bougie. Vers le milieu de la nuit je m’éveillai soudain. Meaulnes était au milieu de la chambre, debout, sa casquette sur la tête, et il cherchait au porte-manteau quelque chose – une pèlerine qu’il se mit sur le dos... La chambre était très obscure. Pas même la clarté que donne parfois le reflet de la neige. Un vent noir et glacé soufflait dans le jardin mort et sur le toit. Je me dressai un peu et je lui criai tout bas – Meaulnes ! tu repars ? Il ne répondit pas. Alors, tout à fait affolé, je dis – Eh bien, je pars avec toi. Il faut que tu m’emmènes. Et je sautai à bas. Il s’approcha, me saisit par le bras, me forçant à m’asseoir sur le rebord du lit, et il me dit – Je ne puis pas t’emmener, François. Si je connaissais bien mon chemin, tu m’accompagnerais. Mais il faut d’abord que je le retrouve sur le plan, et je n’y parviens pas. – Alors, tu ne peux pas repartir non plus ? – C’est vrai, c’est bien inutile... fit-il avec découragement. Allons, recouche-toi. Je te promets de ne pas repartir sans toi. Et il reprit sa promenade de long en large dans la chambre. Je n’osais plus rien lui dire. Il marchait, s’arrêtait, repartait plus vite, comme quelqu’un qui, dans sa tête, recherche ou repasse des souvenirs, les confronte, les compare, calcule, et soudain pense avoir trouvé ; puis de nouveau lâche le fil et recommence à chercher... Ce ne fut pas la seule nuit où, réveillé par le bruit de ses pas, je le trouvai ainsi, vers une heure du matin, déambulant à travers la chambre et les greniers – comme ces marins qui n’ont pu se déshabituer de faire le quart et qui, au fond de leurs propriétés bretonnes, se lèvent et s’habillent à l’heure réglementaire pour surveiller la nuit terrienne. À deux ou trois reprises, durant le mois de janvier et la première quinzaine de février, je fus ainsi tiré de mon sommeil. Le grand Meaulnes était là , dressé, tout équipé, sa pèlerine sur le dos, prêt à partir, et chaque fois, au bord de ce pays mystérieux, où une fois déjà il s’était évadé, il s’arrêtait, hésitant. Au moment de lever le loquet de la porte de l’escalier et de filer par la porte de la cuisine qu’il eût facilement ouverte sans que personne l’entendÃt, il reculait une fois encore... Puis, durant les longues heures du milieu de la nuit, fiévreusement, il arpentait, en réfléchissant, les greniers abandonnés. Enfin une nuit, vers le 15 février, ce fut lui-même qui m’éveilla en me posant doucement la main sur l’épaule. La journée avait été fort agitée. Meaulnes, qui délaissait complètement tous les jeux de ses anciens camarades, était resté, durant la dernière récréation du soir, assis sur son banc, tout occupé à établir un mystérieux petit plan, en suivant du doigt, et en calculant longuement, sur l’atlas du Cher. Un va-et-vient incessant se produisait entre la cour et la salle de classe. Les sabots claquaient. On se pourchassait de table en table, franchissant les bancs et l’estrade d’un saut... On savait qu’il ne faisait pas bon s’approcher de Meaulnes lorsqu’il travaillait ainsi ; cependant, comme la récréation se prolongeait, deux ou trois gamins du bourg, par manière de jeu, s’approchèrent à pas de loup et regardèrent par-dessus son épaule. L’un d’eux s’enhardit jusqu’à pousser les autres sur Meaulnes... Il ferma brusquement son atlas, cacha sa feuille et empoigna le dernier des trois gars, tandis que les deux autres avaient pu s’échapper. ... C’était ce hargneux Giraudat, qui prit un ton pleurard, essaya de donner des coups de pied, et, en fin de compte, fut mis dehors par le grand Meaulnes, à qui il cria rageusement – Grand lâche ! ça ne m’étonne pas qu’ils sont tous contre toi, qu’ils veulent te faire la guerre !... et une foule d’injures, auxquelles nous répondÃmes, sans avoir bien compris ce qu’il avait voulu dire. C’est moi qui criais le plus fort, car j’avais pris le parti du grand Meaulnes. Il y avait maintenant comme un pacte entre nous. La promesse qu’il m’avait faite de m’emmener avec lui, sans me dire, comme tout le monde,  que je ne pourrais pas marcher », m’avait lié à lui pour toujours. Et je ne cessais de penser à son mystérieux voyage. Je m’étais persuadé qu’il avait dû rencontrer une jeune fille. Elle était sans doute infiniment plus belle que toutes celles du pays, plus belle que Jeanne, qu’on apercevait dans le jardin des religieuses par le trou de la serrure ; et que Madeleine, la fille du boulanger, toute rose et toute blonde, et que Jenny, la fille de la châtelaine, qui était admirable, mais folle et toujours enfermée. C’est à une jeune fille certainement qu’il pensait la nuit, comme un héros de roman. Et j’avais décidé de lui en parler, bravement, la première fois qu’il m’éveillerait... Le soir de cette nouvelle bataille, après quatre heures, nous étions tous les deux occupés à rentrer des outils du jardin, des pics et des pelles qui avaient servi à creuser des trous, lorsque nous entendÃmes des cris sur la route. C’était une bande de jeunes gens et de gamins, en colonne par quatre, au pas gymnastique, évoluant comme une compagnie parfaitement organisée, conduits par Delouche, Daniel, Giraudat, et un autre que nous ne connûmes point. Ils nous avaient aperçus et ils nous huaient de la belle façon. Ainsi tout le bourg était contre nous, et l’on préparait je ne sais quel jeu guerrier dont nous étions exclus. Meaulnes, sans mot dire, remisa sous le hangar la bêche et la pioche qu’il avait sur l’épaule... Mais, à minuit, je sentais sa main sur mon bras, et je m’éveillais en sursaut. – Lève-toi, dit-il, nous partons. – Connais-tu maintenant le chemin jusqu’au bout ? – J’en connais une bonne partie. Et il faudra bien que nous trouvions le reste ! répondit-il, les dents serrées. – Écoute, Meaulnes, fis-je en me mettant sur mon séant. Écoute-moi nous n’avons qu’une chose à faire ; c’est de chercher tous les deux en plein jour, en nous servant de ton plan, la partie du chemin qui nous manque. – Mais cette portion-là est très loin d’ici. – Eh bien, nous irons en voiture, cet été, dès que les journées seront longues. Il y eut un silence prolongé qui voulait dire qu’il acceptait. – Puisque nous tâcherons ensemble de retrouver la jeune fille que tu aimes, Meaulnes, ajoutai-je enfin, dis-moi qui elle est, parle-moi d’elle. Il s’assit sur le pied de mon lit. Je voyais dans l’ombre sa tête penchée, ses bras croisés et ses genoux. Puis il aspira l’air fortement, comme quelqu’un qui a eu gros cÅ“ur longtemps et qui va enfin confier son secret... VIII L’aventure Mon compagnon ne me conta pas cette nuit-là tout ce qui lui était arrivé sur la route. Et même lorsqu’il se fut décidé à me tout confier, durant des jours de détresse dont je reparlerai, ce resta longtemps le grand secret de nos adolescences. Mais aujourd’hui que tout est fini, maintenant qu’il ne reste plus que poussière de tant de mal, de tant de bien, je puis raconter son étrange aventure. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . À une heure et demie de l’après-midi, sur la route de Vierzon, par ce temps glacial, Meaulnes fit marcher sa bête bon train, car il savait n’être pas en avance. Il ne songea d’abord, pour s’en amuser, qu’à notre surprise à tous, lorsqu’il ramènerait dans la carriole, à quatre heures, le grand-père et la grand-mère Charpentier. Car, à ce moment-là , certes, il n’avait pas d’autre intention. Peu à peu, le froid le pénétrant, il s’enveloppa les jambes dans une couverture qu’il avait d’abord refusée et que les gens de La Belle-Étoile avaient mise de force dans la voiture. À deux heures, il traversa le bourg de La Motte. Il n’était jamais passé dans un petit pays aux heures de classe et s’amusa de voir celui-là aussi désert, aussi endormi. C’est à peine si, de loin en loin, un rideau se leva, montrant une tête curieuse de bonne femme. À la sortie de La Motte, aussitôt après la maison d’école, il hésita entre deux routes et crut se rappeler qu’il fallait tourner à gauche pour aller à Vierzon. Personne n’était là pour le renseigner. Il remit sa jument au trot sur la route désormais plus étroite et mal empierrée. Il longea quelque temps un bois de sapins et rencontra enfin un roulier à qui il demanda, mettant sa main en porte-voix, s’il était bien là sur la route de Vierzon. La jument, tirant sur les guides, continuait à trotter ; l’homme ne dut pas comprendre ce qu’on lui demandait ; il cria quelque chose en faisant un geste vague, et, à tout hasard, Meaulnes poursuivit sa route. De nouveau ce fut la vaste campagne gelée, sans accident ni distraction aucune ; parfois seulement une pie s’envolait, effrayée par la voiture, pour aller se percher plus loin sur un orme sans tête. Le voyageur avait enroulé autour de ses épaules, comme une cape, sa grande couverture. Les jambes allongées, accoudé sur un côté de la carriole, il dut somnoler un assez long moment... ... Lorsque, grâce au froid, qui traversait maintenant la couverture, Meaulnes eut repris ses esprits, il s’aperçut que le paysage avait changé. Ce n’étaient plus ces horizons lointains, ce grand ciel blanc où se perdait le regard, mais de petits prés encore verts avec de hautes clôtures. À droite et à gauche, l’eau des fossés coulait sous la glace. Tout faisait pressentir l’approche d’une rivière. Et, entre les hautes haies, la route n’était plus qu’un étroit chemin défoncé. La jument, depuis un instant, avait cessé de trotter. D’un coup de fouet, Meaulnes voulut lui faire reprendre sa vive allure, mais elle continua à marcher au pas avec une extrême lenteur, et le grand écolier, regardant de côté, les mains appuyées sur le devant de la voiture, s’aperçut qu’elle boitait d’une jambe de derrière. Aussitôt il sauta à terre, très inquiet. – Jamais nous n’arriverons à Vierzon pour le train, dit-il à mi-voix. Et il n’osait pas s’avouer sa pensée la plus inquiétante, à savoir que peut-être il s’était trompé de chemin et qu’il n’était plus là sur la route de Vierzon. Il examina longuement le pied de la bête et n’y découvrit aucune trace de blessure. Très craintive, la jument levait la patte dès que Meaulnes voulait la toucher et grattait le sol de son sabot lourd et maladroit. Il comprit enfin qu’elle avait tout simplement un caillou dans le sabot. En gars expert au maniement du bétail, il s’accroupit, tenta de lui saisir le pied droit avec sa main gauche et de le placer entre ses genoux, mais il fut gêné par la voiture. À deux reprises, la jument se déroba et avança de quelques mètres. Le marchepied vint le frapper à la tête et la roue le blessa au genou. Il s’obstina et finit par triompher de la bête peureuse ; mais le caillou se trouvait si bien enfoncé que Meaulnes dut sortir son couteau de paysan pour en venir à bout. Lorsqu’il eut terminé sa besogne, et qu’il releva enfin la tête, à demi étourdi et les yeux troubles, il s’aperçut avec stupeur que la nuit tombait... Tout autre que Meaulnes eût immédiatement rebroussé chemin. C’était le seul moyen de ne pas s’égarer davantage. Mais il réfléchit qu’il devait être maintenant fort loin de La Motte. En outre la jument pouvait avoir pris un chemin transversal pendant qu’il dormait. Enfin, ce chemin-là devait bien à la longue mener vers quelque village... Ajoutez à toutes ces raisons que le grand gars, en remontant sur le marchepied, tandis que la bête impatiente tirait déjà sur les guides, sentait grandir en lui le désir exaspéré d’aboutir à quelque chose et d’arriver quelque part, en dépit de tous les obstacles ! Il fouetta la jument qui fit un écart et se remit au grand trot. L’obscurité croissait. Dans le sentier raviné, il y avait maintenant tout juste passage pour la voiture. Parfois une branche morte de la haie se prenait dans la roue et se cassait avec un bruit sec... Lorsqu’il fit tout à fait noir, Meaulnes songea soudain, avec un serrement de cÅ“ur, à la salle à manger de Sainte-Agathe, où nous devions, à cette heure, être tous réunis. Puis la colère le prit ; puis l’orgueil, et la joie profonde de s’être ainsi évadé, sans l’avoir voulu... IX Une halte Soudain, la jument ralentit son allure, comme si son pied avait buté dans l’ombre ; Meaulnes vit sa tête plonger et se relever par deux fois ; puis elle s’arrêta net, les naseaux bas, semblant humer quelque chose. Autour des pieds de la bête, on entendait comme un clapotis d’eau. Un ruisseau coupait le chemin. En été, ce devait être un gué. Mais à cette époque le courant était si fort que la glace n’avait pas pris et qu’il eût été dangereux de pousser plus avant. Meaulnes tira doucement sur les guides, pour reculer de quelques pas et, très perplexe, se dressa dans la voiture. C’est alors qu’il aperçut, entre les branches, une lumière. Deux ou trois prés seulement devaient la séparer du chemin... L’écolier descendit de voiture et ramena la jument en arrière, en lui parlant pour la calmer, pour arrêter ses brusques coups de tête effrayés – Allons, ma vieille ! Allons ! Maintenant nous n’irons pas plus loin. Nous saurons bientôt où nous sommes arrivés. Et, poussant la barrière entrouverte d’un petit pré qui donnait sur le chemin, il fit entrer là son équipage. Ses pieds enfonçaient dans l’herbe molle. La voiture cahotait silencieusement. Sa tête contre celle de la bête, il sentait sa chaleur et le souffle dur de son haleine... Il la conduisit tout au bout du pré, lui mit sur le dos la couverture ; puis, écartant les branches de la clôture du fond, il aperçut de nouveau la lumière, qui était celle d’une maison isolée. Il lui fallut bien, tout de même, traverser trois prés, sauter un traÃtre petit ruisseau, où il faillit plonger les deux pieds à la fois... Enfin, après un dernier saut du haut d’un talus, il se trouva dans la cour d’une maison campagnarde. Un cochon grognait dans son tet. Au bruit des pas sur la terre gelée, un chien se mit à aboyer avec fureur. Le volet de la porte était ouvert, et la lueur que Meaulnes avait aperçue était celle d’un feu de fagots allumé dans la cheminée. Il n’y avait pas d’autre lumière que celle du feu. Une bonne femme, dans la maison, se leva et s’approcha de la porte, sans paraÃtre autrement effrayée. L’horloge à poids, juste à cet instant, sonna la demie de sept heures. – Excusez-moi, ma pauvre dame, dit le grand garçon, je crois bien que j’ai mis le pied dans vos chrysanthèmes. Arrêtée, un bol à la main, elle le regardait. – Il est vrai, dit-elle, qu’il fait noir dans la cour à ne pas s’y conduire. Il y eut un silence, pendant lequel Meaulnes, debout, regarda les murs de la pièce tapissée de journaux illustrés comme une auberge, et la table, sur laquelle un chapeau d’homme était posé. – Il n’est pas là , le patron ? dit-il en s’asseyant. – Il va revenir, répondit la femme, mise en confiance. Il est allé chercher un fagot. – Ce n’est pas que j’aie besoin de lui, poursuivit le jeune homme en rapprochant sa chaise du feu. Mais nous sommes là plusieurs chasseurs à l’affût. Je suis venu vous demander de nous céder un peu de pain. Il savait, le grand Meaulnes, que chez les gens de campagne, et surtout dans une ferme isolée, il faut parler avec beaucoup de discrétion, de politique même, et surtout ne jamais montrer qu’on n’est pas du pays. – Du pain ? dit-elle. Nous ne pourrons guère vous en donner. Le boulanger qui passe pourtant tous les mardis n’est pas venu aujourd’hui. Augustin, qui avait espéré un instant se trouver à proximité d’un village, s’effraya. – Le boulanger de quel pays ? demanda-t-il. – Eh bien ! le boulanger du Vieux-Nançay, répondit la femme avec étonnement. – C’est à quelle distance d’ici, au juste, le Vieux-Nançay ? poursuivit Meaulnes très inquiet. – Par la route, je ne saurais pas vous dire au juste ; mais par la traverse il y a trois lieues et demie. Et elle se mit à raconter qu’elle y avait sa fille en place, qu’elle venait à pied pour la voir tous les premiers dimanches du mois et que ses patrons... Mais Meaulnes, complètement dérouté, l’interrompit pour dire – Le Vieux-Nançay serait-il le bourg le plus rapproché d’ici ? – Non, c’est les Landes, à cinq kilomètres. Mais il n’y a pas de marchands ni de boulanger. Il y a tout juste une petite assemblée, chaque année, à la Saint-Martin. Meaulnes n’avait jamais entendu parler des Landes. Il se vit à tel point égaré qu’il en fut presque amusé. Mais la femme, qui était occupée à laver son bol sur l’évier, se retourna, curieuse à son tour, et elle dit lentement, en le regardant bien droit – C’est-il que vous n’êtes pas du pays ?... À ce moment, un paysan âgé se présenta à la porte, avec une brassée de bois, qu’il jeta sur le carreau. La femme lui expliqua, très fort, comme s’il eût été sourd, ce que demandait le jeune homme. – Eh bien ! c’est facile, dit-il simplement. Mais approchez-vous, monsieur. Vous ne vous chauffez pas. Tous les deux, un instant plus tard, ils étaient installés près des chenets le vieux cassant son bois pour le mettre dans le feu, Meaulnes mangeant un bol de lait avec du pain qu’on lui avait offert. Notre voyageur, ravi de se trouver dans cette humble maison après tant d’inquiétudes, pensant que sa bizarre aventure était terminée, faisait déjà le projet de revenir plus tard avec des camarades revoir ces braves gens. Il ne savait pas que c’était là seulement une halte, et qu’il allait tout à l’heure reprendre son chemin. Il demanda bientôt qu’on le remÃt sur la route de La Motte. Et, revenant peu à peu à la vérité, il raconta qu’avec sa voiture il s’était séparé des autres chasseurs et se trouvait maintenant complètement égaré. Alors l’homme et la femme insistèrent si longtemps pour qu’il restât coucher et repartÃt seulement au grand jour, que Meaulnes finit par accepter et sortit chercher sa jument pour la rentrer à l’écurie. – Vous prendrez garde aux trous de la sente, lui dit l’homme. Meaulnes n’osa pas avouer qu’il n’était pas venu par la  sente ». Il fut sur le point de demander au brave homme de l’accompagner. Il hésita une seconde sur le seuil et si grande était son indécision qu’il faillit chanceler. Puis il sortit dans la cour obscure. X La bergerie Pour s’y reconnaÃtre, il grimpa sur le talus d’où il avait sauté. Lentement et difficilement, comme à l’aller, il se guida entre les herbes et les eaux, à travers les clôtures de saules, et s’en fut chercher sa voiture dans le fond du pré où il l’avait laissée. La voiture n’y était plus... Immobile, la tête battante, il s’efforça d’écouter tous les bruits de la nuit, croyant à chaque seconde entendre sonner tout près le collier de la bête. Rien... Il fit le tour du pré ; la barrière était à demi ouverte, à demi renversée, comme si une roue de voiture avait passé dessus. La jument avait dû, par là , s’échapper toute seule. Remontant le chemin, il fit quelques pas et s’embarrassa les pieds dans la couverture qui sans doute avait glissé de la jument à terre. Il en conclut que la bête s’était enfuie dans cette direction. Il se prit à courir. Sans autre idée que la volonté tenace et folle de rattraper sa voiture, tout le sang au visage, en proie à ce désir panique qui ressemblait à la peur, il courait... Parfois son pied butait dans les ornières. Aux tournants, dans l’obscurité totale, il se jetait contre les clôtures, et, déjà trop fatigué pour s’arrêter à temps, s’abattait sur les épines, les bras en avant, se déchirant les mains pour se protéger le visage. Parfois, il s’arrêtait, écoutait – et repartait. Un instant, il crut entendre un bruit de voiture ; mais ce n’était qu’un tombereau cahotant qui passait très loin, sur une route, à gauche... Vint un moment où son genou, blessé au marchepied, lui fit si mal qu’il dut s’arrêter, la jambe raidie. Alors il réfléchit que si la jument ne s’était pas sauvée au grand galop, il l’aurait depuis longtemps rejointe. Il se dit aussi qu’une voiture ne se perdait pas ainsi et que quelqu’un la retrouverait bien. Enfin il revint sur ses pas, épuisé, colère, se traÃnant à peine. À la longue, il crut se retrouver dans les parages qu’il avait quittés et bientôt il aperçut la lumière de la maison qu’il cherchait. Un sentier profond s’ouvrait dans la haie – Voilà la sente dont le vieux m’a parlé, se dit Augustin. Et il s’engagea dans ce passage, heureux de n’avoir plus à franchir les haies et les talus. Au bout d’un instant, le sentier déviant à gauche, la lumière parut glisser à droite, et, parvenu à un croisement de chemins, Meaulnes, dans sa hâte à regagner le pauvre logis, suivit sans réfléchir un sentier qui paraissait directement y conduire. Mais à peine avait-il fait dix pas dans cette direction que la lumière disparut, soit qu’elle fût cachée par une haie, soit que les paysans, fatigués d’attendre, eussent fermé leurs volets. Courageusement, l’écolier sauta à travers champs, marcha tout droit dans la direction où la lumière avait brillé tout à l’heure. Puis, franchissant encore une clôture, il retomba dans un nouveau sentier... Ainsi peu à peu, s’embrouillait la piste du grand Meaulnes et se brisait le lien qui l’attachait à ceux qu’il avait quittés. Découragé, presque à bout de forces, il résolut, dans son désespoir, de suivre ce sentier jusqu’au bout. À cent pas de là , il débouchait dans une grande prairie grise, où l’on distinguait de loin en loin des ombres qui devaient être des genévriers, et une bâtisse obscure dans un repli de terrain. Meaulnes s’en approcha. Ce n’était là qu’une sorte de grand parc à bétail ou de bergerie abandonnée. La porte céda avec un gémissement. La lueur de la lune, quand le grand vent chassait les nuages, passait à travers les fentes des cloisons. Une odeur de moisi régnait. Sans chercher plus avant, Meaulnes s’étendit sur la paille humide, le coude à terre, la tête dans la main. Ayant retiré sa ceinture, il se recroquevilla dans sa blouse, les genoux au ventre. Il songea alors à la couverture de la jument qu’il avait laissée dans le chemin, et il se sentit si malheureux, si fâché contre lui-même qu’il lui prit une forte envie de pleurer... Aussi s’efforça-t-il de penser à autre chose. Glacé jusqu’aux moelles, il se rappela un rêve – une vision plutôt, qu’il avait eue tout enfant, et dont il n’avait jamais parlé à personne un matin, au lieu de s’éveiller dans sa chambre, où pendaient ses culottes et ses paletots, il s’était trouvé dans une longue pièce verte, aux tentures pareilles à des feuillages. En ce lieu coulait une lumière si douce qu’on eût cru pouvoir la goûter. Près de la première fenêtre, une jeune fille cousait, le dos tourné, semblant attendre son réveil... Il n’avait pas eu la force de se glisser hors de son lit pour marcher dans cette demeure enchantée. Il s’était rendormi... Mais la prochaine fois, il jurait bien de se lever. Demain matin, peut-être !... XI Le domaine mystérieux Dès le petit jour, il se reprit à marcher. Mais son genou enflé lui faisait mal ; il lui fallait s’arrêter et s’asseoir à chaque moment tant la douleur était vive. L’endroit où il se trouvait était d’ailleurs le plus désolé de la Sologne. De toute la matinée, il ne vit qu’une bergère, à l’horizon, qui ramenait son troupeau. Il eut beau la héler, essayer de courir, elle disparut sans l’entendre. Il continua cependant de marcher dans sa direction, avec une désolante lenteur... Pas un toit, pas une âme. Pas même le cri d’un courlis dans les roseaux des marais. Et, sur cette solitude parfaite, brillait un soleil de décembre, clair et glacial. Il pouvait être trois heures de l’après-midi lorsqu’il aperçut enfin, au-dessus d’un bois de sapins, la flèche d’une tourelle grise. – Quelque vieux manoir abandonné, se dit-il, quelque pigeonnier désert !... Et, sans presser le pas, il continua son chemin. Au coin du bois débouchait, entre deux poteaux blancs, une allée où Meaulnes s’engagea. Il y fit quelques pas et s’arrêta, plein de surprise, troublé d’une émotion inexplicable. Il marchait pourtant du même pas fatigué, le vent glacé lui gerçait les lèvres, le suffoquait par instants ; et pourtant un contentement extraordinaire le soulevait, une tranquillité parfaite et presque enivrante, la certitude que son but était atteint et qu’il n’y avait plus maintenant que du bonheur à espérer. C’est ainsi que, jadis, la veille des grandes fêtes d’été, il se sentait défaillir, lorsque à la tombée de la nuit on plantait des sapins dans les rues du bourg et que la fenêtre de sa chambre était obstruée par les branches. – Tant de joie, se dit-il, parce que j’arrive à ce vieux pigeonnier, plein de hiboux et de courants d’air !... Et, fâché contre lui-même, il s’arrêta, se demandant s’il ne valait pas mieux rebrousser chemin et continuer jusqu’au prochain village. Il réfléchissait depuis un instant, la tête basse, lorsqu’il s’aperçut soudain que l’allée était balayée à grands ronds réguliers comme on faisait chez lui pour les fêtes. Il se trouvait dans un chemin pareil à la grand-rue de La Ferté, le matin de l’Assomption !... Il eût aperçu au détour de l’allée une troupe de gens en fête soulevant la poussière, comme au mois de juin, qu’il n’eût pas été surpris davantage. – Y aurait-il une fête dans cette solitude ? se demanda-t-il. Avançant jusqu’au premier détour, il entendit un bruit de voix qui s’approchaient. Il se jeta de côté dans les jeunes sapins touffus, s’accroupit et écouta en retenant son souffle. C’étaient des voix enfantines. Une troupe d’enfants passa tout près de lui. L’un d’eux, probablement une petite fille, parlait d’un ton si sage et si entendu que Meaulnes, bien qu’il ne comprÃt guère le sens de ses paroles, ne put s’empêcher de sourire – Une seule chose m’inquiète, disait-elle, c’est la question des chevaux. On n’empêchera jamais Daniel, par exemple, de monter sur le grand poney jaune ! – Jamais on ne m’en empêchera ! répondit une voix moqueuse de jeune garçon. Est-ce que nous n’avons pas toutes les permissions ?... Même celle de nous faire mal, s’il nous plaÃt... Et les voix s’éloignèrent, au moment où s’approchait déjà un autre groupe d’enfants. – Si la glace est fondue, dit une fillette, demain matin, nous irons en bateau. – Mais nous le permettra-t-on ? dit une autre. – Vous savez bien que nous organisons la fête à notre guise. – Et si Frantz rentrait dès ce soir, avec sa fiancée ? – Eh bien, il ferait ce que nous voudrions !...  Il s’agit d’une noce, sans doute, se dit Augustin. Mais ce sont les enfants qui font la loi, ici ?... Étrange domaine ! » Il voulut sortir de sa cachette pour leur demander où l’on trouverait à boire et à manger. Il se dressa et vit le dernier groupe qui s’éloignait. C’étaient trois fillettes avec des robes droites qui s’arrêtaient aux genoux. Elles avaient de jolis chapeaux à brides. Une plume blanche leur traÃnait dans le cou, à toutes les trois. L’une d’elles, à demi retournée, un peu penchée, écoutait sa compagne qui lui donnait de grandes explications, le doigt levé. – Je leur ferais peur, se dit Meaulnes, en regardant sa blouse paysanne déchirée et son ceinturon baroque de collégien de Sainte-Agathe. Craignant que les enfants ne le rencontrassent en revenant par l’allée, il continua son chemin à travers les sapins dans la direction du  pigeonnier », sans trop réfléchir à ce qu’il pourrait demander là -bas. Il fut bientôt arrêté à la lisière du bois, par un petit mur moussu. De l’autre côté, entre le mur et les annexes du domaine, c’était une longue cour étroite toute remplie de voitures, comme une cour d’auberge un jour de foire. Il y en avait de tous les genres et de toutes les formes de fines petites voitures à quatre places, les brancards en l’air ; des chars à bancs ; des bourbonnaises démodées avec des galeries à moulures, et même de vieilles berlines dont les glaces étaient levées. Meaulnes, caché derrière les sapins, de crainte qu’on ne l’aperçût, examinait le désordre du lieu, lorsqu’il avisa, de l’autre côté de la cour, juste au-dessus du siège d’un haut char à bancs, une fenêtre des annexes à demi ouverte. Deux barreaux de fer, comme on en voit derrière les domaines aux volets toujours fermés des écuries, avaient dû clore cette ouverture. Mais le temps les avait descellés. – Je vais entrer là , se dit l’écolier, je dormirai dans le foin et je partirai au petit jour, sans avoir fait peur à ces belles petites filles. Il franchit le mur, péniblement, à cause de son genou blessé, et, passant d’une voiture sur l’autre, du siège d’un char à bancs sur le toit d’une berline, il arriva à la hauteur de la fenêtre, qu’il poussa sans bruit comme une porte. Il se trouvait non pas dans un grenier à foin, mais dans une vaste pièce au plafond bas qui devait être une chambre à coucher. On distinguait, dans la demi-obscurité du soir d’hiver, que la table, la cheminée et même les fauteuils étaient chargés de grands vases, d’objets de prix, d’armes anciennes. Au fond de la pièce, des rideaux tombaient, qui devaient cacher une alcôve. Meaulnes avait fermé la fenêtre, tant à cause du froid que par crainte d’être aperçu du dehors. Il alla soulever le rideau du fond et découvrit un grand lit bas, couvert de vieux livres dorés, de luths aux cordes cassées et de candélabres jetés pêle-mêle. Il repoussa toutes ces choses dans le fond de l’alcôve, puis s’étendit sur cette couche pour s’y reposer et réfléchir un peu à l’étrange aventure dans laquelle il s’était jeté. Un silence profond régnait sur ce domaine. Par instants seulement on entendait gémir le grand vent de décembre. Et Meaulnes, étendu, en venait à se demander si, malgré ces étranges rencontres, malgré la voix des enfants dans l’allée, malgré les voitures entassées, ce n’était pas là simplement, comme il l’avait pensé d’abord, une vieille bâtisse abandonnée dans la solitude de l’hiver. Il lui sembla bientôt que le vent lui portait le son d’une musique perdue. C’était comme un souvenir plein de charme et de regret. Il se rappela le temps où sa mère, jeune encore, se mettait au piano l’après-midi dans le salon, et lui, sans rien dire, derrière la porte qui donnait sur le jardin, il l’écoutait jusqu’à la nuit... – On dirait que quelqu’un joue du piano quelque part ? pensa-t-il. Mais laissant sa question sans réponse, harassé de fatigue, il ne tarda pas à s’endormir... XII La chambre de Wellington Il faisait nuit lorsqu’il s’éveilla. Transi de froid, il se tourna et se retourna sur sa couche, fripant et roulant sous lui sa blouse noire. Une faible clarté glauque baignait les rideaux de l’alcôve. S’asseyant sur le lit, il glissa sa tête entre les rideaux. Quelqu’un avait ouvert la fenêtre et l’on avait attaché dans l’embrasure deux lanternes vénitiennes vertes. Mais à peine Meaulnes avait-il pu jeter un coup d’œil, qu’il entendit sur le palier un bruit de pas étouffé et de conversation à voix basse. Il se rejeta dans l’alcôve et ses souliers ferrés firent sonner un des objets de bronze qu’il avait repoussés contre le mur. Un instant, très inquiet, il retint son souffle. Les pas se rapprochèrent et deux ombres glissèrent dans la chambre. – Ne fais pas de bruit, disait l’un. – Ah ! répondait l’autre, il est toujours bien temps qu’il s’éveille ! – As-tu garni sa chambre ? – Mais oui, comme celles des autres. Le vent fit battre la fenêtre ouverte. – Tiens, dit le premier, tu n’as pas même fermé la fenêtre. Le vent a déjà éteint une des lanternes. Il va falloir la rallumer. – Bah ! répondit l’autre, pris d’une paresse et d’un découragement soudains. À quoi bon ces illuminations du côté de la campagne, du côté du désert, autant dire ? Il n’y a personne pour les voir. – Personne ? Mais il arrivera encore des gens pendant une partie de la nuit. Là -bas, sur la route, dans leurs voitures, ils seront bien contents d’apercevoir nos lumières ! Meaulnes entendit craquer une allumette. Celui qui avait parlé le dernier, et qui paraissait être le chef, reprit d’une voix traÃnante, à la façon d’un fossoyeur de Shakespeare – Tu mets des lanternes vertes à la chambre de Wellington. T’en mettrais aussi bien des rouges... Tu ne t’y connais pas plus que moi ! Un silence. » ... Wellington, c’était un Américain ? Eh bien ! C’est-il une couleur américaine, le vert ? Toi, le comédien qui as voyagé, tu devrais savoir ça. – Oh ! là là ! répondit le  comédien », voyagé ? Oui, j’ai voyagé ! Mais je n’ai rien vu ! Que veux-tu voir dans une roulotte ? Meaulnes avec précaution regarda entre les rideaux. Celui qui commandait la manÅ“uvre était un gros homme nu-tête, enfoncé dans un énorme paletot. Il tenait à la main une longue perche garnie de lanternes multicolores, et il regardait paisiblement, une jambe croisée sur l’autre, travailler son compagnon. Quant au comédien, c’était le corps le plus lamentable qu’on puisse imaginer. Grand, maigre, grelottant, ses yeux glauques et louches, sa moustache retombant sur sa bouche édentée faisaient songer à la face d’un noyé qui ruisselle sur une dalle. Il était en manches de chemise, et ses dents claquaient. Il montrait dans ses paroles et ses gestes le mépris le plus parfait pour sa propre personne. Après un moment de réflexion amère et risible à la fois, il s’approcha de son partenaire et lui confia, les deux bras écartés – Veux-tu que je te dise ?... Je ne peux pas comprendre qu’on soit allé chercher des dégoûtants comme nous, pour servir dans une fête pareille ! Voilà , mon gars !... Mais sans prendre garde à ce grand élan du cÅ“ur, le gros homme continua de regarder son travail, les jambes croisées, bâilla, renifla tranquillement, puis, tournant le dos, s’en fut, sa perche sur l’épaule, en disant – Allons, en route ! Il est temps de s’habiller pour le dÃner. Le bohémien le suivit, mais, en passant devant l’alcôve – Monsieur l’Endormi, fit-il avec des révérences et des inflexions de voix gouailleuses, vous n’avez plus qu’à vous éveiller, à vous habiller en marquis, même si vous êtes un marmiteux comme je suis ; et vous descendrez à la fête costumée, puisque c’est le bon plaisir de ces messieurs et de ces petites demoiselles. Il ajouta sur le ton d’un boniment forain, avec une dernière révérence – Notre camarade Maloyau, attaché aux cuisines, vous présentera le personnage d’Arlequin, et votre serviteur, celui du grand Pierrot. XIII La fête étrange Dès qu’ils eurent disparu, l’écolier sortit de sa cachette. Il avait les pieds glacés, les articulations raides ; mais il était reposé et son genou paraissait guéri. – Descendre au dÃner, pensa-t-il, je ne manquerai pas de le faire. Je serai simplement un invité dont tout le monde a oublié le nom. D’ailleurs, je ne suis pas un intrus ici. Il est hors de doute que M. Maloyau et son compagnon m’attendaient... Au sortir de l’obscurité totale de l’alcôve, il put y voir assez distinctement dans la chambre éclairée par les lanternes vertes. Le bohémien l’avait  garnie ». Des manteaux étaient accrochés aux patères. Sur une lourde table à toilette, au marbre brisé, on avait disposé de quoi transformer en muscadin tel garçon qui eût passé la nuit précédente dans une bergerie abandonnée. Il y avait, sur la cheminée, des allumettes auprès d’un grand flambeau. Mais on avait omis de cirer le parquet ; et Meaulnes sentit rouler sous ses souliers du sable et des gravats. De nouveau il eut l’impression d’être dans une maison depuis longtemps abandonnée... En allant vers la cheminée, il faillit buter contre une pile de grands cartons et de petites boÃtes il étendit le bras, alluma la bougie, puis souleva les couvercles et se pencha pour regarder. C’étaient des costumes de jeunes gens d’il y a longtemps, des redingotes à hauts cols de velours, de fins gilets très ouverts, d’interminables cravates blanches et des souliers vernis du début de ce siècle. Il n’osait rien toucher du bout du doigt, mais après s’être nettoyé en frissonnant, il endossa sur sa blouse d’écolier un des grands manteaux dont il releva le collet plissé, remplaça ses souliers ferrés par de fins escarpins vernis et se prépara à descendre nu-tête. Il arriva, sans rencontrer personne, au bas d’un escalier de bois, dans un recoin de cour obscur. L’haleine glacée de la nuit vint lui souffler au visage et soulever un pan de son manteau. Il fit quelques pas et, grâce à la vague clarté du ciel, il put se rendre compte aussitôt de la configuration des lieux. Il était dans une petite cour formée par des bâtiments des dépendances. Tout y paraissait vieux et ruiné. Les ouvertures au bas des escaliers étaient béantes, car les portes depuis longtemps avaient été enlevées ; on n’avait pas non plus remplacé les carreaux des fenêtres qui faisaient des trous noirs dans les murs. Et pourtant toutes ces bâtisses avaient un mystérieux air de fête. Une sorte de reflet coloré flottait dans les chambres basses où l’on avait dû allumer aussi, du côté de la campagne, des lanternes. La terre était balayée ; on avait arraché l’herbe envahissante. Enfin, en prêtant l’oreille, Meaulnes crut entendre comme un chant, comme des voix d’enfants et de jeunes filles, là -bas, vers les bâtiments confus où le vent secouait des branches devant les ouvertures roses, vertes et bleues des fenêtres. Il était là , dans son grand manteau, comme un chasseur, à demi penché, prêtant l’oreille, lorsqu’un extraordinaire petit jeune homme sortit du bâtiment voisin, qu’on aurait cru désert. Il avait un chapeau haut de forme très cintré qui brillait dans la nuit comme s’il eût été d’argent ; un habit dont le col lui montait dans les cheveux, un gilet très ouvert, un pantalon à sous-pieds... Cet élégant, qui pouvait avoir quinze ans, marchait sur la pointe des pieds comme s’il eût été soulevé par les élastiques de son pantalon, mais avec une rapidité extraordinaire. Il salua Meaulnes au passage sans s’arrêter, profondément, automatiquement, et disparut dans l’obscurité, vers le bâtiment central, ferme, château ou abbaye, dont la tourelle avait guidé l’écolier au début de l’après-midi. Après un instant d’hésitation, notre héros emboÃta le pas au curieux petit personnage. Ils traversèrent une sorte de grande cour-jardin, passèrent entre des massifs, contournèrent un vivier enclos de palissades, un puits, et se trouvèrent enfin au seuil de la demeure centrale. Une lourde porte de bois, arrondie dans le haut et cloutée comme une porte de presbytère, était à demi ouverte. L’élégant s’y engouffra. Meaulnes le suivit, et, dès ses premiers pas dans le corridor, il se trouva, sans voir personne, entouré de rires, de chants, d’appels et de poursuites. Tout au bout de celui-ci passait un couloir transversal. Meaulnes hésitait s’il allait pousser jusqu’au fond ou bien ouvrir une des portes derrière lesquelles il entendait un bruit de voix, lorsqu’il vit passer dans le fond deux fillettes qui se poursuivaient. Il courut pour les voir et les rattraper, à pas de loup, sur ses escarpins. Un bruit de portes qui s’ouvrent, deux visages de quinze ans que la fraÃcheur du soir et la poursuite ont rendus tout roses, sous de grands cabriolets à brides, et tout va disparaÃtre dans un brusque éclat de lumière. Une seconde, elles tournent sur elles-mêmes, par jeu ; leurs amples jupes légères se soulèvent et se gonflent ; on aperçoit la dentelle de leurs longs, amusants pantalons ; puis, ensemble, après cette pirouette, elles bondissent dans la pièce et referment la porte. Meaulnes reste un moment ébloui et titubant dans ce corridor noir. Il craint maintenant d’être surpris. Son allure hésitante et gauche le ferait, sans doute, prendre pour un voleur. Il va s’en retourner délibérément vers la sortie, lorsque de nouveau il entend dans le fond du corridor un bruit de pas et des voix d’enfants. Ce sont deux petits garçons qui s’approchent en parlant. – Est-ce qu’on va bientôt dÃner, leur demande Meaulnes avec aplomb. – Viens avec nous, répond le plus grand, on va t’y conduire. Et avec cette confiance et ce besoin d’amitié qu’ont les enfants, la veille d’une grande fête, ils le prennent chacun par la main. Ce sont probablement deux petits garçons de paysans. On leur a mis leurs plus beaux habits de petites culottes coupées à mi-jambe qui laissent voir leurs gros bas de laine et leurs galoches, un petit justaucorps de velours bleu, une casquette de même couleur et un nÅ“ud de cravate blanc. – La connais-tu, toi ? demande l’un des enfants. – Moi, fait le plus petit, qui a une tête ronde et des yeux naïfs, maman m’a dit qu’elle avait une robe noire et une collerette et qu’elle ressemblait à un joli pierrot. – Qui donc ? demande Meaulnes. – Eh bien ! la fiancée que Frantz est allé chercher... Avant que le jeune homme ait rien pu dire, ils sont tous les trois arrivés à la porte d’une grande salle où flambe un beau feu. Des planches, en guise de table, ont été posées sur des tréteaux ; on a étendu des nappes blanches, et des gens de toutes sortes dÃnent avec cérémonie. XIV La fête étrange suite C’était, dans une grande salle au plafond bas, un repas comme ceux que l’on offre, la veille des noces de campagne, aux parents qui sont venus de très loin. Les deux enfants avaient lâché les mains de l’écolier et s’étaient précipités dans une chambre attenante où l’on entendait des voix puériles et des bruits de cuillers battant les assiettes. Meaulnes, avec audace et sans s’émouvoir, enjamba un banc et se trouva assis auprès de deux vieilles paysannes. Il se mit aussitôt à manger avec un appétit féroce ; et c’est au bout d’un instant seulement qu’il leva la tête pour regarder les convives et les écouter. On parlait peu, d’ailleurs. Ces gens semblaient à peine se connaÃtre. Ils devaient venir, les uns, du fond de la campagne, les autres, de villes lointaines. Il y avait, épars le long des tables, quelques vieillards avec des favoris, et d’autres complètement rasés qui pouvaient être d’anciens marins. Près d’eux dÃnaient d’autres vieux qui leur ressemblaient même face tannée, mêmes yeux vifs sous des sourcils en broussaille, mêmes cravates étroites comme des cordons de souliers... Mais il était aisé de voir que ceux-ci n’avaient jamais navigué plus loin que le bout du canton ; et s’ils avaient tangué, roulé plus de mille fois sous les averses et dans le vent, c’était pour ce dur voyage sans péril qui consiste à creuser le sillon jusqu’au bout de son champ et à retourner ensuite la charrue... On voyait peu de femmes ; quelques vieilles paysannes avec de rondes figures ridées comme des pommes, sous des bonnets tuyautés. Il n’y avait pas un seul de ces convives avec qui Meaulnes ne se sentÃt à l’aise et en confiance. Il expliquait ainsi plus tard cette impression quand on a, disait-il, commis quelque lourde faute impardonnable, on songe parfois, au milieu d’une grande amertume  Il y a pourtant par le monde des gens qui me pardonneraient. » On imagine de vieilles gens, des grands-parents pleins d’indulgence, qui sont persuadés à l’avance que tout ce que vous faites est bien fait. Certainement parmi ces bonnes gens-là les convives de cette salle avaient été choisis. Quant aux autres, c’étaient des adolescents et des enfants... Cependant, auprès de Meaulnes, les deux vieilles femmes causaient – En mettant tout pour le mieux, disait la plus âgée, d’une voix cocasse et suraiguà qu’elle cherchait vainement à adoucir, les fiancés ne seront pas là , demain, avant trois heures. – Tais-toi, tu me ferais mettre en colère, répondait l’autre du ton le plus tranquille. Celle-ci portait sur le front une capeline tricotée. – Comptons ! reprit la première sans s’émouvoir. Une heure et demie de chemin de fer de Bourges à Vierzon, et sept lieues de voiture, de Vierzon jusqu’ici... La discussion continua. Meaulnes n’en perdait pas une parole. Grâce à cette paisible prise de bec, la situation s’éclairait faiblement Frantz de Galais, le fils du château – qui était étudiant ou marin ou peut-être aspirant de marine, on ne savait pas... – était allé à Bourges pour y chercher une jeune fille et l’épouser. Chose étrange, ce garçon, qui devait être très jeune et très fantasque, réglait tout à sa guise dans le Domaine. Il avait voulu que la maison où sa fiancée entrerait ressemblât à un palais en fête. Et pour célébrer la venue de la jeune fille, il avait invité lui-même ces enfants et ces vieilles gens débonnaires. Tels étaient les points que la discussion des deux femmes précisait. Elles laissaient tout le reste dans le mystère, et reprenaient sans cesse la question du retour des fiancés. L’une tenait pour le matin du lendemain. L’autre pour l’après-midi. – Ma pauvre Moinelle, tu es toujours aussi folle, disait la plus jeune avec calme. – Et toi, ma pauvre Adèle, toujours aussi entêtée. Il y a quatre ans que je ne t’avais vue, tu n’as pas changé, répondait l’autre en haussant les épaules, mais de sa voix la plus paisible. Et elles continuaient ainsi à se tenir tête sans la moindre humeur. Meaulnes intervint dans l’espoir d’en apprendre davantage – Est-elle aussi jolie qu’on le dit, la fiancée de Frantz ? Elles le regardèrent, interloquées. Personne d’autre que Frantz n’avait vu la jeune fille. Lui-même, en revenant de Toulon, l’avait rencontrée un soir, désolée, dans un de ces jardins de Bourges qu’on appelle les Marais. Son père, un tisserand, l’avait chassée de chez lui. Elle était fort jolie et Frantz avait décidé aussitôt de l’épouser. C’était une étrange histoire ; mais son père, M. de Galais, et sa sÅ“ur Yvonne ne lui avaient-ils pas toujours tout accordé !... Meaulnes, avec précaution, allait poser d’autres questions, lorsque parut à la porte un couple charmant une enfant de seize ans avec corsage de velours et jupe à grands volants ; un jeune personnage en habit à haut col et pantalon à élastiques. Ils traversèrent la salle, esquissant un pas de deux ; d’autres les suivirent ; puis d’autres passèrent en courant, poussant des cris, poursuivis par un grand pierrot blafard, aux manches trop longues, coiffé d’un bonnet noir et riant d’une bouche édentée. Il courait à grandes enjambées maladroites, comme si, à chaque pas, il eût dû faire un saut, et il agitait ses longues manches vides. Les jeunes filles en avaient un peu peur ; les jeunes gens lui serraient la main et il paraissait faire la joie des enfants qui le poursuivaient avec des cris perçants. Au passage il regarda Meaulnes de ses yeux vitreux, et l’écolier crut reconnaÃtre, complètement rasé, le compagnon de M. Maloyau, le bohémien qui tout à l’heure accrochait les lanternes. Le repas était terminé. Chacun se levait. Dans les couloirs s’organisaient des rondes et des farandoles. Une musique, quelque part, jouait un pas de menuet... Meaulnes, la tête à demi cachée dans le collet de son manteau, comme dans une fraise, se sentait un autre personnage. Lui aussi, gagné par le plaisir, se mit à poursuivre le grand pierrot à travers les couloirs du domaine, comme dans les coulisses d’un théâtre où la pantomime, de la scène, se fût partout répandue. Il se trouva ainsi mêlé jusqu’à la fin de la nuit à une foule joyeuse aux costumes extravagants. Parfois il ouvrait une porte, et se trouvait dans une chambre où l’on montrait la lanterne magique. Des enfants applaudissaient à grand bruit... Parfois, dans un coin de salon où l’on dansait, il engageait conversation avec quelque dandy et se renseignait hâtivement sur les costumes que l’on porterait les jours suivants... Un peu angoissé à la longue par tout ce plaisir qui s’offrait à lui, craignant à chaque instant que son manteau entrouvert ne laissât voir sa blouse de collégien, il alla se réfugier un instant dans la partie la plus paisible et la plus obscure de la demeure. On n’y entendait que le bruit étouffé d’un piano. Il entra dans une pièce silencieuse qui était une salle à manger éclairée par une lampe à suspension. Là aussi c’était fête, mais fête pour les petits enfants. Les uns, assis sur des poufs, feuilletaient des albums ouverts sur leurs genoux ; d’autres étaient accroupis par terre devant une chaise et, gravement, ils faisaient sur le siège un étalage d’images ; d’autres, auprès du feu, ne disaient rien, ne faisaient rien, mais ils écoutaient au loin, dans l’immense demeure, la rumeur de la fête. Une porte de cette salle à manger était grande ouverte. On entendait dans la pièce attenante jouer du piano. Meaulnes avança curieusement la tête. C’était une sorte de petit salon-parloir ; une femme ou une jeune fille, un grand manteau marron jeté sur ses épaules, tournait le dos, jouant très doucement des airs de rondes ou de chansonnettes. Sur le divan, tout à côté, six ou sept petits garçons et petites filles rangés comme sur une image, sages comme le sont les enfants lorsqu’il se fait tard, écoutaient. De temps en temps seulement, l’un d’eux, arc-bouté sur les poignets, se soulevait, glissait à terre et passait dans la salle à manger un de ceux qui avaient fini de regarder les images venait prendre sa place... Après cette fête où tout était charmant, mais fiévreux et fou, où lui-même avait si follement poursuivi le grand pierrot, Meaulnes se trouvait là plongé dans le bonheur le plus calme du monde. Sans bruit, tandis que la jeune fille continuait à jouer, il retourna s’asseoir dans la salle à manger, et, ouvrant un des gros livres rouges épars sur la table, il commença distraitement à lire. Presque aussitôt un des petits qui étaient par terre s’approcha, se pendit à son bras et grimpa sur son genou pour regarder en même temps que lui ; un autre en fit autant de l’autre côté. Alors ce fut un rêve comme son rêve de jadis. Il put imaginer longuement qu’il était dans sa propre maison, marié, un beau soir, et que cet être charmant et inconnu qui jouait du piano, près de lui, c’était sa femme... XV La rencontre Le lendemain matin, Meaulnes fut prêt un des premiers. Comme on le lui avait conseillé, il revêtit un simple costume noir, de mode passée, une jaquette serrée à la taille avec des manches bouffant aux épaules, un gilet croisé, un pantalon élargi du bas jusqu’à cacher ses fines chaussures, et un chapeau haut de forme. La cour était déserte encore lorsqu’il descendit. Il fit quelques pas et se trouva comme transporté dans une journée de printemps. Ce fut en effet le matin le plus doux de cet hiver-là . Il faisait du soleil comme aux premiers jours d’avril. Le givre fondait et l’herbe mouillée brillait comme humectée de rosée. Dans les arbres, plusieurs petits oiseaux chantaient et de temps à autre une brise tiédie coulait sur le visage du promeneur. Il fit comme les invités qui se sont éveillés avant le maÃtre de la maison. Il sortit dans la cour du domaine, pensant à chaque instant qu’une voix cordiale et joyeuse allait crier derrière lui – Déjà réveillé, Augustin ?... Mais il se promena longtemps seul à travers le jardin et la cour. Là -bas, dans le bâtiment principal, rien ne remuait, ni aux fenêtres, ni à la tourelle. On avait ouvert déjà , cependant, les deux battants de la ronde porte de bois. Et, dans une des fenêtres du haut, un rayon de soleil donnait, comme en été, aux premières heures du matin. Meaulnes, pour la première fois, regardait en plein jour l’intérieur de la propriété. Les vestiges d’un mur séparaient le jardin délabré de la cour, où l’on avait, depuis peu, versé du sable et passé le râteau. À l’extrémité des dépendances qu’il habitait, c’étaient des écuries bâties dans un amusant désordre, qui multipliait les recoins garnis d’arbrisseaux fous et de vigne vierge. Jusque sur le domaine déferlaient des bois de sapins qui le cachaient à tout le pays plat, sauf vers l’est, où l’on apercevait des collines bleues couvertes de rochers et de sapins encore. Un instant, dans le jardin, Meaulnes se pencha sur la branlante barrière de bois qui entourait le vivier ; vers les bords il restait un peu de glace mince et plissée comme une écume. Il s’aperçut lui-même reflété dans l’eau, comme incliné sur le ciel, dans son costume d’étudiant romantique. Et il crut voir un autre Meaulnes ; non plus l’écolier qui s’était évadé dans une carriole de paysan, mais un être charmant et romanesque, au milieu d’un beau livre de prix... Il se hâta vers le bâtiment principal, car il avait faim. Dans la grande salle où il avait dÃné la veille, une paysanne mettait le couvert. Dès que Meaulnes se fut assis devant un des bols alignés sur la nappe, elle lui versa le café en disant – Vous êtes le premier, monsieur. Il ne voulut rien répondre, tant il craignait d’être soudain reconnu comme un étranger. Il demanda seulement à quelle heure partirait le bateau pour la promenade matinale qu’on avait annoncée. – Pas avant une demi-heure, monsieur personne n’est descendu encore, fut la réponse. Il continua donc d’errer en cherchant le lieu de l’embarcadère, autour de la longue maison châtelaine aux ailes inégales, comme une église. Lorsqu’il eut contourné l’aile sud, il aperçut soudain les roseaux, à perte de vue, qui formaient tout le paysage. L’eau des étangs venait de ce côté mouiller le pied des murs, et il y avait, devant plusieurs portes, de petits balcons de bois qui surplombaient les vagues clapotantes. DésÅ“uvré, le promeneur erra un long moment sur la rive sablée comme un chemin de halage. Il examinait curieusement les grandes portes aux vitres poussiéreuses qui donnaient sur des pièces délabrées ou abandonnées, sur des débarras encombrés de brouettes, d’outils rouillés et de pots de fleurs brisés, lorsque soudain, à l’autre bout des bâtiments, il entendit des pas grincer sur le sable. C’étaient deux femmes, l’une très vieille et courbée ; l’autre, une jeune fille, blonde, élancée, dont le charmant costume, après tous les déguisements extraordinaires de la veille, parut d’abord à Meaulnes extraordinaire. Elles s’arrêtèrent un instant pour regarder le paysage, tandis que Meaulnes se disait, avec un étonnement qui lui parut plus tard bien grossier – Voilà sans doute ce qu’on appelle une jeune fille excentrique, – peut-être une actrice qu’on a mandée pour la fête. Cependant, les deux femmes passaient près de lui et Meaulnes, immobile, regarda la jeune fille. Souvent, plus tard, lorsqu’il s’endormait après avoir désespérément essayé de se rappeler le beau visage effacé, il voyait en rêve passer des rangées de jeunes femmes qui ressemblaient à celle-ci. L’une avait un chapeau comme elle et l’autre son air un peu penché, l’autre son regard si pur ; l’autre encore sa taille fine, et l’autre avait aussi ses yeux bleus mais aucune de ces femmes n’était jamais la grande jeune fille. Meaulnes eut le temps d’apercevoir, sous une lourde chevelure blonde, un visage aux traits un peu courts, mais dessinés avec une finesse presque douloureuse. Et comme déjà elle était passée devant lui, il regarda sa toilette, qui était bien la plus simple et la plus sage des toilettes... Perplexe, il se demandait s’il allait les accompagner, lorsque la jeune fille, se tournant imperceptiblement vers lui, dit à sa compagne – Le bateau ne va pas tarder, maintenant, je pense ?... Et Meaulnes les suivit. La vieille dame, cassée, tremblante, ne cessait de causer gaiement et de rire. La jeune fille répondait doucement. Et lorsqu’elles descendirent sur l’embarcadère, elle eut ce même regard innocent et grave, qui semblait dire – Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? Je ne vous connais pas. Et pourtant il me semble que je vous connais. D’autres invités étaient maintenant épars entre les arbres, attendant. Et trois bateaux de plaisance accostaient, prêts à recevoir les promeneurs. Un à un, sur le passage des dames, qui paraissaient être la châtelaine et sa fille, les jeunes gens saluaient profondément, et les demoiselles s’inclinaient. Étrange matinée ! Étrange partie de plaisir ! Il faisait froid malgré le soleil d’hiver, et les femmes enroulaient autour de leur cou ces boas de plumes qui étaient alors à la mode... La vieille dame resta sur la rive, et, sans savoir comment, Meaulnes se trouva dans le même yacht que la jeune châtelaine. Il s’accouda sur le pont, tenant d’une main son chapeau battu par le grand vent, et il put regarder à l’aise la jeune fille, qui s’était assise à l’abri. Elle aussi le regardait. Elle répondait à ses compagnes, souriait, puis posait doucement ses yeux bleus sur lui, en tenant sa lèvre un peu mordue. Un grand silence régnait sur les berges prochaines. Le bateau filait avec un bruit calme de machine et d’eau. On eût pu se croire au cÅ“ur de l’été. On allait aborder, semblait-il, dans le beau jardin de quelque maison de campagne. La jeune fille s’y promènerait sous une ombrelle blanche. Jusqu’au soir on entendrait les tourterelles gémir... Mais soudain une rafale glacée venait rappeler décembre aux invités de cette étrange fête. On aborda devant un bois de sapins. Sur le débarcadère, les passagers durent attendre un instant, serrés les uns contre les autres, qu’un des bateliers eût ouvert le cadenas de la barrière... Avec quel émoi Meaulnes se rappelait dans la suite cette minute où, sur le bord de l’étang, il avait eu très près du sien le visage désormais perdu de la jeune fille ! Il avait regardé ce profil si pur, de tous ses yeux, jusqu’à ce qu’ils fussent près de s’emplir de larmes. Et il se rappelait avoir vu, comme un secret délicat qu’elle lui eût confié, un peu de poudre restée sur sa joue... À terre, tout s’arrangea comme dans un rêve. Tandis que les enfants couraient avec des cris de joie, que des groupes se formaient et s’éparpillaient à travers bois, Meaulnes s’avança dans une allée, où, dix pas devant lui, marchait la jeune fille. Il se trouva près d’elle sans avoir eu le temps de réfléchir – Vous êtes belle, dit-il simplement. Mais elle hâta le pas et, sans répondre, prit une allée transversale. D’autres promeneurs couraient, jouaient à travers les avenues, chacun errant à sa guise, conduit seulement par sa libre fantaisie. Le jeune homme se reprocha vivement ce qu’il appelait sa balourdise, sa grossièreté, sa sottise. Il errait au hasard, persuadé qu’il ne reverrait plus cette gracieuse créature, lorsqu’il l’aperçut soudain venant à sa rencontre et forcée de passer près de lui dans l’étroit sentier. Elle écartait de ses deux mains nues les plis de son grand manteau. Elle avait des souliers noirs très découverts. Ses chevilles étaient si fines qu’elles pliaient par instants et qu’on craignait de les voir se briser. Cette fois, le jeune homme salua, en disant très bas – Voulez-vous me pardonner ? – Je vous pardonne, dit-elle gravement. Mais il faut que je rejoigne les enfants, puisqu’ils sont les maÃtres aujourd’hui. Adieu. Augustin la supplia de rester un instant encore. Il lui parlait avec gaucherie, mais d’un ton si troublé, si plein de désarroi, qu’elle marcha plus lentement et l’écouta. – Je ne sais même pas qui vous êtes, dit-elle enfin. Elle prononçait chaque mot d’un ton uniforme, en appuyant de la même façon sur chacun, mais en disant plus doucement le dernier... Ensuite elle reprenait son visage immobile, sa bouche un peu mordue, et ses yeux bleus regardaient fixement au loin. – Je ne sais pas non plus votre nom, répondit Meaulnes. Ils suivaient maintenant un chemin découvert, et l’on voyait à quelque distance les invités se presser autour d’une maison isolée dans la pleine campagne. – Voici la  maison de Frantz », dit la jeune fille ; il faut que je vous quitte... Elle hésita, le regarda un instant en souriant et dit – Mon nom ?... Je suis Mademoiselle Yvonne de Galais... Et elle s’échappa. La  maison de Frantz » était alors inhabitée. Mais Meaulnes la trouva envahie jusqu’aux greniers par la foule des invités. Il n’eut guère le loisir d’ailleurs d’examiner le lieu où il se trouvait on déjeuna en hâte d’un repas froid emporté dans les bateaux, ce qui était fort peu de saison, mais les enfants en avaient décidé ainsi, sans doute ; et l’on repartit. Meaulnes s’approcha de Mlle de Galais dès qu’il la vit sortir et, répondant à ce qu’elle avait dit tout à l’heure – Le nom que je vous donnais était plus beau, dit-il. – Comment ? Quel était ce nom ? fit-elle, toujours avec la même gravité. Mais il eut peur d’avoir dit une sottise et ne répondit rien. – Mon nom à moi est Augustin Meaulnes, continua-t-il, et je suis étudiant. – Oh ! vous étudiez ? dit-elle. Et ils parlèrent un instant encore. Ils parlèrent lentement, avec bonheur, – avec amitié. Puis l’attitude de la jeune fille changea. Moins hautaine et moins grave, maintenant, elle parut aussi plus inquiète. On eût dit qu’elle redoutait ce que Meaulnes allait dire et s’en effarouchait à l’avance. Elle était auprès de lui toute frémissante, comme une hirondelle un instant posée à terre et qui déjà tremble du désir de reprendre son vol. – À quoi bon ? À quoi bon ? répondait-elle doucement aux projets que faisait Meaulnes. Mais lorsqu’enfin il osa lui demander la permission de revenir un jour vers ce beau domaine – Je vous attendrai, répondit-elle simplement. Ils arrivaient en vue de l’embarcadère. Elle s’arrêta soudain et dit pensivement – Nous sommes deux enfants ; nous avons fait une folie. Il ne faut pas que nous montions cette fois dans le même bateau. Adieu, ne me suivez pas. Meaulnes resta un instant interdit, la regardant partir. Puis il se reprit à marcher. Et alors la jeune fille, dans le lointain, au moment de se perdre à nouveau dans la foule des invités, s’arrêta et, se tournant vers lui, pour la première fois le regarda longuement. Était-ce un dernier signe d’adieu ? Était-ce pour lui défendre de l’accompagner ? Ou peut-être avait-elle quelque chose encore à lui dire ?... Dès qu’on fut rentré au domaine, commença, derrière la ferme, dans une grande prairie en pente, la course des poneys. C’était la dernière partie de la fête. D’après toutes les prévisions, les fiancés devaient arriver à temps pour y assister et ce serait Frantz qui dirigerait tout. On dut pourtant commencer sans lui. Les garçons en costumes de jockeys, les fillettes en écuyères, amenaient, les uns, de fringants poneys enrubannés, les autres, de très vieux chevaux dociles. Au milieu des cris, des rires enfantins, des paris et des longs coups de cloche, on se fût cru transporté sur la pelouse verte et taillée de quelque champ de course en miniature. Meaulnes reconnut Daniel et les petites filles aux chapeaux à plumes, qu’il avait entendus la veille dans l’allée du bois... Le reste du spectacle lui échappa, tant il était anxieux de retrouver dans la foule le gracieux chapeau de roses et le grand manteau marron. Mais Mlle de Galais ne parut pas. Il la cherchait encore lorsqu’une volée de coups de cloche et des cris de joie annoncèrent la fin des courses. Une petite fille sur une vieille jument blanche avait remporté la victoire. Elle passait triomphalement sur sa monture et le panache de son chapeau flottait au vent. Puis soudain tout se tut. Les jeux étaient finis et Frantz n’était pas de retour. On hésita un instant ; on se concerta avec embarras. Enfin, par groupes, on regagna les appartements, pour attendre, dans l’inquiétude et le silence, le retour des fiancés. XVI Frantz de Galais La course avait fini trop tôt. Il était quatre heures et demie et il faisait jour encore, lorsque Meaulnes se retrouva dans sa chambre, la tête pleine des événements de son extraordinaire journée. Il s’assit devant la table, désÅ“uvré, attendant le dÃner et la fête qui devait suivre. De nouveau soufflait le grand vent du premier soir. On l’entendait gronder comme un torrent ou passer avec le sifflement appuyé d’une chute d’eau. Le tablier de la cheminée battait de temps à autre. Pour la première fois, Meaulnes sentit en lui cette légère angoisse qui vous saisit à la fin des trop belles journées. Un instant il pensa à allumer du feu ; mais il essaya vainement de lever le tablier rouillé de la cheminée. Alors il se prit à ranger dans la chambre ; il accrocha ses beaux habits aux portemanteaux, disposa le long du mur les chaises bouleversées, comme s’il eût tout voulu préparer là pour un long séjour. Cependant, songeant qu’il devait se tenir toujours prêt à partir, il plia soigneusement sur le dossier d’une chaise, comme un costume de voyage, sa blouse et ses autres vêtements de collégien ; sous la chaise, il mit ses souliers ferrés pleins de terre encore. Puis il revint s’asseoir et regarda autour de lui, plus tranquille, sa demeure qu’il avait mise en ordre. De temps à autre une goutte de pluie venait rayer la vitre qui donnait sur la cour aux voitures et sur le bois de sapins. Apaisé, depuis qu’il avait rangé son appartement, le grand garçon se sentit parfaitement heureux. Il était là , mystérieux, étranger, au milieu de ce monde inconnu, dans la chambre qu’il avait choisie. Ce qu’il avait obtenu dépassait toutes ses espérances. Et il suffisait maintenant à sa joie de se rappeler ce visage de jeune fille, dans le grand vent, qui se tournait vers lui... Durant cette rêverie, la nuit était tombée sans qu’il songeât même à allumer les flambeaux. Un coup de vent fit battre la porte de l’arrière-chambre qui communiquait avec la sienne et dont la fenêtre donnait aussi sur la cour aux voitures. Meaulnes allait la refermer, lorsqu’il aperçut dans cette pièce une lueur, comme celle d’une bougie allumée sur la table. Il avança la tête dans l’entrebâillement de la porte. Quelqu’un était entré là , par la fenêtre sans doute, et se promenait de long en large, à pas silencieux. Autant qu’on pouvait voir, c’était un très jeune homme. Nu-tête, une pèlerine de voyage sur les épaules, il marchait sans arrêt, comme affolé par une douleur insupportable. Le vent de la fenêtre qu’il avait laissée grande ouverte faisait flotter sa pèlerine et, chaque fois qu’il passait près de la lumière, on voyait luire des boutons dorés sur sa fine redingote. Il sifflait quelque chose entre ses dents, une espèce d’air marin, comme en chantent, pour s’égayer le cÅ“ur, les matelots et les filles dans les cabarets des ports... Un instant, au milieu de sa promenade agitée, il s’arrêta et se pencha sur la table, chercha dans une boÃte, en sortit plusieurs feuilles de papier... Meaulnes vit, de profil, dans la lueur de la bougie, un très fin, très aquilin visage sans moustache sous une abondante chevelure que partageait une raie de côté. Il avait cessé de siffler. Très pâle, les lèvres entrouvertes, il paraissait à bout de souffle, comme s’il avait reçu au cÅ“ur un coup violent. Meaulnes hésitait s’il allait, par discrétion, se retirer, ou s’avancer, lui mettre doucement, en camarade, la main sur l’épaule, et lui parler. Mais l’autre leva la tête et l’aperçut. Il le considéra une seconde, puis, sans s’étonner, s’approcha et dit, affermissant sa voix – Monsieur, je ne vous connais pas. Mais je suis content de vous voir. Puisque vous voici, c’est à vous que je vais expliquer... Voilà !... Il paraissait complètement désemparé. Lorsqu’il eut dit Voilà , il prit Meaulnes par le revers de sa jaquette, comme pour fixer son attention. Puis il tourna la tête vers la fenêtre, comme pour réfléchir à ce qu’il allait dire, cligna des yeux – et Meaulnes comprit qu’il avait une forte envie de pleurer. Il ravala d’un coup toute cette peine d’enfant, puis, regardant toujours fixement la fenêtre, il reprit d’une voix altérée – Eh bien ! voilà c’est fini ; la fête est finie. Vous pouvez descendre le leur dire. Je suis rentré tout seul. Ma fiancée ne viendra pas. Par scrupule, par crainte, par manque de foi... d’ailleurs, monsieur, je vais vous expliquer... Mais il ne put continuer ; tout son visage se plissa. Il n’expliqua rien. Se détournant soudain, il s’en alla dans l’ombre ouvrir et refermer des tiroirs pleins de vêtements et de livres. – Je vais m’apprêter pour repartir, dit-il. Qu’on ne me dérange pas. Il plaça sur la table divers objets, un nécessaire de toilette, un pistolet... Et Meaulnes, plein de désarroi, sortit sans oser lui dire un mot ni lui serrer la main. En bas, déjà , tout le monde semblait avoir pressenti quelque chose. Presque toutes les jeunes filles avaient changé de robe. Dans le bâtiment principal le dÃner avait commencé, mais hâtivement, dans le désordre, comme à l’instant d’un départ. Il se faisait un continuel va-et-vient de cette grande cuisine-salle à manger aux chambres du haut et aux écuries. Ceux qui avaient fini formaient des groupes où l’on se disait au revoir. – Que se passe-t-il ? demanda Meaulnes à un garçon de campagne, qui se hâtait de terminer son repas, son chapeau de feutre sur la tête et sa serviette fixée à son gilet. – Nous partons, répondit-il. Cela s’est décidé tout d’un coup. À cinq heures, nous nous sommes trouvés seuls, tous les invités ensemble. Nous avions attendu jusqu’à la dernière limite. Les fiancés ne pouvaient plus venir. Quelqu’un a dit si nous partions... Et tout le monde s’est apprêté pour le départ. Meaulnes ne répondit pas. Il lui était égal de s’en aller maintenant. N’avait-il pas été jusqu’au bout de son aventure ?... N’avait-il pas obtenu cette fois tout ce qu’il désirait ? C’est à peine s’il avait eu le temps de repasser à l’aise dans sa mémoire toute la belle conversation du matin. Pour l’instant, il ne s’agissait que de partir. Et bientôt, il reviendrait – sans tricherie, cette fois... – Si vous voulez venir avec nous, continua l’autre, qui était un garçon de son âge, hâtez-vous d’aller vous mettre en tenue. Nous attelons dans un instant. Il partit au galop, laissant là son repas commencé et négligeant de dire aux invités ce qu’il savait. Le parc, le jardin et la cour étaient plongés dans une obscurité profonde. Il n’y avait pas, ce soir-là , de lanternes aux fenêtres. Mais comme, après tout, ce dÃner ressemblait au dernier repas des fins de noces, les moins bons des invités, qui peut-être avaient bu, s’étaient mis à chanter. À mesure qu’il s’éloignait, Meaulnes entendait monter leurs airs de cabaret, dans ce parc qui depuis deux jours avait tenu tant de grâce et de merveilles. Et c’était le commencement du désarroi et de la dévastation. Il passa près du vivier où le matin même il s’était miré. Comme tout paraissait changé déjà ... – avec cette chanson, reprise en chÅ“ur, qui arrivait par bribes D’où donc que tu reviens, petite libertine ? Ton bonnet est déchiré, Tu es bien mal coiffée... et cette autre encore Mes souliers sont rouges... Adieu, mes amours... Mes souliers sont rouges... Adieu, sans retour ! Comme il arrivait au pied de l’escalier de sa demeure isolée, quelqu’un en descendait qui le heurta dans l’ombre et lui dit – Adieu, monsieur ! et, s’enveloppant dans sa pèlerine comme s’il avait très froid, disparut. C’était Frantz de Galais. La bougie que Frantz avait laissée dans sa chambre brûlait encore. Rien n’avait été dérangé. Il y avait seulement, écrits sur une feuille de papier à lettres placée en évidence, ces mots Ma fiancée a disparu, me faisant dire qu’elle ne pouvait pas être ma femme ; qu’elle était une couturière et non pas une princesse. Je ne sais que devenir. Je m’en vais. Je n’ai plus envie de vivre. Qu’Yvonne me pardonne si je ne lui dis pas adieu, mais elle ne pourrait rien pour moi... C’était la fin de la bougie, dont la flamme vacilla, rampa une seconde et s’éteignit. Meaulnes rentra dans sa propre chambre et ferma la porte. Malgré l’obscurité, il reconnut chacune des choses qu’il avait rangées en plein jour, en plein bonheur, quelques heures auparavant. Pièce par pièce, fidèle, il retrouva tout son vieux vêtement misérable, depuis ses godillots jusqu’à sa grossière ceinture à boucle de cuivre. Il se déshabilla et se rhabilla vivement, mais, distraitement, déposa sur une chaise ses habits d’emprunt, se trompant de gilet. Sous les fenêtres, dans la cour aux voitures, un remue-ménage avait commencé. On tirait, on appelait, on poussait, chacun voulant défaire sa voiture de l’inextricable fouillis où elle était prise. De temps en temps un homme grimpait sur le siège d’une charrette, sur la bâche d’une grande carriole et faisait tourner sa lanterne. La lueur du falot venait frapper la fenêtre un instant, autour de Meaulnes, la chambre maintenant familière, où toutes choses avaient été pour lui si amicales, palpitait, revivait... Et c’est ainsi qu’il quitta, refermant soigneusement la porte, ce mystérieux endroit qu’il ne devait sans doute jamais revoir. XVII La fête étrange fin Déjà , dans la nuit, une file de voitures roulait lentement vers la grille du bois. En tête, un homme revêtu d’une peau de chèvre, une lanterne à la main, conduisait par la bride le cheval du premier attelage. Meaulnes avait hâte de trouver quelqu’un qui voulût bien se charger de lui. Il avait hâte de partir. Il appréhendait, au fond du cÅ“ur, de se trouver soudain seul dans le Domaine, et que sa supercherie fût découverte. Lorsqu’il arriva devant le bâtiment principal les conducteurs équilibraient la charge des dernières voitures. On faisait lever tous les voyageurs pour rapprocher ou reculer les sièges, et les jeunes filles enveloppées dans des fichus se levaient avec embarras, les couvertures tombaient à leurs pieds et l’on voyait les figures inquiètes de celles qui baissaient leur tête du côté des falots. Dans un de ces voituriers, Meaulnes reconnut le jeune paysan qui tout à l’heure avait offert de l’emmener – Puis-je monter ? lui cria-t-il. – Où vas-tu, mon garçon ? répondit l’autre qui ne le reconnaissait plus. – Du côté de Sainte-Agathe. – Alors il faut demander une place à Maritain. Et voilà le grand écolier cherchant parmi les voyageurs attardés ce Maritain inconnu. On le lui indiqua parmi les buveurs qui chantaient dans la cuisine. – C’est un  amusard », lui dit-on. Il sera encore là à trois heures du matin. Meaulnes songea un instant à la jeune fille inquiète, pleine de fièvre et de chagrin, qui entendrait chanter dans le domaine, jusqu’au milieu de la nuit, ces paysans avinés. Dans quelle chambre était-elle ? Où était sa fenêtre, parmi ces bâtiments mystérieux ? Mais rien ne servirait à l’écolier de s’attarder. Il fallait partir. Une fois rentré à Sainte-Agathe, tout deviendrait plus clair ; il cesserait d’être un écolier évadé ; de nouveau il pourrait songer à la jeune châtelaine. Une à une, les voitures s’en allaient ; les roues grinçaient sur le sable de la grande allée. Et, dans la nuit, on les voyait tourner et disparaÃtre, chargées de femmes emmitouflées, d’enfants dans des fichus, qui déjà s’endormaient. Une grande carriole encore ; un char à bancs, où les femmes étaient serrées épaule contre épaule, passa, laissant Meaulnes interdit, sur le seuil de la demeure. Il n’allait plus rester bientôt qu’une vieille berline que conduisait un paysan en blouse. – Vous pouvez monter, répondit-il aux explications d’Augustin, nous allons dans cette direction. Péniblement Meaulnes ouvrit la portière de la vieille guimbarde, dont la vitre trembla et les gonds crièrent. Sur la banquette, dans un coin de la voiture, deux tout petits enfants, un garçon et une fille, dormaient. Ils s’éveillèrent au bruit et au froid, se détendirent, regardèrent vaguement, puis en frissonnant se renfoncèrent dans leur coin et se rendormirent... Déjà la vieille voiture partait. Meaulnes referma plus doucement la portière et s’installa avec précaution dans l’autre coin ; puis, avidement, s’efforça de distinguer à travers la vitre les lieux qu’il allait quitter et la route par où il était venu il devina, malgré la nuit, que la voiture traversait la cour et le jardin, passait devant l’escalier de sa chambre, franchissait la grille et sortait du Domaine pour entrer dans les bois. Fuyant le long de la vitre, on distinguait vaguement les troncs des vieux sapins. – Peut-être rencontrerons-nous Frantz de Galais, se disait Meaulnes, le cÅ“ur battant. Brusquement, dans le chemin étroit, la voiture fit un écart pour ne pas heurter un obstacle. C’était, autant qu’on pouvait deviner dans la nuit à ses formes massives, une roulotte arrêtée presque au milieu du chemin et qui avait dû rester là , à proximité de la fête, durant ces derniers jours. Cet obstacle franchi, les chevaux repartis au trot, Meaulnes commençait à se fatiguer de regarder à la vitre, s’efforçant vainement de percer l’obscurité environnante, lorsque soudain, dans la profondeur du bois, il y eut un éclair, suivi d’une détonation. Les chevaux partirent au galop et Meaulnes ne sut pas d’abord si le cocher en blouse s’efforçait de les retenir ou, au contraire, les excitait à fuir. Il voulut ouvrir la portière. Comme la poignée se trouvait à l’extérieur, il essaya vainement de baisser la glace, la secoua... Les enfants, réveillés en peur, se serraient l’un contre l’autre, sans rien dire. Et tandis qu’il secouait la vitre, le visage collé au carreau, il aperçut, grâce à un coude du chemin, une forme blanche qui courait. C’était, hagard et affolé, le grand pierrot de la fête, le bohémien en tenue de mascarade, qui portait dans ses bras un corps humain serré contre sa poitrine. Puis tout disparut. Dans la voiture qui fuyait au grand galop à travers la nuit, les deux enfants s’étaient rendormis. Personne à qui parler des événements mystérieux de ces deux jours. Après avoir longtemps repassé dans son esprit tout ce qu’il avait vu et entendu, plein de fatigue et le cÅ“ur gros, le jeune homme lui aussi s’abandonna au sommeil, comme un enfant triste... ... Ce n’était pas encore le petit jour lorsque, la voiture s’étant arrêtée sur la route, Meaulnes fut réveillé par quelqu’un qui cognait à la vitre. Le conducteur ouvrit péniblement la portière et cria, tandis que le vent froid de la nuit glaçait l’écolier jusqu’aux os – Il va falloir descendre ici. Le jour se lève. Nous allons prendre la traverse. Vous êtes tout près de Sainte-Agathe. À demi replié, Meaulnes obéit, chercha vaguement, d’un geste inconscient, sa casquette, qui avait roulé sous les pieds des deux enfants endormis, dans le coin le plus sombre de la voiture, puis il sortit en se baissant. – Allons, au revoir, dit l’homme en remontant sur son siège. Vous n’avez plus que six kilomètres à faire. Tenez, la borne est là , au bord du chemin. Meaulnes, qui ne s’était pas encore arraché de son sommeil, marcha courbé en avant, d’un pas lourd, jusqu’à la borne et s’y assit, les bras croisés, la tête inclinée, comme pour se rendormir. – Ah ! non, cria le voiturier. Il ne faut pas vous endormir là . Il fait trop froid. Allons, debout, marchez un peu... Vacillant comme un homme ivre, le grand garçon, les mains dans ses poches, les épaules rentrées, s’en alla lentement sur le chemin de Sainte-Agathe ; tandis que, dernier vestige de la fête mystérieuse, la vieille berline quittait le gravier de la route et s’éloignait, cahotant en silence, sur l’herbe de la traverse. On ne voyait plus que le chapeau du conducteur, dansant au-dessus des clôtures... Deuxième partie I Le grand jeu Le grand vent et le froid, la pluie ou la neige, l’impossibilité où nous étions de mener à bien de longues recherches nous empêchèrent, Meaulnes et moi, de reparler du Pays perdu avant la fin de l’hiver. Nous ne pouvions rien commencer de sérieux, durant ces brèves journées de février, ces jeudis sillonnés de bourrasques, qui finissaient régulièrement vers cinq heures par une morne pluie glacée. Rien ne nous rappelait l’aventure de Meaulnes sinon ce fait étrange que depuis l’après-midi de son retour nous n’avions plus d’amis. Aux récréations, les mêmes jeux qu’autrefois s’organisaient, mais Jasmin ne parlait jamais plus au grand Meaulnes. Les soirs, aussitôt la classe balayée, la cour se vidait comme au temps où j’étais seul, et je voyais errer mon compagnon, du jardin au hangar et de la cour à la salle à manger. Les jeudis matins, chacun de nous installé sur le bureau d’une des deux salles de classe, nous lisions Rousseau et Paul-Louis Courier que nous avions dénichés dans les placards, entre des méthodes d’anglais et des cahiers de musique finement recopiés. L’après-midi, c’était quelque visite qui nous faisait fuir l’appartement ; et nous regagnions l’école... Nous entendions parfois des groupes de grands élèves qui s’arrêtaient un instant, comme par hasard, devant le grand portail, le heurtaient en jouant à des jeux militaires incompréhensibles et puis s’en allaient... Cette triste vie se poursuivit jusqu’à la fin de février. Je commençais à croire que Meaulnes avait tout oublié, lorsqu’une aventure, plus étrange que les autres, vint me prouver que je m’étais trompé et qu’une crise violente se préparait sous la surface morne de cette vie d’hiver. Ce fut justement un jeudi soir, vers la fin du mois, que la première nouvelle du domaine étrange, la première vague de cette aventure dont nous ne reparlions pas arriva jusqu’à nous. Nous étions en pleine veillée. Mes grands-parents repartis, restaient seulement avec nous, Millie et mon père, qui ne se doutaient nullement de la sourde fâcherie par quoi toute la classe était divisée en deux clans. À huit heures, Millie qui avait ouvert la porte pour jeter dehors les miettes du repas fit – Ah ! d’une voix si claire que nous nous approchâmes pour regarder. Il y avait sur le seuil une couche de neige... Comme il faisait très sombre, je m’avançai de quelques pas dans la cour pour voir si la couche était profonde. Je sentis des flocons légers qui me glissaient sur la figure et fondaient aussitôt. On me fit rentrer très vite et Millie ferma la porte frileusement. À neuf heures, nous nous disposions à monter nous coucher ; ma mère avait déjà la lampe à la main, lorsque nous entendÃmes très nettement deux grands coups lancés à toute volée dans le portail, à l’autre bout de la cour. Elle replaça la lampe sur la table et nous restâmes tous debout, aux aguets, l’oreille tendue. Il ne fallait pas songer à aller voir ce qui se passait. Avant d’avoir traversé seulement la moitié de la cour, la lampe eût été éteinte et le verre brisé. Il y eut un court silence et mon père commençait à dire que  c’était sans doute... », lorsque, tout juste sous la fenêtre de la salle à manger, qui donnait, je l’ai dit, sur la route de La Gare, un coup de sifflet partit, strident et très prolongé, qui dut s’entendre jusque dans la rue de l’église. Et, immédiatement, derrière la fenêtre, à peine voilés par les carreaux, poussés par des gens qui devaient être montés à la force des poignets sur l’appui extérieur, éclatèrent des cris perçants. – Amenez-le ! Amenez-le ! À l’autre extrémité du bâtiment, les mêmes cris répondirent. Ceux-là avaient dû passer par le champ du père Martin ; ils devaient être grimpés sur le mur bas qui séparait le champ de notre cour. Puis, vociférés à chaque endroit par huit ou dix inconnus aux voix déguisées, les cris de  Amenez-le ! » éclatèrent successivement – sur le toit du cellier qu’ils avaient dû atteindre en escaladant un tas de fagots adossé au mur extérieur ; – sur un petit mur qui joignait le hangar au portail et dont la crête arrondie permettait de se mettre commodément à cheval – sur le mur grillé de la route de La Gare où l’on pouvait facilement monter... Enfin, par derrière, dans le jardin, une troupe retardataire arriva, qui fit la même sarabande, criant cette fois – À l’abordage ! Et nous entendions l’écho de leurs cris résonner dans les salles de classe vides, dont ils avaient ouvert les fenêtres. Nous connaissions si bien, Meaulnes et moi, les détours et les passages de la grande demeure, que nous voyions très nettement, comme sur un plan, tous les points où ces gens inconnus étaient en train de l’attaquer. À vrai dire, ce fut seulement au tout premier instant que nous eûmes de l’effroi. Le coup de sifflet nous fit penser tous les quatre à une attaque de rôdeurs et de bohémiens. Justement il y avait depuis une quinzaine, sur la place, derrière l’église, un grand malandrin et un jeune garçon à la tête serrée dans des bandages. Il y avait aussi, chez les charrons et les maréchaux, des ouvriers qui n’étaient pas du pays. Mais, dès que nous eûmes entendu les assaillants crier, nous fûmes persuadés que nous avions affaire à des gens – et probablement à des jeunes gens – du bourg. Il y avait même certainement des gamins – on reconnaissait leurs voix suraiguÃs – dans la troupe qui se jetait à l’assaut de notre demeure comme à l’abordage d’un navire. – Ah ! bien, par exemple... s’écria mon père. Et Millie demanda à mi-voix – Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Lorsque soudain les voix du portail et du mur grillé – puis celles de la fenêtre – s’arrêtèrent. Deux coups de sifflet partirent derrière la croisée. Les cris des gens grimpés sur le cellier, comme ceux des assaillants du jardin, décrurent progressivement, puis cessèrent ; nous entendÃmes, le long du mur de la salle à manger le frôlement de toute la troupe qui se retirait en hâte et dont les pas étaient amortis par la neige. Quelqu’un évidemment les dérangeait. À cette heure où tout dormait, ils avaient pensé mener en paix leur assaut contre cette maison isolée à la sortie du bourg. Mais voici qu’on troublait leur plan de campagne. À peine avions-nous eu le temps de nous ressaisir – car l’attaque avait été soudaine comme un abordage bien conduit – et nous disposions-nous à sortir, que nous entendÃmes une voix connue appeler à la petite grille – Monsieur Seurel ! Monsieur Seurel ! C’était M. Pasquier, le boucher. Le gros petit homme racla ses sabots sur le seuil, secoua sa courte blouse saupoudrée de neige et entra. Il se donnait l’air finaud et effaré de quelqu’un qui a surpris tout le secret d’une mystérieuse affaire – J’étais dans ma cour, qui donne sur la place des Quatre-Routes. J’allais fermer l’étable des chevreaux. Tout d’un coup, dressés sur la neige, qu’est-ce que je vois deux grands gars qui semblaient faire sentinelle ou guetter quelque chose. Ils étaient vers la croix. Je m’avance je fais deux pas – Hip ! les voilà partis au grand galop du côté de chez vous. Ah ! je n’ai pas hésité, j’ai pris mon falot et j’ai dit Je vas aller raconter ça à M. Seurel... Et le voilà qui recommence son histoire  J’étais dans la cour derrière chez moi... » Sur ce, on lui offre une liqueur, qu’il accepte, et on lui demande des détails qu’il est incapable de fournir. Il n’avait rien vu en arrivant à la maison. Toutes les troupes mises en éveil par les deux sentinelles qu’il avait dérangées s’étaient éclipsées aussitôt. Quant à dire qui ces estafettes pouvaient être... – Ça pourrait bien être des bohémiens, avançait-il. Depuis bientôt un mois qu’ils sont sur la place, à attendre le beau temps pour jouer la comédie, ils ne sont pas sans avoir organisé quelque mauvais coup. Tout cela ne nous avançait guère et nous restions debout, fort perplexes, tandis que l’homme sirotait la liqueur et de nouveau mimait son histoire, lorsque Meaulnes, qui avait écouté jusque-là fort attentivement, prit par terre le falot du boucher et décida – Il faut aller voir ! Il ouvrit la porte et nous le suivÃmes, M. Seurel, M. Pasquier et moi. Millie, déjà rassurée, puisque les assaillants étaient partis, et, comme tous les gens ordonnés et méticuleux, fort peu curieuse de sa nature, déclara – Allez-y si vous voulez. Mais fermez la porte et prenez la clef. Moi, je vais me coucher. Je laisserai la lampe allumée. II Nous tombons dans une embuscade Nous partÃmes sur la neige, dans un silence absolu. Meaulnes marchait en avant, projetant la lueur en éventail de sa lanterne grillagée... À peine sortions-nous par le grand portail que, derrière la bascule municipale, qui s’adossait au mur de notre préau, partirent d’un seul coup, comme perdreaux surpris, deux individus encapuchonnés. Soit moquerie, soit plaisir causé par l’étrange jeu qu’ils jouaient là , soit excitation nerveuse et peur d’être rejoints, ils dirent en courant deux ou trois paroles coupées de rires. Meaulnes laissa tomber sa lanterne dans la neige, en me criant – Suis-moi, François !... Et laissant là les deux hommes âgés incapables de soutenir une pareille course, nous nous lançâmes à la poursuite des deux ombres, qui, après avoir un instant contourné le bas du bourg, en suivant le chemin de la Vieille-Planche, remontèrent délibérément vers l’église. Ils couraient régulièrement sans trop de hâte et nous n’avions pas de peine à les suivre. Ils traversèrent la rue de l’église où tout était endormi et silencieux, et s’engagèrent derrière le cimetière dans un dédale de petites ruelles et d’impasses. C’était là un quartier de journaliers, de couturières et de tisserands, qu’on nommait les Petits-Coins. Nous le connaissions assez mal et nous n’y étions jamais venus la nuit. L’endroit était désert le jour les journaliers absents, les tisserands enfermés ; et durant cette nuit de grand silence il paraissait plus abandonné, plus endormi encore que les autres quartiers du bourg. Il n’y avait donc aucune chance pour que quelqu’un survÃnt et nous prêtât main-forte. Je ne connaissais qu’un chemin, entre ces petites maisons posées au hasard comme des boÃtes en carton, c’était celui qui menait chez la couturière qu’on surnommait  la Muette ». On descendait d’abord une pente assez raide, dallée de place en place, puis après avoir tourné deux ou trois fois, entre des petites cours de tisserands ou des écuries vides, on arrivait dans une large impasse fermée par une cour de ferme depuis longtemps abandonnée. Chez la Muette, tandis qu’elle engageait avec ma mère une conversation silencieuse, les doigts frétillants, coupée seulement de petits cris d’infirme, je pouvais voir par la croisée le grand mur de la ferme, qui était la dernière maison de ce côté du faubourg, et la barrière toujours fermée de la cour sèche, sans paille, où jamais rien ne passait plus... C’est exactement ce chemin que les deux inconnus suivirent. À chaque tournant nous craignions de les perdre, mais, à ma surprise, nous arrivions toujours au détour de la ruelle suivante avant qu’ils l’eussent quittée. Je dis à ma surprise, car le fait n’eût pas été possible, tant ces ruelles étaient courtes, s’ils n’avaient pas, chaque fois, tandis que nous les avions perdus de vue, ralenti leur allure. Enfin, sans hésiter, ils s’engagèrent dans la rue qui menait chez la Muette, et je criai à Meaulnes – Nous les tenons, c’est une impasse ! À vrai dire, c’étaient eux qui nous tenaient... Ils nous avaient conduits là où ils avaient voulu. Arrivés au mur, ils se retournèrent vers nous résolument et l’un des deux lança le même coup de sifflet que nous avions déjà par deux fois entendu, ce soir-là . Aussitôt une dizaine de gars sortirent de la cour de la ferme abandonnée où ils semblaient avoir été postés pour nous attendre. Ils étaient tous encapuchonnés, le visage enfoncé dans leurs cache-nez... Qui c’était, nous le savions d’avance, mais nous étions bien résolus à n’en rien dire à M. Seurel, que nos affaires ne regardaient pas. Il y avait Delouche, Denis, Giraudat et tous les autres. Nous reconnûmes dans la lutte leur façon de se battre et leurs voix entrecoupées. Mais un point demeurait inquiétant et semblait presque effrayer Meaulnes il y avait là quelqu’un que nous ne connaissions pas et qui paraissait être le chef... Il ne touchait pas Meaulnes il regardait manÅ“uvrer ses soldats qui avaient fort à faire et qui, traÃnés dans la neige, déguenillés du haut en bas, s’acharnaient contre le grand gars essoufflé. Deux d’entre eux s’étaient occupés de moi, m’avaient immobilisé avec peine, car je me débattais comme un diable. J’étais par terre, les genoux pliés, assis sur les talons ; on me tenait les bras joints par derrière, et je regardais la scène avec une intense curiosité mêlée d’effroi. Meaulnes s’était débarrassé de quatre garçons du Cours qu’il avait dégrafés de sa blouse en tournant vivement sur lui-même et en les jetant à toute volée dans la neige... Bien droit sur ses deux jambes, le personnage inconnu suivait avec intérêt, mais très calme, la bataille, répétant de temps à autre d’une voix nette – Allez... Courage... Revenez-y... Go on, my boys... C’était évidemment lui qui commandait... D’où venait-il ? Où et comment les avait-il entraÃnés à la bataille ? Voilà qui restait un mystère pour nous. Il avait, comme les autres, le visage enveloppé dans un cache-nez, mais lorsque Meaulnes, débarrassé de ses adversaires, s’avança vers lui, menaçant, le mouvement qu’il fit pour y voir bien clair et faire face à la situation découvrit un morceau de linge blanc qui lui enveloppait la tête à la façon d’un bandage. C’est à ce moment que je criai à Meaulnes – Prends garde par derrière ! Il y en a un autre. Il n’eut pas le temps de se retourner que de la barrière à laquelle il tournait le dos, un grand diable avait surgi et, passant habilement son cache-nez autour du cou de mon ami, le renversait en arrière. Aussitôt les quatre adversaires de Meaulnes qui avaient piqué le nez dans la neige revenaient à la charge pour lui immobiliser bras et jambes, lui liaient les bras avec une corde, les jambes avec un cache-nez, et le jeune personnage à la tête bandée fouillait dans ses poches... Le dernier venu, l’homme au lasso, avait allumé une petite bougie qu’il protégeait de la main, et chaque fois qu’il découvrait un papier nouveau, le chef allait auprès de ce lumignon examiner ce qu’il contenait. Il déplia enfin cette espèce de carte couverte d’inscriptions à laquelle Meaulnes travaillait depuis son retour et s’écria avec joie – Cette fois nous l’avons. Voilà le plan ! Voilà le guide ! Nous allons voir si ce monsieur est bien allé où je l’imagine... Son acolyte éteignit la bougie. Chacun ramassa sa casquette ou sa ceinture. Et tous disparurent silencieusement comme ils étaient venus, me laissant libre de délier en hâte mon compagnon. – Il n’ira pas très loin avec ce plan-là , dit Meaulnes en se levant. Et nous repartÃmes lentement, car il boitait un peu. Nous retrouvâmes sur le chemin de l’église M. Seurel et le père Pasquier – Vous n’avez rien vu ? dirent-ils... Nous non plus ! Grâce à la nuit profonde ils ne s’aperçurent de rien. Le boucher nous quitta et M. Seurel rentra bien vite se coucher. Mais nous deux, dans notre chambre, là -haut, à la lueur de la lampe que Millie nous avait laissée, nous restâmes longtemps à rafistoler nos blouses décousues, discutant à voix basse sur ce qui nous était arrivé, comme deux compagnons d’armes le soir d’une bataille perdue... III Le bohémien à l’école Le réveil du lendemain fut pénible. À huit heures et demie, à l’instant où M. Seurel allait donner le signal d’entrer, nous arrivâmes tout essoufflés pour nous mettre sur les rangs. Comme nous étions en retard, nous nous glissâmes n’importe où, mais d’ordinaire le grand Meaulnes était le premier de la longue file d’élèves, coude à coude, chargés de livres, de cahiers et de porte-plumes, que M. Seurel inspectait. Je fus surpris de l’empressement silencieux que l’on mit à nous faire place vers le milieu de la file ; et tandis que M. Seurel, retardant de quelques secondes l’entrée au cours, inspectait le grand Meaulnes, j’avançai curieusement la tête, regardant à droite et à gauche pour voir les visages de nos ennemis de la veille. Le premier que j’aperçus était celui-là même auquel je ne cessais de penser, mais le dernier que j’eusse pu m’attendre à voir en ce lieu. Il était à la place habituelle de Meaulnes, le premier de tous, un pied sur la marche de pierre, une épaule et le coin du sac qu’il avait sur le dos, accotés au chambranle de la porte. Son visage fin, très pâle, un peu piqué de rousseur, était penché et tourné vers nous avec une sorte de curiosité méprisante et amusée. Il avait la tête et tout un côté de la figure bandés de linge blanc. Je reconnaissais le chef de bande, le jeune bohémien qui nous avait volés la nuit précédente. Mais déjà nous entrions dans la classe et chacun prenait sa place. Le nouvel élève s’assit près du poteau, à la gauche du long banc dont Meaulnes occupait, à droite, la première place. Giraudat, Delouche et les trois autres du premier banc s’étaient serrés les uns contre les autres pour lui faire place, comme si tout eût été convenu d’avance... Souvent, l’hiver, passaient ainsi parmi nous des élèves de hasard, mariniers pris par les glaces dans le canal, apprentis, voyageurs immobilisés par la neige. Ils restaient au cours deux jours, un mois, rarement plus... Objets de curiosité durant la première heure, ils étaient aussitôt négligés et disparaissaient bien vite dans la foule des élèves ordinaires. Mais celui-ci ne devait pas se faire aussitôt oublier. Je me rappelle encore cet être singulier et tous les trésors étranges apportés dans ce cartable qu’il s’accrochait au dos. Ce furent d’abord les porte-plume  à vue » qu’il tira pour écrire sa dictée. Dans un Å“illet du manche, en fermant un Å“il, on voyait apparaÃtre, trouble et grossie, la basilique de Lourdes ou quelque monument inconnu. Il en choisit un et les autres aussitôt passèrent de main en main. Puis ce fut un plumier chinois rempli de compas et d’instruments amusants qui s’en allèrent par le banc de gauche, glissant silencieusement, sournoisement, de main en main, sous les cahiers, pour que M. Seurel ne pût rien voir. Passèrent aussi des livres tout neufs, dont j’avais, avec convoitise, lu les titres derrière la couverture des rares bouquins de notre bibliothèque La Teppe aux Merles, La Roche aux Mouettes, Mon ami Benoist... Les uns feuilletaient d’une main sur leurs genoux ces volumes, venus on ne savait d’où, volés peut-être, et écrivaient la dictée de l’autre main. D’autres faisaient tourner les compas au fond de leurs casiers. D’autres, brusquement, tandis que M. Seurel tournant le dos continuait la dictée en marchant du bureau à la fenêtre, fermaient un Å“il et se collaient sur l’autre la vue glauque et trouée de Notre-Dame de Paris. Et l’élève étranger, la plume à la main, son fin profil contre le poteau gris, clignait des yeux, content de tout ce jeu furtif qui s’organisait autour de lui. Peu à peu cependant toute la classe s’inquiéta les objets, qu’on  faisait passer » à mesure, arrivaient l’un après l’autre dans les mains du grand Meaulnes qui, négligemment, sans les regarder, les posait auprès de lui. Il y en eut bientôt un tas, mathématique et diversement coloré, comme aux pieds de la femme qui représente la Science, dans les compositions allégoriques. Fatalement M. Seurel allait découvrir ce déballage insolite et s’apercevoir du manège. Il devait songer, d’ailleurs, à faire une enquête sur les événements de la nuit. La présence du bohémien allait faciliter sa besogne... Bientôt, en effet, il s’arrêtait, surpris, devant le grand Meaulnes. – À qui appartient tout cela ? demanda-t-il en désignant  tout cela » du dos de son livre refermé sur son index. – Je n’en sais rien, répondit Meaulnes d’un ton bourru, sans lever la tête. Mais l’écolier inconnu intervint – C’est à moi, dit-il. Et il ajouta aussitôt avec un geste large et élégant de jeune seigneur auquel le vieil instituteur ne sut pas résister – Mais je les mets à votre disposition, monsieur, si vous voulez regarder. Alors, en quelques secondes, sans bruit, comme pour ne pas troubler le nouvel état de choses qui venait de se créer, toute la classe se glissa curieusement autour du maÃtre qui penchait sur ce trésor sa tête demi-chauve, demi-frisée, et du jeune personnage blême qui donnait avec un air de triomphe tranquille les explications nécessaires. Cependant, silencieux à son banc, complètement délaissé, le grand Meaulnes avait ouvert son cahier de brouillons et, fronçant le sourcil, s’absorbait dans un problème difficile. Le  quart d’heure » nous surprit dans ces occupations. La dictée n’était pas finie et le désordre régnait dans la classe. À vrai dire, depuis le matin la récréation durait. À dix heures et demie, donc, lorsque la cour sombre et boueuse fut envahie par les élèves, on s’aperçut bien vite qu’un nouveau maÃtre régnait sur les jeux. De tous les plaisirs nouveaux que le bohémien, dès ce matin-là , introduisit chez nous, je ne me rappelle que le plus sanglant c’était une espèce de tournoi où les chevaux étaient les grands élèves chargés des plus jeunes grimpés sur leurs épaules. Partagés en deux groupes qui partaient des deux bouts de la cour, ils fondaient les uns sur les autres, cherchant à terrasser l’adversaire par la violence du choc, et les cavaliers, usant de cache-nez comme de lassos, ou de leurs bras tendus comme de lances, s’efforçaient de désarçonner leurs rivaux. Il y en eut dont on esquivait le choc et qui, perdant l’équilibre, allaient s’étaler dans la boue, le cavalier roulant sous sa monture. Il y eut des écoliers à moitié désarçonnés que le cheval rattrapait par les jambes et qui, de nouveau acharnés à la lutte, regrimpaient sur ses épaules. Monté sur le grand Delage qui avait des membres démesurés, le poil roux et les oreilles décollées, le mince cavalier à la tête bandée excitait les deux troupes rivales et dirigeait malignement sa monture en riant aux éclats. Augustin, debout sur le seuil de la classe, regardait d’abord avec mauvaise humeur s’organiser ces jeux. Et j’étais auprès de lui, indécis. – C’est un malin, dit-il entre ses dents, les mains dans les poches. Venir ici, dès ce matin, c’était le seul moyen de n’être pas soupçonné. Et M. Seurel s’y est laissé prendre ! Il resta là un long moment, sa tête rase au vent, à maugréer contre ce comédien qui allait faire assommer tous ces gars dont il avait été peu de temps auparavant le capitaine. Et, enfant paisible que j’étais, je ne manquais pas de l’approuver. Partout, dans tous les coins, en l’absence du maÃtre, se poursuivait la lutte les plus petits avaient fini par grimper les uns sur les autres ; ils couraient et culbutaient avant même d’avoir reçu le choc de l’adversaire... Bientôt il ne resta plus debout, au milieu de la cour, qu’un groupe acharné et tourbillonnant d’où surgissait par moments le bandeau blanc du nouveau chef. Alors le grand Meaulnes ne sut plus résister. Il baissa la tête, mit ses mains sur ses cuisses et me cria – Allons-y, François ! Surpris par cette décision soudaine, je sautai pourtant sans hésiter sur ses épaules et en une seconde nous étions au fort de la mêlée, tandis que la plupart des combattants, éperdus, fuyaient en criant – Voilà Meaulnes ! Voilà le grand Meaulnes ! Au milieu de ceux qui restaient il se mit à tourner sur lui-même en me disant – Étends les bras empoigne-les comme j’ai fait cette nuit. Et moi, grisé par la bataille, certain du triomphe, j’agrippais au passage les gamins qui se débattaient, oscillaient un instant sur les épaules des grands et tombaient dans la boue. En moins de rien il ne resta debout que le nouveau venu monté sur Delage ; mais celui-ci, peu désireux d’engager la lutte avec Augustin, d’un violent coup de reins en arrière se redressa et fit descendre le cavalier blanc. La main à l’épaule de sa monture, comme un capitaine tient le mors de son cheval, le jeune garçon debout par terre regarda le grand Meaulnes avec un peu de saisissement et une immense admiration – À la bonne heure ! dit-il. Mais aussitôt la cloche sonna, dispersant les élèves qui s’étaient rassemblés autour de nous dans l’attente d’une scène curieuse. Et Meaulnes, dépité de n’avoir pu jeter à terre son ennemi, tourna le dos en disant, avec mauvaise humeur – Ce sera pour une autre fois ! Jusqu’à midi la classe continua comme à l’approche des vacances, mêlée d’intermèdes amusants et de conversations dont l’écolier-comédien était le centre. Il expliquait comment, immobilisés par le froid sur la place, ne songeant pas même à organiser des représentations nocturnes où personne ne viendrait, ils avaient décidé que lui-même irait au cours pour se distraire pendant la journée, tandis que son compagnon soignerait les oiseaux des ÃŽles et la chèvre savante. Puis il racontait leurs voyages dans le pays environnant, alors que l’averse tombe sur le mauvais toit de zinc de la voiture et qu’il faut descendre aux côtes pour pousser à la roue. Les élèves du fond quittaient leur table pour venir écouter de plus près. Les moins romanesques profitaient de cette occasion pour se chauffer autour du poêle. Mais bientôt la curiosité les gagnait et ils se rapprochaient du groupe bavard en tendant l’oreille, laissant une main posée sur le couvercle du poêle pour y garder leur place. – Et de quoi vivez-vous ? demanda M. Seurel, qui suivait tout cela avec sa curiosité un peu puérile de maÃtre d’école et qui posait une foule de questions. Le garçon hésita un instant, comme si jamais il ne s’était inquiété de ce détail. – Mais, répondit-il, de ce que nous avons gagné l’automne précédent, je pense. C’est Ganache qui règle les comptes. Personne ne lui demanda qui était Ganache. Mais moi je pensai au grand diable, qui traÃtreusement, la veille au soir, avait attaqué Meaulnes par derrière et l’avait renversé... IV Où il est question du domaine mystérieux L’après-midi ramena les mêmes plaisirs et, tout le long du cours, le même désordre et la même fraude. Le bohémien avait apporté d’autres objets précieux, coquillages, jeux, chansons, et jusqu’à un petit singe qui griffait sourdement l’intérieur de sa gibecière... À chaque instant, il fallait que Seurel s’interrompÃt pour examiner ce que le malin garçon venait de tirer de son sac... Quatre heures arrivèrent et Meaulnes était le seul à avoir fini ses problèmes. Ce fut sans hâte que tout le monde sortit. Il n’y avait plus, semblait-il, entre les heures de cours et de récréation, cette dure démarcation qui faisait la vie scolaire simple et réglée comme par la succession de la nuit et du jour. Nous en oubliâmes même de désigner comme d’ordinaire à M. Seurel, vers quatre heures moins dix, les deux élèves qui devaient rester pour balayer la classe. Or, nous n’y manquions jamais, car c’était une façon d’annoncer et de hâter la sortie du cours. Le hasard voulut que ce fût ce jour-là le tour du grand Meaulnes ; et dès le matin j’avais, en causant avec lui, averti le bohémien que les nouveaux étaient toujours désignés d’office pour faire le second balayeur, le jour de leur arrivée. Meaulnes revint en classe dès qu’il eut été chercher le pain de son goûter. Quant au bohémien, il se fit longtemps attendre et arriva le dernier, en courant, comme la nuit commençait de tomber... – Tu resteras dans la classe, m’avait dit mon compagnon, et pendant que je le tiendrai, tu lui reprendras le plan qu’il m’a volé. Je m’étais donc assis sur une petite table, auprès de la fenêtre, lisant à la dernière lueur du jour et je les vis tous les deux déplacer en silence les bancs de l’école – le grand Meaulnes, taciturne et l’air dur, sa blouse noire boutonnée à trois boutons en arrière et sanglée à la ceinture ; l’autre, délicat, nerveux, la tête bandée comme un blessé. Il était vêtu d’un mauvais paletot, avec des déchirures que je n’avais pas remarquées pendant le jour. Plein d’une ardeur presque sauvage, il soulevait et poussait les tables avec une précipitation folle, en souriant un peu. On eût dit qu’il jouait là quelque jeu extraordinaire dont nous ne connaissions pas le fin mot. Ils arrivèrent ainsi dans le coin le plus obscur de la salle, pour déplacer la dernière table. En cet endroit, d’un tour de main, Meaulnes pouvait renverser son adversaire, sans que personne du dehors eût chance de les apercevoir ou de les entendre par les fenêtres. Je ne comprenais pas qu’il laissât échapper une pareille occasion. L’autre, revenu près de la porte, allait s’enfuir d’un instant à l’autre, prétextant que la besogne était terminée, et nous ne le reverrions plus. Le plan et tous les renseignements que Meaulnes avait mis si longtemps à retrouver, à concilier, à réunir, seraient perdus pour nous... À chaque seconde j’attendais de mon camarade un signe, un mouvement, qui m’annonçât le début de la bataille, mais le grand garçon ne bronchait pas. Par instants, seulement, il regardait avec une fixité étrange et d’un air interrogatif le bandeau du bohémien, qui, dans la pénombre de la nuit, paraissait largement taché de noir. La dernière table fut déplacée sans que rien arrivât. Mais au moment où, remontant tous les deux vers le haut de la classe, ils allaient donner sur le seuil un dernier coup de balai, Meaulnes, baissant la tête, et, sans regarder notre ennemi, dit à mi-voix – Votre bandeau est rouge de sang et vos habits sont déchirés. L’autre le regarda un instant, non pas surpris de ce qu’il disait, mais profondément ému de le lui entendre dire. – Ils ont voulu, répondit-il, m’arracher votre plan tout à l’heure, sur la place. Quand ils ont su que je voulais revenir ici balayer la classe, ils ont compris que j’allais faire la paix avec vous, ils se sont révoltés contre moi. Mais je l’ai tout de même sauvé, ajouta-t-il fièrement, en tendant à Meaulnes le précieux papier plié. Meaulnes se tourna lentement vers moi – Tu entends ? dit-il. Il vient de se battre et de se faire blesser pour nous, tandis que nous lui tendions un piège ! Puis cessant d’employer ce  vous » insolite chez des écoliers de Sainte-Agathe – Tu es un vrai camarade, dit-il, et il lui tendit la main. Le comédien la saisit et demeura sans parole une seconde, très troublé, la voix coupée... Mais bientôt avec une curiosité ardente il poursuivit – Ainsi vous me tendiez un piège ! Que c’est amusant ! Je l’avais deviné et je me disais ils vont être bien étonnés, quand, m’ayant repris ce plan, ils s’apercevront que je l’ai complété... – Complété ? – Oh ! attendez ! Pas entièrement... Quittant ce ton enjoué, il ajouta gravement et lentement, se rapprochant de nous – Meaulnes, il est temps que je vous le dise moi aussi je suis allé là où vous avez été. J’assistais à cette fête extraordinaire. J’ai bien pensé, quand les garçons du Cours m’ont parlé de votre aventure mystérieuse, qu’il s’agissait du vieux domaine perdu. Pour m’en assurer je vous ai volé votre carte... Mais je suis comme vous j’ignore le nom de ce château ; je ne saurais pas y retourner ; je ne connais pas en entier le chemin qui d’ici vous y conduirait. Avec quel élan, avec quelle intense curiosité, avec quelle amitié nous nous pressâmes contre lui ! Avidement Meaulnes lui posait des questions... Il nous semblait à tous deux qu’en insistant ardemment auprès de notre nouvel ami, nous lui ferions dire cela même qu’il prétendait ne pas savoir. – Vous verrez, vous verrez, répondait le jeune garçon avec un peu d’ennui et d’embarras, je vous ai mis sur le plan quelques indications que vous n’aviez pas... C’est tout ce que je pouvais faire. Puis, nous voyant plein d’admiration et d’enthousiasme – Oh ! dit-il tristement et fièrement, je préfère vous avertir je ne suis pas un garçon comme les autres. Il y a trois mois, j’ai voulu me tirer une balle dans la tête et c’est ce qui vous explique ce bandeau, sur le front, comme un mobile de la Seine, en 1870... – Et ce soir, en vous battant, la plaie s’est rouverte, dit Meaulnes avec amitié. Mais l’autre, sans y prendre garde, poursuivit d’un ton légèrement emphatique – Je voulais mourir. Et puisque je n’ai pas réussi, je ne continuerai à vivre que pour l’amusement, comme un enfant, comme un bohémien. J’ai tout abandonné. Je n’ai plus ni père, ni sÅ“ur, ni maison, ni amour... Plus rien, que des compagnons de jeux. – Ces compagnons-là vous ont déjà trahi, dis-je. – Oui, répondit-il avec animation. C’est la faute d’un certain Delouche. Il a deviné que j’allais faire cause commune avec vous. Il a démoralisé ma troupe qui était si bien en main. Vous avez vu cet abordage, hier au soir, comme c’était conduit, comme ça marchait ! Depuis mon enfance, je n’avais rien organisé d’aussi réussi... Il resta songeur un instant, et il ajouta pour nous désabuser tout à fait sur son compte – Si je suis venu vers vous deux, ce soir, c’est que je m’en suis aperçu ce matin – il y a plus de plaisir à prendre avec vous qu’avec la bande de tous les autres. C’est ce Delouche surtout qui me déplaÃt. Quelle idée de faire l’homme à dix-sept ans ! Rien ne me dégoûte davantage... Pensez-vous que nous puissions le repincer ? – Certes, dit Meaulnes. Mais resterez-vous longtemps avec nous ? – Je ne sais. Je le voudrais beaucoup. Je suis terriblement seul. Je n’ai que Ganache... Toute sa fièvre, tout son enjouement étaient tombés soudain. Un instant, il plongea dans ce même désespoir où sans doute, un jour, l’idée de se tuer l’avait surpris. – Soyez mes amis, dit-il soudain. Voyez je connais votre secret et je l’ai défendu contre tous. Je puis vous remettre sur la trace que vous avez perdue... Et il ajouta presque solennellement – Soyez mes amis pour le jour où je serais encore à deux doigts de l’enfer comme une fois déjà ... Jurez-moi que vous répondrez quand je vous appellerai – quand je vous appellerai ainsi... et il poussa une sorte de cri étrange Hou-ou !... Vous, Meaulnes, jurez d’abord ! Et nous jurâmes, car, enfants que nous étions, tout ce qui était plus solennel et plus sérieux que nature nous séduisait. – En retour, dit-il, voici maintenant tout ce que je puis vous dire, je vous indiquerai la maison de Paris où la jeune fille du château avait l’habitude de passer les fêtes Pâques et la Pentecôte, le mois de juin et quelquefois une partie de l’hiver. À ce moment une voix inconnue appela du grand portail, à plusieurs reprises, dans la nuit. Nous devinâmes que c’était Ganache, qui n’osait pas ou ne savait comment traverser la cour. D’une voix pressante, anxieuse, il appelait tantôt très haut, tantôt presque bas – Hou-ou ! Hou-ou ! – Dites ! Dites vite ! cria Meaulnes au jeune bohémien qui avait tressailli et qui rajustait ses habits pour partir. Le jeune garçon nous donna rapidement une adresse à Paris, que nous répétâmes à mi-voix. Puis il courut, dans l’ombre, rejoindre son compagnon à la grille, nous laissant dans un état de trouble inexprimable. V L’homme aux espadrilles Cette nuit-là , vers trois heures du matin, la veuve Delouche, l’aubergiste, qui habitait dans le milieu du bourg, se leva pour allumer son feu. Dumas, son beau-frère, qui habitait chez elle, devait partir en route à quatre heures, et la triste bonne femme, dont la main droite était recroquevillée par une brûlure ancienne, se hâtait dans la cuisine obscure pour préparer le café. Il faisait froid. Elle mit sur sa camisole un vieux fichu, puis tenant d’une main sa bougie allumée, abritant la flamme de l’autre main – la mauvaise – avec son tablier levé, elle traversa la cour encombrée de bouteilles vides et de caisses à savon, ouvrit pour y prendre du petit bois la porte du bûcher qui servait de cabane aux poules... Mais à peine avait-elle poussé la porte que, d’un coup de casquette si violent qu’il fit ronfler l’air, un individu surgissant de l’obscurité profonde éteignit la chandelle, abattit du même coup la bonne femme et s’enfuit à toutes jambes, tandis que les poules et les coqs affolés menaient un tapage infernal. L’homme emportait dans un sac – comme la veuve Delouche retrouvant son aplomb s’en aperçut un instant plus tard – une douzaine de ses poulets les plus beaux. Aux cris de sa belle-sÅ“ur, Dumas était accouru. Il constata que le chenapan, pour entrer, avait dû ouvrir avec une fausse clef la porte de la petite cour et qu’il s’était enfui, sans la refermer, par le même chemin. Aussitôt, en homme habitué aux braconniers et aux chapardeurs, il alluma le falot de sa voiture, et le prenant d’une main, son fusil chargé de l’autre, il s’efforça de suivre la trace du voleur, trace très imprécise – l’individu devait être chaussé d’espadrilles – qui le mena sur la route de La Gare puis se perdit devant la barrière d’un pré. Forcé d’arrêter là ses recherches, il releva la tête, s’arrêta... et entendit au loin, sur la route, le bruit d’une voiture lancée au grand galop, qui s’enfuyait... De son côté, Jasmin Delouche, le fils de la veuve, s’était levé et, jetant en hâte un capuchon sur ses épaules, il était sorti en chaussons pour inspecter le bourg. Tout dormait, tout était plongé dans l’obscurité et le silence profond qui précèdent les premières lueurs du jour. Arrivé aux Quatre-Routes, il entendit seulement – comme son oncle – très loin, sur la colline des Riaudes, le bruit d’une voiture dont le cheval devait galoper les quatre pieds levés. Garçon malin et fanfaron, il se dit alors, comme il nous le répéta par la suite avec l’insupportable grasseyement des faubourgs de Montluçon – Ceux-là sont partis vers La Gare, mais il n’est pas dit que je n’en  chaufferai » pas d’autres, de l’autre côté du bourg. Et il rebroussa chemin vers l’église, dans le même silence nocturne. Sur la place, dans la roulotte des bohémiens, il y avait une lumière. Quelqu’un de malade sans doute. Il allait s’approcher, pour demander ce qui était arrivé, lorsqu’une ombre silencieuse, une ombre chaussée d’espadrilles, déboucha des Petits-Coins et accourut au galop, sans rien voir, vers le marchepied de la voiture... Jasmin, qui avait reconnu l’allure de Ganache, s’avança soudain dans la lumière et demanda à mi-voix – Eh bien ! Qu’y a-t-il ? Hagard, échevelé, édenté, l’autre s’arrêta, le regarda, avec un rictus misérable causé par l’effroi et la suffocation, et répondit d’une haleine hachée – C’est le compagnon qui est malade. Il s’est battu hier soir et sa blessure s’est rouverte... Je viens d’aller chercher la sÅ“ur. En effet, comme Jasmin Delouche, fort intrigué, rentrait chez lui pour se recoucher, il rencontra, vers le milieu du bourg, une religieuse qui se hâtait. Au matin, plusieurs habitants de Sainte-Agathe sortirent sur le seuil de leurs portes avec les mêmes yeux bouffis et meurtris par une nuit sans sommeil. Ce fut, chez tous, un cri d’indignation et, par le bourg, comme une traÃnée de poudre. Chez Giraudat, on avait entendu, vers deux heures du matin, une carriole qui s’arrêtait et dans laquelle on chargeait en hâte des paquets qui tombaient mollement. Il n’y avait, dans la maison, que deux femmes et elles n’avaient pas osé bouger. Au jour, elles avaient compris, en ouvrant la basse-cour, que les paquets en question étaient les lapins et la volaille... Millie, durant la première récréation, trouva devant la porte de la buanderie plusieurs allumettes à demi brûlées. On en conclut qu’ils étaient mal renseignés sur notre demeure et n’avaient pu entrer... Chez Perreux, chez Boujardon et chez Clément, on crut d’abord qu’ils avaient volé aussi les cochons, mais on les retrouva dans la matinée, occupés à déterrer des salades, dans différents jardins. Tout le troupeau avait profité de l’occasion et de la porte ouverte pour faire une petite promenade nocturne... Presque partout on avait enlevé la volaille ; mais on s’en était tenu là . Mme Pignot, la boulangère, qui ne faisait pas d’élevage, cria bien toute la journée qu’on lui avait volé son battoir et une livre d’indigo, mais le fait ne fut jamais prouvé, ni inscrit sur le procès-verbal... Cet affolement, cette crainte, ce bavardage durèrent tout le matin. En classe, Jasmin raconta son aventure de la nuit – Ah ! ils sont malins, disait-il. Mais si mon oncle en avait rencontré un, il l’a bien dit Je le fusillais comme un lapin ! Et il ajoutait en nous regardant – C’est heureux qu’il n’ait pas rencontré Ganache, il était capable de tirer dessus. C’est tous la même race, qu’il dit, et Dessaigne le disait aussi. Personne cependant ne songeait à inquiéter nos nouveaux amis. C’est le lendemain soir seulement que Jasmin fit remarquer à son oncle que Ganache, comme leur voleur, était chaussé d’espadrilles. Ils furent d’accord pour trouver qu’il valait la peine de dire cela aux gendarmes. Ils décidèrent donc, en grand secret, d’aller dès leur premier loisir au chef-lieu de canton prévenir le brigadier de la gendarmerie. Durant les jours qui suivirent, le jeune bohémien, malade de sa blessure légèrement rouverte, ne parut pas. Sur la place de l’église, le soir, nous allions rôder, rien que pour voir sa lampe derrière le rideau rouge de la voiture. Pleins d’angoisse et de fièvre, nous restions là , sans oser approcher de l’humble bicoque, qui nous paraissait être le mystérieux passage et l’antichambre du Pays dont nous avions perdu le chemin. VI Une dispute dans la coulisse Tant d’anxiétés et de troubles divers, durant ces jours passés, nous avaient empêchés de prendre garde que mars était venu et que le vent avait molli. Mais le troisième jour après cette aventure, en descendant, le matin, dans la cour, brusquement je compris que c’était le printemps. Une brise délicieuse comme une eau tiédie coulait par-dessus le mur, une pluie silencieuse avait mouillé la nuit les feuilles des pivoines ; la terre remuée du jardin avait un goût puissant, et j’entendais, dans l’arbre voisin de la fenêtre, un oiseau qui essayait d’apprendre la musique... Meaulnes, à la première récréation, parla d’essayer tout de suite l’itinéraire qu’avait précisé l’écolier-bohémien. À grand-peine je lui persuadai d’attendre que nous eussions revu notre ami, que le temps fût sérieusement au beau... que tous les pruniers de Sainte-Agathe fussent en fleur. Appuyés contre le mur bas de la petite ruelle, les mains aux poches et nu-tête, nous parlions et le vent tantôt nous faisait frissonner de froid, tantôt, par bouffées de tiédeur, réveillait en nous je ne sais quel vieil enthousiasme profond. Ah ! frère, compagnon, voyageur, comme nous étions persuadés, tous deux, que le bonheur était proche, et qu’il allait suffire de se mettre en chemin pour l’atteindre !... À midi et demi, pendant le déjeuner, nous entendÃmes un roulement de tambour sur la place des Quatre-Routes. En un clin d’œil, nous étions sur le seuil de la petite grille, nos serviettes à la main... C’était Ganache qui annonçait pour le soir, à huit heures,  vu le beau temps », une grande représentation sur la place de l’église. À tout hasard,  pour se prémunir contre la pluie », une tente serait dressée. Suivait un long programme des attractions, que le vent emporta, mais où nous pûmes distinguer vaguement  pantomimes... chansons... fantaisies équestres... », le tout scandé par de nouveaux roulements de tambour. Pendant le dÃner du soir, la grosse caisse, pour annoncer la séance, tonna sous nos fenêtres et fit trembler les vitres. Bientôt après, passèrent, avec un bourdonnement de conversations, les gens des faubourgs, par petits groupes, qui s’en allaient vers la place de l’église. Et nous étions là , tous deux, forcés de rester à table, trépignant d’impatience ! Vers neuf heures, enfin, nous entendÃmes des frottements de pieds et des rires étouffés à la petite grille les institutrices venaient nous chercher. Dans l’obscurité complète nous partÃmes en bande vers le lieu de la comédie. Nous apercevions de loin le mur de l’église illuminé comme par un grand feu. Deux quinquets allumés devant la porte de la baraque ondulaient au vent... À l’intérieur, des gradins étaient aménagés comme dans un cirque. M. Seurel, les institutrices, Meaulnes et moi, nous nous installâmes sur les bancs les plus bas. Je revois ce lieu, qui devait être fort étroit, comme un cirque véritable, avec de grandes nappes d’ombre où s’étageaient Mme Pignot, la boulangère, et Fernande, l’épicière, les filles du bourg, les ouvriers maréchaux, des dames, des gamins, des paysans, d’autres gens encore. La représentation était avancée plus qu’à moitié. On voyait sur la piste une petite chèvre savante qui bien docilement mettait ses pieds sur quatre verres, puis sur deux, puis sur un seul. C’était Ganache qui la commandait doucement, à petits coups de baguette, en regardant vers nous d’un air inquiet, la bouche ouverte, les yeux morts. Assis sur un tabouret, près de deux autres quinquets, à l’endroit où la piste communiquait avec la roulotte, nous reconnûmes, en fin maillot noir, front bandé, le meneur de jeu, notre ami. À peine étions-nous assis que bondissait sur la piste un poney tout harnaché à qui le jeune personnage blessé fit faire plusieurs tours, et qui s’arrêtait toujours devant l’un de nous lorsqu’il fallait désigner la personne la plus aimable ou la plus brave de la société ; mais toujours devant Mme Pignot lorsqu’il s’agissait de découvrir la plus menteuse, la plus avare ou  la plus amoureuse... » Et c’étaient autour d’elle des rires, des cris et des coin-coin, comme dans un troupeau d’oies que pourchasse un épagneul !... À l’entracte, le meneur de jeu vint s’entretenir un instant avec M. Seurel, qui n’eût pas été plus fier d’avoir parlé à Talma ou à Léotard ; et nous, nous écoutions avec un intérêt passionné tout ce qu’il disait de sa blessure – refermée ; de ce spectacle – préparé durant les longues journées d’hiver ; de leur départ – qui ne serait pas avant la fin du mois, car ils pensaient donner jusque-là des représentations variées et nouvelles. Le spectacle devait se terminer par une grande pantomime. Vers la fin de l’entracte, notre ami nous quitta, et, pour regagner l’entrée de la roulotte, fut obligé de traverser un groupe qui avait envahi la piste et au milieu duquel nous aperçûmes soudain Jasmin Delouche. Les femmes et les filles s’écartèrent. Ce costume noir, cet air blessé, étrange et brave, les avaient toutes séduites. Quant à Jasmin, qui paraissait revenir à cet instant d’un voyage, et qui s’entretenait à voix basse mais animée avec Mme Pignot, il était évident qu’une cordelière, un col bas et des pantalons-éléphant eussent fait plus sûrement sa conquête... Il se tenait les pouces au revers de son veston, dans une attitude à la fois très fate et très gênée. Au passage du bohémien, dans un mouvement de dépit, il dit à haute voix à Mme Pignot quelque chose que je n’entendis pas, mais certainement une injure, un mot provocant à l’adresse de notre ami. Ce devait être une menace grave et inattendue, car le jeune homme ne put s’empêcher de se retourner et de regarder l’autre, qui, pour ne pas perdre contenance, ricanait, poussait ses voisins du coude, comme pour les mettre de son côté... Tout ceci se passa d’ailleurs en quelques secondes. Je fus sans doute le seul de mon banc à m’en apercevoir. Le meneur de jeu rejoignit son compagnon derrière le rideau qui masquait l’entrée de la roulotte. Chacun regagna sa place sur les gradins, croyant que la deuxième partie du spectacle allait aussitôt commencer, et un grand silence s’établit. Alors, derrière le rideau, tandis que s’apaisaient les dernières conversations à voix basse, un bruit de dispute monta. Nous n’entendions pas ce qui était dit, mais nous reconnûmes les deux voix, celle du grand gars et celle du jeune homme – la première qui expliquait, qui se justifiait ; l’autre qui gourmandait, avec indignation et tristesse à la fois – Mais malheureux ! disait celle-ci, pourquoi ne m’avoir pas dit... Et nous ne distinguions pas la suite, bien que tout le monde prêtât l’oreille. Puis tout se tut, soudainement. L’altercation se poursuivit à voix basse ; et les gamins des hauts gradins commencèrent à crier – Les lampions, le rideau ! et à frapper du pied. VII Le bohémien enlève son bandeau Enfin glissa lentement, entre les rideaux, la face – sillonnée de rides, tout écarquillée tantôt par la gaieté tantôt par la détresse, et semée de pains à cacheter ! – d’un long pierrot en trois pièces mal articulées, recroquevillé sur son ventre comme par une colique, marchant sur la pointe des pieds comme par excès de prudence et de crainte, les mains empêtrées dans des manches trop longues qui balayaient la piste. Je ne saurais plus reconstituer aujourd’hui le sujet de sa pantomime. Je me rappelle seulement que dès son arrivée dans le cirque, après s’être vainement et désespérément retenu sur ses pieds, il tomba. Il eut beau se relever ; c’était plus fort que lui il tombait. Il ne cessait pas de tomber. Il s’embarrassait dans quatre chaises à la fois. Il entraÃnait dans sa chute une table énorme qu’on avait apportée sur la piste. Il finit par aller s’étaler par delà la barrière du cirque jusque sur les pieds des spectateurs. Deux aides, racolés dans le public à grand-peine, le tiraient par les pieds et le remettaient debout après d’inconcevables efforts. Et chaque fois qu’il tombait, il poussait un petit cri, varié chaque fois, un petit cri insupportable, où la détresse et la satisfaction se mêlaient à doses égales. Au dénouement, grimpé sur un échafaudage de chaises, il fit une chute immense et très lente, et son ululement de triomphe strident et misérable durait aussi longtemps que sa chute, accompagné par les cris d’effroi des femmes. Durant la seconde partie de sa pantomime, je revois, sans bien m’en rappeler la raison,  le pauvre pierrot qui tombe » sortant d’une de ses manches une petite poupée bourrée de son et mimant avec elle tout une scène tragi-comique. En fin de compte, il lui faisait sortir par la bouche tout le son qu’elle avait dans le ventre. Puis, avec de petits cris pitoyables, il la remplissait de bouillie et au moment de la plus grande attention, tandis que tous les spectateurs, la lèvre pendante, avaient les yeux fixés sur la fille visqueuse et crevée du pauvre pierrot, il la saisit soudain par un bras et la lança à toute volée, à travers les spectateurs, sur la figure de Jasmin Delouche, dont elle ne fit que mouiller l’oreille, pour aller ensuite s’aplatir sur l’estomac de Mme Pignot, juste au-dessous du menton. La boulangère poussa un tel cri, elle se renversa si fort en arrière et toutes ses voisines l’imitèrent si bien que le banc se rompit, et la boulangère, Fernande, la triste veuve Delouche et vingt autres s’effondrèrent, les jambes en l’air, au milieu des rires, des cris et des applaudissements, tandis que le grand clown, abattu la face contre terre, se relevait pour saluer et dire – Nous avons, Messieurs et Mesdames, l’honneur de vous remercier ! Mais à ce moment même et au milieu de l’immense brouhaha, le grand Meaulnes, silencieux depuis le début de la pantomime et qui semblait plus absorbé de minute en minute, se leva brusquement, me saisit par le bras, comme incapable de se contenir, et me cria – Regarde le bohémien ! Regarde ! Je l’ai enfin reconnu. Avant même d’avoir regardé, comme si depuis longtemps, inconsciemment, cette pensée couvait en moi et n’attendait que l’instant d’éclore, j’avais deviné ! Debout auprès d’un quinquet, à l’entrée de la roulotte, le jeune personnage inconnu avait défait son bandeau et jeté sur ses épaules une pèlerine. On voyait, dans la lueur fumeuse, comme naguère, à la lumière de la bougie, dans la chambre du Domaine, un très fin, très aquilin visage sans moustache. Pâle, les lèvres entrouvertes, il feuilletait hâtivement une sorte de petit album rouge qui devait être un atlas de poche. Sauf une cicatrice qui lui barrait la tempe et disparaissait sous la masse des cheveux, c’était tel que me l’avait décrit minutieusement le grand Meaulnes, le fiancé du domaine inconnu. Il était évident qu’il avait ainsi enlevé son bandage pour être reconnu de nous. Mais à peine le grand Meaulnes avait-il fait ce mouvement et poussé ce cri, que le jeune homme rentrait dans la roulotte, après nous avoir jeté un coup d’œil d’entente et nous avoir souri, avec une vague tristesse, comme il souriait d’ordinaire. – Et l’autre ! disait Meaulnes avec fièvre, comment ne l’ai-je pas reconnu tout de suite ! C’est le pierrot de la fête, là -bas... Et il descendit les gradins pour aller vers lui. Mais déjà Ganache avait coupé toutes les communications avec la piste ; un à un il éteignait les quatre quinquets du cirque, et nous étions obligés de suivre la foule qui s’écoulait très lentement, canalisée entre les bancs parallèles, dans l’ombre où nous piétinions d’impatience. Dès qu’il fut dehors enfin, le grand Meaulnes se précipita vers la roulotte, escalada le marchepied, frappa à la porte, mais tout était clos déjà . Déjà sans doute, dans la voiture à rideaux, comme dans celle du poney, de la chèvre et des oiseaux savants, tout le monde était rentré et commençait à dormir. VIII Les gendarmes ! Il nous fallut rejoindre la troupe de messieurs et de dames qui revenaient vers le Cours Supérieur, par les rues obscures. Cette fois nous comprenions tout. Cette grande silhouette blanche que Meaulnes avait vue, le dernier soir de la fête, filer entre les arbres, c’était Ganache, qui avait recueilli le fiancé désespéré et s’était enfui avec lui. L’autre avait accepté cette existence sauvage, pleine de risques, de jeux et d’aventures. Il lui avait semblé recommencer son enfance... Frantz de Galais nous avait jusqu’ici caché son nom et il avait feint d’ignorer le chemin du Domaine, par peur sans doute d’être forcé de rentrer chez ses parents ; mais pourquoi, ce soir-là , lui avait-il plu soudain de se faire connaÃtre à nous et de nous laisser deviner la vérité tout entière ?... Que de projets le grand Meaulnes ne fit-il pas, tandis que la troupe des spectateurs s’écoulait lentement à travers le bourg. Il décida que, dès le lendemain matin, qui était un jeudi, il irait trouver Frantz. Et, tous les deux, ils partiraient pour là -bas ! Quel voyage sur la route mouillée ! Frantz expliquerait tout ; tout s’arrangerait, et la merveilleuse aventure allait reprendre là où elle s’était interrompue... Quant à moi je marchais dans l’obscurité avec un gonflement de cÅ“ur indéfinissable. Tout se mêlait pour contribuer à ma joie, depuis le faible plaisir que donnait l’attente du jeudi jusqu’à la très grande découverte que nous venions de faire, jusqu’à la très grande chance qui nous était échue. Et je me souviens que, dans ma soudaine générosité de cÅ“ur, je m’approchai de la plus laide des filles du notaire à qui l’on m’imposait parfois le supplice d’offrir mon bras, et spontanément je lui donnai la main. Amers souvenirs ! Vains espoirs écrasés ! Le lendemain, dès huit heures, lorsque nous débouchâmes tous les deux sur la place de l’église, avec nos souliers bien cirés, nos plaques de ceinturons bien astiquées et nos casquettes neuves, Meaulnes, qui jusque-là se retenait de sourire en me regardant, poussa un cri et s’élança vers la place vide... Sur l’emplacement de la baraque et des voitures, il n’y avait plus qu’un pot cassé et des chiffons. Les bohémiens étaient partis... Un petit vent qui nous parut glacé soufflait. Il me semblait qu’à chaque pas nous allions buter sur le sol caillouteux et dur de la place et que nous allions tomber. Meaulnes, affolé, fit deux fois le mouvement de s’élancer, d’abord sur la route du Vieux-Nançay, puis sur la route de Saint-Loup des Bois. Il mit sa main au-dessus de ses yeux, espérant un instant que nos gens venaient seulement de partir. Mais que faire ? Dix traces de voitures s’embrouillaient sur la place, puis s’effaçaient sur la route dure. Il fallut rester là , inertes. Et tandis que nous revenions, à travers le village où la matinée du jeudi commençait, quatre gendarmes à cheval, avertis par Delouche la veille au soir, débouchèrent au galop sur la place et s’éparpillèrent à travers les rues pour garder toutes les issues, comme des dragons qui font la reconnaissance d’un village... Mais il était trop tard. Ganache, le voleur de poulets, avait fui avec son compagnon. Les gendarmes ne retrouvèrent personne, ni lui, ni ceux-là qui chargeaient dans des voitures les chapons qu’il étranglait. Prévenu à temps par le mot imprudent de Jasmin, Frantz avait dû comprendre soudain de quel métier son compagnon et lui vivaient quand la caisse de la roulotte était vide ; plein de honte et de fureur, il avait arrêté aussitôt un itinéraire et décidé de prendre du champ avant l’arrivée des gendarmes. Mais, ne craignant plus désormais qu’on tentât de le ramener au domaine de son père, il avait voulu se montrer à nous sans bandage, avant de disparaÃtre. Un seul point resta toujours obscur comment Ganache avait-il pu à la fois dévaliser les basses-cours et quérir la bonne sÅ“ur pour la fièvre de son ami ? Mais n’était-ce pas là toute l’histoire du pauvre diable ? Voleur et chemineau d’un côté, bonne créature de l’autre... IX À la recherche du sentier perdu Comme nous rentrions, le soleil dissipait la légère brume du matin ; les ménagères sur le seuil des maisons secouaient leurs tapis ou bavardaient ; et, dans les champs et les bois, aux portes du bourg, commençait la plus radieuse matinée de printemps qui soit restée dans ma mémoire. Tous les grands élèves du cours devaient arriver vers huit heures, ce jeudi-là , pour préparer, durant la matinée, les uns le Certificat d’Études Supérieures, les autres le concours de l’École Normale. Lorsque nous arrivâmes tous les deux, Meaulnes plein d’un regret et d’une agitation qui ne lui permettaient pas de rester immobile, moi très abattu, l’école était vide... Un rayon de frais soleil glissait sur la poussière d’un banc vermoulu, et sur le vernis écaillé d’un planisphère. Comment rester là , devant un livre, à ruminer notre déception, tandis que tout nous appelait au-dehors les poursuites des oiseaux dans les branches près des fenêtres, la fuite des autres élèves vers les prés et les bois, et surtout le fiévreux désir d’essayer au plus vite l’itinéraire incomplet vérifié par le bohémien – dernière ressource de notre sac presque vide, dernière clef du trousseau, après avoir essayé toutes les autres ?... Cela était au-dessus de nos forces ! Meaulnes marchait de long en large, allait auprès des fenêtres, regardait dans le jardin, puis revenait et regardait vers le bourg, comme s’il eût attendu quelqu’un qui ne viendrait certainement pas. – J’ai l’idée, me dit-il enfin, j’ai l’idée que ce n’est peut-être pas aussi loin que nous l’imaginons... » Frantz a supprimé sur mon plan toute une portion de la route que j’avais indiquée. » Cela veut dire, peut-être, que la jument a fait, pendant mon sommeil, un long détour inutile... J’étais à moitié assis sur le coin d’une grande table, un pied par terre, l’autre ballant, l’air découragé et désÅ“uvré, la tête basse. – Pourtant, dis-je, au retour, dans la berline, ton voyage a duré toute la nuit. – Nous étions partis à minuit, répondit-il vivement. On m’a déposé à quatre heures du matin, à environ six kilomètres à l’ouest de Sainte-Agathe, tandis que j’étais parti par la route de La Gare à l’est. Il faut donc compter ces six kilomètres en moins entre Sainte-Agathe et le pays perdu. » Vraiment, il me semble qu’en sortant du bois des Communaux, on ne doit pas être à plus de deux lieues de ce que nous cherchons. – Ce sont précisément ces deux lieues-là qui manquent sur ta carte. – C’est vrai. Et la sortie du bois est bien à une lieue et demie d’ici, mais pour un bon marcheur, cela peut se faire en une matinée... À cet instant MouchebÅ“uf arriva. Il avait une tendance irritante à se faire passer pour bon élève, non pas en travaillant mieux que les autres, mais en se signalant dans des circonstances comme celle-ci. – Je savais bien, dit-il triomphant, ne trouver que vous deux. Tous les autres sont partis pour le bois des Communaux. En tête Jasmin Delouche qui connaÃt les nids. Et, voulant faire le bon apôtre, il commença à raconter tout ce qu’ils avaient dit pour narguer le Cours, M. Seurel et nous, en décidant cette expédition. – S’ils sont au bois, je les verrai sans doute en passant, dit Meaulnes, car je m’en vais aussi. Je serai de retour vers midi et demi. MouchebÅ“uf resta ébahi. – Ne viens-tu pas ? me demanda Augustin, s’arrêtant une seconde sur le seuil de la porte entrouverte – ce qui fit entrer dans la pièce grise, en une bouffée d’air tiédi par le soleil, un fouillis de cris, d’appels, de pépiements, le bruit d’un seau sur la margelle du puits et le claquement d’un fouet au loin. – Non, dis-je, bien que la tentation fût forte, je ne puis pas, à cause de M. Seurel. Mais hâte-toi. Je t’attendrai avec impatience. Il fit un geste vague et partit, très vite, plein d’espoir. Lorsque M. Seurel arriva, vers dix heures, il avait quitté sa veste d’alpaga noir, revêtu un paletot de pêcheur aux vastes poches boutonnées, un chapeau de paille et de courtes jambières vernies pour serrer le bas de son pantalon. Je crois bien qu’il ne fut guère surpris de ne trouver personne. Il ne voulut pas entendre MouchebÅ“uf qui lui répéta trois fois que les gars avaient dit – S’il a besoin de nous, qu’il vienne donc nous chercher ! Et il commanda – Serrez vos affaires, prenez vos casquettes, et nous allons les dénicher à notre tour... Pourras-tu marcher jusque-là , François ? J’affirmai que oui et nous partÃmes. Il fut entendu que MouchebÅ“uf conduirait M. Seurel et lui servirait d’appeau... C’est-à -dire que, connaissant les futaies où se trouvaient les dénicheurs, il devait de temps à autre crier à toute voix – Hop ! Holà ! Giraudat ! Delouche ! Où êtes-vous ?... Y en a-t-il ?... En avez-vous trouvé ?... Quant à moi, je fus chargé, à mon vif plaisir, de suivre la lisière est du bois, pour le cas où les écoliers fugitifs chercheraient à s’échapper de ce côté. Or, dans le plan rectifié par le bohémien et que nous avions maintes fois étudié avec Meaulnes, il semblait qu’un chemin à un trait, un chemin de terre, partÃt de cette lisière du bois pour aller dans la direction du Domaine. Si j’allais le découvrir ce matin !... Je commençai à me persuader que, avant midi, je me trouverais sur le chemin du manoir perdu... La merveilleuse promenade !... Dès que nous eûmes passé le Glacis et contourné le Moulin, je quittai mes deux compagnons, M. Seurel dont on eût dit qu’il partait en guerre – je crois bien qu’il avait mis dans sa poche un vieux pistolet – et ce traÃtre de MouchebÅ“uf. Prenant un chemin de traverse, j’arrivai bientôt à la lisière du bois, seul à travers la campagne pour la première fois de ma vie comme une patrouille que son caporal a perdue. Me voici, j’imagine, près de ce bonheur mystérieux que Meaulnes a entrevu un jour. Toute la matinée est à moi pour explorer la lisière du bois, l’endroit le plus frais et le plus caché du pays, tandis que mon grand frère aussi est parti à la découverte. C’est comme un ancien lit de ruisseau. Je passe sous les basses branches d’arbres dont je ne sais pas le nom mais qui doivent être des aulnes. J’ai sauté tout à l’heure un échalier au bout de la sente, et je me suis trouvé dans cette grande voie d’herbe verte qui coule sous les feuilles, foulant par endroits les orties, écrasant les hautes valérianes. Parfois mon pied se pose, durant quelque pas, sur un banc de sable fin. Et dans le silence, j’entends un oiseau – je m’imagine que c’est un rossignol, mais sans doute je me trompe, puisqu’ils ne chantent que le soir – un oiseau qui répète obstinément la même phrase voix de la matinée, parole dite sous l’ombrage, invitation délicieuse au voyage entre les aulnes. Invisible, entêté, il semble m’accompagner sous la feuille. Pour la première fois me voilà , moi aussi, sur le chemin de l’aventure. Ce ne sont plus des coquilles abandonnées par les eaux que je cherche, sous la direction de M. Seurel, ni des orchis que le maÃtre d’école ne connaisse pas, ni même, comme cela nous arrivait souvent dans le champ du père Martin, cette fontaine profonde et tarie, couverte d’un grillage, enfouie sous tant d’herbes folles qu’il fallait chaque fois plus de temps pour la retrouver... Je cherche quelque chose de plus mystérieux encore. C’est le passage dont il est question dans les livres, l’ancien chemin obstrué, celui dont le prince harassé de fatigue n’a pu trouver l’entrée. Cela se découvre à l’heure la plus perdue de la matinée, quand on a depuis longtemps oublié qu’il va être onze heures, midi... Et soudain, en écartant, dans le feuillage profond, les branches, avec ce geste hésitant des mains à hauteur du visage inégalement écartées, on l’aperçoit comme une longue avenue sombre dont la sortie est un rond de lumière tout petit. Mais tandis que j’espère et m’enivre ainsi, voici que brusquement je débouche dans une sorte de clairière, qui se trouve être tout simplement un pré. Je suis arrivé sans y penser à l’extrémité des Communaux, que j’avais toujours imaginée infiniment loin. Et voici à ma droite, entre des piles de bois, toute bourdonnante dans l’ombre, la maison du garde. Deux paires de bas sèchent sur l’appui de la fenêtre. Les années passées, lorsque nous arrivions à l’entrée du bois, nous disions toujours, en montrant un point de lumière tout au bout de l’immense allée noire  C’est là -bas la maison du garde ; la maison de Baladier. » Mais jamais nous n’avions poussé jusque-là . Nous entendions dire quelquefois, comme s’il se fût agi d’une expédition extraordinaire  Il a été jusqu’à la maison du garde !... » Cette fois, je suis allé jusqu’à la maison de Baladier, et je n’ai rien trouvé. Je commençais à souffrir de ma jambe fatiguée et de la chaleur que je n’avais pas sentie jusque-là ; je craignais de faire tout seul le chemin du retour, lorsque j’entendis près de moi l’appeau de M. Seurel, la voix de MouchebÅ“uf, puis d’autres voix qui m’appelaient... Il y avait là une troupe de six grands gamins, où, seul, le traÃtre MouchebÅ“uf avait l’air triomphant. C’était Giraudat, Auberger, Delage et d’autres... Grâce à l’appeau, on avait pris les uns grimpés dans un merisier isolé au milieu d’une clairière ; les autres en train de dénicher des pics-verts. Giraudat, le nigaud aux yeux bouffis, à la blouse crasseuse, avait caché les petits dans son estomac, entre sa chemise et sa peau. Deux de leurs compagnons s’étaient enfuis à l’approche de M. Seurel ce devait être Delouche et le petit Coffin. Ils avaient d’abord répondu par des plaisanteries à l’adresse de  Mouchevache ! », que répétaient les échos des bois, et celui-ci, maladroitement, se croyant sûr de son affaire, avait répondu, vexé – Vous n’avez qu’à descendre, vous savez ! M. Seurel est là ... Alors tout s’était tu subitement ; ç’avait été une fuite silencieuse à travers le bois. Et comme ils le connaissaient à fond, il ne fallait pas songer à les rejoindre. On ne savait pas non plus où le grand Meaulnes était passé. On n’avait pas entendu sa voix ; et l’on dut renoncer à poursuivre les recherches. Il était plus que midi lorsque nous reprÃmes la route de Sainte-Agathe, lentement, la tête basse, fatigués, terreux. À la sortie du bois, lorsque nous eûmes frotté et secoué la boue de nos souliers sur la route sèche, le soleil commença de frapper dur. Déjà ce n’était plus ce matin de printemps si frais et si luisant. Les bruits de l’après-midi avaient commencé. De loin en loin un coq criait, cri désolé ! dans les fermes désertes aux alentours de la route. À la descente du Glacis, nous nous arrêtâmes un instant pour causer avec des ouvriers des champs qui avaient repris leur travail après le déjeuner. Ils étaient accoudés à la barrière, et M. Seurel leur disait – De fameux galopins ! Tenez, regardez Giraudat. Il a mis les oisillons dans sa chemise. Ils ont fait là dedans ce qu’ils ont voulu. C’est du propre... Il me semblait que c’était de ma débâcle aussi que les ouvriers riaient. Ils riaient en hochant la tête, mais ils ne donnaient pas tout à fait tort aux jeunes gars qu’ils connaissaient bien. Ils nous confièrent même, lorsque M. Seurel eut repris la tête de la colonne – Il y en a un autre qui est passé, un grand, vous savez bien... Il a dû rencontrer, en revenant, la voiture des Granges, et on l’a fait monter, il est descendu, plein de terre, tout déchiré, ici, à l’entrée du chemin des Granges ! Nous lui avons dit que nous vous avions vus passer ce matin, mais que vous n’étiez pas de retour encore. Et il a continué tout doucement sa route vers Sainte-Agathe. En effet, assis sur une pile du pont des Glacis, nous attendait le grand Meaulnes, l’air brisé de fatigue. Aux questions de M. Seurel, il répondit que lui aussi était parti à la recherche des écoliers buissonniers. Et à celle que je lui posai tout bas, il dit seulement en hochant la tête avec découragement – Non ! rien ! rien qui ressemble à ça. Après déjeuner, dans la classe fermée, noire et vide, au milieu du pays radieux, il s’assit à l’une des grandes tables et, la tête dans les bras, il dormit longtemps, d’un sommeil triste et lourd. Vers le soir, après un long instant de réflexion, comme s’il venait de prendre une décision importante, il écrivit une lettre à sa mère. Et c’est tout ce que je me rappelle de cette morne fin d’un grand jour de défaite. X La lessive Nous avions escompté trop tôt la venue du printemps. Le lundi soir, nous voulûmes faire nos devoirs aussitôt après quatre heures comme en plein été, et pour y voir plus clair nous sortÃmes deux grandes tables dans la cour. Mais le temps s’assombrit tout de suite ; une goutte de pluie tomba sur un cahier ; nous rentrâmes en hâte. Et de la grande salle obscurcie, par les larges fenêtres, nous regardions silencieusement dans le ciel gris la déroute des nuages. Alors Meaulnes, qui regardait comme nous, la main sur une poignée de croisée, ne put s’empêcher de dire, comme s’il eût été fâché de sentir monter en lui tant de regret – Ah ! ils filaient autrement que cela les nuages, lorsque j’étais sur la route, dans la voiture de La Belle-Étoile. – Sur quelle route ? demanda Jasmin. Mais Meaulnes ne répondit pas. – Moi, dis-je, pour faire diversion, j’aurais aimé voyager comme cela en voiture, par la pluie battante, abrité sous un grand parapluie. – Et lire tout le long du chemin comme dans une maison, ajouta un autre. – Il ne pleuvait pas et je n’avais pas envie de lire, répondit Meaulnes, je ne pensais qu’à regarder le pays. Mais lorsque Giraudat, à son tour, demanda de quel pays il s’agissait, Meaulnes de nouveau resta muet. Et Jasmin dit – Je sais... Toujours la fameuse aventure !... Il avait dit ces mots d’un ton conciliant et important, comme s’il eût été lui-même un peu dans le secret. Ce fut peine perdue ; ses avances lui restèrent pour compte ; et comme la nuit tombait, chacun s’en fut au galop, la blouse relevée sur la tête, sous la froide averse. Jusqu’au jeudi suivant le temps resta à la pluie. Et ce jeudi-là fut plus triste encore que le précédent. Toute la campagne était baignée dans une sorte de brume glacée comme aux plus mauvais jours de l’hiver. Millie, trompée par le beau soleil de l’autre semaine, avait fait faire la lessive, mais il ne fallait pas songer à mettre sécher le linge sur les haies du jardin, ni même sur des cordes dans le grenier, tant l’air était humide et froid. En discutant avec M. Seurel, il lui vint l’idée d’étendre sa lessive dans les classes, puisque c’était jeudi, et de chauffer le poêle à blanc. Pour économiser les feux de la cuisine et de la salle à manger, on ferait cuire les repas sur le poêle et nous nous tiendrions toute la journée dans la grande salle du Cours. Au premier instant, – j’étais si jeune encore ! – je considérai cette nouveauté comme une fête. Morne fête !... Toute la chaleur du poêle était prise par la lessive et il faisait grand froid. Dans la cour, tombait interminablement et mollement une petite pluie d’hiver. C’est là pourtant que dès neuf heures du matin, dévoré d’ennui, je retrouvai le grand Meaulnes. Par les barreaux du grand portail, où nous appuyions silencieusement nos têtes, nous regardâmes, au haut du bourg, sur les Quatre-Routes, le cortège d’un enterrement venu du fond de la campagne. Le cercueil amené dans une charrette à bÅ“ufs, était déchargé sur une dalle, au pied de la grande croix où le boucher avait aperçu naguère les sentinelles du bohémien ! Où était-il maintenant, le jeune capitaine qui si bien menait l’abordage ?... Le curé et les chantres vinrent comme c’était l’usage au devant du cercueil posé là , et les tristes chants arrivaient jusqu’à nous. Ce serait là , nous le savions, le seul spectacle de la journée qui s’écoulerait tout entière comme une eau jaunie dans un caniveau. – Et maintenant, dit Meaulnes soudain, je vais préparer mon bagage. Apprends-le, Seurel j’ai écrit à ma mère jeudi dernier pour lui demander de finir mes études à Paris. C’est aujourd’hui que je pars. Il continuait à regarder vers le bourg, les mains appuyées aux barreaux, à la hauteur de sa tête. Inutile de demander si sa mère, qui était riche et lui passait toutes ses volontés, lui avait passé celle-là . Inutile aussi de demander pourquoi soudainement il désirait s’en aller à Paris !... Mais il y avait en lui, certainement, le regret et la crainte de quitter ce cher pays de Sainte-Agathe d’où il était parti pour son aventure. Quant à moi, je sentais monter une désolation violente que je n’avais pas sentie d’abord. – Pâques approche ! dit-il pour m’expliquer avec un soupir. – Dès que tu l’auras trouvé là -bas, tu m’écriras, n’est-ce pas ? demandai-je. – C’est promis, bien sûr. N’es-tu pas mon compagnon et mon frère ?... Et il me posa la main sur l’épaule. Peu à peu je comprenais que c’était bien fini, puisqu’il voulait terminer ses études à Paris ; jamais plus je n’aurais avec moi mon grand camarade. Il n’y avait d’espoir pour nous réunir qu’en cette maison de Paris où devait se retrouver la trace de l’aventure perdue... Mais de voir Meaulnes lui-même si triste, quel pauvre espoir c’était là pour moi ! Mes parents furent avertis M. Seurel se montra très étonné, mais se rendit bien vite aux raisons d’Augustin ; Millie, femme d’intérieur, se désola surtout à la pensée que la mère de Meaulnes verrait notre maison dans un désordre inaccoutumé... La malle, hélas ! fut bientôt faite. Nous cherchâmes sous l’escalier ses souliers des dimanches ; dans l’armoire, un peu de linge ; puis ses papiers et ses livres d’école – tout ce qu’un jeune homme de dix-huit ans possède au monde. À midi, Mme Meaulnes arrivait avec sa voiture. Elle déjeuna au café Daniel en compagnie d’Augustin, et l’emmena sans donner presque aucune explication, dès que le cheval fut affené et attelé. Sur le seuil, nous leur dÃmes au revoir ; et la voiture disparut au tournant des Quatre-Routes. Millie frotta ses souliers devant la porte et rentra dans la froide salle à manger remettre en ordre ce qui avait été dérangé. Quant à moi, je me trouvai, pour la première fois depuis de longs mois, seul en face d’une longue soirée de jeudi – avec l’impression que, dans cette vieille voiture, mon adolescence venait de s’en aller pour toujours. XI Je trahis... Que faire ? Le temps s’élevait un peu. On eût dit que le soleil allait se montrer. Une porte claquait dans la grande maison. Puis le silence retombait. De temps à autre mon père traversait la cour, pour remplir un seau de charbon dont il bourrait le poêle. J’apercevais les linges blancs pendus aux cordes et je n’avais aucune envie de rentrer dans le triste endroit transformé en séchoir, pour m’y trouver en tête-à -tête avec l’examen de la fin de l’année, ce concours de l’École Normale qui devait être désormais ma seule préoccupation. Chose étrange à cet ennui qui me désolait se mêlait comme une sensation de liberté. Meaulnes parti, toute cette aventure terminée et manquée, il me semblait du moins que j’étais libéré de cet étrange souci, de cette occupation mystérieuse, qui ne me permettaient plus d’agir comme tout le monde. Meaulnes parti, je n’étais plus son compagnon d’aventures, le frère de ce chasseur de pistes ; je redevenais un gamin du bourg pareil aux autres. Et cela était facile et je n’avais qu’à suivre pour cela mon inclination la plus naturelle. Le cadet des Roy passa dans la rue boueuse, faisant tourner au bout d’une ficelle, puis lâchant en l’air trois marrons attachés qui retombèrent dans la cour. Mon désÅ“uvrement était si grand que je pris plaisir à lui relancer deux ou trois fois ses marrons de l’autre côté du mur. Soudain je le vis abandonner ce jeu puéril pour courir vers un tombereau qui venait par le chemin de la Vieille-Planche. Il eut vite fait de grimper par derrière sans même que la voiture s’arrêtât. Je reconnaissais le petit tombereau de Delouche et son cheval. Jasmin conduisait ; le gros Boujardon était debout. Ils revenaient du pré. – Viens avec nous, François ! cria Jasmin, qui devait savoir déjà que Meaulnes était parti. Ma foi ! sans avertir personne, j’escaladai la voiture cahotante et me tins comme les autres, debout, appuyé contre un des montants du tombereau. Il nous conduisit chez la veuve Delouche... Nous sommes maintenant dans l’arrière-boutique, chez la bonne femme qui est en même temps épicière et aubergiste. Un rayon de soleil blanc glisse à travers la fenêtre basse sur les boÃtes en fer-blanc et sur les tonneaux de vinaigre. Le gros Boujardon s’assoit sur l’appui de la fenêtre et tourné vers nous, avec un gros rire d’homme pâteux, il mange des biscuits à la cuiller. À la portée de la main, sur un tonneau, la boÃte est ouverte et entamée. Le petit Roy pousse des cris de plaisir. Une sorte d’intimité de mauvais aloi s’est établie entre nous. Jasmin et Boujardon seront maintenant mes camarades, je le vois. Le cours de ma vie a changé tout d’un coup. Il me semble que Meaulnes est parti depuis très longtemps et que son aventure est une vieille histoire triste, mais finie. Le petit Roy a déniché sous une planche une bouteille de liqueur entamée. Delouche nous offre à chacun la goutte, mais il n’y a qu’un verre et nous buvons tous dans le même. On me sert le premier avec un peu de condescendance comme si je n’étais pas habitué à ces mÅ“urs de chasseurs et de paysans... Cela me gêne un peu. Et comme on vient à parler de Meaulnes, l’envie me prend, pour dissiper cette gêne et retrouver mon aplomb, de montrer que je connais son histoire et de la raconter un peu. En quoi cela pourrait-il lui nuire puisque tout est fini maintenant de ses aventures ici ?... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Est-ce que je raconte mal cette histoire ? Elle ne produit pas l’effet que j’attendais. Mes compagnons, en bons villageois que rien n’étonne, ne sont pas surpris pour si peu. – C’était une noce, quoi ! dit Boujardon. Delouche en a vu une, à Préveranges, qui était plus curieuse encore. Le château ? On trouverait certainement des gens du pays qui en ont entendu parler. La jeune fille ? Meaulnes se mariera avec elle quand il aura fait son année de service. – Il aurait dû, ajoute l’un d’eux, nous en parler et nous montrer son plan au lieu de confier cela à un bohémien !... Empêtré dans mon insuccès, je veux profiter de l’occasion pour exciter leur curiosité je me décide à expliquer qui était ce bohémien ; d’où il venait ; son étrange destinée... Boujardon et Delouche ne veulent rien entendre  C’est celui-là qui a tout fait. C’est lui qui a rendu Meaulnes insociable, Meaulnes qui était un si brave camarade ! C’est lui qui a organisé toutes ces sottises d’abordages et d’attaques nocturnes, après nous avoir tous embrigadés comme un bataillon scolaire... » – Tu sais, dit Jasmin, en regardant Boujardon, et en secouant la tête à petits coups, j’ai rudement bien fait de le dénoncer aux gendarmes. En voilà un qui a fait du mal au pays et qui en aurait fait encore !... Me voici presque de leur avis. Tout aurait sans doute autrement tourné si nous n’avions pas considéré l’affaire d’une façon si mystérieuse et si tragique. C’est l’influence de ce Frantz qui a tout perdu... Mais soudain, tandis que je suis absorbé dans ces réflexions, il se fait du bruit dans la boutique. Jasmin Delouche cache rapidement son flacon de goutte derrière un tonneau ; le gros Boujardon dégringole du haut de sa fenêtre, met le pied sur une bouteille vide et poussiéreuse qui roule, et manque deux fois de s’étaler. Le petit Roy les pousse par derrière, pour sortir plus vite, à demi suffoqué de rire. Sans bien comprendre ce qui se passe je m’enfuis avec eux, nous traversons la cour et nous grimpons par une échelle dans un grenier à foin. J’entends une voix de femme qui nous traite de propres-à -rien !... – Je n’aurais pas cru qu’elle serait rentrée si tôt, dit Jasmin tout bas. Je comprends, maintenant seulement, que nous étions là en fraude, à voler des gâteaux et de la liqueur. Je suis déçu comme ce naufragé qui croyait causer avec un homme et qui reconnut soudain que c’était un singe. Je ne songe plus qu’à quitter ce grenier, tant ces aventures-là me déplaisent. D’ailleurs la nuit tombe... On me fait passer par derrière, traverser deux jardins, contourner une mare ; je me retrouve dans la rue mouillée, boueuse, où se reflète la lueur du café Daniel. Je ne suis pas fier de ma soirée. Me voici aux Quatre-Routes. Malgré moi, tout d’un coup, je revois, au tournant, un visage dur et fraternel qui me sourit ; un dernier signe de la main – et la voiture disparaÃt... Un vent froid fait claquer ma blouse, pareil au vent de cet hiver qui était si tragique et si beau. Déjà tout me paraÃt moins facile. Dans la grande classe où l’on m’attend pour dÃner, de brusques courants d’air traversent la maigre tiédeur que répand le poêle. Je grelotte, tandis qu’on me reproche mon après-midi de vagabondage. Je n’ai pas même, pour rentrer dans la régulière vie passée, la consolation de prendre place à table et de retrouver mon siège habituel. On n’a pas mis la table ce soir-là ; chacun dÃne sur ses genoux, où il peut, dans la salle de classe obscure. Je mange silencieusement la galette cuite sur le poêle, qui devait être la récompense de ce jeudi passé dans l’école, et qui a brûlé sur les cercles rougis. Le soir, tout seul dans ma chambre, je me couche bien vite pour étouffer le remords que je sens monter du fond de ma tristesse. Mais par deux fois je me suis éveillé, au milieu de la nuit, croyant entendre, la première fois, le craquement du lit voisin, où Meaulnes avait coutume de se retourner brusquement d’une seule pièce, et, l’autre fois, son pas léger de chasseur aux aguets, à travers les greniers du fond... XII Les trois lettres de Meaulnes De toute ma vie je n’ai reçu que trois lettres de Meaulnes. Elles sont encore chez moi dans un tiroir de commode. Je retrouve chaque fois que je les relis la même tristesse que naguère. La première m’arriva dès le surlendemain de son départ.  Mon cher François, » Aujourd’hui, dès mon arrivée à Paris, je suis allé devant la maison indiquée. Je n’ai rien vu. Il n’y avait personne. Il n’y aura jamais personne. » La maison que disait Frantz est un petit hôtel à un étage. La chambre de Mlle de Galais doit être au premier. Les fenêtres du haut sont les plus cachées par les arbres. Mais en passant sur le trottoir on les voit très bien. Tous les rideaux sont fermés et il faudrait être fou pour espérer qu’un jour, entre ces rideaux tirés, le visage d’Yvonne de Galais puisse apparaÃtre. » C’est sur un boulevard... Il pleuvait un peu dans les arbres déjà verts. On entendait les cloches claires des tramways qui passaient indéfiniment. » Pendant près de deux heures, je me suis promené de long en large sous les fenêtres. Il y a un marchand de vins chez qui je me suis arrêté pour boire, de façon à n’être pas pris pour un bandit qui veut faire un mauvais coup. Puis j’ai repris ce guet sans espoir. » La nuit est venue. Les fenêtres se sont allumées un peu partout mais non pas dans cette maison. Il n’y a certainement personne. Et pourtant Pâques approche. » Au moment où j’allais partir, une jeune fille, ou une jeune femme – je ne sais – est venue s’asseoir sur un des bancs mouillés de pluie. Elle était vêtue de noir avec une petite collerette blanche. Lorsque je suis parti, elle était encore là , immobile malgré le froid du soir, à attendre je ne sais quoi, je ne sais qui. Tu vois que Paris est plein de fous comme moi. » Augustin » Le temps passa. Vainement j’attendis un mot d’Augustin le lundi de Pâques et durant tous les jours qui suivirent – jours où il semble, tant ils sont calmes après la grande fièvre de Pâques, qu’il n’y ait plus qu’à attendre l’été. Juin ramena le temps des examens et une terrible chaleur dont la buée suffocante planait sur le pays sans qu’un souffle de vent la vÃnt dissiper. La nuit n’apportait aucune fraÃcheur et par conséquent aucun répit à ce supplice. C’est durant cet insupportable mois de juin que je reçus la deuxième lettre du grand Meaulnes.  Juin 189... » Mon cher ami, » Cette fois tout espoir est perdu. Je le sais depuis hier soir. La douleur, que je n’avais presque pas sentie tout de suite, monte depuis ce temps. » Tous les soirs j’allais m’asseoir sur ce banc, guettant, réfléchissant, espérant malgré tout. » Hier après dÃner, la nuit était noire et étouffante. Des gens causaient sur le trottoir, sous les arbres. Au-dessus des noirs feuillages, verdis par les lumières, les appartements des seconds, des troisièmes étages étaient éclairés. Çà et là , une fenêtre que l’été avait ouverte toute grande... On voyait la lampe allumée sur la table, refoulant à peine autour d’elle la chaude obscurité de juin ; on voyait presque jusqu’au fond de la pièce... Ah ! si la fenêtre noire d’Yvonne de Galais s’était allumée aussi, j’aurais osé, je crois, monter l’escalier, frapper, entrer... » La jeune fille de qui je t’ai parlé était là encore, attendant comme moi. Je pensai qu’elle devait connaÃtre la maison et je l’interrogeai » – Je sais, a-t-elle dit, qu’autrefois, dans cette maison, une jeune fille et son frère venaient passer les vacances. Mais j’ai appris que le frère avait fui le château de ses parents sans qu’on puisse jamais le retrouver, et la jeune fille s’est mariée. C’est ce qui vous explique que l’appartement soit fermé. » Je suis parti. Au bout de dix pas mes pieds butaient sur le trottoir et je manquais tomber. La nuit – c’était la nuit dernière – lorsque enfin les enfants et les femmes se sont tus, dans les cours, pour me laisser dormir, j’ai commencé d’entendre rouler les fiacres dans la rue. Ils ne passaient que de loin en loin. Mais quand l’un était passé, malgré moi, j’attendais l’autre le grelot, les pas du cheval qui claquaient sur l’asphalte... Et cela répétait c’est la ville déserte, ton amour perdu, la nuit interminable, l’été, la fièvre... » Seurel, mon ami, je suis dans une grande détresse. » Augustin » Lettres de peu de confidence quoi qu’il paraisse, Meaulnes ne me disait ni pourquoi il était resté si longtemps silencieux, ni ce qu’il comptait faire maintenant. J’eus l’impression qu’il rompait avec moi, parce que son aventure était finie, comme il rompait avec son passé. J’eus beau lui écrire, en effet, je ne reçus plus de réponse. Un mot de félicitations seulement, lorsque j’obtins mon Brevet simple. En septembre je sus par un camarade d’école qu’il était venu en vacances chez sa mère à La Ferté-d’Angillon. Mais nous dûmes, cette année-là , invités par mon oncle Florentin du Vieux-Nançay, passer chez lui les vacances. Et Meaulnes repartit pour Paris sans que j’eusse pu le voir. À la rentrée, exactement vers la fin de novembre, tandis que je m’étais remis avec une morne ardeur à préparer le Brevet supérieur, dans l’espoir d’être nommé instituteur l’année suivante, sans passer par l’École Normale de Bourges, je reçus la dernière des trois lettres que j’aie jamais reçues d’Augustin  Je passe encore sous cette fenêtre, écrivait-il. J’attends encore, sans le moindre espoir, par folie. À la fin de ces froids dimanches d’automne, au moment où il va faire nuit, je ne puis me décider à rentrer, à fermer les volets de ma chambre, sans être retourné là -bas, dans la rue gelée. » Je suis comme cette folle de Sainte-Agathe qui sortait à chaque minute sur le pas de la porte et regardait, la main sur les yeux, du côté de La Gare, pour voir si son fils qui était mort ne venait pas. » Assis sur le banc, grelottant, misérable, je me plais à imaginer que quelqu’un va me prendre doucement par le bras... Je me retournerais. Ce serait elle.  Je me suis un peu attardée », dirait-elle simplement. Et toute peine et toute démence s’évanouissent. Nous entrons dans notre maison. Ses fourrures sont toutes glacées, sa voilette mouillée ; elle apporte avec elle le goût de brume du dehors ; et tandis qu’elle s’approche du feu, je vois ses cheveux blonds givrés, son beau profil au dessin si doux penché vers la flamme... » Hélas ! la vitre reste blanchie par le rideau qui est derrière. Et la jeune fille du domaine perdu l’ouvrirait-elle, que je n’ai maintenant plus rien à lui dire. » Notre aventure est finie. L’hiver de cette année est mort comme la tombe. Peut-être quand nous mourrons, peut-être la mort seule nous donnera la clef et la suite et la fin de cette aventure manquée. » Seurel, je te demandais l’autre jour de penser à moi. Maintenant, au contraire, il vaut mieux m’oublier. Il vaudrait mieux tout oublier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » A. M. » Et ce fut un nouvel hiver, aussi mort que le précédent avait été vivant d’une mystérieuse vie la place de l’église sans bohémiens ; la cour d’école que les gamins désertaient à quatre heures... la salle de classe où j’étudiais seul et sans goût... En février, pour la première fois de l’hiver, la neige tomba, ensevelissant définitivement notre roman d’aventures de l’an passé, brouillant toute piste, effaçant les dernières traces. Et je m’efforçai, comme Meaulnes me l’avait demandé dans sa lettre, de tout oublier. Troisième partie I La baignade Fumer la cigarette, se mettre de l’eau sucrée sur les cheveux pour qu’ils frisent, embrasser les filles du Cours Complémentaire dans les chemins et crier  À la cornette ! » derrière la haie pour narguer la religieuse qui passe, c’était la joie de tous les mauvais drôles du pays. À vingt ans, d’ailleurs, les mauvais drôles de cette espèce peuvent très bien s’amender et deviennent parfois des jeunes gens fort sensibles. Le cas est plus grave lorsque le drôle en question a la figure déjà vieillotte et fanée, lorsqu’il s’occupe des histoires louches des femmes du pays, lorsqu’il dit de Gilberte Poquelin mille bêtises pour faire rire les autres. Mais enfin le cas n’est pas encore désespéré... C’était le cas de Jasmin Delouche. Il continuait, je ne sais pourquoi, mais certainement sans aucun désir de passer les examens, à suivre le Cours Supérieur que tout le monde aurait voulu lui voir abandonner. Entre temps, il apprenait avec son oncle Dumas le métier de plâtrier. Et bientôt ce Jasmin Delouche, avec Boujardon et un autre garçon très doux, le fils de l’adjoint qui s’appelait Denis, furent les seuls grands élèves que j’aimasse à fréquenter, parce qu’ils étaient  du temps de Meaulnes ». Il y avait d’ailleurs, chez Delouche, un désir très sincère d’être mon ami. Pour tout dire, lui qui avait été l’ennemi du grand Meaulnes, il eût voulu devenir le grand Meaulnes de l’école tout au moins regrettait-il peut-être de n’avoir pas été son lieutenant. Moins lourd que Boujardon, il avait senti, je pense, tout ce que Meaulnes avait apporté, dans notre vie, d’extraordinaire. Et souvent je l’entendais répéter  Il le disait bien, le grand Meaulnes... » ou encore  Ah ! disait le grand Meaulnes... » Outre que Jasmin était plus homme que nous, le vieux petit gars disposait de trésors d’amusements qui consacraient sur nous sa supériorité un chien de race mêlée, aux longs poils blancs, qui répondait au nom agaçant de Bécali et rapportait les pierres qu’on lançait au loin, sans avoir d’aptitude bien nette pour aucun autre sport ; une vieille bicyclette achetée d’occasion et sur quoi Jasmin nous faisait quelquefois monter, le soir après le cours, mais avec laquelle il préférait exercer les filles du pays ; enfin et surtout un âne blanc et aveugle qui pouvait s’atteler à tous les véhicules. C’était l’âne de Dumas, mais il le prêtait à Jasmin quand nous allions nous baigner au Cher, en été. Sa mère, à cette occasion, donnait une bouteille de limonade que nous mettions sous le siège, parmi les caleçons de bains desséchés. Et nous partions, huit ou dix grands élèves du cours, accompagnés de M. Seurel, les uns à pied, les autres grimpés dans la voiture à âne, qu’on laissait à la ferme de Grand’Fons, au moment où le chemin du Cher devenait trop raviné. J’ai lieu de me rappeler jusqu’en ses moindres détails une promenade de ce genre, où l’âne de Jasmin conduisit au Cher nos caleçons, nos bagages, la limonade et M. Seurel, tandis que nous suivions à pied par derrière. On était au mois d’août. Nous venions de passer les examens. Délivrés de ce souci, il nous semblait que tout l’été, tout le bonheur nous appartenaient, et nous marchions sur la route en chantant, sans savoir quoi ni pourquoi, au début d’un bel après-midi de jeudi. Il n’y eut, à l’aller, qu’une ombre à ce tableau innocent. Nous aperçûmes, marchant devant nous, Gilberte Poquelin. Elle avait la taille bien prise, une jupe demi-longue, des souliers hauts, l’air doux et effronté d’une gamine qui devient jeune fille. Elle quitta la route et prit un chemin détourné, pour aller chercher du lait sans doute. Le petit Coffin proposa aussitôt à Jasmin de la suivre. – Ce ne serait pas la première fois que j’irais l’embrasser... dit l’autre. Et il se mit à raconter sur elle et ses amies plusieurs histoires grivoises, tandis que toute la troupe, par fanfaronnade, s’engageait dans le chemin, laissant M. Seurel continuer en avant, sur la route, dans la voiture à âne. Une fois là , pourtant, la bande commença à s’égrener. Delouche lui-même paraissait peu soucieux de s’attaquer devant nous à la gamine qui filait, et il ne l’approcha pas à plus de cinquante mètres. Il y eut quelques cris de coqs et de poules, des petits coups de sifflets galants, puis nous rebroussâmes chemin, un peu mal à l’aise, abandonnant la partie. Sur la route, en plein soleil, il fallut courir. Nous ne chantions plus. Nous nous déshabillâmes et rhabillâmes dans les saulaies arides qui bordent le Cher. Les saules nous abritaient des regards, mais non pas du soleil. Les pieds dans le sable et la vase desséchée, nous ne pensions qu’à la bouteille de limonade de la veuve Delouche, qui fraÃchissait dans la fontaine de Grand’Fons, une fontaine creusée dans la rive même du Cher. Il y avait toujours, dans le fond, des herbes glauques et deux ou trois bêtes pareilles à des cloportes ; mais l’eau était si claire, si transparente, que les pêcheurs n’hésitaient pas à s’agenouiller, les deux mains sur chaque bord, pour y boire. Hélas ! ce fut ce jour-là comme les autres fois... Lorsque, tous habillés, nous nous mettions en rond, les jambes croisées en tailleur, pour nous partager, dans deux gros verres sans pied, la limonade rafraÃchie, il ne revenait guère à chacun, lorsqu’on avait prié M. Seurel de prendre sa part, qu’un peu de mousse qui piquait le gosier et ne faisait qu’irriter la soif. Alors, à tour de rôle, nous allions à la fontaine que nous avions d’abord méprisée, et nous approchions lentement le visage de la surface de l’eau pure. Mais tous n’étaient pas habitués à ces mÅ“urs d’hommes des champs. Beaucoup, comme moi, n’arrivaient pas à se désaltérer les uns, parce qu’ils n’aimaient pas l’eau, d’autres, parce qu’ils avaient le gosier serré par la peur d’avaler un cloporte, d’autres, trompés par la grande transparence de l’eau immobile et n’en sachant pas calculer exactement la surface, s’y baignaient la moitié du visage en même temps que la bouche et aspiraient âcrement par le nez une eau qui leur semblait brûlante, d’autres enfin pour toutes ces raisons à la fois... N’importe ! il nous semblait, sur ces bords arides du Cher, que toute la fraÃcheur terrestre était enclose en ce lieu. Et maintenant encore, au seul mot de fontaine, prononcé n’importe où, c’est à celle-là , pendant longtemps, que je pense. Le retour se fit à la brune, avec insouciance d’abord, comme l’aller. Le chemin de Grand’Fons, qui remontait vers la route, était un ruisseau l’hiver et, l’été, un ravin impraticable, coupé de trous et de grosses racines, qui montait dans l’ombre entre de grandes haies d’arbres. Une partie des baigneurs s’y engagea par jeu. Mais nous suivÃmes, avec M. Seurel, Jasmin et plusieurs camarades, un sentier doux et sablonneux, parallèle à celui-là , qui longeait la terre voisine. Nous entendions causer et rire les autres, près de nous, au-dessous de nous, invisibles dans l’ombre, tandis que Delouche racontait ses histoires d’homme... Au faÃte des arbres de la grande haie grésillaient les insectes du soir qu’on voyait, sur le clair du ciel, remuer tout autour de la dentelle des feuillages. Parfois il en dégringolait un, brusquement, dont le bourdonnement grinçait tout à coup. Beau soir d’été calme !... Retour, sans espoir mais sans désir, d’une pauvre partie de campagne... Ce fut encore Jasmin, sans le vouloir, qui vint troubler cette quiétude... Au moment où nous arrivions au sommet de la côte, à l’endroit où il reste deux grosses vieilles pierres qu’on dit être les vestiges d’un château fort, il en vint à parler des domaines qu’il avait visités et spécialement d’un domaine à demi abandonné aux environs du Vieux-Nançay le domaine des Sablonnières. Avec cet accent de l’Allier qui arrondit vaniteusement certains mots et abrège avec préciosité les autres, il racontait avoir vu quelques années auparavant, dans la chapelle en ruine de cette vieille propriété, une pierre tombale sur laquelle étaient gravés ces mots Ci-gÃt le chevalier Galois Fidèle à son Dieu, à son Roi, à sa Belle. – Ah ! bah ! tiens ! disait M. Seurel, avec un léger haussement d’épaules, un peu gêné du ton que prenait la conversation, mais désireux cependant de nous laisser parler comme des hommes. Alors Jasmin continua de décrire ce château, comme s’il y avait passé sa vie. Plusieurs fois, en revenant du Vieux-Nançay, Dumas et lui avaient été intrigués par la vieille tourelle grise qu’on apercevait au-dessus des sapins. Il y avait là , au milieu des bois, tout un dédale de bâtiments ruinés que l’on pouvait visiter en l’absence des maÃtres. Un jour, un garde de l’endroit, qu’ils avaient fait monter dans leur voiture, les avait conduits dans le domaine étrange. Mais depuis lors on avait fait tout abattre ; il ne restait plus guère, disait-on, que la ferme et une petite maison de plaisance. Les habitants étaient toujours les mêmes un vieil officier retraité, demi-ruiné, et sa fille. Il parlait... Il parlait... J’écoutais attentivement, sentant sans m’en rendre compte qu’il s’agissait là d’une chose bien connue de moi, lorsque soudain, tout simplement, comme se font les choses extraordinaires, Jasmin se tourna vers moi et, me touchant le bras, frappé d’une idée qui ne lui était jamais venue – Tiens, mais, j’y pense, dit-il, c’est là que Meaulnes – tu sais, le grand Meaulnes ? – avait dû aller. » Mais oui, ajouta-t-il, car je ne répondais pas, et je me rappelle que le garde parlait du fils de la maison, un excentrique, qui avait des idées extraordinaires... Je ne l’écoutais plus, persuadé dès le début qu’il avait deviné juste et que devant moi, loin de Meaulnes, loin de tout espoir, venait de s’ouvrir, net et facile comme une route familière, le chemin du Domaine sans nom. II Chez Florentin Autant j’avais été un enfant malheureux et rêveur et fermé, autant je devins résolu et, comme on dit chez nous,  décidé », lorsque je sentis que dépendait de moi l’issue de cette grave aventure. Ce fut, je crois bien, à dater de ce soir-là que mon genou cessa définitivement de me faire mal. Au Vieux-Nançay, qui était la commune du domaine des Sablonnières, habitait toute la famille de M. Seurel et en particulier mon oncle Florentin, un commerçant chez qui nous passions quelquefois la fin de septembre. Libéré de tout examen, je ne voulus pas attendre et j’obtins d’aller immédiatement voir mon oncle. Mais je décidai de ne rien faire savoir à Meaulnes aussi longtemps que je ne serais pas certain de pouvoir lui annoncer quelque bonne nouvelle. À quoi bon en effet l’arracher à son désespoir pour l’y replonger ensuite plus profondément peut-être ? Le Vieux-Nançay fut pendant très longtemps le lieu du monde que je préférais, le pays des fins de vacances, où nous n’allions que bien rarement, lorsqu’il se trouvait une voiture à louer pour nous y conduire. Il y avait eu, jadis, quelque brouille avec la branche de la famille qui habitait là -bas, et c’est pourquoi sans doute Millie se faisait tant prier chaque fois pour monter en voiture. Mais moi, je me souciais bien de ces fâcheries !... Et sitôt arrivé, je me perdais et m’ébattais parmi les oncles, les cousines et les cousins, dans une existence faite de mille occupations amusantes et de plaisirs qui me ravissaient. Nous descendions chez l’oncle Florentin et la tante Julie, qui avaient un garçon de mon âge, le cousin Firmin, et huit filles, dont les aÃnées, Marie-Louise, Charlotte, pouvaient avoir dix-sept et quinze ans. Ils tenaient un très grand magasin à l’une des entrées de ce bourg de Sologne, devant l’église – un magasin universel, auquel s’approvisionnaient tous les châtelains-chasseurs de la région, isolés dans la contrée perdue, à trente kilomètres de toute gare. Ce magasin, avec ses comptoirs d’épicerie et de rouennerie, donnait par de nombreuses fenêtres sur la route et par la porte vitrée sur la grande place de l’église. Mais, chose étrange, quoique assez ordinaire dans ce pays pauvre, la terre battue dans tout la boutique tenait lieu de plancher. Par derrière, c’étaient six chambres, chacune remplie d’une seule et même marchandise la chambre aux chapeaux, la chambre au jardinage, la chambre aux lampes... que sais-je ? Il me semblait, lorsque j’étais enfant et que je traversais ce dédale d’objets de bazar, que je n’en épuiserais jamais du regard toutes les merveilles. Et, à cette époque encore, je trouvais qu’il n’y avait de vraies vacances que passées en ce lieu. La famille vivait dans une grande cuisine dont la porte s’ouvrait sur le magasin – cuisine où brillaient aux fins de septembre de grandes flambées de cheminée, où les chasseurs et les braconniers qui vendaient du gibier à Florentin venaient de grand matin se faire servir à boire, tandis que les petites filles, déjà levées, couraient, criaient, se passaient les unes aux autres du  sent-y-bon » sur leurs cheveux lissés. Aux murs, de vieilles photographies, de vieux groupes scolaires jaunis montraient mon père – on mettait longtemps à le reconnaÃtre en uniforme – au milieu de ses camarades d’École Normale... C’est, là que se passaient nos matinées ; et aussi dans la cour où Florentin faisait pousser des dahlias et élevait des pintades ; où l’on torréfiait le café, assis sur des boÃtes à savon ; où nous déballions des caisses remplies d’objets divers précieusement enveloppés et dont nous ne savions pas toujours le nom... Toute la journée, le magasin était envahi par des paysans ou par les cochers des châteaux voisins. À la porte vitrée s’arrêtaient et s’égouttaient, dans le brouillard de septembre, des charrettes, venues du fond de la campagne. Et de la cuisine nous écoutions ce que disaient les paysannes, curieux de toutes leurs histoires... Mais le soir, après huit heures, lorsque avec des lanternes on portait le foin aux chevaux dont la peau fumait dans l’écurie – tout le magasin nous appartenait ! Marie-Louise, qui était l’aÃnée de mes cousines, mais une des plus petites, achevait de plier et de ranger les piles de drap dans la boutique ; elle nous encourageait à venir la distraire. Alors, Firmin et moi avec toutes les filles, nous faisions irruption dans la grande boutique, sous les lampes d’auberge, tournant les moulins à café, faisant des tours de force sur les comptoirs ; et parfois Firmin allait chercher dans les greniers, car la terre battue invitait à la danse, quelque vieux trombone plein de vert-de-gris... Je rougis encore à l’idée que, les années précédentes, Mlle de Galais eût pu venir à cette heure et nous surprendre au milieu de ces enfantillages... Mais ce fut un peu avant la tombée de la nuit, un soir de ce mois d’août, tandis que je causais tranquillement avec Marie-Louise et Firmin, que je la vis pour la première fois... Dès le soir de mon arrivée au Vieux-Nançay, j’avais interrogé mon oncle Florentin sur le domaine des Sablonnières. – Ce n’est plus un domaine, avait-il dit. On a tout vendu, et les acquéreurs, des chasseurs, ont fait abattre les vieux bâtiments pour agrandir leurs terrains de chasse ; la cour d’honneur n’est plus maintenant qu’une lande de bruyères et d’ajoncs. Les anciens possesseurs n’ont gardé qu’une petite maison d’un étage et la ferme. Tu auras bien l’occasion de voir ici Mlle de Galais ; c’est elle-même qui vient faire ses provisions, tantôt en selle, tantôt en voiture, mais toujours avec le même cheval, le vieux Bélisaire... C’est un drôle d’équipage ! J’étais si troublé que je ne savais plus quelle question poser pour en apprendre davantage. – Ils étaient riches, pourtant ? – Oui. M. de Galais donnait des fêtes pour amuser son fils, un garçon étrange, plein d’idées extraordinaires. Pour le distraire, il imaginait ce qu’il pouvait. On faisait venir des Parisiennes... des gars de Paris et d’ailleurs... » Toutes les Sablonnières étaient en ruine, Mme de Galais près de sa fin, qu’ils cherchaient encore à l’amuser et lui passaient toutes ses fantaisies. C’est l’hiver dernier – non, l’autre hiver, qu’ils ont fait leur plus grande fête costumée. Ils avaient invité moitié gens de Paris et moitié gens de campagne. Ils avaient acheté ou loué des quantités d’habits merveilleux, des jeux, des chevaux, des bateaux. Toujours pour amuser Frantz de Galais. On disait qu’il allait se marier et qu’on fêtait là ses fiançailles. Mais il était bien trop jeune. Et tout a cassé d’un coup ; il s’est sauvé ; on ne l’a jamais revu... La châtelaine morte, Mlle de Galais est restée soudain toute seule avec son père, le vieux capitaine de vaisseau. – N’est-elle pas mariée ? demandai-je enfin. – Non, dit-il, je n’ai entendu parler de rien. Serais-tu un prétendant ? Tout déconcerté, je lui avouai aussi brièvement, aussi discrètement que possible, que mon meilleur ami, Augustin Meaulnes, peut-être, en serait un. – Ah ! dit Florentin, en souriant, s’il ne tient pas à la fortune, c’est un joli parti... Faudra-t-il que j’en parle à M. de Galais ? Il vient encore quelquefois jusqu’ici chercher du petit plomb pour la chasse. Je lui fais toujours goûter ma vieille eau-de-vie de marc. Mais je le priai bien vite de n’en rien faire, d’attendre. Et moi-même je ne me hâtai pas de prévenir Meaulnes. Tant d’heureuses chances accumulées m’inquiétaient un peu. Et cette inquiétude me commandait de ne rien annoncer à Meaulnes que je n’eusse au moins vu la jeune fille. Je n’attendis pas longtemps. Le lendemain, un peu avant le dÃner, la nuit commençait à tomber ; une brume fraÃche, plutôt de septembre que d’août, descendait avec la nuit. Firmin et moi, pressentant le magasin vide d’acheteurs un instant, nous étions venus voir Marie-Louise et Charlotte. Je leur avais confié le secret qui m’amenait au Vieux-Nançay à cette date prématurée. Accoudés sur le comptoir ou assis les deux mains à plat sur le bois ciré, nous nous racontions mutuellement ce que nous savions de la mystérieuse jeune fille – et cela se réduisait à fort peu de chose – lorsqu’un bruit de roues nous fit tourner la tête. – La voici, c’est elle, dirent-ils à voix basse. Quelques secondes après, devant la porte vitrée, s’arrêtait l’étrange équipage. Une vieille voiture de ferme, aux panneaux arrondis, avec de petites galeries moulées, comme nous n’en avions jamais vu dans cette contrée ; un vieux cheval blanc qui semblait toujours vouloir brouter quelque herbe sur la route, tant il baissait la tête pour marcher ; et sur le siège – je le dis dans la simplicité de mon cÅ“ur, mais sachant bien ce que je dis – la jeune fille la plus belle qu’il y ait peut-être jamais eu au monde. Jamais je ne vis tant de grâce s’unir à tant de gravité. Son costume lui faisait la taille si mince qu’elle semblait fragile. Un grand manteau marron, qu’elle enleva en entrant, était jeté sur ses épaules, C’était la plus grave des jeunes filles, la plus frêle des femmes. Une lourde chevelure blonde pesait sur son front et sur son visage, délicatement dessiné, finement modelé. Sur son teint très pur, l’été avait posé deux taches de rousseur... Je ne remarquai qu’un défaut à tant de beauté aux moments de tristesse, de découragement ou seulement de réflexion profonde, ce visage si pur se marbrait légèrement de rouge, comme il arrive chez certains malades gravement atteints sans qu’on le sache. Alors toute l’admiration de celui qui la regardait faisait place à une sorte de pitié d’autant plus déchirante qu’elle surprenait davantage. Voilà du moins ce que je découvrais, tandis qu’elle descendait lentement de voiture et qu’enfin Marie-Louise, me présentant avec aisance à la jeune fille, m’engageait à lui parler. On lui avança une chaise cirée et elle s’assit, adossée au comptoir, tandis que nous restions debout. Elle paraissait bien connaÃtre et aimer le magasin. Ma tante Julie, aussitôt prévenue, arriva, et le temps qu’elle parla, sagement, les mains croisées sur son ventre, hochant doucement sa tête de paysanne-commerçante coiffée d’un bonnet blanc, retarda le moment – qui me faisait trembler un peu – où la conversation s’engagerait avec moi... Ce fut très simple. – Ainsi, dit Mlle de Galais, vous serez bientôt instituteur ? Ma tante allumait au-dessus de nos têtes la lampe de porcelaine qui éclairait faiblement le magasin. Je voyais le doux visage enfantin de la jeune fille, ses yeux bleus si ingénus, et j’étais d’autant plus surpris de sa voix si nette, si sérieuse. Lorsqu’elle cessait de parler, ses yeux se fixaient ailleurs, ne bougeaient plus en attendant la réponse, et elle tenait sa lèvre un peu mordue. – J’enseignerais, moi aussi, dit-elle, si M. de Galais voulait ! J’enseignerais les petits garçons, comme votre mère... Et elle sourit, montrant ainsi que mes cousins lui avaient parlé de moi. – C’est, continua-t-elle, que les villageois sont toujours avec moi polis, doux et serviables. Et je les aime beaucoup. Mais aussi quel mérite ai-je à les aimer ?... » Tandis qu’avec l’institutrice, ils sont, n’est-ce pas ? chicaniers et avares. Il y a sans cesse des histoires de porte-plume perdus, de cahiers trop chers ou d’enfants qui n’apprennent pas... Eh bien, je me débattrais avec eux et ils m’aimeraient tout de même. Ce serait beaucoup plus difficile... Et, sans sourire, elle reprit sa pose songeuse et enfantine, son regard bleu, immobile. Nous étions gênés tous les trois par cette aisance à parler des choses délicates, de ce qui est secret, subtil, et dont on ne parle bien que dans les livres. Il y eut un instant de silence ; et lentement une discussion s’engagea... Mais avec une sorte de regret et d’animosité contre je ne sais quoi de mystérieux dans sa vie, la jeune demoiselle poursuivit – Et puis j’apprendrais aux garçons à être sages, d’une sagesse que je sais. Je ne leur donnerais pas le désir de courir le monde, comme vous le ferez sans doute, M. Seurel, quand vous serez sous-maÃtre. Je leur enseignerais à trouver le bonheur qui est tout près d’eux et qui n’en a pas l’air... Marie-Louise et Firmin étaient interdits comme moi. Nous restions sans mot dire. Elle sentit notre gêne et s’arrêta, se mordit la lèvre, baissa la tête et puis elle sourit comme si elle se moquait de nous – Ainsi, dit-elle, il y a peut-être quelque grand jeune homme fou qui me cherche au bout du monde, pendant que je suis ici dans le magasin de Mme Florentin, sous cette lampe, et que mon vieux cheval m’attend à la porte. Si ce jeune homme me voyait, il ne voudrait pas y croire, sans doute ?... De la voir sourire, l’audace me prit et je sentis qu’il était temps de dire, en riant aussi – Et peut-être que ce grand jeune homme fou, je le connais, moi ? Elle me regarda vivement. À ce moment le timbre de la porte sonna, deux bonnes femmes entrèrent avec des paniers – Venez dans la  salle à manger », vous serez en paix, nous dit ma tante en poussant la porte de la cuisine. Et comme Mlle de Galais refusait et voulait partir aussitôt, ma tante ajouta – Monsieur de Galais est ici et cause avec Florentin, auprès du feu. Il y avait toujours, même au mois d’août, dans la grande cuisine, un éternel fagot de sapins qui flambait et craquait. Là aussi une lampe de porcelaine était allumée et un vieillard au doux visage, creusé et rasé, presque toujours silencieux comme un homme accablé par l’âge et les souvenirs, était assis auprès de Florentin devant deux verres de marc. Florentin salua – François ! cria-t-il de sa forte voix de marchand forain, comme s’il y avait eu entre nous une rivière ou plusieurs hectares de terrain, je viens d’organiser un après-midi de plaisir au bord du Cher pour jeudi prochain. Les uns chasseront, les autres pêcheront, les autres danseront, les autres se baigneront !... Mademoiselle, vous viendrez à cheval ; c’est entendu avec monsieur de Galais. J’ai tout arrangé... » Et, François ! ajouta-t-il comme s’il y eût seulement pensé, tu pourras amener ton ami, monsieur Meaulnes... C’est bien Meaulnes qu’il s’appelle ? Mlle de Galais s’était levée, soudain devenue très pâle. Et, à ce moment précis, je me rappelai que Meaulnes, autrefois, dans le domaine singulier, près de l’étang, lui avait dit son nom... Lorsqu’elle me tendit la main, pour partir, il y avait entre nous, plus clairement que si nous avions dit beaucoup de paroles, une entente secrète que la mort seule devait briser et une amitié plus pathétique qu’un grand amour. ... À quatre heures, le lendemain matin, Firmin frappait à la porte de la petite chambre que j’habitais dans la cour aux pintades. Il faisait nuit encore et j’eus grand-peine à retrouver mes affaires sur la table encombrée de chandeliers de cuivre et de statuettes de bons saints toutes neuves, choisies au magasin pour meubler mon logis la veille de mon arrivée. Dans la cour, j’entendais Firmin gonfler ma bicyclette, et ma tante dans la cuisine souffler le feu. Le soleil se levait à peine lorsque je partis. Mais ma journée devait être longue j’allais d’abord déjeuner à Sainte-Agathe pour expliquer mon absence prolongée et, poursuivant ma course, je devais arriver avant le soir à La Ferté d’Angillon, chez mon ami Augustin Meaulnes. III Une apparition Je n’avais jamais fait de longue course à bicyclette. Celle-ci était la première. Mais, depuis longtemps, malgré mon mauvais genou, en cachette, Jasmin m’avait appris à monter. Si déjà pour un jeune homme ordinaire la bicyclette est un instrument bien amusant, que ne devait-elle pas sembler à un pauvre garçon comme moi, qui naguère encore traÃnais misérablement la jambe, trempé de sueur, dès le quatrième kilomètre !... Du haut des côtes, descendre et s’enfoncer dans le creux des paysages ; découvrir comme à coups d’ailes les lointains de la route qui s’écartent et fleurissent à votre approche, traverser un village dans l’espace d’un instant et l’emporter tout entier d’un coup d’œil... En rêve seulement j’avais connu jusque-là course aussi charmante, aussi légère. Les côtes même me trouvaient plein d’entrain. Car c’était, il faut le dire, le chemin du pays de Meaulnes que je buvais ainsi...  Un peu avant l’entrée du bourg, me disait Meaulnes, lorsque jadis il décrivait son village, on voit une grande roue à palettes que le vent fait tourner... » Il ne savait pas à quoi elle servait, ou peut-être feignait-il de n’en rien savoir pour piquer ma curiosité davantage. C’est seulement au déclin de cette journée de fin d’août que j’aperçus, tournant au vent dans une immense prairie, la grande roue qui devait monter l’eau pour une métairie voisine. Derrière les peupliers du pré se découvraient déjà les premiers faubourgs. À mesure que je suivais le grand détour que faisait la route pour contourner le ruisseau, le paysage s’épanouissait et s’ouvrait... Arrivé sur le pont, je découvris enfin la grand-rue du village. Des vaches paissaient, cachées dans les roseaux de la prairie et j’entendais leurs cloches, tandis que, descendu de bicyclette, les deux mains sur mon guidon, je regardais le pays où j’allais porter une si grave nouvelle. Les maisons, où l’on entrait en passant sur un petit pont de bois, étaient toutes alignées au bord d’un fossé qui descendait la rue, comme autant de barques, voiles carguées, amarrées dans le calme du soir. C’était l’heure où dans chaque cuisine on allume un feu. Alors la crainte et je ne sais quel obscur regret de venir troubler tant de paix commencèrent à m’enlever tout courage. À point pour aggraver ma soudaine faiblesse, je me rappelai que la tante Moinel habitait là , sur une petite place de La Ferté-d’Angillon. C’était une de mes grand-tantes. Tous ses enfants étaient morts et j’avais bien connu Ernest, le dernier de tous, un grand garçon qui allait être instituteur. Mon grand-oncle Moinel, le vieux greffier, l’avait suivi de près. Et ma tante était restée toute seule dans sa bizarre petite maison où les tapis étaient faits d’échantillons cousus, les tables couvertes de coqs, de poules et de chats en papier – mais où les murs étaient tapissés de vieux diplômes, de portraits de défunts, de médaillons en boucles de cheveux morts. Avec tant de regrets et de deuil, elle était la bizarrerie et la bonne humeur mêmes. Lorsque j’eus découvert la petite place où se tenait sa maison, je l’appelai bien fort par la porte entrouverte, et je l’entendis tout au bout des trois pièces en enfilade pousser un petit cri suraigu – Eh là ! Mon Dieu ! Elle renversa son café dans le feu – à cette heure-là comment pouvait-elle faire du café ? – et elle apparut... Très cambrée en arrière, elle portait une sorte de chapeau-capote-capeline sur le faÃte de la tête, tout en haut de son front immense et cabossé où il y avait de la femme mongole et de la hottentote ; et elle riait à petits coups, montrant le reste de ses dents très fines. Mais tandis que je l’embrassais, elle me prit maladroitement, hâtivement, une main que j’avais derrière le dos. Avec un mystère parfaitement inutile puisque nous étions tous les deux seuls, elle me glissa une petite pièce que je n’osai pas regarder et qui devait être de un franc... Puis comme je faisais mine de demander des explications ou de la remercier, elle me donna une bourrade en criant – Va donc ! Ah ! je sais bien ce que c’est ! Elle avait toujours été pauvre, toujours empruntant, toujours dépensant. – J’ai toujours été bête et toujours malheureuse, disait-elle sans amertume mais de sa voix de fausset. Persuadée que les sous me préoccupaient comme elle, la brave femme n’attendait pas que j’eusse soufflé pour me cacher dans la main ses très minces économies de la journée. Et par la suite c’est toujours ainsi qu’elle m’accueillit. Le dÃner fut aussi étrange – à la fois triste et bizarre – que l’avait été la réception. Toujours une bougie à portée de la main, tantôt elle l’enlevait, me laissant dans l’ombre, et tantôt la posait sur la petite table couverte de plats et de vases ébréchés ou fendus. – Celui-là , disait-elle, les Prussiens lui ont cassé les anses, en soixante-dix, parce qu’ils ne pouvaient pas l’emporter. Je me rappelai seulement alors, en revoyant ce grand vase à la tragique histoire, que nous avions dÃné et couché là jadis. Mon père m’emmenait dans l’Yonne, chez un spécialiste qui devait guérir mon genou. Il fallait prendre un grand express qui passait avant le jour... Je me souvins du triste dÃner de jadis, de toutes les histoires du vieux greffier accoudé devant sa bouteille de boisson rose. Et je me souvenais aussi de mes terreurs... Après le dÃner, assise devant le feu, ma grand-tante avait pris mon père à part pour lui raconter une histoire de revenants  Je me retourne... Ah ! mon pauvre Louis, qu’est-ce que je vois, une petite femme grise... » Elle passait pour avoir la tête farcie de ces sornettes terrifiantes. Et voici que ce soir-là , le dÃner fini, lorsque, fatigué par la bicyclette, je fus couché dans la grande chambre avec une chemise de nuit à carreaux de l’oncle Moinel, elle vint s’asseoir à mon chevet et commença de sa voix la plus mystérieuse et la plus pointue – Mon pauvre François, il faut que je te raconte à toi ce que je n’ai jamais dit à personne... Je pensai – Mon affaire est bonne, me voilà terrorisé pour toute la nuit, comme il y a dix ans !... Et j’écoutai. Elle hochait la tête, regardant droit devant soi comme si elle se fût raconté l’histoire à elle-même – Je revenais d’une fête avec Moinel. C’était le premier mariage où nous allions tous les deux, depuis la mort de notre pauvre Ernest ; et j’y avais rencontré ma sÅ“ur Adèle que je n’avais pas vue depuis quatre ans ! Un vieil ami de Moinel, très riche, l’avait invité à la noce de son fils, au domaine des Sablonnières. Nous avions loué une voiture. Cela nous avait coûté bien cher. Nous revenions sur la route vers sept heures du matin, en plein hiver. Le soleil se levait. Il n’y avait absolument personne. Qu’est-ce que je vois tout d’un coup devant nous, sur la route ? Un petit homme, un petit jeune homme arrêté, beau comme le jour, qui ne bougeait pas, qui nous regardait venir. À mesure que nous approchions, nous distinguions sa jolie figure, si blanche, si jolie que cela faisait peur !... » Je prends le bras de Moinel ; je tremblais comme la feuille ; je croyais que c’était le Bon Dieu !... Je lui dis » – Regarde ! C’est une apparition ! » Il me répond tout bas, furieux » – Je l’ai bien vu ! Tais-toi donc, vieille bavarde... » Il ne savait que faire ; lorsque le cheval s’est arrêté... De près, cela avait une figure pâle, le front en sueur, un béret sale et un pantalon long. Nous entendÃmes sa voix douce, qui disait » – Je ne suis pas un homme, je suis une jeune fille. Je me suis sauvée et je n’en puis plus. Voulez-vous bien me prendre dans votre voiture, monsieur et madame ? » Aussitôt nous l’avons fait monter. À peine assise, elle a perdu connaissance. Et devines-tu à qui nous avions affaire ? C’était la fiancée du jeune homme des Sablonnières, Frantz de Galais, chez qui nous étions invités aux noces ! – Mais il n’y a pas eu de noces, dis-je, puisque la fiancée s’est sauvée ! – Eh bien, non, fit-elle toute penaude en me regardant. Il n’y a pas eu de noces. Puisque cette pauvre folle s’était mis dans la tête mille folies qu’elle nous a expliquées. C’était une des filles d’un pauvre tisserand. Elle était persuadée que tant de bonheur était impossible ; que le jeune homme était trop jeune pour elle ; que toutes les merveilles qu’il lui décrivait étaient imaginaires, et lorsque enfin Frantz est venu la chercher, Valentine a pris peur. Il se promenait avec elle et sa sÅ“ur dans le Jardin de l’Archevêché à Bourges, malgré le froid et le grand vent. Le jeune homme, par délicatesse certainement et parce qu’il aimait la cadette, était plein d’attentions pour l’aÃnée. Alors ma folle s’est imaginé je ne sais quoi ; elle a dit qu’elle allait chercher un fichu à la maison ; et là , pour être sûre de n’être pas suivie, elle a revêtu des habits d’homme et s’est enfuie à pied sur la route de Paris. » Son fiancé a reçu d’elle une lettre où elle lui déclarait qu’elle allait rejoindre un jeune homme qu’elle aimait. Et ce n’était pas vrai... » – Je suis plus heureuse de mon sacrifice, me disait-elle, que si j’étais sa femme. » Oui, mon imbécile, mais en attendant, il n’avait pas du tout l’idée d’épouser sa sÅ“ur ; il s’est tiré une balle de pistolet ; on a vu le sang dans le bois ; mais on n’a jamais retrouvé son corps. – Et qu’avez-vous fait de cette malheureuse fille ? – Nous lui avons fait boire une goutte, d’abord. Puis nous lui avons donné à manger et elle a dormi auprès du feu quand nous avons été de retour. Elle est restée chez nous une bonne partie de l’hiver. Tout le jour, tant qu’il faisait clair, elle taillait, cousait des robes, arrangeait des chapeaux et nettoyait la maison avec rage. C’est elle qui a recollé toute la tapisserie que tu vois là . Et depuis son passage les hirondelles nichent dehors. Mais, le soir, à la tombée de la nuit, son ouvrage fini, elle trouvait toujours un prétexte pour aller dans la cour, dans le jardin, ou sur le devant de la porte, même quand il gelait à pierre fendre. Et on la découvrait là , debout, pleurant de tout son cÅ“ur. » – Eh bien, qu’avez-vous encore ? Voyons ! » – Rien, madame Moinel ! » Et elle rentrait. » Les voisins disaient » – Vous avez trouvé une bien jolie petite bonne, madame Moinel. » Malgré nos supplications, elle a voulu continuer son chemin sur Paris, au mois de mars ; je lui ai donné des robes qu’elle a retaillées, Moinel lui a pris son billet à la gare et donné un peu d’argent. » Elle ne nous a pas oubliés ; elle est couturière à Paris auprès de Notre-Dame ; elle nous écrit encore pour nous demander si nous ne savons rien des Sablonnières. Une bonne fois, pour la délivrer de cette idée, je lui ai répondu que le domaine était vendu, abattu, le jeune homme disparu pour toujours et la jeune fille mariée. Tout cela doit être vrai, je pense. Depuis ce temps ma Valentine écrit bien moins souvent... Ce n’était pas une histoire de revenants que racontait la tante Moinel de sa petite voix stridente si bien faite pour les raconter. J’étais cependant au comble du malaise. C’est que nous avions juré à Frantz le bohémien de le servir comme des frères et voici que l’occasion m’en était donnée... Or, était-ce le moment de gâter la joie que j’allais porter à Meaulnes le lendemain matin, et de lui dire ce que je venais d’apprendre ? À quoi bon le lancer dans une entreprise mille fois impossible ? Nous avions en effet l’adresse de la jeune fille ; mais où chercher le bohémien qui courait le monde ?... Laissons les fous avec les fous, pensai-je. Delouche et Boujardon n’avaient pas tort. Que de mal nous a fait ce Frantz romanesque ! Et je résolus de ne rien dire tant que je n’aurais pas vu mariés Augustin Meaulnes et Mlle de Galais. Cette résolution prise, il me restait encore l’impression pénible d’un mauvais présage – impression absurde que je chassai bien vite. La chandelle était presque au bout ; un moustique vibrait ; mais la tante Moinel, la tête penchée sous sa capote de velours qu’elle ne quittait que pour dormir, les coudes appuyés sur ses genoux, recommençait son histoire... Par moments, elle relevait brusquement la tête et me regardait pour connaÃtre mes impressions, ou peut-être pour voir si je ne m’endormais pas. À la fin, sournoisement, la tête sur l’oreiller, je fermai les yeux, faisant semblant de m’assoupir. – Allons ! tu dors... fit-elle d’un ton plus sourd et un peu déçu. J’eus pitié d’elle et je protestai – Mais non, ma tante, je vous assure... – Mais si ! dit-elle. Je comprends bien d’ailleurs que tout cela ne t’intéresse guère. Je te parle là de gens que tu n’as pas connus... Et lâchement, cette fois, je ne répondis pas. IV La grande nouvelle Il faisait, le lendemain matin, quand j’arrivai dans la grand-rue, un si beau temps de vacances, un si grand calme, et sur tout le bourg passaient des bruits si paisibles, si familiers, que j’avais retrouvé toute la joyeuse assurance d’un porteur de bonne nouvelle... Augustin et sa mère habitaient l’ancienne maison d’école. À la mort de son père, retraité depuis longtemps, et qu’un héritage avait enrichi, Meaulnes avait voulu qu’on achetât l’école où le vieil instituteur avait enseigné pendant vingt années, où lui-même avait appris à lire. Non pas qu’elle fût d’aspect fort aimable c’était une grosse maison carrée comme une mairie qu’elle avait été ; les fenêtres du rez-de-chaussée qui donnaient sur la rue étaient si hautes que personne n’y regardait jamais ; et la cour de derrière, où il n’y avait pas un arbre et dont un haut préau barrait la vue sur la campagne, était bien la plus sèche et la plus désolée cour d’école abandonnée que j’aie jamais vue... Dans le couloir compliqué où s’ouvraient quatre portes, je trouvai la mère de Meaulnes rapportant du jardin un gros paquet de linge, qu’elle avait dû mettre sécher dès la première heure de cette longue matinée de vacances. Ses cheveux gris étaient à demi défaits ; des mèches lui battaient la figure ; son visage régulier sous sa coiffure ancienne était bouffi et fatigué, comme par une nuit de veille ; et elle baissait tristement la tête d’un air songeur. Mais, m’apercevant soudain, elle me reconnut et sourit – Vous arrivez à temps, dit-elle. Voyez, je rentre le linge que j’ai fait sécher pour le départ d’Augustin. J’ai passé la nuit à régler ses comptes et à préparer ses affaires. Le train part à cinq heures, mais nous arriverons à tout apprêter... On eût dit, tant elle montrait d’assurance, qu’elle-même avait pris cette décision. Or, sans doute ignorait-elle même où Meaulnes devait aller. – Montez, dit-elle, vous le trouverez dans la mairie en train d’écrire. En hâte je grimpai l’escalier, ouvris la porte de droite où l’on avait laissé l’écriteau Mairie, et me trouvai dans une grande salle à quatre fenêtres, deux sur le bourg, deux sur la campagne, ornée aux murs des portraits jaunis des présidents Grévy et Carnot. Sur une longue estrade qui tenait tout le fond de la salle, il y avait encore, devant une table à tapis vert, les chaises des conseillers municipaux. Au centre, assis sur un vieux fauteuil qui était celui du maire, Meaulnes écrivait, trempant sa plume au fond d’un encrier de faïence démodé, en forme de cÅ“ur. Dans ce lieu qui semblait fait pour quelque rentier de village, Meaulnes se retirait, quand il ne battait pas la contrée, durant les longues vacances... Il se leva, dès qu’il m’eut reconnu, mais non pas avec la précipitation que j’avais imaginée – Seurel ! dit-il seulement, d’un air de profond étonnement. C’était, le même grand gars au visage osseux, à la tête rasée. Une moustache inculte commençait à lui traÃner sur les lèvres. Toujours ce même regard loyal... Mais sur l’ardeur des années passées on croyait voir comme un voile de brume, que par instants sa grande passion de jadis dissipait... Il paraissait très troublé de me voir. D’un bond j’étais monté sur l’estrade. Mais, chose étrange à dire, il ne songea pas même à me tendre la main. Il s’était tourné vers moi, les mains derrière le dos, appuyé contre la table, renversé en arrière, et l’air profondément gêné. Déjà , me regardant sans me voir, il était absorbé par ce qu’il allait me dire. Comme autrefois et comme toujours, homme lent à commencer de parler, ainsi que sont les solitaires, les chasseurs et les hommes d’aventures, il avait pris une décision sans se soucier des mots qu’il faudrait pour l’expliquer. Et maintenant que j’étais devant lui, il commençait seulement à ruminer péniblement les paroles nécessaires. Cependant, je lui racontais avec gaieté comment j’étais venu, où j’avais passé la nuit et que j’avais été bien surpris de voir Mme Meaulnes préparer le départ de son fils... – Ah ! elle t’a dit ?... demanda-t-il. – Oui. Ce n’est pas, je pense, pour un long voyage ? – Si, un très long voyage. Un instant décontenancé, sentant que j’allais tout à l’heure, d’un mot, réduire à néant cette décision que je ne comprenais pas, je n’osais plus rien dire et ne savais par où commencer ma mission. Mais lui-même parla enfin, comme quelqu’un qui veut se justifier. – Seurel ! dit-il, tu sais ce qu’était pour moi mon étrange aventure de Sainte-Agathe. C’était ma raison de vivre et d’avoir de l’espoir. Cet espoir-là perdu, que pouvais-je devenir ?... Comment vivre à la façon de tout le monde ! » Eh bien j’ai essayé de vivre là -bas, à Paris, quand j’ai vu que tout était fini et qu’il ne valait plus même la peine de chercher le Domaine perdu... Mais un homme qui a fait une fois un bond dans le paradis, comment pourrait-il s’accommoder ensuite de la vie de tout le monde ? Ce qui est le bonheur des autres m’a paru dérision. Et lorsque, sincèrement, délibérément, j’ai décidé un jour de faire comme les autres, ce jour-là j’ai amassé du remords pour longtemps... » Assis sur une chaise de l’estrade, la tête basse, l’écoutant sans le regarder, je ne savais que penser de ces explications obscures – Enfin, dis-je, Meaulnes, explique-toi mieux ! Pourquoi ce long voyage ? As-tu quelque faute à réparer ? Une promesse à tenir ? – Eh bien, oui, répondit-il. Tu te souviens de cette promesse que j’avais faite à Frantz ?... – Ah ! fis-je, soulagé il ne s’agit que de cela. – De cela. Et peut-être aussi d’une faute à réparer. Les deux en même temps... Suivit un moment de silence pendant lequel je décidai de commencer à parler et préparai mes mots. – Il n’y a qu’une explication à laquelle je crois, dit-il encore. Certes, j’aurais voulu revoir une fois Mlle de Galais, seulement la revoir... Mais, j’en suis persuadé maintenant, lorsque j’avais découvert le Domaine sans nom, j’étais à une hauteur, à un degré de perfection et de pureté que je n’atteindrai jamais plus. Dans la mort seulement, comme je te l’écrivais un jour, je retrouverai peut-être la beauté de ce temps-là ... Il changea de ton pour reprendre avec une animation étrange, en se rapprochant de moi – Mais, écoute, Seurel ! Cette intrigue nouvelle et ce grand voyage, cette faute que j’ai commise et qu’il faut réparer, c’est, en un sens, mon ancienne aventure qui se poursuit... Un temps, pendant lequel péniblement il essaya de ressaisir ses souvenirs. J’avais manqué l’occasion précédente. Je ne voulais pour rien au monde laisser passer celle-ci ; et, cette fois, je parlai – trop vite, car je regrettai amèrement plus tard, de n’avoir pas attendu ses aveux. Je prononçai donc ma phrase, qui était préparée pour l’instant d’avant, mais qui n’allait plus maintenant. Je dis, sans un geste, à peine en soulevant un peu la tête – Et si je venais t’annoncer que tout espoir n’est pas perdu ?... Il me regarda, puis, détournant brusquement les yeux, rougit comme je n’ai jamais vu quelqu’un rougir une montée de sang qui devait lui cogner à grands coups dans les tempes... – Que veux-tu dire ? demanda-t-il enfin, à peine distinctement. Alors, tout d’un trait, je racontai ce que je savais, ce que j’avais fait, et comment, la face des choses ayant tourné, il semblait presque que ce fût Yvonne de Galais qui m’envoyât vers lui. Il était maintenant affreusement pâle. Durant tout ce récit, qu’il écoutait en silence, la tête un peu rentrée, dans l’attitude de quelqu’un qu’on a surpris et qui ne sait comment se défendre, se cacher ou s’enfuir, il ne m’interrompit, je me rappelle, qu’une seule fois. Je lui racontais, en passant, que toutes les Sablonnières avaient été démolies et que le Domaine d’autrefois n’existait plus – Ah ! dit-il, tu vois... comme s’il eût guetté une occasion de justifier sa conduite et le désespoir où il avait sombré tu vois il n’y a plus rien... Pour terminer, persuadé qu’enfin l’assurance de tant de facilité emporterait le reste de sa peine, je lui racontai qu’une partie de campagne était organisée par mon oncle Florentin, que Mlle de Galais devait y venir à cheval et que lui-même était invité... Mais il paraissait complètement désemparé et continuait à ne rien répondre. – Il faut tout de suite décommander ton voyage, dis-je avec impatience. Allons avertir ta mère... Et comme nous descendions tous les deux – Cette partie de campagne ?... me demanda-t-il avec hésitation. Alors, vraiment, il faut que j’y aille ?... – Mais, voyons, répliquai-je, cela ne se demande pas. Il avait l’air de quelqu’un qu’on pousse par les épaules. En bas, Augustin avertit Mme Meaulnes que je déjeunerais avec eux, dÃnerais, coucherais là et que, le lendemain, lui-même louerait une bicyclette et me suivrait au Vieux-Nançay. – Ah ! très bien, fit-elle, en hochant la tête, comme si ces nouvelles eussent confirmé toutes ses prévisions. Je m’assis dans la petite salle à manger, sous les calendriers illustrés, les poignards ornementés et les outres soudanaises qu’un frère de M. Meaulnes, ancien soldat d’infanterie de marine, avait rapportés de ses lointains voyages. Augustin me laissa là un instant, avant le repas, et, dans la chambre voisine, où sa mère avait préparé ses bagages, je l’entendis qui lui disait, en baissant un peu la voix, de ne pas défaire sa malle, – car son voyage pouvait être seulement retardé... V La partie de plaisir J’eus peine à suivre Augustin sur la route du Vieux-Nançay. Il allait comme un coureur de bicyclette. Il ne descendait pas aux côtes. À son inexplicable hésitation de la veille avaient succédé une fièvre, une nervosité, un désir d’arriver au plus vite, qui ne laissaient pas de m’effrayer un peu. Chez mon oncle il montra la même impatience, il parut incapable de s’intéresser à rien jusqu’au moment où nous fûmes tous installés en voiture, vers dix heures, le lendemain matin, et prêts à partir pour les bords de la rivière. On était à la fin du mois d’août, au déclin de l’été. Déjà les fourreaux vides des châtaigniers jaunis commençaient à joncher les routes blanches. Le trajet n’était pas long ; la ferme des Aubiers, près du Cher où nous allions, ne se trouvait guère qu’à deux kilomètres au-delà des Sablonnières. De loin en loin, nous rencontrions d’autres invités en voiture, et même des jeunes gens à cheval, que Florentin avait conviés audacieusement au nom de M. de Galais... On s’était efforcé comme jadis de mêler riches et pauvres, châtelains et paysans. C’est ainsi que nous vÃmes arriver à bicyclette Jasmin Delouche, qui, grâce au garde Baladier, avait fait naguère la connaissance de mon oncle. – Et voilà , dit Meaulnes en l’apercevant, celui qui tenait la clef de tout, pendant que nous cherchions jusqu’à Paris. C’est à désespérer ! Chaque fois qu’il le regardait sa rancune en était augmentée. L’autre, qui s’imaginait au contraire avoir droit à toute notre reconnaissance, escorta notre voiture de très près, jusqu’au bout. On voyait qu’il avait fait, misérablement, sans grand résultat, des frais de toilette, et les pans de sa jaquette élimée battaient le garde-crotte de son vélocipède... Malgré la contrainte qu’il s’imposait pour être aimable, sa figure vieillotte ne parvenait pas à plaire. Il m’inspirait plutôt à moi une vague pitié. Mais de qui n’aurais-je pas eu pitié durant cette journée-là ?... Je ne me rappelle jamais cette partie de plaisir sans un obscur regret, comme une sorte d’étouffement. Je m’étais fait de ce jour tant de joie à l’avance. Tout paraissait si parfaitement concerté pour que nous soyons heureux. Et nous l’avons été si peu !... Que les bords du Cher étaient beaux, pourtant ! Sur la rive où l’on s’arrêta, le coteau venait finir en pente douce et la terre se divisait en petits prés verts, en saulaies séparées par des clôtures, comme autant de jardins minuscules. De l’autre côté de la rivière les bords étaient formés de collines grises, abruptes, rocheuses ; et sur les plus lointaines on découvrait, parmi les sapins, de petits châteaux romantiques avec une tourelle. Au loin, par instants, on entendait aboyer la meute du château de Préveranges. Nous étions arrivés en ce lieu par un dédale de petits chemins, tantôt hérissés de cailloux blancs, tantôt remplis de sable – chemins qu’aux abords de la rivière les sources vives transformaient en ruisseaux. Au passage, les branches des groseilliers sauvages nous agrippaient par la manche. Et tantôt nous étions plongés dans la fraÃche obscurité des fonds de ravins, tantôt au contraire, les haies interrompues, nous baignions dans la claire lumière de toute la vallée. Au loin sur l’autre rive, quand nous approchâmes, un homme accroché aux rocs, d’un geste lent, tendait des cordes à poissons. Qu’il faisait beau, mon Dieu ! Nous nous installâmes sur une pelouse, dans le retrait que formait un taillis de bouleaux. C’était une grande pelouse rase, où il semblait qu’il y eût place pour des jeux sans fin. Les voitures furent dételées ; les chevaux conduits à la ferme des Aubiers. On commença à déballer les provisions dans le bois, et à dresser sur la prairie de petites tables pliantes que mon oncle avait apportées. Il fallut, à ce moment, des gens de bonne volonté, pour aller à l’entrée du grand chemin voisin guetter les derniers arrivants et leur indiquer où nous étions. Je m’offris aussitôt ; Meaulnes me suivit, et nous allâmes nous poster près du pont suspendu, au carrefour de plusieurs sentiers et du chemin qui venait des Sablonnières. Marchant de long en large, parlant du passé, tâchant tant bien que mal de nous distraire, nous attendions. Il arriva encore une voiture du Vieux-Nançay, des paysans inconnus avec une grande fille enrubannée. Puis plus rien. Si, trois enfants dans une voiture à âne, les enfants de l’ancien jardinier des Sablonnières. – Il me semble que je les reconnais, dit Meaulnes. Ce sont eux, je crois bien, qui m’ont pris par la main, jadis, le premier soir de la fête, et m’ont conduit au dÃner... Mais à ce moment, l’âne ne voulant plus marcher, les enfants descendirent pour le piquer, le tirer, cogner sur lui tant qu’ils purent ; alors Meaulnes, déçu, prétendit s’être trompé... Je leur demandai s’ils avaient rencontré sur la route M. et Mlle de Galais. L’un d’eux répondit qu’il ne savait pas ; l’autre  Je pense que oui, monsieur. » Et nous ne fûmes pas plus avancés. Ils descendirent enfin vers la pelouse, les uns tirant l’ânon par la bride, les autres poussant derrière la voiture. Nous reprÃmes notre attente. Meaulnes regardait fixement le détour du chemin des Sablonnières, guettant avec une sorte d’effroi la venue de la jeune fille qu’il avait tant cherchée jadis. Un énervement bizarre et presque comique, qu’il passait sur Jasmin, s’était emparé de lui. Du petit talus où nous étions grimpés pour voir au loin le chemin, nous apercevions sur la pelouse, en contrebas, un groupe d’invités où Delouche essayait de faire bonne figure – Regarde-le pérorer, cet imbécile, me disait Meaulnes. Et je lui répondais – Mais laisse-le. Il fait ce qu’il peut, le pauvre garçon. Augustin ne désarmait pas. Là -bas, un lièvre ou un écureuil avait dû déboucher d’un fourré. Jasmin, pour assurer sa contenance, fit mine de le poursuivre – Allons, bon ! Il court, maintenant... fit Meaulnes, comme si vraiment cette audace-là dépassait toutes les autres ! Et cette fois je ne pus m’empêcher de rire. Meaulnes aussi ; mais ce ne fut qu’un éclair. Après un nouveau quart d’heure – Si elle ne venait pas ?... dit-il. Je répondis – Mais puisqu’elle a promis. Sois donc plus patient ! Il recommença de guetter. Mais à la fin, incapable de supporter plus longtemps cette attente intolérable – Écoute-moi, dit-il. Je redescends avec les autres. Je ne sais ce qu’il y a maintenant contre moi mais si je reste là , je sens qu’elle ne viendra jamais – qu’il est impossible qu’au bout de ce chemin, tout à l’heure, elle apparaisse. Et il s’en alla vers la pelouse, me laissant tout seul. Je fis quelque cent mètres sur la petite route, pour passer le temps. Et au premier détour j’aperçus Yvonne de Galais, montée en amazone sur son vieux cheval blanc, si fringant ce matin-là qu’elle était obligée de tirer sur les rênes pour l’empêcher de trotter. À la tête du cheval, péniblement, en silence, marchait M. de Galais. Sans doute ils avaient dû se relayer sur la route, chacun à tour de rôle se servant de la vieille monture. Quand la jeune fille me vit tout seul, elle sourit, sauta prestement à terre, et confiant les rênes à son père se dirigea vers moi qui accourais – Je suis bien heureuse, dit-elle, de vous trouver seul. Car je ne veux montrer à personne qu’à vous le vieux Bélisaire, ni le mettre avec les autres chevaux. Il est trop laid et trop vieux d’abord ; puis je crains toujours qu’il ne soit blessé par un autre. Or, je n’ose monter que lui, et, quand il sera mort, je n’irai plus à cheval. Chez Mlle de Galais, comme chez Meaulnes, je sentais sous cette animation charmante, sous cette grâce en apparence si paisible, de l’impatience et presque de l’anxiété. Elle parlait plus vite qu’à l’ordinaire. Malgré ses joues et ses pommettes roses, il y avait autour de ses yeux, à son front, par endroits, une pâleur violente où se lisait tout son trouble. Nous convÃnmes d’attacher Bélisaire à un arbre dans un petit bois, proche de la route. Le vieux M. de Galais, sans mot dire comme toujours, sortit le licol des fontes et attacha la bête – un peu bas à ce qu’il me sembla. De la ferme je promis d’envoyer tout à l’heure du foin, de l’avoine, de la paille... Et Mlle de Galais arriva sur la pelouse comme jadis, je l’imagine, elle descendit vers la berge du lac, lorsque Meaulnes l’aperçut pour la première fois. Donnant le bras à son père, écartant de sa main gauche le pan du grand manteau léger qui l’enveloppait, elle s’avançait vers les invités, de son air à la fois si sérieux et si enfantin. Je marchais auprès d’elle. Tous les invités éparpillés ou jouant au loin s’étaient dressés et rassemblés pour l’accueillir ; il y eut un bref instant de silence pendant lequel chacun la regarda s’approcher. Meaulnes s’était mêlé au groupe des jeunes hommes et rien ne pouvait le distinguer de ses compagnons, sinon sa haute taille encore y avait-il là des jeunes gens presque aussi grands que lui. Il ne fit rien qui pût le désigner à l’attention, pas un geste ni un pas en avant. Je le voyais, vêtu de gris, immobile, regardant fixement, comme tous les autres, la si belle jeune fille qui venait. À la fin, pourtant, d’un mouvement inconscient et gêné, il avait passé sa main sur sa tête nue, comme pour cacher, au milieu de ses compagnons aux cheveux bien peignés, sa rude tête rasée de paysan. Puis le groupe entoura Mlle de Galais. On lui présenta les jeunes filles et les jeunes gens qu’elle ne connaissait pas... Le tour allait venir de mon compagnon ; et je me sentais aussi anxieux qu’il pouvait l’être. Je me disposais à faire moi-même cette présentation. Mais avant que j’eusse pu rien dire, la jeune fille s’avançait vers lui avec une décision et une gravité surprenantes – Je reconnais Augustin Meaulnes, dit-elle. Et elle lui tendit la main. VI La partie de plaisir fin De nouveaux venus s’approchèrent presque aussitôt pour saluer Yvonne de Galais, et les deux jeunes gens se trouvèrent séparés. Un malheureux hasard voulut qu’ils ne fussent point réunis pour le déjeuner à la même petite table. Mais Meaulnes semblait avoir repris confiance et courage. À plusieurs reprises, comme je me trouvais isolé entre Delouche et M. de Galais, je vis de loin mon compagnon qui me faisait, de la main, un signe d’amitié. C’est vers la fin de la soirée seulement, lorsque les jeux, la baignade, les conversations, les promenades en bateau dans l’étang voisin se furent un peu partout organisés, que Meaulnes, de nouveau, se trouva en présence de la jeune fille. Nous étions à causer avec Delouche, assis sur des chaises de jardin que nous avions apportées lorsque, quittant délibérément un groupe de jeunes gens où elle paraissait s’ennuyer, Mlle de Galais s’approcha de nous. Elle nous demanda, je me rappelle, pourquoi nous ne canotions pas sur le lac des Aubiers, comme les autres. – Nous avons fait quelques tours cet après-midi, répondis-je. Mais cela est bien monotone et nous avons été vite fatigués. – Eh bien ! pourquoi n’iriez-vous pas sur la rivière, dit-elle. – Le courant est trop fort, nous risquerions d’être emportés. – Il nous faudrait, dit Meaulnes, un canot à pétrole ou un bateau à vapeur comme celui d’autrefois. – Nous ne l’avons plus, dit-elle presque à voix basse, nous l’avons vendu. Et il se fit un silence gêné. Jasmin en profita pour annoncer qu’il allait rejoindre M. de Galais. – Je saurai bien, dit-il, où le retrouver. Bizarrerie du hasard ! Ces deux êtres si parfaitement dissemblables s’étaient plu et depuis le matin ne se quittaient guère. M. de Galais m’avait pris à part un instant, au début de la soirée, pour me dire que j’avais là un ami plein de tact, de déférence et de qualités. Peut-être même avait-il été jusqu’à lui confier le secret de l’existence de Bélisaire et le lieu de sa cachette. Je pensai moi aussi à m’éloigner, mais je sentais les deux jeunes gens si gênés, si anxieux l’un en face de l’autre, que je jugeai prudent de ne pas le faire... Tant de discrétion de la part de Jasmin, tant de précaution de la mienne servirent à peu de chose. Ils parlèrent. Mais invariablement, avec un entêtement dont il ne se rendait certainement pas compte, Meaulnes en revenait à toutes les merveilles de jadis. Et chaque fois la jeune fille au supplice devait lui répéter que tout était disparu la vieille demeure si étrange et si compliquée, abattue ; le grand étang, asséché, comblé ; et dispersés, les enfants aux charmants costumes... – Ah ! faisait simplement Meaulnes avec désespoir et comme si chacune de ces disparitions lui eût donné raison contre la jeune fille ou contre moi... Nous marchions côte à côte... Vainement j’essayais de faire diversion à la tristesse qui nous gagnait tous les trois. D’une question abrupte, Meaulnes, de nouveau, cédait à son idée fixe. Il demandait des renseignements sur tout ce qu’il avait vu autrefois les petites filles, le conducteur de la vieille berline, les poneys de la course.  ... Les poneys sont vendus aussi ? Il n’y a plus de chevaux au Domaine ?... » Elle répondit qu’il n’y en avait plus. Elle ne parla pas de Bélisaire. Alors il évoqua les objets de sa chambre les candélabres, la grande glace, le vieux luth brisé... Il s’enquérait de tout cela, avec une passion insolite, comme s’il eût voulu se persuader que rien ne subsistait de sa belle aventure, que la jeune fille ne lui rapporterait pas une épave capable de prouver qu’ils n’avaient pas rêvé tous les deux, comme le plongeur rapporte du fond de l’eau un caillou et des algues... Mlle de Galais et moi, nous ne pûmes nous empêcher de sourire tristement elle se décida à lui expliquer – Vous ne reverrez pas le beau château que nous avions arrangé, M. de Galais et moi, pour le pauvre Frantz. » Nous passions notre vie à faire ce qu’il demandait. C’était un être si étrange, si charmant ! Mais tout a disparu avec lui le soir de ses fiançailles manquées. » Déjà M. de Galais était ruiné sans que nous le sachions. Frantz avait fait des dettes et ses anciens camarades – apprenant sa disparition... ont aussitôt réclamé auprès de nous. Nous sommes devenus pauvres ; Mme de Galais est morte et nous avons perdu tous nos amis en quelques jours. » Que Frantz revienne, s’il n’est pas mort. Qu’il retrouve ses amis et sa fiancée ; que la noce interrompue se fasse et peut-être tout redeviendra-t-il comme c’était autrefois. Mais le passé peut-il renaÃtre ? – Qui sait ! dit Meaulnes, pensif. Et il ne demanda plus rien. Sur l’herbe courte et légèrement jaunie déjà , nous marchions tous les trois sans bruit Augustin avait à sa droite près de lui la jeune fille qu’il avait crue perdue pour toujours. Lorsqu’il posait une de ces dures questions, elle tournait vers lui lentement, pour lui répondre, son charmant visage inquiet ; et une fois, en lui parlant, elle avait posé doucement sa main sur son bras, d’un geste plein de confiance et de faiblesse. Pourquoi le grand Meaulnes était-il là comme un étranger, comme quelqu’un qui n’a pas trouvé ce qu’il cherchait et que rien d’autre ne peut intéresser ? Ce bonheur-là , trois ans plus tôt, il n’eût pu le supporter sans effroi, sans folie, peut-être. D’où venait donc ce vide, cet éloignement, cette impuissance à être heureux, qu’il y avait en lui, à cette heure ? Nous approchions du petit bois où le matin M. de Galais avait attaché Bélisaire ; le soleil vers son déclin allongeait nos ombres sur l’herbe ; à l’autre bout de la pelouse, nous entendions, assourdis par l’éloignement, comme un bourdonnement heureux, les voix des joueurs et des fillettes, et nous restions silencieux dans ce calme admirable, lorsque nous entendÃmes chanter de l’autre côté du bois, dans la direction des Aubiers, la ferme du bord de l’eau. C’était la voix jeune et lointaine de quelqu’un qui mène ses bêtes à l’abreuvoir, un air rythmé comme un air de danse, mais que l’homme étirait et alanguissait comme une vieille balade triste Mes souliers sont rouges... Adieu, mes amours... Mes souliers sont rouges... Adieu, sans retour !... Meaulnes avait levé la tête et écoutait. Ce n’était rien qu’un de ces airs que chantaient les paysans attardés, au Domaine sans nom, le dernier soir de la fête, quand déjà tout s’était écroulé... Rien qu’un souvenir – le plus misérable – de ces beaux jours qui ne reviendraient plus. – Mais vous l’entendez ? dit Meaulnes à mi-voix. Oh ! je vais aller voir qui c’est. Et, tout de suite, il s’engagea dans le petit bois. Presque aussitôt la voix se tut ; on entendit encore une seconde l’homme siffler ses bêtes en s’éloignant ; puis plus rien... Je regardai la jeune fille. Pensive et accablée, elle avait les yeux fixés sur le taillis où Meaulnes venait de disparaÃtre. Que de fois, plus tard, elle devait regarder ainsi, pensivement, le passage par où s’en irait à jamais le grand Meaulnes ! Elle se retourna vers moi – Il n’est pas heureux, dit-elle douloureusement. Elle ajouta – Et peut-être que je ne puis rien faire pour lui ?... J’hésitais à répondre, craignant que Meaulnes, qui, devait d’un saut avoir gagné la ferme et qui maintenant revenait par le bois, ne surprÃt notre conversation. Mais j’allais l’encourager cependant ; lui dire de ne pas craindre de brusquer le grand gars ; qu’un secret sans doute le désespérait et que jamais de lui-même il ne se confierait à elle ni à personne – lorsque soudain, de l’autre côté du bois, partit un cri ; puis nous entendÃmes un piétinement comme d’un cheval qui pétarade et le bruit d’une dispute à voix entrecoupées... Je compris tout de suite qu’il était arrivé un accident au vieux Bélisaire et je courus vers l’endroit d’où venait tout le tapage. Mlle de Galais me suivit de loin. Du fond de la pelouse on avait dû remarquer notre mouvement, car j’entendis, au moment où j’entrai dans le taillis, les cris des gens qui accouraient. Le vieux Bélisaire, attaché trop bas, s’était pris une patte de devant dans sa longe ; il n’avait pas bougé jusqu’au moment où M. de Galais et Delouche, au cours de leur promenade, s’étaient approchés de lui ; effrayé, excité par l’avoine insolite qu’on lui avait donnée, il s’était débattu furieusement ; les deux hommes avaient essayé de le délivrer, mais si maladroitement qu’ils avaient réussi à l’empêtrer davantage, tout en risquant d’essuyer de dangereux coups de sabots. C’est à ce moment que par hasard Meaulnes, revenant des Aubiers, était tombé sur le groupe. Furieux de tant de gaucherie, il avait bousculé les deux hommes au risque de les envoyer rouler dans le buisson. Avec précaution mais en un tour de main il avait délivré Bélisaire. Trop tard, car le mal était déjà fait ; le cheval devait avoir un nerf foulé, quelque chose de brisé peut-être, car il se tenait piteusement la tête basse, sa selle à demi dessanglée sur le dos, une patte repliée sous son ventre et toute tremblante. Meaulnes, penché, le tâtait et l’examinait sans rien dire. Lorsqu’il releva la tête, presque tout le monde était là , rassemblé, mais il ne vit personne. Il était fâché rouge. – Je me demande, cria-t-il, qui a bien pu l’attacher de la sorte ! Et lui laisser sa selle sur le dos toute la journée ? Et qui a eu l’audace de seller ce vieux cheval, bon tout au plus pour une carriole. Delouche voulut dire quelque chose – tout prendre sur lui. – Tais-toi donc ! C’est ta faute encore. Je t’ai vu tirer bêtement sur sa longe pour le dégager. Et se baissant de nouveau, il se remit à frotter le jarret du cheval avec le plat de la main. de Galais, qui n’avait rien dit encore, eut le tort de vouloir sortir de sa réserve. Il bégaya – Les officiers de marine ont l’habitude... Mon cheval... – Ah ! il est à vous ? dit Meaulnes un peu calmé, très rouge, en tournant la tête de côté vers le vieillard. Je crus qu’il allait changer de ton, faire des excuses. Il souffla un instant. Et je vis alors qu’il prenait un plaisir amer et désespéré à aggraver la situation, à tout briser à jamais, en disant avec insolence – Eh bien je ne vous fais pas mon compliment. Quelqu’un suggéra – Peut-être que de l’eau fraÃche... En le baignant dans le gué... – Il faut, dit Meaulnes sans répondre, emmener tout de suite ce vieux cheval, pendant qu’il peut encore marcher, – et il n’y a pas de temps à perdre ! – le mettre à l’écurie et ne jamais plus l’en sortir. Plusieurs jeunes gens s’offrirent aussitôt. Mais Mlle de Galais les remercia vivement. Le visage en feu, prête à fondre en larmes, elle dit au revoir à tout le monde, et même à Meaulnes décontenancé, qui n’osa pas la regarder. Elle prit la bête par les rênes, comme on donne à quelqu’un la main, plutôt pour s’approcher d’elle davantage que pour la conduire... Le vent de cette fin d’été était si tiède sur le chemin des Sablonnières qu’on se serait cru au mois de mai, et les feuilles des haies tremblaient à la brise du sud... Nous la vÃmes partir ainsi, son bras à demi sorti du manteau, tenant dans sa main étroite la grosse rêne de cuir. Son père marchait péniblement à côté d’elle... Triste fin de soirée ! Peu à peu, chacun ramassa ses paquets, ses couverts ; on plia les chaises, on démonta les tables ; une à une, les voitures chargées de bagages et de gens partirent, avec des chapeaux levés et des mouchoirs agités. Les derniers nous restâmes sur le terrain avec mon oncle Florentin, qui ruminait comme nous, sans rien dire, ses regrets et sa grosse déception. Nous aussi, nous partÃmes, emportés vivement, dans notre voiture bien suspendue, par notre beau cheval alezan. La roue grinça au tournant dans le sable et bientôt, Meaulnes et moi, qui étions assis sur le siège de derrière, nous vÃmes disparaÃtre sur la petite route l’entrée du chemin de traverse que le vieux Bélisaire et ses maÃtres avaient pris. Mais alors mon compagnon – l’être que je sache au monde le plus incapable de pleurer, tourna soudain vers moi son visage bouleversé par une irrésistible montée de larmes. – Arrêtez, voulez-vous ? dit-il en mettant la main sur l’épaule de Florentin. Ne vous occupez pas de moi. Je reviendrai tout seul, à pied. Et d’un bond, la main au garde-boue de la voiture, il sauta à terre. À notre stupéfaction, rebroussant chemin, il se prit à courir, et courut jusqu’au petit chemin que nous venions de passer, le chemin des Sablonnières. Il dut arriver au Domaine par cette allée de sapins qu’il avait suivie jadis, où il avait entendu, vagabond caché dans les basses branches, la conversation mystérieuse des beaux enfants inconnus... Et c’est ce soir-là , avec des sanglots, qu’il demanda en mariage Mlle de Galais. VII Le jour des noces C’est un jeudi, au commencement de février, un beau jeudi soir glacé, où le grand vent souffle. Il est trois heures et demie, quatre heures... Sur les haies, auprès des bourgs, les lessives sont étendues depuis midi et sèchent à la bourrasque. Dans chaque maison, le feu de la salle à manger fait luire tout un reposoir de joujoux vernis. Fatigué de jouer, l’enfant s’est assis auprès de sa mère et il lui fait raconter la journée de son mariage... Pour celui qui ne veut pas être heureux, il n’a qu’à monter dans son grenier et il entendra, jusqu’au soir, siffler et gémir les naufrages ; il n’a qu’à s’en aller dehors, sur la route, et le vent lui rabattra son foulard sur la bouche comme un chaud baiser soudain qui le fera pleurer. Mais pour celui qui aime le bonheur, il y a, au bord d’un chemin boueux, la maison des Sablonnières, où mon ami Meaulnes est rentré avec Yvonne de Galais, qui est sa femme depuis midi. Les fiançailles ont duré cinq mois. Elles ont été paisibles, aussi paisibles que la première entrevue avait été mouvementée. Meaulnes est venu très souvent aux Sablonnières, à bicyclette ou en voiture. Plus de deux fois par semaine, cousant ou lisant près de la grande fenêtre qui donne sur la lande et les sapins, Mlle de Galais a vu tout d’un coup sa haute silhouette rapide passer derrière le rideau, car il vient toujours par l’allée détournée qu’il a prise autrefois. Mais c’est la seule allusion – tacite – qu’il fasse au passé. Le bonheur semble avoir endormi son étrange tourment. De petits événements ont fait date pendant ces cinq calmes mois. On m’a nommé instituteur au hameau de Saint-Benoist-des-Champs. Saint-Benoist n’est pas un village. Ce sont des fermes disséminées à travers la campagne, et la maison d’école est complètement isolée sur une côte au bord de la route. Je mène une vie bien solitaire ; mais, en passant par les champs, il ne faut que trois quarts d’heure de marche pour gagner les Sablonnières. Delouche est maintenant chez son oncle, qui est entrepreneur de maçonnerie au Vieux-Nançay. Ce sera bientôt lui le patron. Il vient souvent me voir. Meaulnes, sur la prière de Mlle de Galais, est maintenant très aimable avec lui. Et ceci explique comment nous sommes là tous deux à rôder, vers quatre heures de l’après-midi, alors que les gens de la noce sont déjà tous repartis. Le mariage s’est fait à midi, avec le plus de silence possible, dans l’ancienne chapelle des Sablonnières qu’on n’a pas abattue et que les sapins cachent à moitié sur le versant de la côte prochaine. Après un déjeuner rapide, la mère de Meaulnes, M. Seurel et Millie, Florentin et les autres sont remontés en voiture. Il n’est resté que Jasmin et moi... Nous errons à la lisière des bois qui sont derrière la maison des Sablonnières, au bord du grand terrain en friche, emplacement ancien du Domaine aujourd’hui abattu. Sans vouloir l’avouer et sans savoir pourquoi, nous sommes remplis d’inquiétude. En vain nous essayons de distraire nos pensées et de tromper notre angoisse en nous montrant, au cours de notre promenade errante, les bauges des lièvres et les petits sillons de sable où les lapins ont gratté fraÃchement... un collet tendu... la trace d’un braconnier... Mais sans cesse nous revenons à ce bord du taillis, d’où l’on découvre la maison silencieuse et fermée... Au bas de la grande croisée qui donne sur les sapins, il y a un balcon de bois, envahi par les herbes folles que couche le vent. Une lueur comme d’un feu allumé se reflète sur les carreaux de la fenêtre. De temps à autre, une ombre passe. Tout autour, dans les champs environnants, dans le potager, dans la seule ferme qui reste des anciennes dépendances, silence et solitude. Les métayers sont partis au bourg pour fêter le bonheur de leurs maÃtres. De temps à autre, le vent chargé d’une buée qui est presque de la pluie nous mouille la figure et nous apporte la parole perdue d’un piano. Là -bas, dans la maison fermée, quelqu’un joue. Je m’arrête un instant pour écouter en silence. C’est d’abord comme une voix tremblante qui, de très loin, ose à peine chanter sa joie... C’est comme le rire d’une petite fille qui, dans sa chambre, a été chercher tous ses jouets et les répand devant son ami. Je pense aussi à la joie craintive encore d’une femme qui a été mettre une belle robe et qui vient la montrer et ne sait pas si elle plaira... Cet air que je ne connais pas, c’est aussi une prière, une supplication au bonheur de ne pas être trop cruel, un salut et comme un agenouillement devant le bonheur... Je pense  Ils sont heureux enfin. Meaulnes est là -bas près d’elle... » Et savoir cela, en être sûr, suffit au contentement parfait du brave enfant que je suis. À ce moment, tout absorbé, le visage mouillé par le vent de la plaine comme par l’embrun de la mer, je sens qu’on me touche l’épaule. – Écoute ! dit Jasmin tout bas. Je le regarde. Il me fait signe de ne pas bouger ; et, lui-même, la tête inclinée, le sourcil froncé, il écoute... VIII L’appel de Frantz – Hou-ou ! Cette fois, j’ai entendu. C’est un signal, un appel sur deux notes, haute et basse, que j’ai déjà entendu jadis... Ah ! je me souviens c’est le cri du grand comédien lorsqu’il hélait son jeune compagnon à la grille de l’école. C’est l’appel à quoi Frantz nous avait fait jurer de nous rendre, n’importe où et n’importe quand. Mais que demande-t-il ici, aujourd’hui, celui-là ? – Cela vient de la grande sapinière à gauche, dis-je à mi-voix. C’est un braconnier sans doute. Jasmin secoue la tête – Tu sais bien que non, dit-il. Puis, plus bas – Ils sont dans le pays, tous les deux, depuis ce matin. J’ai surpris Ganache à onze heures en train de guetter dans un champ auprès de la chapelle. Il a détalé en m’apercevant. Ils sont venus de loin peut-être à bicyclette, car il était couvert de boue jusqu’au milieu du dos... – Mais que cherchent-ils ? – Je n’en sais rien. Mais à coup sûr il faut que nous les chassions. Il ne faut pas les laisser rôder aux alentours. Ou bien toutes les folies vont recommencer... Je suis de cet avis, sans l’avouer. – Le mieux, dis-je, serait de les joindre, de voir ce qu’ils veulent et de leur faire entendre raison... Lentement, silencieusement, nous nous glissons donc en nous baissant à travers le taillis jusqu’à la grande sapinière, d’où part, à intervalles réguliers, ce cri prolongé qui n’est pas en soi plus triste qu’autre chose, mais qui nous semble à tous les deux de sinistre augure. Il est difficile, dans cette partie du bois de sapins, où le regard s’enfonce entre les troncs régulièrement plantés, de surprendre quelqu’un et de s’avancer sans être vu. Nous n’essayons même pas. Je me poste à l’angle du bois. Jasmin va se placer à l’angle opposé, de façon à commander comme moi, de l’extérieur, deux des côtés du rectangle et à ne pas laisser fuir l’un des bohémiens sans le héler. Ces dispositions prises, je commence à jouer mon rôle d’éclaireur pacifique et j’appelle – Frantz !...  ... Frantz ! Ne craignez rien. C’est moi, Seurel, je voudrais vous parler... Un instant de silence ; je vais me décider à crier encore, lorsque, au cÅ“ur même de la sapinière, où mon regard n’atteint pas tout à fait, une voix commande – Restez où vous êtes il va venir vous trouver. Peu à peu, entre les grands sapins que l’éloignement fait paraÃtre serrés, je distingue la silhouette du jeune homme qui s’approche. Il paraÃt couvert de boue et mal vêtu ; des épingles de bicyclette serrent le bas de son pantalon, une vieille casquette à ancre est plaquée sur ses cheveux trop longs ; je vois maintenant sa figure amaigrie... Il semble avoir pleuré. S’approchant de moi, résolument – Que voulez-vous ? demande-t-il d’un air très insolent. – Et vous-même, Frantz, que faites-vous ici ? Pourquoi venez-vous troubler ceux qui sont heureux ? Qu’avez-vous à demander ? Dites-le. Ainsi interrogé directement, il rougit un peu, balbutie, répond seulement – Je suis malheureux, moi, je suis malheureux. Puis, la tête dans le bras, appuyé à un tronc d’arbre, il se prend à sangloter amèrement. Nous avons fait quelques pas dans la sapinière. L’endroit est parfaitement silencieux. Pas même la voix du vent que les grands sapins de la lisière arrêtent. Entre les troncs réguliers se répète et s’éteint le bruit des sanglots étouffés du jeune homme. J’attends que cette crise s’apaise et je dis, en lui mettant la main sur l’épaule – Frantz, vous viendrez avec moi. Je vous mènerai auprès d’eux. Ils vous accueilleront comme un enfant perdu qu’on a retrouvé et tout sera fini. Mais il ne voulait rien entendre. D’une voix assourdie par les larmes, malheureux, entêté, colère, il reprenait – Ainsi Meaulnes ne s’occupe plus de moi ? Pourquoi ne répond-il pas quand je l’appelle ? Pourquoi ne tient-il pas sa promesse ? – Voyons, Frantz, répondis-je, le temps des fantasmagories et des enfantillages est passé. Ne troublez pas avec des folies le bonheur de ceux que vous aimez ; de votre sÅ“ur et d’Augustin Meaulnes. – Mais lui seul peut me sauver, vous le savez bien. Lui seul est capable de retrouver la trace que je cherche. Voilà bientôt trois ans que Ganache et moi nous battons toute la France sans résultat. Je n’avais plus confiance qu’en votre ami. Et voici qu’il ne répond plus. Il a retrouvé son amour, lui. Pourquoi, maintenant, ne pense-t-il pas à moi ? Il faut qu’il se mette en route. Yvonne le laissera bien partir... Elle ne m’a jamais rien refusé. Il me montrait un visage où, dans la poussière et la boue, les larmes avaient tracé des sillons sales, un visage de vieux gamin épuisé et battu. Ses yeux étaient cernés de taches de rousseur ; son menton, mal rasé ; ses cheveux trop longs traÃnaient sur son col sale. Les mains dans les poches, il grelottait. Ce n’était plus ce royal enfant en guenilles des années passées. De cÅ“ur, sans doute, il était plus enfant que jamais impérieux, fantasque et tout de suite désespéré. Mais cet enfantillage était pénible à supporter chez ce garçon déjà légèrement vieilli... Naguère, il y avait en lui tant d’orgueilleuse jeunesse que toute folie au monde lui paraissait permise. À présent, on était d’abord tenté de le plaindre pour n’avoir pas réussi sa vie ; puis de lui reprocher ce rôle absurde de jeune héros romantique où je le voyais s’entêter... Et enfin je pensais malgré moi que notre beau Frantz aux belles amours avait dû se mettre à voler pour vivre, tout comme son compagnon Ganache... Tant d’orgueil avait abouti à cela ! – Si je vous promets, dis-je enfin, après avoir réfléchi, que dans quelques jours Meaulnes se mettra en campagne pour vous, rien que pour vous ?... – Il réussira, n’est-ce pas ? Vous en êtes sûr ? me demanda-t-il en claquant des dents. – Je le pense. Tout devient possible avec lui ! – Et comment le saurai-je ? Qui me le dira ? – Vous reviendrez ici dans un an exactement, à cette même heure vous trouverez la jeune fille que vous aimez. Et, en disant ceci, je pensais non pas troubler les nouveaux époux, mais m’enquérir auprès de la tante Moinel et faire diligence moi-même pour trouver la jeune fille. Le bohémien me regardait dans les yeux avec une volonté de confiance vraiment admirable. Quinze ans, il avait encore et tout de même quinze ans ! – l’âge que nous avions à Sainte-Agathe, le soir du balayage des classes, quand nous fÃmes tous les trois ce terrible serment enfantin. Le désespoir le reprit lorsqu’il fut obligé de dire – Eh bien, nous allons partir. Il regarda, certainement avec un grand serrement de cÅ“ur, tous ces bois d’alentour qu’il allait de nouveau quitter. – Nous serons dans trois jours, dit-il, sur les routes d’Allemagne. Nous avons laissé nos voitures au loin. Et depuis trente heures, nous marchions sans arrêt. Nous pensions arriver à temps pour emmener Meaulnes avant le mariage et chercher avec lui ma fiancée, comme il a cherché le Domaine des Sablonnières. Puis, repris par sa terrible puérilité – Appelez votre Delouche, dit-il en s’en allant, parce que si je le rencontrais ce serait affreux. Peu à peu, entre les sapins, je vis disparaÃtre sa silhouette grise. J’appelai Jasmin et nous allâmes reprendre notre faction. Mais presque aussitôt, nous aperçûmes, là -bas, Augustin qui fermait les volets de la maison et nous fûmes frappés par l’étrangeté de son allure. IX Les gens heureux Plus tard, j’ai su par le menu détail tout ce qui s’était passé là -bas... Dans le salon des Sablonnières, dès le début de l’après-midi, Meaulnes et sa femme, que j’appelle encore Mlle de Galais, sont restés complètement seuls. Tous les invités partis, le vieux M. de Galais a ouvert la porte, laissant une seconde le grand vent pénétrer dans la maison et gémir ; puis il s’est dirigé vers le Vieux-Nançay et ne reviendra qu’à l’heure du dÃner, pour fermer tout à clef et donner des ordres à la métairie. Aucun bruit du dehors n’arrive plus maintenant jusqu’aux jeunes gens. Il y a tout juste une branche de rosier sans feuilles qui cogne la vitre, du côté de la lande. Comme deux passagers dans un bateau à la dérive, ils sont, dans le grand vent d’hiver, deux amants enfermés avec le bonheur. – Le feu menace de s’éteindre, dit Mlle de Galais, et elle voulut prendre une bûche dans le coffre. Mais Meaulnes se précipita et plaça lui-même le bois dans le feu. Puis il prit la main tendue de la jeune fille et ils restèrent là , debout, l’un devant l’autre, étouffés comme par une grande nouvelle qui ne pouvait pas se dire. Le vent roulait avec le bruit d’une rivière débordée. De temps à autre une goutte d’eau, diagonalement, comme sur la portière d’un train, rayait la vitre. Alors la jeune fille s’échappa. Elle ouvrit la porte du couloir et disparut avec un sourire mystérieux. Un instant, dans la demi-obscurité, Augustin resta seul... Le tic tac d’une petite pendule faisait penser à la salle à manger de Sainte-Agathe... Il songea sans doute  C’est donc ici la maison tant cherchée, le couloir jadis plein de chuchotements et de passages étranges... » C’est à ce moment qu’il dut entendre – Mlle de Galais me dit plus tard l’avoir entendu aussi – le premier cri de Frantz, tout près de la maison. La jeune femme, alors, eut beau lui montrer les choses merveilleuses dont elle était chargée ses jouets de petite fille, toutes ses photographies d’enfant elle, en cantinière, elle et Frantz sur les genoux de leur mère, qui était si jolie... puis tout ce qui restait de ses sages petites robes de jadis  Jusqu’à celle-ci que je portais, voyez, vers le temps où vous alliez bientôt me connaÃtre, où vous arriviez, je crois, au cours de Sainte-Agathe... », Meaulnes ne voyait plus rien et n’entendait plus rien. Un instant pourtant il parut ressaisi par la pensée de son extraordinaire, inimaginable bonheur – Vous êtes là , – dit-il sourdement, comme si le dire seulement donnait le vertige –, vous passez auprès de la table et votre main s’y pose un instant... Et encore – Ma mère, lorsqu’elle était jeune femme, penchait ainsi légèrement son buste sur sa taille pour me parler... Et quand elle se mettait au piano... Alors Mlle de Galais proposa de jouer avant que la nuit ne vÃnt. Mais il faisait sombre dans ce coin du salon et l’on fut obligé d’allumer une bougie. L’abat-jour rose, sur le visage de la jeune fille, augmentait ce rouge dont elle était marquée aux pommettes et qui était le signe d’une grande anxiété. Là -bas, à la lisière du bois, je commençai d’entendre cette chanson tremblante que nous apportait le vent, coupée bientôt par le second cri des deux fous, qui s’étaient rapprochés de nous dans les sapins. Longtemps Meaulnes écouta la jeune fille en regardant silencieusement par une fenêtre. Plusieurs fois il se tourna vers le doux visage plein de faiblesse et d’angoisse. Puis il s’approcha d’Yvonne et, très légèrement, il mit sa main sur son épaule. Elle sentit doucement peser auprès de son cou cette caresse à laquelle il aurait fallu savoir répondre. – Le jour tombe, dit-il enfin. Je vais fermer les volets. Mais ne cessez pas de jouer... Que se passa-t-il alors dans ce cÅ“ur obscur et sauvage ? Je me le suis souvent demandé et je ne l’ai su que lorsqu’il fut trop tard. Remords ignorés ? Regrets inexplicables ? Peur de voir s’évanouir bientôt entre ses mains ce bonheur inouï qu’il tenait si serré ? Et alors tentation terrible de jeter irrémédiablement à terre, tout de suite, cette merveille qu’il avait conquise ? Il sortit lentement, silencieusement, après avoir regardé sa jeune femme une fois encore. Nous le vÃmes, de la lisière du bois, fermer d’abord avec hésitation un volet, puis regarder vaguement vers nous, en fermer un autre, et soudain s’enfuir à toutes jambes dans notre direction. Il arriva près de nous avant que nous eussions pu songer à nous dissimuler davantage. Il nous aperçut, comme il allait franchir une petite haie récemment plantée et qui formait la limite d’un pré. Il fit un écart. Je me rappelle son allure hagarde, son air de bête traquée... Il fit mine de revenir sur ses pas pour franchir la haie du côté du petit ruisseau. Je l’appelai – Meaulnes !... Augustin !... Mais il ne tournait pas même la tête. Alors, persuadé que cela seulement pourrait le retenir – Frantz est là , criai-je. Arrête ! Il s’arrêta enfin. Haletant et sans me laisser le temps de préparer ce que je pourrais dire – Il est là ! dit-il. Que réclame-t-il ? – Il est malheureux, répondis-je. Il venait te demander de l’aide, pour retrouver ce qu’il a perdu. – Ah ! fit-il, baissant la tête. Je m’en doutais bien. J’avais beau essayer d’endormir cette pensée-là ... Mais où est-il ? Raconte vite. Je dis que Frantz venait de partir et que certainement on ne le rejoindrait plus maintenant. Ce fut pour Meaulnes une grande déception. Il hésita, fit deux ou trois pas, s’arrêta. Il paraissait au comble de l’indécision et du chagrin. Je lui racontai ce que j’avais promis en son nom au jeune homme. Je dis que je lui avais donné rendez-vous dans un an à la même place. Augustin, si calme en général, était maintenant dans un état de nervosité et d’impatience extraordinaires – Ah ! pourquoi avoir fait cela ! dit-il. Mais oui, sans doute, je puis le sauver. Mais il faut que ce soit tout de suite. Il faut que je le voie, que je lui parle, qu’il me pardonne et que je répare tout... Autrement je ne peux plus me présenter là -bas... Et il se tourna vers la maison des Sablonnières. – Ainsi, dis-je, pour une promesse enfantine que tu lui as faite, tu es en train de détruire ton bonheur. – Ah ! si ce n’était que cette promesse, fit-il. Et ainsi je connus qu’autre chose liait les deux jeunes hommes, mais sans pouvoir deviner quoi. – En tout cas, dis-je, il n’est plus temps de courir. Ils sont maintenant en route pour l’Allemagne. Il allait répondre, lorsqu’une figure échevelée, déchirée, hagarde, se dressa entre nous. C’était Mlle de Galais. Elle avait dû courir, car elle avait le visage baigné de sueur. Elle avait dû tomber et se blesser, car elle avait le front écorché au-dessus de l’œil droit et du sang figé dans les cheveux. Il m’est arrivé, dans les quartiers pauvres de Paris, de voir soudain, descendu dans la rue, séparé par des agents intervenus dans la bataille, un ménage qu’on croyait heureux, uni, honnête. Le scandale a éclaté tout d’un coup, n’importe quand, à l’instant de se mettre à table, le dimanche avant de sortir, au moment de souhaiter la fête du petit garçon... – et maintenant tout est oublié, saccagé. L’homme et la femme, au milieu du tumulte, ne sont plus que deux démons pitoyables et les enfants en larmes se jettent contre eux, les embrassent étroitement, les supplient de se taire et de ne plus se battre. Mlle de Galais, quand elle arriva près de Meaulnes, me fit penser à un de ces enfants-là , à un de ces pauvres enfants affolés. Je crois que tous ses amis, tout un village, tout un monde l’eût regardée, qu’elle fût accourue tout de même, qu’elle fût tombée de la même façon, échevelée, pleurante, salie. Mais quand elle eut compris que Meaulnes était bien là , que cette fois, du moins, il ne l’abandonnerait pas, alors elle passa son bras sous le sien, puis elle ne put s’empêcher de rire au milieu de ses larmes comme un petit enfant. Ils ne dirent rien ni l’un ni l’autre. Mais, comme elle avait tiré son mouchoir, Meaulnes le lui prit doucement des mains avec précaution et application, il essuya le sang qui tachait la chevelure de la jeune fille. – Il faut rentrer, maintenant, dit-il. Et je les laissai retourner tous les deux, dans le beau grand vent du soir d’hiver qui leur fouettait le visage, – lui, l’aidant de la main aux passages difficiles ; elle, souriant et se hâtant –, vers leur demeure pour un instant abandonnée. X La  maison de Frantz » Mal rassuré, en proie à une sourde inquiétude, que l’heureux dénouement du tumulte de la veille n’avait pas suffi à dissiper, il me fallut rester enfermé dans l’école pendant toute la journée du lendemain. Sitôt après l’heure d’ étude » qui suit la classe du soir, je pris le chemin des Sablonnières. La nuit tombait quand j’arrivai dans l’allée de sapins qui menait à la maison. Tous les volets étaient déjà clos. Je craignis d’être importun, en me présentant à cette heure tardive, le lendemain d’un mariage. Je restai fort tard à rôder sur la lisière du jardin et dans les terres avoisinantes, espérant toujours voir sortir quelqu’un de la maison fermée... Mais mon espoir fut déçu. Dans la métairie voisine elle-même, rien ne bougeait. Et je dus rentrer chez moi, hanté par les imaginations les plus sombres. Le lendemain, samedi, mêmes incertitudes. Le soir, je pris en hâte ma pèlerine, mon bâton, un morceau de pain, pour manger en route, et j’arrivai, quand la nuit tombait déjà , pour trouver tout fermé aux Sablonnières, comme la veille... Un peu de lumière au premier étage ; mais aucun bruit ; pas un mouvement... Pourtant, de la cour de la métairie, je vis cette fois la porte de la ferme ouverte, le feu allumé dans la grande cuisine et j’entendis le bruit habituel des voix et des pas à l’heure de la soupe. Ceci me rassura sans me renseigner. Je ne pouvais rien dire ni rien demander à ces gens. Et je retournai guetter encore, attendre en vain, pensant toujours voir la porte s’ouvrir et surgir enfin la haute silhouette d’Augustin. C’est le dimanche seulement, dans l’après-midi, que je résolus de sonner à la porte des Sablonnières. Tandis que je grimpais les coteaux dénudés, j’entendais sonner au loin les vêpres du dimanche d’hiver. Je me sentais solitaire et désolé. Je ne sais quel pressentiment triste m’envahissait. Et je ne fus qu’à demi surpris lorsque à mon coup de sonnette, je vis M. de Galais tout seul paraÃtre et me parler à voix basse Yvonne de Galais était alitée, avec une fièvre violente ; Meaulnes avait dû partir dès vendredi matin pour un long voyage ; on ne savait quand il reviendrait... Et comme le vieillard, très embarrassé, très triste, ne m’offrait pas d’entrer, je pris aussitôt congé de lui. La porte refermée, je restai un instant sur le perron, le cÅ“ur serré, dans un désarroi absolu, à regarder sans savoir pourquoi une branche de glycine desséchée que le vent balançait tristement dans un rayon de soleil. Ainsi ce remords secret que Meaulnes portait depuis son séjour à Paris avait fini par être le plus fort. Il avait fallu que mon grand compagnon échappât à la fin à son bonheur tenace... Chaque jeudi et chaque dimanche, je vins demander des nouvelles d’Yvonne de Galais, jusqu’au soir où, convalescente enfin, elle me fit prier d’entrer. Je la trouvai, assise auprès du feu, dans le salon dont la grande fenêtre basse donnait sur la terre et les bois. Elle n’était point pâle comme je l’avais imaginé, mais tout enfiévrée, au contraire, avec de vives taches rouges sous les yeux, et dans un état d’agitation extrême. Bien qu’elle parût très faible encore, elle s’était habillée comme pour sortir. Elle parlait peu, mais elle disait chaque phrase avec une animation extraordinaire, comme si elle eût voulu se persuader à elle-même que le bonheur n’était pas évanoui encore... Je n’ai pas gardé le souvenir de ce que nous avons dit. Je me rappelle seulement que j’en vins à demander avec hésitation quand Meaulnes serait de retour. – Je ne sais pas quand il reviendra, répondit-elle vivement. Il y avait une supplication dans ses yeux, et je me gardai d’en demander davantage. Souvent, je revins la voir. Souvent je causai avec elle auprès du feu, dans ce salon bas où la nuit venait plus vite que partout ailleurs. Jamais elle ne parlait d’elle-même ni de sa peine cachée. Mais elle ne se lassait pas de me faire conter par le détail notre existence d’écoliers de Sainte-Agathe. Elle écoutait gravement, tendrement, avec un intérêt quasi maternel, le récit de nos misères de grands enfants. Elle ne paraissait jamais surprise, pas même de nos enfantillages les plus audacieux, les plus dangereux. Cette tendresse attentive qu’elle tenait de M. de Galais, les aventures déplorables de son frère ne l’avaient point lassée. Le seul regret que lui inspirât le passé, c’était, je pense, de n’avoir point encore été pour son frère une confidente assez intime, puisque, au moment de sa grande débâcle, il n’avait rien osé lui dire non plus qu’à personne et s’était jugé perdu sans recours. Et c’était là , quand j’y songe, une lourde tâche qu’avait assumée la jeune femme, – tâche périlleuse, de seconder un esprit follement chimérique comme son frère ; – tâche écrasante, quand il s’agissait de lier partie avec ce cÅ“ur aventureux qu’était mon ami le grand Meaulnes. De cette foi qu’elle gardait dans les rêves enfantins de son frère, de ce soin qu’elle apportait à lui conserver au moins des bribes de ce rêve dans lequel il avait vécu jusqu’à vingt ans, elle me donna un jour la preuve la plus touchante et je dirai presque la plus mystérieuse. Ce fut par une soirée d’avril désolée comme une fin d’automne. Depuis près d’un mois nous vivions dans un doux printemps prématuré, et la jeune femme avait repris en compagnie de M. de Galais les longues promenades qu’elle aimait. Mais ce jour-là , le vieillard se trouvant fatigué et moi-même libre, elle me demanda de l’accompagner malgré le temps menaçant. À plus d’une demi-lieue des Sablonnières, en longeant l’étang, l’orage, la pluie, la grêle nous surprirent. Sous le hangar où nous nous étions abrités contre l’averse interminable, le vent nous glaçait, debout l’un près de l’autre, pensifs, devant le paysage noirci. Je la revois, dans sa douce robe sévère, toute pâlie, toute tourmentée. – Il faut rentrer, disait-elle. Nous sommes partis depuis si longtemps. Qu’a-t-il pu se passer ? Mais, à mon étonnement, lorsqu’il nous fut possible enfin de quitter notre abri, la jeune femme, au lieu de revenir vers les Sablonnières, continua son chemin et me demanda de la suivre. Nous arrivâmes, après avoir longtemps marché, devant une maison que je ne connaissais pas, isolée au bord d’un chemin défoncé qui devait aller vers Préveranges. C’était une petite maison bourgeoise, couverte en ardoise, et que rien ne distinguait du type usuel dans ce pays, sinon son éloignement et son isolement. À voir Yvonne de Galais, on eût dit que cette maison nous appartenait et que nous l’avions abandonnée durant un long voyage. Elle ouvrit, en se penchant, une petite grille, et se hâta d’inspecter avec inquiétude le lieu solitaire. Une grande cour herbeuse, où des enfants avaient dû venir pendant les longues et lentes soirées de la fin de l’hiver, était ravinée par l’orage. Un cerceau trempait dans une flaque d’eau. Dans les jardinets où les enfants avaient semé des fleurs et des pois, la grande pluie n’avait laissé que des traÃnées de gravier blanc. Et enfin nous découvrÃmes, blottie contre le seuil d’une des portes mouillées, toute une couvée de poussins transpercée par l’averse. Presque tous étaient morts sous les ailes raidies et les plumes fripées de la mère. À ce spectacle pitoyable, la jeune femme eut un cri étouffé. Elle se pencha et, sans souci de l’eau ni de la boue, triant les poussins vivants d’entre les morts, elle les mit dans un pan de son manteau. Puis nous entrâmes dans la maison dont elle avait la clef. Quatre portes ouvraient sur un étroit couloir où le vent s’engouffra en sifflant. Yvonne de Galais ouvrit la première à notre droite et me fit pénétrer dans une chambre sombre, ou je distinguai après un moment d’hésitation, une grande glace et un petit lit recouvert, à la mode campagnarde, d’un édredon de soie rouge. Quant à elle, après avoir cherché un instant dans le reste de l’appartement, elle revint, portant la couvée malade dans une corbeille garnie de duvet, qu’elle glissa précieusement sous l’édredon. Et, tandis qu’un rayon de soleil languissant, le premier, et le dernier de la journée, faisait plus pâles nos visages et plus obscure la tombée de la nuit, nous étions là , debout, glacés et tourmentés, dans la maison étrange ! D’instant en instant, elle allait regarder dans le nid fiévreux, enlever un nouveau poussin mort pour l’empêcher de faire mourir les autres. Et chaque fois il nous semblait que quelque chose comme un grand vent par les carreaux cassés du grenier, comme un chagrin mystérieux d’enfants inconnus, se lamentait silencieusement. – C’était ici, me dit enfin ma compagne, la maison de Frantz quand il était petit. Il avait voulu une maison pour lui tout seul, loin de tout le monde, dans laquelle il pût aller jouer, s’amuser et vivre quand cela lui plairait. Mon père avait trouvé cette fantaisie si extraordinaire, si drôle, qu’il n’avait pas refusé. Et quand cela lui plaisait, un jeudi, un dimanche, n’importe quand, Frantz partait habiter dans sa maison comme un homme. Les enfants des fermes d’alentour venaient jouer avec lui, l’aider à faire son ménage, travailler dans le jardin. C’était un jeu merveilleux ! Et le soir venu, il n’avait pas peur de coucher tout seul. Quant à nous, nous l’admirions tellement que nous ne pensions pas même à être inquiets. » Maintenant et depuis longtemps, poursuivit-elle avec un soupir, la maison est vide, M. de Galais, frappé par l’âge et le chagrin, n’a jamais rien fait pour retrouver ni rappeler mon frère. Et que pourrait-il tenter ? » Moi je passe ici bien souvent. Les petits paysans des environs viennent jouer dans la cour comme autrefois. Et je me plais à imaginer que ce sont les anciens amis de Frantz ; que lui-même est encore un enfant et qu’il va revenir bientôt avec la fiancée qu’il s’était choisie. » Ces enfants-là me connaissent bien. Je joue avec eux. Cette couvée de petits poulets était à nous... Tout ce grand chagrin dont elle n’avait jamais rien dit, ce grand regret d’avoir perdu son frère si fou, si charmant et si admiré, il avait fallu cette averse et cette débâcle enfantine pour qu’elle me les confiât. Et je l’écoutais sans rien répondre, le cÅ“ur tout gonflé de sanglots... Les portes et la grille refermées, les poussins remis dans la cabane en planches qu’il y avait derrière la maison, elle reprit tristement mon bras et je la reconduisis... Des semaines, des mois passèrent. Époque passée ! Bonheur perdu ! De celle qui avait été la fée, la princesse et l’amour mystérieux de toute notre adolescence, c’est à moi qu’il était échu de prendre le bras et de dire ce qu’il fallait pour adoucir son chagrin, tandis que mon compagnon avait fui. De cette époque, de ces conversations, le soir, après la classe que je faisais sur la côte de Saint-Benoist-des-Champs, de ces promenades où la seule chose dont il eût fallu parler était la seule sur laquelle nous étions décidés à nous taire, que pourrais-je dire à présent ? Je n’ai pas gardé d’autre souvenir que celui, à demi effacé déjà , d’un beau visage amaigri, de deux yeux dont les paupières s’abaissent lentement tandis qu’ils me regardent, comme pour déjà ne plus voir qu’un monde intérieur. Et je suis demeuré son compagnon fidèle – compagnon d’une attente dont nous ne parlions pas – durant tout un printemps et tout un été comme il n’y en aura jamais plus. Plusieurs fois, nous retournâmes, l’après-midi, à la maison de Frantz. Elle ouvrait les portes pour donner de l’air, pour que rien ne fût moisi quand le jeune ménage reviendrait. Elle s’occupait de la volaille à demi sauvage qui gÃtait dans la basse-cour. Et le jeudi ou le dimanche, nous encouragions les jeux des petits campagnards d’alentour, dont les cris et les rires, dans le site solitaire, faisaient paraÃtre plus déserte et plus vide encore la petite maison abandonnée. XI Conversation sous la pluie Le mois d’août, époque des vacances, m’éloigna des Sablonnières et de la jeune femme. Je dus aller passer à Sainte-Agathe mes deux mois de congé. Je revis la grande cour sèche, le préau, la classe vide... Tout parlait du grand Meaulnes. Tout était rempli des souvenirs de notre adolescence déjà finie. Pendant ces longues journées jaunies, je m’enfermais comme jadis, avant la venue de Meaulnes, dans le Cabinet des Archives, dans les classes désertes. Je lisais, j’écrivais, je me souvenais... Mon père était à la pêche au loin. Millie dans le salon cousait ou jouait du piano comme jadis... Et dans le silence absolu de la classe, où les couronnes de papier vert déchirées, les enveloppes des livres de prix, les tableaux épongés, tout disait que l’année était finie, les récompenses distribuées, tout attendait l’automne, la rentrée d’octobre et le nouvel effort – je pensais de même que notre jeunesse était finie et le bonheur manqué ; moi aussi j’attendais la rentrée aux Sablonnières et le retour d’Augustin qui peut-être ne reviendrait jamais... Il y avait cependant une nouvelle heureuse que j’annonçai à Millie, lorsqu’elle se décida à m’interroger sur la nouvelle mariée. Je redoutais ses questions, sa façon à la fois très innocente et très maligne de vous plonger soudain dans l’embarras, en mettant le doigt sur votre pensée la plus secrète. Je coupai court à tout en annonçant que la jeune femme de mon ami Meaulnes, serait mère au mois d’octobre. À part moi, je me rappelai le jour où Yvonne de Galais m’avait fait comprendre cette grande nouvelle. Il y avait eu un silence ; de ma part, un léger embarras de jeune homme. Et j’avais dit tout de suite, inconsidérément, pour le dissiper – songeant trop tard à tout le drame que je remuais ainsi – Vous devez être bien heureuse ? Mais elle, sans arrière-pensée, sans regret, ni remords, ni rancune, elle avait répondu avec un beau sourire de bonheur – Oui, bien heureuse. Durant cette dernière semaine des vacances, qui est en général la plus belle et la plus romantique, semaine de grandes pluies, semaine où l’on commence à allumer les feux, et que je passais d’ordinaire à chasser dans les sapins noirs et mouillés du Vieux-Nançay, je fis mes préparatifs pour rentrer directement à Saint-Benoist-des-Champs. Firmin, ma tante Julie et mes cousines du Vieux-Nançay m’eussent posé trop de questions auxquelles je ne voulais pas répondre. Je renonçai pour cette fois à mener durant huit jours la vie enivrante de chasseur campagnard et je regagnai ma maison d’école quatre jours avant la rentrée des classes. J’arrivai avant la nuit dans la cour déjà tapissée de feuilles jaunies. Le voiturier parti, je déballai tristement dans la salle à manger sonore et  renfermée » le paquet de provisions que m’avait fait maman... Après un léger repas du bout des dents, impatient, anxieux, je mis ma pèlerine et partis pour une fiévreuse promenade qui me mena tout droit aux abords des Sablonnières. Je ne voulus pas m’y introduire en intrus dès le premier soir de mon arrivée. Cependant, plus hardi qu’en février, après avoir tourné tout autour du domaine où brillait seule la fenêtre de la jeune femme, je franchis, derrière la maison, la clôture du jardin et m’assis sur un banc, contre la haie, dans l’ombre commençante, heureux simplement d’être là , tout près de ce qui me passionnait et m’inquiétait le plus au monde. La nuit venait. Une pluie fine commençait à tomber. La tête basse, je regardais, sans y songer, mes souliers se mouiller peu à peu et luire d’eau. L’ombre m’entourait lentement et la fraÃcheur me gagnait sans troubler ma rêverie. Tendrement, tristement, je rêvais aux chemins boueux de Sainte-Agathe, par ce même soir de fin septembre ; j’imaginais la place pleine de brume, le garçon boucher qui siffle en allant à la pompe, le café illuminé, la joyeuse voiturée avec sa carapace de parapluies ouverts qui arrivait avant la fin des vacances, chez l’oncle Florentin... Et je me disais tristement Qu’importe tout ce bonheur, puisque Meaulnes, mon compagnon, ne peut pas y être, ni sa jeune femme... C’est alors que, levant la tête, je la vis à deux pas de moi. Ses souliers, dans le sable, faisaient un bruit léger que j’avais confondu avec celui des gouttes d’eau de la haie. Elle avait sur la tête et les épaules un grand fichu de laine noire, et la pluie fine poudrait sur son front ses cheveux. Sans doute, de sa chambre, m’avait-elle aperçu par la fenêtre qui donnait sur le jardin. Et elle venait vers moi. Ainsi ma mère, autrefois, s’inquiétait et me cherchait pour me dire  Il faut rentrer », mais ayant pris goût à cette promenade sous la pluie et dans la nuit, elle disait seulement avec douceur  Tu vas prendre froid ! » et restait en ma compagnie à causer longuement... Yvonne de Galais me tendit une main brûlante, et, renonçant à me faire entrer aux Sablonnières, elle s’assit sur le banc moussu et vert-de-grisé, du côté le moins mouillé, tandis que debout, appuyé du genou à ce même banc, je me penchais vers elle pour l’entendre. Elle me gronda d’abord amicalement pour avoir ainsi écourté mes vacances – Il fallait bien, répondis-je, que je vinsse au plus tôt pour vous tenir compagnie. – Il est vrai, dit-elle presque tout bas avec un soupir, je suis seule encore. Augustin n’est pas revenu... Prenant ce soupir pour un regret, un reproche étouffé, je commençais à dire lentement – Tant de folies dans une si noble tête. Peut-être le goût des aventures plus fort que tout... Mais la jeune femme m’interrompit. Et ce fut en ce lieu, ce soir-là , que pour la première et la dernière fois, elle me parla de Meaulnes. – Ne parlez pas ainsi, dit-elle doucement, François Seurel, mon ami. Il n’y a que nous – il n’y a que moi de coupable. Songez à ce que nous avons fait... » Nous lui avons dit voici le bonheur, voici ce que tu as cherché pendant toute ta jeunesse, voici la jeune fille qui était à la fin de tous tes rêves ! » Comment celui que nous poussions ainsi par les épaules n’aurait-il pas été saisi d’hésitation, puis de crainte, puis d’épouvante, et n’aurait-il pas cédé à la tentation de s’enfuir ! – Yvonne, dis-je tout bas, vous saviez bien que vous étiez ce bonheur-là , cette jeune fille-là . – Ah ! soupira-t-elle. Comment ai-je pu un instant avoir cette pensée orgueilleuse. C’est cette pensée-là qui est cause de tout. » Je vous disais  Peut-être que je ne puis rien faire pour lui. » Et au fond de moi, je pensais  Puisqu’il m’a tant cherchée et puisque je l’aime, il faudra bien que je fasse son bonheur. » Mais quand je l’ai vu près de moi, avec toute sa fièvre, son inquiétude, son remords mystérieux, j’ai compris que je n’étais qu’une pauvre femme comme les autres... » – Je ne suis pas digne de vous, répétait-il, quand ce fut le petit jour et la fin de la nuit de nos noces. » Et j’essayais de le consoler, de le rassurer. Rien ne calmait son angoisse. Alors j’ai dit » – S’il faut que vous partiez, si je suis venue vers vous au moment où rien ne pouvait vous rendre heureux, s’il faut que vous m’abandonniez un temps pour ensuite revenir apaisé près de moi, c’est moi qui vous demande de partir... Dans l’ombre je vis qu’elle avait levé les yeux sur moi. C’était comme une confession qu’elle m’avait faite, et elle attendait, anxieusement, que je l’approuve ou la condamne. Mais que pouvais-je dire ? Certes, au fond de moi, je revoyais le grand Meaulnes de jadis, gauche et sauvage, qui se faisait toujours punir plutôt que de s’excuser ou de demander une permission qu’on lui eût certainement accordée. Sans doute aurait-il fallu qu’Yvonne de Galais lui fÃt violence et, lui prenant la tête entre ses mains, lui dÃt  Qu’importe ce que vous avez fait ; je vous aime ; tous les hommes ne sont-ils pas des pécheurs ? » Sans doute avait-elle eu grand tort, par générosité, par esprit de sacrifice, de le rejeter ainsi sur la route des aventures... Mais comment aurais-je pu désapprouver tant de bonté, tant d’amour !... Il y eut un long moment de silence, pendant lequel, troublés jusques au fond du cÅ“ur, nous entendions la pluie froide dégoutter dans les haies et sous les branches des arbres. – Il est donc parti au matin, poursuivit-elle. Plus rien ne nous séparait désormais. Et il m’a embrassée, simplement, comme un mari qui laisse sa jeune femme, avant un long voyage... Elle se levait. Je pris dans la mienne sa main fiévreuse, puis son bras, et nous remontâmes l’allée dans l’obscurité profonde. – Pourtant il ne vous a jamais écrit ? demandai-je. – Jamais, répondit-elle. Et alors, la pensée nous venant à tous deux de la vie aventureuse qu’il menait à cette heure sur les routes de France ou d’Allemagne, nous commençâmes à parler de lui comme nous ne l’avions jamais fait. Détails oubliés, impressions anciennes nous revenaient en mémoire, tandis que lentement nous regagnions la maison, faisant à chaque pas de longues stations pour mieux échanger nos souvenirs... Longtemps – jusqu’aux barrières du jardin – dans l’ombre, j’entendis la précieuse voix basse de la jeune femme ; et moi, repris par mon vieil enthousiasme, je lui parlais sans me lasser, avec une amitié profonde, de celui qui nous avait abandonnés... XII Le fardeau La classe devait commencer le lundi. Le samedi soir, vers cinq heures, une femme du Domaine entra dans la cour de l’école où j’étais occupé à scier du bois pour l’hiver. Elle venait m’annoncer qu’une petite fille était née aux Sablonnières. L’accouchement avait été difficile. À neuf heures du soir il avait fallu demander la sage-femme de Préveranges. À minuit, on avait attelé de nouveau pour aller chercher le médecin de Vierzon. Il avait dû appliquer les fers. La petite fille avait la tête blessée et criait beaucoup mais elle paraissait bien en vie. Yvonne de Galais était maintenant très affaissée, mais elle avait souffert et résisté avec une vaillance extraordinaire. Je laissai là mon travail, courus revêtir un autre paletot, et content, en somme, de ces nouvelles, je suivis la bonne femme jusqu’aux Sablonnières. Avec précaution, de crainte que l’une des deux blessées ne fût endormie, je montai par l’étroit escalier de bois qui menait au premier étage. Et là , M. de Galais, le visage fatigué mais heureux, me fit entrer dans la chambre où l’on avait provisoirement installé le berceau entouré de rideaux. Je n’étais jamais entré dans une maison où fût né le jour même un petit enfant. Que cela me paraissait bizarre et mystérieux et bon ! Il faisait un soir si beau – un véritable soir d’été – que M. de Galais n’avait pas craint d’ouvrir la fenêtre qui donnait sur la cour. Accoudé près de moi sur l’appui de la croisée, il me racontait, avec épuisement et bonheur, le drame de la nuit ; et moi qui l’écoutais, je sentais obscurément que quelqu’un d’étranger était maintenant avec nous dans la chambre... Sous les rideaux, cela se mit à crier, un petit cri aigre et prolongé... Alors M. de Galais me dit à demi-voix – C’est cette blessure à la tête qui la fait crier. Machinalement – on sentait qu’il faisait cela depuis le matin et que déjà il en avait pris l’habitude – il se mit à bercer le petit paquet de rideaux. – Elle a ri déjà , dit-il, et elle prend le doigt. Mais vous ne l’avez pas vue ? Il ouvrit les rideaux et je vis une rouge petite figure bouffie, un petit crâne allongé et déformé par les fers – Ce n’est rien, dit M. de Galais, le médecin a dit que tout cela s’arrangerait de soi-même... Donnez-lui votre doigt, elle va le serrer. Je découvrais là comme un monde ignoré. Je me sentais le cÅ“ur gonflé d’une joie étrange que je ne connaissais pas auparavant... de Galais entrouvrit avec précaution la porte de la chambre de la jeune femme. Elle ne dormait pas. – Vous pouvez entrer, dit-il. Elle était étendue, le visage enfiévré, au milieu de ses cheveux blonds épars. Elle me tendit la main en souriant d’un air las. Je lui fis compliment de sa fille. D’une voix un peu rauque, et avec une rudesse inaccoutumée – la rudesse de quelqu’un qui revient du combat – Oui, mais on me l’a abÃmée, dit-elle en souriant. Il fallut bientôt partir pour ne pas la fatiguer. Le lendemain dimanche, dans l’après-midi, je me rendis avec une hâte presque joyeuse aux Sablonnières. À la porte, un écriteau fixé avec des épingles arrêta le geste que je faisais déjà Prière de ne pas sonner. Je ne devinai pas de quoi il s’agissait. Je frappai assez fort. J’entendis dans l’intérieur des pas étouffés qui accouraient. Quelqu’un que je ne connaissais pas – et qui était le médecin de Vierzon – m’ouvrit – Eh bien, qu’y a-t-il ? fis-je vivement. – Chut ! chut ! – me répondit-il tout bas, l’air fâché – La petite fille a failli mourir cette nuit. Et la mère est très mal. Complètement déconcerté, je le suivis sur la pointe des pieds jusqu’au premier étage. La petite fille endormie dans son berceau était toute pâle, toute blanche, comme un petit enfant mort. Le médecin pensait la sauver. Quant à la mère, il n’affirmait rien... Il me donna de longues explications comme au seul ami de la famille. Il parla de congestion pulmonaire, d’embolie. Il hésitait, il n’était pas sûr... M. de Galais entra, affreusement vieilli en deux jours, hagard et tremblant. Il m’emmena dans la chambre sans trop savoir ce qu’il faisait – Il faut, me dit-il, tout bas, qu’elle ne soit pas effrayée ; il faut, a ordonné le médecin, lui persuader que cela va bien. Tout le sang à la figure, Yvonne de Galais était étendue, la tête renversée comme la veille. Les joues et le front rouge sombre, les yeux par instants révulsés, comme quelqu’un qui étouffe, elle se défendait contre la mort avec un courage et une douceur indicibles. Elle ne pouvait parler, mais elle me tendit sa main en feu, avec tant d’amitié que je faillis éclater en sanglots. – Eh bien ! eh bien ! dit M. de Galais très fort, avec un enjouement affreux, qui semblait de folie, vous voyez que pour une malade elle n’a pas trop mauvaise mine ! Et je ne savais que répondre, mais je gardais dans la mienne la main horriblement chaude de la jeune femme mourante... Elle voulut faire un effort pour me dire quelque chose, me demander je ne sais quoi ; elle tourna les yeux vers moi, puis vers la fenêtre, comme pour me faire signe d’aller dehors chercher quelqu’un... Mais alors une affreuse crise d’étouffement la saisit ; ses beaux yeux bleus qui, un instant, m’avaient appelé si tragiquement, se révulsèrent ; ses joues et son front noircirent, et elle se débattit doucement, cherchant à contenir jusqu’à la fin son épouvante et son désespoir. On se précipita – le médecin et les femmes – avec un ballon d’oxygène, des serviettes, des flacons ; tandis que le vieillard penché sur elle criait – criait comme si déjà elle eût été loin de lui, de sa voix rude et tremblante – N’aie pas peur, Yvonne. Ce ne sera rien. Tu n’as pas besoin d’avoir peur ! Puis la crise s’apaisa. Elle put souffler un peu, mais elle continua à suffoquer à demi, les yeux blancs, la tête renversée, luttant toujours, mais incapable, fût-ce un instant, pour me regarder et me parler, de sortir du gouffre où elle était déjà plongée. ... Et comme je n’étais utile à rien, je dus me décider à partir. Sans doute, j’aurais pu rester un instant encore ; et à cette pensée je me sens étreint par un affreux regret. Mais quoi ? J’espérais encore. Je me persuadais que tout n’était pas si proche. En arrivant à la lisière des sapins, derrière la maison, songeant au regard de la jeune femme tourné vers la fenêtre, j’examinai avec l’attention d’une sentinelle ou d’un chasseur d’hommes la profondeur de ce bois par où Augustin était venu jadis et par où il avait fui l’hiver précédent. Hélas ! Rien de bougea. Pas une ombre suspecte ; pas une branche qui remue. Mais, à la longue, là -bas, vers l’allée qui venait de Préveranges, j’entendis le son très fin d’une clochette ; bientôt parut au détour du sentier un enfant avec une calotte rouge et une blouse d’écolier que suivait un prêtre... Et je partis, dévorant mes larmes. Le lendemain était le jour de la rentrée des classes. À sept heures, il y avait déjà deux ou trois gamins dans la cour. J’hésitai longuement à descendre, à me montrer. Et lorsque je parus enfin, tournant la clef de la classe moisie, qui était fermée depuis deux mois, ce que je redoutais le plus au monde arriva je vis le plus grand des écoliers se détacher du groupe qui jouait sous le préau et s’approcher de moi. Il venait me dire que  la jeune dame des Sablonnières était morte hier à la tombée de la nuit ». Tout se mêle pour moi, tout se confond dans cette douleur. Il me semble maintenant que jamais plus je n’aurai le courage de recommencer la classe. Rien que traverser la cour aride de l’école c’est une fatigue qui va me briser les genoux. Tout est pénible, tout est amer puisqu’elle est morte. Le monde est vide, les vacances sont finies. Finies, les longues courses perdues en voiture ; finie, la fête mystérieuse... Tout redevient la peine que c’était. J’ai dit aux enfants qu’il n’y aurait pas de classe ce matin. Ils s’en vont, par petits groupes, porter cette nouvelle aux autres à travers la campagne. Quant à moi, je prends mon chapeau noir, une jaquette bordée que j’ai, et je m’en vais misérablement vers les Sablonnières... ... Me voici devant la maison que nous avions tant cherchée il y a trois ans ! C’est dans cette maison qu’Yvonne de Galais, la femme d’Augustin Meaulnes, est morte hier soir. Un étranger la prendrait pour une chapelle, tant il s’est fait de silence depuis hier dans ce lieu désolé. Voilà donc ce que nous réservait ce beau matin de rentrée, ce perfide soleil d’automne qui glisse sous les branches. Comment lutterais-je contre cette affreuse révolte, cette suffocante montée de larmes ! Nous avions retrouvé la belle jeune fille. Nous l’avions conquise. Elle était la femme de mon compagnon et moi je l’aimais de cette amitié profonde et secrète qui ne se dit jamais. Je la regardais et j’étais content, comme un petit enfant. J’aurais un jour peut-être épousé une autre jeune fille, et c’est à elle la première que j’aurais confié la grande nouvelle secrète... Près de la sonnette, au coin de la porte, on a laissé l’écriteau d’hier. On a déjà apporté le cercueil dans le vestibule, en bas. Dans la chambre du premier, c’est la nourrice de l’enfant qui m’accueille, qui me raconte la fin et qui entrouvre doucement la porte... La voici. Plus de fièvre ni de combats. Plus de rougeur, ni d’attente... Rien que le silence, et, entouré d’ouate, un dur visage insensible et blanc, un front mort d’où sortent les cheveux drus et durs. de Galais, accroupi dans un coin, nous tournant le dos, est en chaussettes, sans souliers, et il fouille avec une terrible obstination dans des tiroirs en désordre, arrachés d’une armoire. Il en sort de temps à autre, avec une crise de sanglots qui lui secoue les épaules comme une crise de rire, une photographie ancienne, déjà jaunie, de sa fille. L’enterrement est pour midi. Le médecin craint la décomposition rapide, qui suit parfois les embolies. C’est pourquoi le visage, comme tout le corps d’ailleurs, est entouré d’ouate imbibée de phénol. L’habillage terminé – on lui a mis son admirable robe de velours bleu sombre, semée par endroits de petites étoiles d’argent, mais il a fallu aplatir et friper les belles manches à gigot maintenant démodées – au moment de faire monter le cercueil, on s’est aperçu qu’il ne pourrait pas tourner dans le couloir trop étroit. Il faudrait avec une corde le hisser du dehors par la fenêtre et de la même façon le faire descendre ensuite... Mais M. de Galais, toujours penché sur de vieilles choses parmi lesquelles il cherche on ne sait quels souvenirs perdus, intervient alors avec une véhémence terrible. – Plutôt, dit-il d’une voix coupée par les larmes et la colère, plutôt que de laisser faire une chose aussi affreuse, c’est moi qui la prendrai et la descendrai dans mes bras... Et il ferait ainsi, au risque de tomber en faiblesse, à mi-chemin, et de s’écrouler avec elle ! Mais alors je m’avance, je prends le seul parti possible avec l’aide du médecin et d’une femme, passant un bras sous le dos de la morte étendue, l’autre sous ses jambes, je la charge contre ma poitrine. Assise sur mon bras gauche, les épaules appuyées contre mon bras droit, sa tête retombante retournée sous mon menton, elle pèse terriblement sur mon cÅ“ur. Je descends lentement, marche par marche, le long escalier raide, tandis qu’en bas on apprête tout. J’ai bientôt les deux bras cassés par la fatigue. À chaque marche avec ce poids sur la poitrine, je suis un peu plus essoufflé. Agrippé au corps inerte et pesant, je baisse la tête sur la tête de celle que j’emporte, je respire fortement et ses cheveux blonds aspirés m’entrent dans la bouche – des cheveux morts qui ont un goût de terre. Ce goût de terre et de mort, ce poids sur le cÅ“ur, c’est tout ce qui reste pour moi de la grande aventure, et de vous, Yvonne de Galais, jeune femme tant cherchée – tant aimée... XIII Le cahier de devoirs mensuels Dans la maison pleine de tristes souvenirs, où des femmes, tout le jour, berçaient et consolaient un tout petit enfant malade, le vieux M. de Galais ne tarda pas à s’aliter. Aux premiers grands froids de l’hiver il s’éteignit paisiblement et je ne pus me tenir de verser des larmes au chevet de ce vieil homme charmant, dont la pensée indulgente et la fantaisie alliée à celle de son fils avaient été la cause de toute notre aventure. Il mourut, fort heureusement, dans une incompréhension complète de tout ce qui s’était passé et, d’ailleurs, dans un silence presque absolu. Comme il n’avait plus depuis longtemps ni parents ni amis dans cette région de la France, il m’institua par testament son légataire universel jusqu’au retour de Meaulnes, à qui je devais rendre compte de tout, s’il revenait jamais... Et c’est aux Sablonnières désormais que j’habitais. Je n’allais plus à Saint-Benoist que pour y faire la classe, partant le matin de bonne heure, déjeunant à midi d’un repas préparé au Domaine, que je faisais chauffer sur le poêle et rentrant le soir aussitôt après l’étude. Ainsi je pus garder près de moi l’enfant que les servantes de la ferme soignaient. Surtout j’augmentais mes chances de rencontrer Augustin, s’il rentrait un jour aux Sablonnières. Je ne désespérais pas, d’ailleurs, de découvrir à la longue dans les meubles, dans les tiroirs de la maison, quelque papier, quelque indice qui me permÃt de connaÃtre l’emploi de son temps, durant le long silence des années précédentes – et peut-être ainsi de saisir les raisons de sa fuite ou tout au moins de retrouver sa trace... J’avais déjà vainement inspecté je ne sais combien de placards et d’armoires, ouvert, dans les cabinets de débarras, une quantité d’anciens cartons de toutes formes, qui se trouvaient tantôt remplis de liasses de vieilles lettres et de photographies jaunies de la famille de Galais, tantôt bondés de fleurs artificielles, de plumes, d’aigrettes et d’oiseaux démodés. Il s’échappait de ces boÃtes je ne sais quelle odeur fanée, quel parfum éteint, qui, soudain, réveillaient en moi pour tout un jour les souvenirs, les regrets, et arrêtaient mes recherches... Un jour de congé, enfin, j’avisai au grenier une vieille petite malle longue et basse, couverte de poils de porc à demi rongés, et que je reconnus pour être la malle d’écolier d’Augustin. Je me reprochai de n’avoir point commencé par là mes recherches. J’en fis sauter facilement la serrure rouillée. La malle était pleine jusqu’au bord des cahiers et des livres de Sainte-Agathe. Arithmétiques, littératures, cahiers de problèmes, que sais-je ?... Avec attendrissement plutôt que par curiosité, je me mis à fouiller dans tout cela, relisant les dictées que je savais encore par cÅ“ur, tant de fois nous les avions recopiées !  L’Aqueduc » de Rousseau,  Une aventure en Calabre » de Courier,  Lettre de George Sand à son fils »... Il y avait aussi un  Cahier de Devoirs Mensuels ». J’en fus surpris, car ces cahiers restaient au Cours et les élèves ne les emportaient jamais au dehors. C’était un cahier vert tout jauni sur les bords. Le nom de l’élève, Augustin Meaulnes, était écrit sur la couverture en ronde magnifique. Je l’ouvris. À la date des devoirs, avril 189..., je reconnus que Meaulnes l’avait commencé peu de jours avant de quitter Sainte-Agathe. Les premières pages étaient tenues avec le soin religieux qui était de règle lorsqu’on travaillait sur ce cahier de compositions. Mais il n’y avait pas plus de trois pages écrites, le reste était blanc et voilà pourquoi Meaulnes l’avait emporté. Tout en réfléchissant, agenouillé par terre, à ces coutumes, à ces règles puériles qui avaient tenu tant de place dans notre adolescence, je faisais tourner sous mon pouce le bord des pages du cahier inachevé. Et c’est ainsi que je découvris de l’écriture sur d’autres feuillets. Après quatre pages laissées en blanc on avait recommencé à écrire. C’était encore l’écriture de Meaulnes, mais rapide, mal formée, à peine lisible ; de petits paragraphes de largeurs inégales, séparés par des lignes blanches. Parfois ce n’était qu’une phrase inachevée. Quelquefois une date. Dès la première ligne, je jugeai qu’il pouvait y avoir là des renseignements sur la vie passée de Meaulnes à Paris, des indices sur la piste que je cherchais, et je descendis dans la salle à manger pour parcourir à loisir, à la lumière du jour, l’étrange document. Il faisait un jour d’hiver clair et agité. Tantôt le soleil vif dessinait les croix des carreaux sur les rideaux blancs de la fenêtre, tantôt un vent brusque jetait aux vitres une averse glacée. Et c’est devant cette fenêtre, auprès du feu, que je lus ces lignes qui m’expliquèrent tant de choses et dont voici la copie très exacte... XIV Le secret  Je suis passé une fois encore sous la fenêtre. La vitre est toujours poussiéreuse et blanchie par le double rideau qui est derrière. Yvonne de Galais l’ouvrirait-elle que je n’aurais rien à lui dire puisqu’elle est mariée... Que faire, maintenant ? Comment vivre ?... Samedi 13 février. – J’ai rencontré, sur le quai, cette jeune fille qui m’avait renseigné au mois de juin, qui attendait comme moi devant la maison fermée... Je lui ai parlé. Tandis qu’elle marchait, je regardais de côté les légers défauts de son visage une petite ride au coin des lèvres, un peu d’affaissement aux joues, et de la poudre accumulée aux ailes du nez. Elle s’est retournée tout d’un coup et me regardant bien en face, peut-être parce qu’elle est plus belle de face que de profil, elle m’a dit d’une voix brève – Vous m’amusez beaucoup. Vous me rappelez un jeune homme qui me faisait la cour, autrefois, à Bourges. Il était même mon fiancé... Cependant, à la nuit pleine, sur le trottoir désert et mouillé qui reflète la lueur d’un bec de gaz, elle s’est approchée de moi tout d’un coup, pour me demander de l’emmener ce soir au théâtre avec sa sÅ“ur. Je remarque pour la première fois qu’elle est habillée de deuil, avec un chapeau de dame trop vieux pour sa jeune figure, un haut parapluie fin, pareil à une canne. Et comme je suis tout près d’elle, quand je fais un geste mes ongles griffent le crêpe de son corsage... Je fais des difficultés pour accorder ce qu’elle demande. Fâchée, elle veut partir tout de suite. Et c’est moi, maintenant, qui la retiens et la prie. Alors un ouvrier qui passe dans l’obscurité plaisante à mi-voix – N’y va pas, ma petite, il te ferait mal ! Et nous sommes restés, tous les deux, interdits. Au théâtre. – Les deux jeunes filles, mon amie qui s’appelle Valentine Blondeau et sa sÅ“ur, sont arrivées avec de pauvres écharpes. Valentine est placée devant moi. À chaque instant elle se retourne, inquiète, comme se demandant ce que je lui veux. Et moi, je me sens, près d’elle, presque heureux ; je lui réponds chaque fois par un sourire. Tout autour de nous, il y avait des femmes trop décolletées. Et nous plaisantions. Elle souriait d’abord, puis elle a dit  Il ne faut pas que je rie. Moi aussi je suis trop décolletée. » Et elle s’est enveloppée dans son écharpe. En effet, sous le carré de dentelle noire, on voyait que, dans sa hâte à changer de toilette, elle avait refoulé le haut de sa simple chemise montante. Il y a en elle je ne sais quoi de pauvre et de puéril ; il y a dans son regard je ne sais quel air souffrant et hasardeux qui m’attire. Près d’elle, le seul être au monde qui ait pu me renseigner sur les gens du Domaine, je ne cesse de penser à mon étrange aventure de jadis... J’ai voulu l’interroger de nouveau sur le petit hôtel du boulevard. Mais, à son tour, elle m’a posé des questions si gênantes que je n’ai su rien répondre. Je sens que désormais nous serons, tous les deux, muets sur ce sujet. Et pourtant je sais aussi que je la reverrai. À quoi bon ? Et pourquoi ?... Suis-je condamné maintenant à suivre à la trace tout être qui portera en soi le plus vague, le plus lointain relent de mon aventure manquée ?... À minuit, seul, dans la rue déserte, je me demande ce que me veut cette nouvelle et bizarre histoire ? Je marche le long des maisons pareilles à des boÃtes en carton alignées dans lesquelles tout un peuple dort. Et je me souviens tout à coup d’une décision que j’avais prise l’autre mois j’avais résolu d’aller là -bas en pleine nuit, vers une heure du matin, de contourner l’hôtel, d’ouvrir la porte du jardin, d’entrer comme un voleur et de chercher un indice quelconque qui me permÃt de retrouver le Domaine perdu, pour la revoir, seulement la revoir... Mais je suis fatigué. J’ai faim. Moi aussi je me suis hâté de changer de costume, avant le théâtre, et je n’ai pas dÃné... Agité, inquiet, pourtant, je reste longtemps assis sur le bord de mon lit, avant de me coucher, en proie à un vague remords. Pourquoi ? Je note encore ceci elles n’ont pas voulu ni que je les reconduise, ni me dire où elles demeuraient. Mais je les ai suivies aussi longtemps que j’ai pu. Je sais qu’elles habitent une petite rue qui tourne aux environs de Notre-Dame. Mais à quel numéro ?... J’ai deviné qu’elles étaient couturières ou modistes. En se cachant de sa sÅ“ur, Valentine m’a donné rendez-vous pour jeudi, à quatre heures, devant le même théâtre où nous sommes allés. – Si je n’étais pas là jeudi, a-t-elle dit, revenez vendredi à la même heure, puis samedi, et ainsi de suite, tous les jours. Jeudi 18 février. – Je suis parti pour l’attendre dans le grand vent qui charrie de la pluie. On se disait à chaque instant il va finir par pleuvoir... Je marche dans la demi-obscurité des rues, un poids sur le cÅ“ur. Il tombe une goutte d’eau. Je crains qu’il ne pleuve une averse peut l’empêcher de venir. Mais le vent se reprend à souffler et la pluie ne tombe pas cette fois encore. Là -haut, dans la grise après-midi du ciel – tantôt grise et tantôt éclatante – un grand nuage a dû céder au vent. Et je suis ici terré dans une attente misérable... Devant le théâtre. – Au bout d’un quart d’heure je suis certain qu’elle ne viendra pas. Du quai où je suis, je surveille au loin, sur le pont par lequel elle aurait dû venir, le défilé des gens qui passent. J’accompagne du regard toutes les jeunes femmes en deuil que je vois venir et je me sens presque de la reconnaissance pour celles qui, le plus longtemps, le plus près de moi, lui ont ressemblé et m’ont fait espérer... Une heure d’attente. – Je suis las. À la tombée de la nuit, un gardien de la paix traÃne au poste voisin un voyou qui lui jette d’une voix étouffée toutes les injures, toutes les ordures qu’il sait. L’agent est furieux, pâle, muet... Dès le couloir il commence à cogner, puis il referme sur eux la porte pour battre le misérable tout à l’aise... Il me vient cette pensée affreuse que j’ai renoncé au paradis et que je suis en train de piétiner aux portes de l’enfer. De guerre lasse, je quitte l’endroit et je gagne cette rue étroite et basse, entre la Seine et Notre-Dame, où je connais à peu près la place de leur maison. Tout seul, je vais et viens. De temps à autre une bonne ou une ménagère sort sous la petite pluie pour faire avant la nuit ses emplettes... Il n’y a rien, ici, pour moi, et je m’en vais... Je repasse, dans la pluie claire qui retarde la nuit, sur la place où nous devions nous attendre. Il y a plus de monde que tout à l’heure – une foule noire... Suppositions – Désespoir – Fatigue. Je me raccroche à cette pensée demain. Demain, à la même heure, en ce même endroit, je reviendrai l’attendre. Et j’ai grand-hâte que demain soit arrivé. Avec ennui j’imagine la soirée d’aujourd’hui, puis la matinée du lendemain, que je vais passer dans le désÅ“uvrement... Mais déjà cette journée n’est-elle pas presque finie ? Rentré chez moi, près du feu, j’entends crier les journaux du soir. Sans doute, de sa maison perdue quelque part dans la ville, auprès de Notre-Dame, elle les entend aussi. Elle... je veux dire Valentine. Cette soirée que j’avais voulu escamoter me pèse étrangement. Tandis que l’heure avance, que ce jour-là va bientôt finir et que déjà je le voudrais fini, il y a des hommes qui lui ont confié tout leur espoir, tout leur amour et leurs dernières forces. Il y a des hommes mourants, d’autres qui attendent une échéance, et qui voudraient que ce ne soit jamais demain. Il y en a d’autres pour qui demain pointera comme un remords. D’autres qui sont fatigués, et cette nuit ne sera jamais assez longue pour leur donner tout le repos qu’il faudrait. Et moi, moi qui ai perdu ma journée, de quel droit est-ce que j’ose appeler demain ? Vendredi soir. – J’avais pensé écrire à la suite  Je ne l’ai pas revue. » Et tout aurait été fini. Mais en arrivant ce soir, à quatre heures, au coin du théâtre la voici. Fine et grave, vêtue de noir, mais avec de la poudre au visage et une collerette qui lui donne l’air d’un pierrot coupable. Un air à la fois douloureux et malicieux. C’est pour me dire qu’elle veut me quitter tout de suite, qu’elle ne viendra plus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Et pourtant, à la tombée de la nuit, nous voici encore tous les deux, marchant lentement l’un près de l’autre, sur le gravier des Tuileries. Elle me raconte son histoire mais d’une façon si enveloppée que je comprends mal. Elle dit  mon amant » en parlant de ce fiancé qu’elle n’a pas épousé. Elle le fait exprès, je pense, pour me choquer et pour que je ne m’attache point à elle. Il y a des phrases d’elle que je transcris de mauvaise grâce  N’ayez aucune confiance en moi, dit-elle, je n’ai jamais fait que des folies.  J’ai couru des chemins, toute seule.  J’ai désespéré mon fiancé. Je l’ai abandonné parce qu’il m’admirait trop ; il ne me voyait qu’en imagination et non telle que j’étais. Or, je suis pleine de défauts. Nous aurions été très malheureux. » À chaque instant, je la surprends en train de se faire plus mauvaise qu’elle n’est. Je pense qu’elle veut se prouver à elle-même qu’elle a eu raison jadis de faire la sottise dont elle parle, qu’elle n’a rien à regretter et n’était pas digne du bonheur qui s’offrait à elle. Une autre fois – Ce qui me plaÃt en vous, m’a-t-elle dit en me regardant longuement, ce qui me plaÃt en vous, je ne puis savoir pourquoi, ce sont mes souvenirs... Une autre fois – Je l’aime encore, disait-elle, plus que vous ne pensez. Et puis soudain, brusquement, brutalement, tristement – Enfin, qu’est-ce que vous voulez ? Est-ce que vous m’aimez, vous aussi ? Vous aussi, vous allez me demander ma main ?... J’ai balbutié. Je ne sais pas ce que j’ai répondu. Peut-être ai-je dit  oui ». Cette espèce de journal s’interrompait là . Commençaient alors des brouillons de lettres illisibles, informes, raturés. Précaires fiançailles !... La jeune fille, sur la prière de Meaulnes, avait abandonné son métier. Lui s’était occupé des préparatifs du mariage. Mais sans cesse repris par le désir de chercher encore, de partir encore sur la trace de son amour perdu, il avait dû, sans doute, plusieurs fois disparaÃtre ; et, dans ces lettres, avec un embarras tragique, il cherchait à se justifier devant Valentine. XV Le secret suite Puis le journal reprenait. Il avait noté des souvenirs sur un séjour qu’ils avaient fait tous les deux à la campagne, je ne sais où. Mais, chose étrange, à partir de cet instant, peut-être par un sentiment de pudeur secrète, le journal était rédigé de façon si hachée, si informe, griffonné si hâtivement aussi, que j’ai dû reprendre moi-même et reconstituer toute cette partie de son histoire. 14 juin. – Lorsqu’il s’éveilla de grand matin dans la chambre de l’auberge, le soleil avait allumé les dessins rouges du rideau noir. Des ouvriers agricoles, dans la salle du bas, parlaient fort en prenant le café du matin ils s’indignaient, en phrases rudes et paisibles, contre un de leurs patrons. Depuis longtemps sans doute Meaulnes entendait, dans son sommeil, ce calme bruit. Car il n’y prit point garde d’abord. Ce rideau semé de grappes rougies par le soleil, ces voix matinales montant dans la chambre silencieuse, tout cela se confondait dans l’impression unique d’un réveil à la campagne, au début de délicieuses grandes vacances. Il se leva, frappa doucement à la porte voisine, sans obtenir de réponse, et l’entrouvrit sans bruit. Il aperçut alors Valentine et comprit d’où lui venait tant de paisible bonheur. Elle dormait, absolument immobile et silencieuse, sans qu’on l’entendÃt respirer, comme un oiseau doit dormir. Longtemps il regarda ce visage d’enfant aux yeux fermés, ce visage si quiet qu’on eût souhaité ne l’éveiller et ne le troubler jamais. Elle ne fit pas d’autre mouvement pour montrer qu’elle ne dormait plus que d’ouvrir les yeux et de regarder. Dès qu’elle fut habillée, Meaulnes revint près de la jeune fille. – Nous sommes en retard, dit-elle. Et ce fut aussitôt comme une ménagère dans sa demeure. Elle mit de l’ordre dans les chambres, brossa les habits que Meaulnes avait portés la veille et quand elle en vint au pantalon se désola. Le bas des jambes était couvert d’une boue épaisse. Elle hésita, puis, soigneusement, avec précaution, avant de le brosser, elle commença par râper la première épaisseur de terre avec un couteau. – C’est ainsi, dit Meaulnes, que faisaient les gamins de Sainte-Agathe quand ils s’étaient flanqués dans la boue. – Moi, c’est ma mère qui m’a enseigné cela, dit Valentine. ... Et telle était bien la compagne que devait souhaiter, avant son aventure mystérieuse, le chasseur et le paysan qu’était le grand Meaulnes. 15 juin. – À ce dÃner, à la ferme, où grâce à leurs amis qui les avaient présentés comme mari et femme, ils furent conviés, à leur grand ennui, elle se montra timide comme une nouvelle mariée. On avait allumé les bougies de deux candélabres, chaque bout de la table couverte de toile blanche, comme à une paisible noce de campagne. Les visages, dès qu’ils se penchaient, sous cette faible clarté, baignaient dans l’ombre. Il y avait à la droite de Patrice le fils du fermier Valentine puis Meaulnes, qui demeura taciturne jusqu’au bout, bien qu’on s’adressât presque toujours à lui. Depuis qu’il avait résolu, dans ce village perdu, afin d’éviter les commentaires, de faire passer Valentine pour sa femme, un même regret, un même remords le désolaient. Et tandis que Patrice, à la façon d’un gentilhomme campagnard, dirigeait le dÃner  C’est moi, pensait Meaulnes, qui devrais, ce soir, dans une salle basse comme celle-ci, une belle salle que je connais bien, présider le repas de mes noces. » Près de lui, Valentine refusait timidement tout ce qu’on lui offrait. On eût dit une jeune paysanne. À chaque tentative nouvelle, elle regardait son ami et semblait vouloir se réfugier contre lui. Depuis longtemps, Patrice insistait vainement pour qu’elle vidât son verre, lorsque enfin Meaulnes se pencha vers elle et lui dit doucement – Il faut boire, ma petite Valentine. Alors, docilement, elle but. Et Patrice félicita en souriant le jeune homme d’avoir une femme aussi obéissante. Mais tous les deux, Valentine et Meaulnes, restaient silencieux et pensifs. Ils étaient fatigués, d’abord ; leurs pieds trempés par la boue de la promenade étaient glacés sur les carreaux lavés de la cuisine. Et puis, de temps à autre, le jeune homme était obligé de dire – Ma femme, Valentine, ma femme... Et chaque fois, en prononçant sourdement ce mot, devant ces paysans inconnus, dans cette salle obscure, il avait l’impression de commettre une faute. 17 juin. – L’après-midi de ce dernier jour commença mal. Patrice et sa femme les accompagnèrent à la promenade. Peu à peu, sur la pente inégale couverte de bruyère, les deux couples se trouvèrent séparés. Meaulnes et Valentine s’assirent entre les genévriers, dans un petit taillis. Le vent portait des gouttes de pluie et le temps était bas. La soirée avait un goût amer, semblait-il, le goût d’un tel ennui que l’amour même ne le pouvait distraire. Longtemps ils restèrent là , dans leur cachette, abrités sous les branches, parlant peu. Puis le temps se leva. Il fit beau. Ils crurent que, maintenant, tout irait bien. Et ils commencèrent à parler d’amour, Valentine parlait, parlait... – Voici, disait-elle, ce que me promettait mon fiancé, comme un enfant qu’il était tout de suite nous aurions eu une maison, comme une chaumière perdue dans la campagne. Elle était toute prête, disait-il. Nous y serions arrivés comme au retour d’un grand voyage, le soir de notre mariage, vers cette heure-ci qui est proche de la nuit. Et par les chemins, dans la cour, cachés dans les bosquets, des enfants inconnus nous auraient fait fête, criant  Vive la mariée ! »... Quelles folies, n’est-ce pas ? Meaulnes, interdit, soucieux, l’écoutait. Il retrouvait, dans tout cela, comme l’écho d’une voix déjà entendue. Et il y avait aussi, dans le ton de la jeune fille, lorsqu’elle contait cette histoire, un vague regret. Mais elle eut peur de l’avoir blessé. Elle se retourna vers lui, avec élan, avec douceur. – À vous, dit-elle, je veux donner tout ce que j’ai quelque chose qui ait été pour moi plus précieux que tout... et vous le brûlerez ! Alors, en le regardant fixement, d’un air anxieux, elle sortit de sa poche un petit paquet de lettres qu’elle lui tendit, les lettres de son fiancé. Ah ! tout de suite, il reconnut la fine écriture. Comment n’y avait-il jamais pensé plus tôt ! C’était l’écriture de Frantz le bohémien, qu’il avait vue jadis sur le billet désespéré laissé dans la chambre du Domaine... Ils marchaient maintenant sur une petite route étroite entre les pâquerettes et les foins éclairés obliquement par le soleil de cinq heures. Si grande était sa stupeur que Meaulnes ne comprenait pas encore quelle déroute pour lui tout cela signifiait. Il lisait parce qu’elle lui avait demandé de lire. Des phrases enfantines, sentimentales, pathétiques... Celle-ci, dans la dernière lettre  ... Ah ! vous avez perdu le petit cÅ“ur, impardonnable petite Valentine. Que va-t-il nous arriver ? Enfin je ne suis pas superstitieux... » Meaulnes lisait, à demi aveuglé de regret et de colère, le visage immobile, mais tout pâle, avec des frémissements sous les yeux. Valentine, inquiète de le voir ainsi, regarda où il en était, et ce qui le fâchait ainsi. – C’est, expliqua-t-elle très vite, un bijou qu’il m’avait donné en me faisant jurer de le garder toujours. C’étaient là de ses idées folles. Mais elle ne fit qu’exaspérer Meaulnes. – Folles ! dit-il en mettant les lettres dans sa poche. Pourquoi répéter ce mot ? Pourquoi n’avoir jamais voulu croire en lui ? Je l’ai connu, c’était le garçon le plus merveilleux du monde ! – Vous l’avez connu, dit-elle au comble de l’émoi, vous avez connu Frantz de Galais ? – C’était mon ami le meilleur, c’était mon frère d’aventures, et voilà que je lui ai pris sa fiancée ! » Ah ! poursuivit-il avec fureur, quel mal vous nous avez fait, vous qui n’avez voulu croire à rien. Vous êtes cause de tout. C’est vous qui avez tout perdu ! tout perdu ! Elle voulut lui parler, lui prendre la main, mais il la repoussa brutalement. – Allez-vous-en. Laissez-moi. – Eh bien, s’il en est ainsi, dit-elle, le visage en feu, bégayant et pleurant à demi, je partirai en effet. Je rentrerai à Bourges, chez nous, avec ma sÅ“ur. Et si vous ne revenez pas me chercher, vous savez, n’est-ce pas ? que mon père est trop pauvre pour me garder ; eh bien ! je repartirai pour Paris, je battrai les chemins comme je l’ai déjà fait une fois, je deviendrai certainement une fille perdue, moi qui n’ai plus de métier... Et elle s’en alla chercher ses paquets pour prendre le train, tandis que Meaulnes, sans même la regarder partir, continuait à marcher au hasard. Le journal s’interrompait de nouveau. Suivaient encore des brouillons de lettres, lettres d’un homme indécis, égaré. Rentré à La Ferté-d’Angillon, Meaulnes écrivait à Valentine en apparence pour lui affirmer sa résolution de ne jamais la revoir et lui en donner des raisons précises, mais en réalité, peut-être, pour qu’elle lui répondÃt. Dans une de ces lettres, il lui demandait ce que, dans son désarroi, il n’avait pas même songé d’abord à lui demander savait-elle où se trouvait le Domaine tant cherché ? Dans une autre, il la suppliait de se réconcilier avec Frantz de Galais. Lui-même se chargeait de le retrouver... Toutes les lettres dont je voyais les brouillons, n’avaient pas dû être envoyées. Mais il avait dû écrire deux ou trois fois, sans jamais obtenir de réponse. Ç’avait été pour lui une période de combats affreux et misérables, dans un isolement absolu. L’espoir de revoir jamais Yvonne de Galais s’étant complètement évanoui, il avait dû peu à peu sentir sa grande résolution faiblir. Et d’après les pages qui vont suivre – les dernières de son journal – j’imagine qu’il dut, un beau matin du début des vacances, louer une bicyclette pour aller à Bourges, visiter la cathédrale. Il était parti à la première heure, par la belle route droite entre les bois, inventant en chemin mille prétextes à se présenter dignement, sans demander une réconciliation, devant celle qu’il avait chassée. Les quatre dernières pages, que j’ai pu reconstituer, racontaient ce voyage et cette dernière faute... XVI Le secret fin 25 août. – De l’autre côté de Bourges, à l’extrémité des nouveaux faubourgs, il découvrit, après avoir longtemps cherché, la maison de Valentine Blondeau. Une femme – la mère de Valentine – sur le pas de la porte, semblait l’attendre. C’était une bonne figure de ménagère, lourde, fripée, mais belle encore. Elle le regardait venir avec curiosité, et lorsqu’il lui demanda  si Mlles Blondeau étaient ici », elle lui expliqua doucement, avec bienveillance, qu’elles étaient rentrées à Paris depuis le 15 août.  Elles m’ont défendu de dire où elles allaient, ajouta-t-elle, mais en écrivant à leur ancienne adresse on fera suivre leurs lettres. » En revenant sur ses pas, sa bicyclette à la main, à travers le jardinet, il pensait – Elle est partie... Tout est fini comme je l’ai voulu... C’est moi qui l’ai forcée à cela.  Je deviendrai certainement une fille perdue », disait-elle. Et c’est moi qui l’ai jetée là ! C’est moi qui ai perdu la fiancée de Frantz ! Et tout bas il se répétait avec folie  Tant mieux ! Tant mieux ! » avec la certitude que c’était bien  tant pis » au contraire et que, sous les yeux de cette femme, avant d’arriver à la grille il allait buter des deux pieds et tomber sur les genoux. Il ne pensa pas à déjeuner et s’arrêta dans un café où il écrivit longuement à Valentine, rien que pour crier, pour se délivrer du cri désespéré qui l’étouffait. Sa lettre répétait indéfiniment  Vous avez pu ! Vous avez pu !... Vous avez pu vous résigner à cela ! Vous avez pu vous perdre ainsi ! » Près de lui des officiers buvaient. L’un d’eux racontait bruyamment une histoire de femme qu’on entendait par bribes  ... Je lui ai dit... vous devez bien me connaÃtre... Je fais la partie avec votre mari tous les soirs ! » Les autres riaient et, détournant la tête, crachaient derrière les banquettes. Hâve et poussiéreux, Meaulnes les regardait comme un mendiant. Il les imagina tenant Valentine sur leurs genoux. Longtemps, à bicyclette, il erra autour de la cathédrale, se disant obscurément  En somme, c’est pour la cathédrale que j’étais venu. » Au bout de toutes les rues, sur la place déserte, on la voyait monter énorme et indifférente. Ces rues étaient étroites et souillées comme les ruelles qui entourent les églises de village. Il y avait çà et là l’enseigne d’une maison louche, une lanterne rouge... Meaulnes sentait sa douleur perdue, dans ce quartier malpropre, vicieux, réfugié, comme aux anciens âges, sous les arcs-boutants de la cathédrale. Il lui venait une crainte de paysan, une répulsion pour cette église de la ville, où tous les vices sont sculptés dans des cachettes, qui est bâtie entre les mauvais lieux et qui n’a pas de remède pour les plus pures douleurs d’amour. Deux filles vinrent à passer, se tenant par la taille et le regardant effrontément. Par dégoût ou par jeu, pour se venger de son amour ou pour l’abÃmer, Meaulnes les suivit lentement à bicyclette et l’une d’elles, une misérable fille dont les rares cheveux blonds étaient tirés en arrière par un faux chignon, lui donna rendez-vous pour six heures au Jardin de l’Archevêché, le jardin où Frantz, dans une de ses lettres, donnait rendez-vous à la pauvre Valentine. Il ne dit pas non, sachant qu’à cette heure il aurait depuis longtemps quitté la ville. Et de sa fenêtre basse, dans la rue en pente, elle resta longtemps à lui faire des signes vagues. Il avait hâte de reprendre son chemin. Avant de partir, il ne put résister au morne désir de passer une dernière fois devant la maison de Valentine. Il regarda de tous ses yeux et put faire provision de tristesse. C’était une des dernières maisons du faubourg et la rue devenait une route à partir de cet endroit... En face, une sorte de terrain vague formait comme une petite place. Il n’y avait personne aux fenêtres, ni dans la cour, nulle part. Seule, le long d’un mur, traÃnant deux gamins en guenilles, une sale fille poudrée passa. C’est là que l’enfance de Valentine s’était écoulée, là qu’elle avait commencé à regarder le monde de ses yeux confiants et sages. Elle avait travaillé, cousu, derrière ces fenêtres. Et Frantz était passé pour la voir, lui sourire, dans cette rue de faubourg. Mais maintenant il n’y avait plus rien, rien... La triste soirée durait et Meaulnes savait seulement que quelque part, perdue, durant ce même après-midi, Valentine regardait passer dans son souvenir cette place morne où jamais elle ne viendrait plus. Le long voyage qu’il lui restait à faire pour rentrer devait être son dernier recours contre sa peine, sa dernière distraction forcée avant de s’y enfoncer tout entier. Il partit. Aux environs de la route, dans la vallée, de délicieuses maisons fermières, entre les arbres, au bord de l’eau, montraient leurs pignons pointus garnis de treillis verts. Sans doute, là -bas, sur les pelouses, des jeunes filles attentives parlaient de l’amour. On imaginait, là -bas, des âmes, de belles âmes... Mais, pour Meaulnes, à ce moment, il n’existait plus qu’un seul amour, cet amour mal satisfait qu’on venait de souffleter si cruellement, et la jeune fille entre toutes qu’il eût dû protéger, sauvegarder, était justement celle-là qu’il venait d’envoyer à sa perte. Quelques lignes hâtives du journal m’apprenaient encore qu’il avait formé le projet de retrouver Valentine coûte que coûte avant qu’il fût trop tard. Une date, dans un coin de page, me faisait croire que c’était là ce long voyage pour lequel Mme Meaulnes faisait des préparatifs, lorsque j’étais venu à La Ferté-d’Angillon pour tout déranger. Dans la mairie abandonnée, Meaulnes notait ses souvenirs et ses projets par un beau matin de la fin du mois d’août – lorsque j’avais poussé la porte et lui avais apporté la grande nouvelle qu’il n’attendait plus. Il avait été repris, immobilisé, par son ancienne aventure, sans oser rien faire ni rien avouer. Alors avaient commencé le remords, le regret et la peine, tantôt étouffés, tantôt triomphants, jusqu’au jour des noces où le cri du bohémien dans les sapins lui avait théâtralement rappelé son premier serment de jeune homme. Sur ce même cahier de devoirs mensuels, il avait encore griffonné quelques mots en hâte, à l’aube, avant de quitter, avec sa permission, – mais pour toujours – Yvonne de Galais, son épouse depuis la veille  Je pars. Il faudra bien que je retrouve la piste des deux bohémiens qui sont venus hier dans la sapinière et qui sont partis vers l’Est à bicyclette. Je ne reviendrai près d’Yvonne que si je puis ramener avec moi et installer dans la  maison de Frantz » Frantz et Valentine mariés. » Ce manuscrit, que j’avais commencé comme un journal secret et qui est devenu ma confession, sera, si je ne reviens pas, la propriété de mon ami François Seurel. » Il avait dû glisser le cahier en hâte sous les autres, refermer à clef son ancienne petite malle d’étudiant, et disparaÃtre. Épilogue Le temps passa. Je perdais l’espoir de revoir jamais mon compagnon, et de mornes jours s’écoulaient dans l’école paysanne, de tristes jours dans la maison déserte. Frantz ne vint pas au rendez-vous que je lui avais fixé, et d’ailleurs ma tante Moinel ne savait plus depuis longtemps où habitait Valentine. La seule joie des Sablonnières, ce fut bientôt la petite fille qu’on avait pu sauver. À la fin de septembre, elle s’annonçait même comme une solide et jolie petite fille. Elle allait avoir un an. Cramponnée aux barreaux des chaises, elle les poussait toute seule, s’essayant à marcher sans prendre garde aux chutes, et faisait un tintamarre qui réveillait longuement les échos sourds de la demeure abandonnée. Lorsque je la tenais dans mes bras, elle ne souffrait jamais que je lui donne un baiser. Elle avait une façon sauvage et charmante en même temps de frétiller et de me repousser la figure avec sa petite main ouverte, en riant aux éclats. De toute sa gaieté, de toute sa violence enfantine, on eût dit qu’elle allait chasser le chagrin qui pesait sur la maison depuis sa naissance. Je me disais parfois  Sans doute, malgré cette sauvagerie, sera-t-elle un peu mon enfant. » Mais une fois encore la Providence en décida autrement. Un dimanche matin de la fin de septembre, je m’étais levé de fort bonne heure, avant même la paysanne qui avait la garde de la petite fille. Je devais aller pêcher au Cher avec deux hommes de Saint-Benoist et Jasmin Delouche. Souvent ainsi les villageois d’alentour s’entendaient avec moi pour de grandes parties de braconnage pêches à la main, la nuit, pêches aux éperviers prohibés... Tout le temps de l’été, nous partions les jours de congé, dès l’aube, et nous ne rentrions qu’à midi. C’était le gagne-pain de presque tous ces hommes. Quant à moi, c’était mon seul passe-temps, les seules aventures qui me rappelassent les équipées de jadis. Et j’avais fini par prendre goût à ces randonnées, à ces longues pêches le long de la rivière ou dans les roseaux de l’étang. Ce matin-là , j’étais donc debout, à cinq heures et demie, devant la maison, sous un petit hangar adossé au mur qui séparait le jardin anglais des Sablonnières du jardin potager de la ferme. J’étais occupé à démêler mes filets que j’avais jetés en tas, le jeudi d’avant. Il ne faisait pas jour tout à fait ; c’était le crépuscule d’un beau matin de septembre ; et le hangar où je démêlais à la hâte mes engins se trouvait à demi plongé dans la nuit. J’étais là silencieux et affairé lorsque soudain j’entendis la grille s’ouvrir, un pas crier sur le gravier. – Oh ! oh ! me dis-je, voici mes gens plus tôt que je n’aurais cru. Et moi qui ne suis pas prêt !... Mais l’homme qui entrait dans la cour m’était inconnu. C’était, autant que je pus distinguer, un grand gaillard barbu habillé comme un chasseur ou un braconnier. Au lieu de venir me trouver là où les autres savaient que j’étais toujours, à l’heure de nos rendez-vous, il gagna directement la porte d’entrée. – Bon ! pensai-je ; c’est quelqu’un de leurs amis qu’ils auront convié sans me le dire et ils l’auront envoyé en éclaireur. L’homme fit jouer doucement, sans bruit, le loquet de la porte. Mais je l’avais refermée, aussitôt sorti. Il fit de même à l’entrée de la cuisine. Puis, hésitant un instant, il tourna vers moi, éclairée par le demi-jour, sa figure inquiète. Et c’est alors seulement que je reconnus le grand Meaulnes. Un long moment je restai là , effrayé, désespéré, repris soudain par toute la douleur qu’avait réveillée son retour. Il avait disparu derrière la maison, en avait fait le tour, et il revenait, hésitant. Alors je m’avançai vers lui et, sans rien dire, je l’embrassai en sanglotant. Tout de suite, il comprit. – Ah ! dit-il d’une voix brève, elle est morte, n’est-ce pas ? Et il resta là , debout, sourd, immobile et terrible. Je le pris par le bras et doucement je l’entraÃnai vers la maison. Il faisait jour maintenant. Tout de suite, pour que le plus dur fût accompli, je lui fis monter l’escalier qui menait vers la chambre de la morte. Sitôt entré, il tomba à deux genoux devant le lit et, longtemps, resta la tête enfouie dans ses deux bras. Il se releva enfin, les yeux égarés, titubant, ne sachant où il était. Et, toujours le guidant par le bras, j’ouvris la porte qui faisait communiquer cette chambre avec celle de la petite fille. Elle s’était éveillée tout seule – pendant que sa nourrice était en bas – et, délibérément, s’était assise dans son berceau. On voyait tout juste sa tête étonnée, tournée vers nous. – Voici ta fille, dis-je. Il eut un sursaut et me regarda. Puis il la saisit et l’enleva dans ses bras. Il ne put pas bien la voir d’abord, parce qu’il pleurait. Alors, pour détourner un peu ce grand attendrissement et ce flot de larmes, tout en la tenant très serrée contre lui, assise sur son bras droit, il tourna vers moi sa tête baissée et me dit – Je les ai ramenés, les deux autres... Tu iras les voir dans leur maison. Et en effet, au début de la matinée, lorsque je m’en allai, tout pensif et presque heureux vers la maison de Frantz qu’Yvonne de Galais m’avait jadis montrée déserte, j’aperçus de loin une manière de jeune ménagère en collerette, qui balayait le pas de sa porte, objet de curiosité et d’enthousiasme pour plusieurs petits vachers endimanchés qui s’en allaient à la messe... Cependant la petite fille commençait à s’ennuyer d’être serrée ainsi, et comme Augustin, la tête penchée de côté pour cacher et arrêter ses larmes, continuait à ne pas la regarder, elle lui flanqua une grande tape de sa petite main sur sa bouche barbue et mouillée. Cette fois le père leva bien haut sa fille, la fit sauter au bout de ses bras et la regarda avec une espèce de rire. Satisfaite, elle battit des mains... Je m’étais légèrement reculé pour mieux les voir. Un peu déçu et pourtant émerveillé, je comprenais que la petite fille avait enfin trouvé là le compagnon qu’elle attendait obscurément... La seule joie que m’eût laissée le grand Meaulnes, je sentais bien qu’il était revenu pour me la prendre. Et déjà je l’imaginais, la nuit, enveloppant sa fille dans un manteau, et partant avec elle pour de nouvelles aventures. Cet ouvrage est le 22e publié dans la collection Classiques du 20e siècle par la Bibliothèque électronique du Québec. La Bibliothèque électronique du Québec est la propriété exclusive de Jean-Yves Dupuis.
g;- MA MMIMW âàMâ MMMà W-% MM MM '£- ja r.»_v5llaC Et£S &V-/V KM? 'Ä»1S- ^Tv ; ; ÿ LÄÄN MEÄ AO MM È W.v^S i HISTOIRE ABRÉGÉE DES VOYAGES. \ *' \ HISTOIRE ABRÉGÉE DES PREMIER , SECOND E T TROISIEME VOYAGES, AUTOUR BU MC O K B CE , Pau COOK; Mise à la portée de tout le monde , par Bérenger. TOME PREMIER. A Chez J. J. BASLE, Thïïrsitseb. " 1 " 'e Jacques Cook. 3i tagnes le sol des vallées est riche et profond au pied de chaque colline coule ordinairement un ruisseau dont l’eau a une teinte iDugeâtrs, niais qui est sans mauvais goût. Une montagne en pain de sucre près de la mer , et les trois Frères , en sont les parties les plus remarquables à une certaine distance tout vaisseau qui côtoie la terre des Etats sans la perdre de vue ne peut s’égarer. Le détroit de le Maire est borné au couchant par la Terre de Feu , au levant par celle des Etats 5 elle a cinq lieues de long et autant de large , au milieu est la baie de Bon-Succès où l’ancrage est sûr, où l’on trouve abondamment du bois et de l’eau , où le jusant ou le courant qui porte au nord, descend avec une force presque double de celle de la marée montante. La Terre des Etats a des baies , des havres , des bois l’isle a douze lieues de long et cinq de large. En remontant du cap de Bon-Succès à celui de Horn , on trouve quelques isles celle de New -Island a deux lieues de long et se termine par un mondrain remarquable à sept lieues de-là est l’isle Euozits; plus loin, les deux petites isles Barnevelt qui sont basses , environnées de rochers ; à trois lieues d’elles sont les isles de Y lier mite , qui sont assez élevées. Nous partîmes de la baie de Bon-Succès le 22 ; nous eûmes souvent des calmes jusqu’au cap Horn on y tua des alhalross et des coupeurs d'eau ; et l’on remarqua que les premiers étaient plus gros que ceux au nord du détroit 3a Premier. Voyage ils avaient dix pieds deux pouces d’envergure , tandis que les coupeurs d’eau étaient plus petits et avaient une couleur plus foncée sur le dos. Au-delà du cap Horn , nous eûmes des vents violons , une mer agitée avec des intervalles irréguliers de calme et de beau te ms ; mais les courait s ne troublèrent point notre route ; beaucoup d’oiseaux voltigeaient autour de nous , et M. Banks en tua soixante-deux en un jour ; il attrapa deux mouches de bois , qui venaient, comme les oiseaux, de la terre qui était fort éloignée ; il trouva aussi une grande sèche mutilée et flottante sur l’eau les oiseaux l’avaient tuée ; elle était différente de celles d’Europe ; au - lieu de suçoirs , elle avait des bras armés d’une double rangée de griffes , qui se retiraient comme celles d'un chat dans un fourreau. On en fit une très-bonne soupe. Le 8 février , nous cessâmes de voir des alba- tross le o\ , on vint me dire qu’on avait vu passer un morceau de bois près du vaisseau , et que la mer qui était agitée était devenue tout d’un coup unie comme un étang. Nous pensâmes qu’il y avait une terre dans le voisinage, peut-être les isles découvertes par Quiros ; mais nous ne les cherchâmes pas. Le o5 , un jeune soldat de marine , en sentinelle , qui regardait un de mes domestiques faisant une bourse de tabac avec une peau de veau marin , lui en demanda une , et sur son refus , lui dit en riant qu’il la lui déroberait s’il la pouvait ; le domestique quitta ce lieu en lui recommandant K e Jacqfbs Cook. 33 recommandant de veiller sur sa peau, et le soldat , en son absence , lui en prit un morceau de-là naquit une dispute que des soldats entendirent j iis mirent à cette action une importanca qu’elle ne méritait pas ; on lui fit des reproches , des menaces de le dire aux officiers , et il sa retira dans son hamac accablé de désespoir et da honte ; bientôt après un sergent vint lui ordonner de le suivre sur le tillac, il le suivit sans répliquer, et s’échappant, se jeta dans la mer; on le regreta , parce qu’il ne s’agissait que d’une bagatelle , que le jeune homme était paisible et très-industrieux , et que sa mort montrait une sensibilité pour l’honneur que n’ont pas les âmes viles. Le 4 Mars, nous découvrîmes une isle de forme ovale qu’un lagon profond semblait partager la terre qui environne ce lagon est étroite et basse, sur-tout vers le midi, où elle n’est formée que par une bande de rochers cette isle ressemble à plusieurs petites qui seraient voisines et couvertes de bois. Au couchant , elle a un groupe d’arbres qu’on prendrait pour une tour au milieu deux cocotiers s’élèvent au-dessus des autres, et présentent l’apparence d’un pavillon; elle n’offre aucun mouillage ; à un mille de ses bords on ne trouve point de fond. Les arbres qui la couvrent, sont d’un verd différent nous vîmes accourir des habitans ; ils nous parurent grands et avoir la tète fort grosse ; ils sont couleur de cuivre et ont les cheveux noirs ils portaient à la main de longs bâtons, et dès que nouç ! Tome I. Ç 34 Premier Voÿasü eûmes passé l’isle, ils se couvrirent de quelque chose qui les rendaient d’une couleur éclatante leurs habitations sont sous des touffes de palmiers qui , de loin , ressemblent à des monticules nous n'avions pas vu des arbres depuis long-temps, et ceux-ci nous offrirent l'image d’un paradis terrestre. Nous appelâmes cotte isle, Isle du Lagon. Sa longitude est de deux cents trente-huit degrés , sa latitude de dix-huit degrés quarante-sept minutes sud. Nous nous dirigeâmes au couchant, et vîmes peu de temps après une petite isle basse , ronde, couverte de bois elle n’avait qu’un mille de toux, et nous n’y vîmes ni habitans ni cocotiers , quoique ornée d’une verdure variée ; elle est à sept lieues du Lagon ; on lui donna le nom de Cap Thrumb. Le tems était beau , le vent Favorable , et le lendemain nous découvrîmes une isle basse, qui avait dix à douze lieues de tour, et quatre de long ; elle ressemblait exactement à un arc dont la corde était formée par une grève plate , aride, Sur laquelle la mer avait déposé des tas de plantes marines ; deux touffes de cocotiers marquaient les extrémités de Parc , et son contour était couvert d’arbres différons en hauteur, couleur et figure ; au centre paraissait un lac ; nous en étions fort près, mais nous ne trouvions point de fond et tomba tout-à-coup il fallut c’en éloigner , en observant le bruit de la mer 'qui brisait contre les rochers on la nomma Isle de VArc Bow - Island la fumée nous persuada quelle était habitée , et l'un de nous de' Jacques Cook. 35 assura y avoir vu des hommes , des cabanes, des pirogues. Sa longitude est deux cents trente- six degrés dix-huit minutes , sa latitude dix-huit degrés vingt-trois minutes sud. Le 6 , nous vîmes terre encore c’étaient deux isles environnées de plus petites , occupant un espace de neuf lieues on les nomma les Groupes ; elles sont assez larges , fort étroites on y voit des arbres, sur-tout des cocotiers nous entrâmes dans une baie tranquille qu’elles formaient; mais n’y trouvant pas de fond , nous nous en éloignâmes alors des habitans accoururent, s’avancèrent jusqu’à des rochers dans des pirogues ils délibérèrent, en consultèrent d’autres , et s’arrêtèrent lorsqu’ils virent que nous les attendions. Nous cessâmes de les attendre et nous apperçûmes une pirogue qui nous suivait à la voile; mais nous ne crûmes pas devoir nous arrêter encore. Ces hommes paraissaient bien faits et de notre taille ils sont nuds, bruns ; leurs cheveux noirs sont enveloppés dans un réseau autour de la tête, et formaient derrière une touffe ; d’une main ils tenaient un bâton long de dix à quatorze pieds , taillé comme une lance ; de l’antre , une espèce de bagaie ; leurs pirogues sont petites de la voile ils forment un abri contre la pluie ; ils nous firent des signaux, ou pour nous effrayer, ou pour nous inviter à descendre ; nous agitâmes nos chapeaux , ils firent des acclamations mais nous ne voulions pas nous exposer à une querelle , et l’isle n’était pas assez considérable pour, C a Z 6 Premier Voyage y chercher des rafraîchissemens. Nous cherchions î’isle Otahiti pour faire nos observations, et elle ne pouvait être bien éloignée. Le 7 , à la pointe du jour nous vîmes une isle cl’une grande lieue de tour son sol était bas au centre on voit une pièce d’eau ; elle est couverte de verdure ; nous n’y vîmes ni cocotiers, ni habitans ; mais beaucoup d’oiseaux , et nous l’appellâmes Isles des Oiseaux, Bird-Island . Dans l’apiès-midi, nous vîmes une double rangée d’isles basses, boisées, jointes par des rochers, formant comme une seule isle ovale avec un lac au milieu ; nous lui donnâmes le nom d ’ Isle de laChaine, parce qu’elle en avait l'apparence; elle est à quarante-cinq lieues de celle des Oiseaux , et en a cinq de long ; ses arbres sont élevés au travers s’élevait de la fumée , ce qui nous annonçait qu’elle était habitée. Le 10, l’air et la mer s’agitèrent , nous eûmes de la pluie et des éclairs , mais quand la brume fut dissipée, nous vîmes l’isle Maitea ; c’est celle que le capitaine Wallis appella Osnabrug ; elle a une lieue de tour, est haute , ronde , n’offre qu’un rocher nud en des endroits , et des arbres en d’autres; du côté du nord elle a la ligure d’un chapeau, dont la tête est fort haute. Enlin , nous crûmes appercevoir l’isle que nous cherchions; nous disputâmes tout un jour pour décider si c’était en effet une isle ou seulement un nuage mais le lendemain nous la reconnûmes pour celle que le capitaine Wallis avait nomin éelsle de Geoj'ges III. Le la au matin, nous vîmes plusieurs pire- de Jacques Cook; f>j gués en partir , et s'approcher de nous sans vouloir venir à bord ; les insulaires portaient de jeunes planes et des branches d’un arbre qu’ils appellent E’midho , témoignages de paix et d’amitié qu’ils nous tendirent, en nous faisant des signes que nous ne comprîmes pas d’abord ; nous conjecturâmes qu'ils désiraient que nous les attachassions à des parties remarqua blés de notre bâtiment; nous les mîmes tt nos agrès, et ils furent très-satisfaits ; nous achetâmes leurs fruits, et continuant de naviguer à basses voiles , nous vînmes jeter l'ancre dans la baie de Fort-Royal , nommée par les habitans Matavai. Bientôt nous fûmes environnés de pirogues qui nous apportaient des cocos , des fruits à pain. et d'autres fruits en échange de nos verroteries. Parmi eux était le vieillard qui avait été si utile au capitaine Wallis ; on lui donna mille témoignages de bienveillance pour se l'attacher. Comme notre séjour devait être long dans cette isle , nous fîmes des régleinens pour le commerce, afin que nos marchandises ne baissassent pas de prix ; quelques officiers avaient droit de le faire ; on imposa des peines à ceux qui distrairaient quelque chose du vaisseau , qui en, égareraient , qui seraient des échanges pour acquérir d’autres objets que des comestibles , qui feraient tort ou insulte aux habitans. Nous descendîmes ensuite , Mrs. Banks , Solander et moi, avec un détachement de soldats , et notre ami O wha-w ; plusieurs centaines d’habîtans nous annonçaient par leurs regards que nous étions les C 3 38 Premier Voyage bien-venus ; mais ils nous craignaient chacun d’eux avait une branche verte à la main, nous en prîmes comme eux y ils les placèrent sur un terrain nétayé près de l’aiguade, et nous les imitâmes ; ils semblèrent alors perdre leur timidité, ils devinrent familiers, et nous leur fîmes de petits présens. Nous continuâmes cependant notre marche au travers de bocages chargés de noix de cocos et de fruits à pain , à la vue de leurs habitations , cpui la plupart n’ont qu'un toit sans enceinte , sans murailles mais nous remarquâmes avec regret que dans toute notre course , nous n’avions vu que deux cochons et point de volaille ceux qui avaient été du voyage du Dauphin , voulurent nous mener vers le palais de la reine , et nous n’en trouvâmes pas même les vestiges nous revînmes à notre bâtiment. Le lendemain , nous vîmes arriver deux pirogues d'indiens qui , parleur extérieur, parurent être de la tribu des nobles deux d’entr’eux se choisirent des amis ; l’un me donna la préférence, l’autre pritMr. Banks , et iis nous revêtirent de leurs habillemens ; en retour n ous leur donnâmes une hache et des verroteries ; ils nous invitèrent à nous rendre dans les lieux qu’ils habitaient, et nous y allâmes dans deux bateaux, Mrs. Banks , Solarider et moi, suivis de nos officiers et de deux Indiens. Nous débarquâmes à une lieue de là , au milieu d’un grand nombre d’habitans on nous mena dans une maison vaste où nous vîmes un homme d’un moyen âge pommé Tootahah , et l’on nous jnvita à nous de Jacques Cook. 3$ asseoir vis-à-vis de lui sur des nattes. Tootahah, nous fit piésentd’un coq , d’une poule, et d’une, pièce d’étoffe, dont on nous ut sentir le parfum^ qui n’était pas désagréable Mr. Banks donna en échange un mouchoir de poche et une cravata, de soie bordée de dentelles , dont l’Indien se para tout de suite. Les femmes vinrent à leur tour, et nous montrèrent tous leurs appartemens nul scrupule ne gênait leurs actions , nuis plaisirs ne paraissaient leur être défendus ; des lieux ouverts , où on avait étendu des nattes , leur paraissaient aussi convenables pour s’y livrer, quoi les réduits les plus secrets peuvent le paraître à nos Européens. Nous quittâmes ce chef et le lieu qu’il habitait et suivant la cote , nous rencontrâmes un autre chef à la tête d’un grand nombre d’insulaires ; il s'appelait Tubourrii - Tamaidé ; nous! reçûmes sa branche verte , nous lui en présentâmes à notre tour , et mettant la main sur la poitrine , nous prononçâmes le mot tdio qui nous parut signifier ami alors il nous offrit des vivres ; nous y dînâmes avec du poisson , du fruit à pain , des cocos , des fruits du plane apprêtés à leur manière. Une femme de notre hôte nommée d'ornio , se plaça sur la même natte queM. Banks , qui ne lui fit point accueil, can elle n’était ni jeune ni belle ; il appella une jeune fille , qui vint se placer de l’autre côté de Mr. Banks , et il la chargea de brillantes bagatelles qui lui firent grand plaisir ; cette préférence ne fit point cesser les attentions de lp C A. 5fo PKEIIIU V O Y A O K princesse , qui lui prodiguait toutes les friandises qui étaient devant elle, dont allait bien lorsque M. Sol and er se plaignit qu’on lui avait volé une petite lunette dans un étui de chagrin , et Mr. Monkhouse sa tabatière; on porta des plaintes au chef, et Mr. Banks frappa la terre de son fusil avec une vivacité qui fit fuir toute la compagnie. Le chef affligé , consterné , le prit par la main , lui offrit plusieurs pièces d’étoffes ; mais M. Banks ne voulait que ce qu’on avait dérobé. Tubourdi sortit en faisant signe de l’attendre , il revint quelque temps après avec la lunette et la tabatière ; la joie se peignait sur on. visage de la manière la plus expressive mais on ouvrit l’étui de la lunette , et on la trouva vuide ; le chef affligé de nouveau , prit M. Banks par la main , sortit avec lui., et le conduisit le long de la côte ; Mrs. Solander et Monkhouse les suivirent ; ils entrèrent dans une maison où était une femme , à qui le chef fît signe de donner quelques verroteries elle sortit un instant après , puis rentra contente de rapporter la lunette le chef voulut que M. Solander acceptât une pièce d’étoffe en dédommagement , et il ne put la refuser. Ne connaissant ni la langue , ni la police , ni les mœurs de ce peuple , on ne peut parler des moyens employés par les chefs pour retrouver les effets perdus ; mais on y vit beaucoup d’intelligence. Nous retournâmes à notre vaisseau. Le lendemain nous reçûmes la visite des chefs; 51 nous apportèrent des cochons et des fruits ; de Jacques Cook. 4^ 31Ö1TS leur donnâmes des liaches et des toiles. Cependant nous n’avions pas trouvé de havres plus commodes que celui où nous étions , et nous nous y fixâmes suivi d’un détachement , de Mrs. Banks , Solander et Green , je vins à la pointe nord-est de la baie où il n’y avait nulle habitation ; là nous marquâmes un terrein défendu par le canon du vaisseau , et y élevâmes une tente où nous devions faire nos observations les habitans nous regardaient sans nous incommoder ; ils se tinrent derrière la ligne que nous avions tracée, et nous tâchâmes de faire comprendre à un des chefs et à Owhaw que nous avions besoin de ce terrain pour y dormir , et qu’ensuite nous nous en irions l’opération finie , nous plaçâmes une garde de i 3 soldats et un officier pour garder la tente , et résolûmes d’aller visiter les bois où nous soupçonnions qu’on avait retiré les porcs et la volaille pour les dérober à nos regards en avançant, M. Banks abattit trois canards d’un coup de fusil, qui imprima la terreur parmi les Indiens ; ils se jetèrent à terre comme s’ils eussent été blessés, et ne revinrent que lentement de leur frayeur; nous continuâmes notre route ; mais nous n’étions pas encore bien loin lorsque nous entendîmes deux coups de fusil; nous revînmes en hâte , et sûmes bientôt ce dont il s’agissait. Un Indien s’étant approché de la tente, avait arraché le fusil de la sentinelle , l’officier brutal avait ordonné de faire feu , et les soldats plus féroces encore avaient tiré sur la foule qui s’enfuyait , composée de plus de cent 4a Premi er Vota g % personnes ; le voleur iLayant pas éLé tué, ils avaient couru sur lui et l’avaient assommé ; lui seul perdit la vie. Owliaw rassembla quelques- uns des fuyards ; nous tâchâmes de leur faire comprendre que s’ils ne nous faisaient point de mal , nous ne leur en ferions jamais iis se retirèrent sans témoigner de défiance ^ ni de res- -sentiment, et nous revînmes au vaisseau mécon- •tens de notre journée, et incertains de ce que •nous devions penser. Cette entreprise était-elle l'effet d’un complot des Indiens , Owliaw le savait-il , le soupçonnait-il, voulait-il le prévenir ? Chacune de ces conjectures avait ses raisons et ses partisans ; nous ne pûmes jamais approfondir cette affaire ; nous blâmâmes nos soldats , mais le mal était fait. Le lendemain aucun des habi- tans n’approcha le vaisseau , Owliaw lui-même ne se montra pas nous amenâmes le vaisseau plus près de la côte , nous y descend'ines dans le lieu où nous voulions élever une espèce de fort pour faire paisiblement nos observations astronomiques ; et les Indiens ne voyant point autour de nous d’appareil menaçant , se rapprochèrent sans nous témoigner moins d’amitié qu’autrefois nous reçûmes ensuite la visite de Tubouraï et de Tootahali , ils portaient en main de jeunes bananiers , et ils ne montèrent au vaisseau que lorsque nous les eûmes acceptés; ils nous apportèrent un cochon apprêté et des fruits à pain , en retour desquels nous leur £mes présent d’une hache et d’un clou. i B avril, nous descendîmes pour élevesr de Jacques Cook. ^3 notre fort nous creusâmes des retrancliemens et nous les bordâmes de piquets et de fascines ; loin de s’y opposer , les insulaires nous aidaient nous achetâmes d’eux tous les pieux dont nous nous servîmes , et nous ne coupâmes pas un arbre qu’ils n’y eussent consenti ; trois côtés de notre fort furent fortifiés par des fascines , le quatrième l’était par une rivière ; nous y descendîmes 6 piferriers ; les provisions ne nous manquèrent pas , nous en avions même plus qu'il ne nous était nécessaire ; les cochons seuls étaient rares ; un grain de verre de la grosseur d’un pois était le prix de 5 ou 6 cocos et d’autant de fruits à pain. Tnbouraï vint visiter dans la fort M. Banks, qui y avoit élevé un etente il amena avec lui sa femme , sa famille , le toit d’une maison , les matériaux pour la dresser , les ustenciles et les meubles necessaires pour l’habiter; la marque de confiance qu’il nous donnait en se fixant près de nous , fît que nous redoublâmes d’attention pour lui il conduisit M r . Banks dans les bois , sous un hangar, et y revêtit le savant Anglais de deux habits , l’un de drap rouge , l’autre d’une natte très-bien faite , puis il le conduisit à sa tente , où sa femme Tomio se rendit avec un jeune homme de 20 ans qu’on crut être son fils et qui ne l’était pas ; nous les accueillîmes, et ils ne se retirèrent que le soir. Ce chef aimait nos manières, il les imitait, se servait du couteau et de la fourchette comme nous , et nous visitait souvent. JM r . Moirkhouse nous dit qu’il avait vu le ca-. 44 Premier Voyage dâvre de l’homme que nos soldats avaient tué dans une espèce de hangar que nous allâmes visiter ce hangar était joint à la maison qu’il habitait durant sa vie , et près d’elle étaient d’autres habitations Il avait i5 pieds de long, il de large ; sa hauteur était proportionnée à ces dimentions ; un côté était ouvert, les autres sennes d’un treillage d’osier le cadavre était dans un châssis de bois sur des nattes , couvert d’une étoffe blanche ; à ses côtés étaient ses armes, et près de sa tête des coques de noix de cocos ; à ses pieds étaient une pierre , une baguette seche, des feuilles vertes liées ensemble près de là encore étaient une tige de plane , symbole de la paix , des noix de palmier , et au sommet de l’arbre une coque remplie d’eau douce l à un des poteaux étoit suspendu un sac, où l’on voyait des tranches de fruits à pain , les unes gâtées , les autres fraîches encore. Pendant que j’observais cet hangar, les habitans nous examinaient avec inquiétude j ils parurent joyeux lorsque nous nous retirâmes. Cependant nous nous occupions à observer , à dessiner, mais notre meilleur peintre était mort à la rade les mouches incommodaient notre peintre en histoire naturelle ; elles man- geaientles couleurs à mesure qu’on les étendait sur le dessin ; il fallut s’environner d’un filet. Le* habitans nous apportaient les haches qu’ils avaient reçues du Dauphin , pour nous prier de les aiguiser; parmi celles-là nous en vîmes une que les Français leur avaient donnée. Leurs e Jacobs Cook. 45 s'ois se répétaient assez souvent, les chefs même ne dédaignaient pas d'en faire, mais on les en accusa quelquefois à tort c’est ainsi que M r - Banks ayant perdu son couteau , accusa Tu- bouraï de le lui avoir pris ce bon Indien était désolé de ce qu'on ne le retrouvait pas, lorsqu’un domestique de l’Anglais, qui l’avait placé dans un endroit la veille, alla l’y chercher ; le chef exprima dans ses gestes, dans ses regards, l’émotion qui l’agitait ; il pleura , sortit de la tente, et vint à M r . Banks pour lui reprocher ses soupçons 5 celui-ci en fut affligé , et chercha par des présens à lui faire oublier l'injustice qu’il lui avait faite $ il y réussit. L’Indien revint quelque temps après au fort, il y d na, et s'en retourna sur le soir ; mais bientôt après il rentra dans la plus grande agitation, prit M r . Banks par la main, le conduisit dans un lieu où était le boucher du vaisseau , et fit entendre que cet homme avait voulu tuer sa femme avec une faucille on sut en effet, qu'ayant vu une hache de pierre, le boucher l’avait demandée en échange d’un clou , que sur le refus de la femme, il avait jeté le clou , pris la hache, et l’avait ménacée de lui couper la gorge. Le crime fut constaté ; il fut puni aux yeux des Indiens le boucher fut dépouillé, attaché aux agrès, et battu de verges au premier coup les Indiens demandèrent grâce pour lui, et ne pouvant l'obtenir, ils versèrent d’abondantes larmes. Ils en répandent avec facilité ; nn faible chagrin semble les jeter dans le désespoir, mais l’instant après, le sourire Premier. "Voyage renaît sur leur visage , qui reprend bientôt sa première sérénité ils sont encore, pour ainsi dire, des en sans très-sensibles à l’objet présent, bientôt ils l’oublient, leurs peines sont courtes et vives, mais le plaisir leur succède presque dans le mêm einstant ils projettent, et ne pensent plus à exécuter, si quelques instans séparent le moment de l’exécution de celui où ils formèrent le projet. Les environs de notre fort étaient devenus un place de marché fréquentée ; parmi les Indiens qui y accouraient, un officier qui avait été de l’expédition du Dauphin reconnut Oberea , dans une femme assise modestement parmi les autres, et tous les regards se fixèrent sur elle ; sa taille était élevée , son teint blanc , ses yeux pleins de Sensibilité et d’intelligence j il ne lui restait que des ruines de sa beauté passée , quoiqu’elle n’eût qu’environ 4° ans. On la reçut sur le vaisseau avec distinction , On lui fit des présens ; mais ce qui la charma le plus, ce fut une poupée elle fit porter en échange un cochon et des fagots de plane au fort nous rencontrâmes Tootahah , qui parut mécontent des égards que nous avions pour Oberea , et fut jaloux du don de la poupée j il fallut lui en donner une semblable pour satisfaire sa jalousie enfantine bientôt il la négligea et n’y pensa plus. M r . Banks alla visiter le lendemain Oberea, ilia trouva couchée encore et dans les bras d’un jeune homme craignant d’avoir été indiscret, il se hâtait de se retirer, mais on lui fit bientôt .entendre que ces amours -DE J A C Q. U E S GO O K. ^ n’avaient rien d’extraordinaire „ ni de honteux $ il attendit un instant, la princesse , qui fat bientôt habillée , et le revêtit lui-même, d’étoffes dînes. Une visite qu’il Et à Tubouraï qu’il trouva avec sa fille très-affligé et versant des larmes , fit naître parmi nous des inquiétudes j on se ressouvint qu’Ovvhaw avait dit trois jours auparavant que dans quatre jours nous tirerions nos grandes pièces d’artillerie $ on craignit quelque entreprise violente * on doubla les gardes t on fut plus vigilant, plus actif, sans pourtant avoir plus de raisons de l’être , car nos fortifications et nos armes nous mettaient en sûreté, et les Indiens étaient paisibles. Le jour où l’on avait craint une attaque, Tomio accourut au fort , entraîna dans sa maison M r . Banks , à qui les Indiens s’adressaient toujours dans leurs peines, et lui fit entendre en chemin que Tubouraï était mourant, et que nous l’avions empoisonné on lui apporta une feuille que le chef avait vomi ; il ouvrit la feuille, et y vit un morceau de tabac , qu’il avait, demandé à nos gens, qu’il voyait lé tenir dans leur bouché, et il l’avait mâché et avalé il croyait toucher à sa dernière heure , mais l’Anglais lui fit donner du lait de cocos , qui lui rendit la santé et la gaîté. Dans le même temps je rendais Tootahah aussi heureux que Tubouraï Tétait, en lui donnant une hache de fer faite sur le modèle de la hache de pierre dontcepeuplesesert il abandonna tous les objets qu’on avait étalés à ses yeux , pour se saisir de 48 'Premier. Voyage celui-là, et craignant que je ns me repentisse de la lui avoir donnée , il s’ensuit avec elle transporté de joie. Un autre des chefs de ces Indiens nous donna un exemple de l’orgueil ou , de la vanité des nobles il vint dîner avec nous; mais accoutumé à se faire mettre les morceaux dans la bouche par ses femmes , on lui présenta en vain les mets qu’on jugeait devoir lui être les plus agréables , il n’y toucha pas , il fallut lui faire mettre les alimens dans la bouche pour qu’il en prît. Après avoir dressé notre observatoire, nous descendîmes pour placer notre quart de nouante , et nous ne le trouvâmes plus nous le fîmes chercher avec soin dans le fort, sur le vaisseau ; on promit en vain des récompenses à celui qui indiquerait le voleur ; on ne put le retrouver. Nous pensâmes enfin que les Indiens l’auraient volé , et Mr. Banks, suivi de Mr. Green , courut dans les bois pour s’informer du voleur ; il rencontra Tubouraï qui, avec des brins de paille , lui montra sur sa main la figure d’un triangle ; il vit que nos conjectures étoient fondées , et dit au chef qu’il voulait aller tout de suite où l’instrument avait été porté ils allèrent vers le couchant de l’isle , s’informant du voleur dans toutes les maisons , et se faisant montrer le lieu où il avait porté ses pas ; ils marchaient rapidement , quelquefois ils couraient, quoiqu’il fît très chaud ; enfin après avoir grimpé une montagne pendant plus d’une heure, on leur montra un endroit à une lieue de là, où devait êtr l’instrument B E jACQf ES C Ö O K. 49 l’instrument volé. Cependant Mr. Banks sentit qu'il s’exposait ; il n’avait sur lui qu’une paire de pistolets , et les Indiens pouvaient être moins dociles dans ces lieux écartés ; il m’envoya un homme pour me prier de venir au-devant de lui avec un détachement, et continua sa route ils arrivèrent à cette habitation , où ils virent un Otahitien tenant en main une partie de l’instrument qu’on cherchait on s’arrêta , les Indiens s’assemblèrent, et la vue d’un des pistolets les lit ranger en cercle autour des deux Anglais et de Tubouraï. Alors Mr. Banks ordonna qu’on rapportât au milieu du cercle tracé sur l’herbe , la boëte du quart de nouante, plusieurs lunettes , un pistolet de selle qu'on lui avait volé peu de temps auparavant tout fut rapporté , mais Mr. Green s’apperçut qu’il manquait le pied et quelques autres parties de sa machine ; on lit ds nouvelles recherches , on en rapporta quelques - unes , on promit de faire rendre le pied, et l’on revint au fort je rencontrai la troupe à deux milles du fort, et nous nous en retournâmes très - contens ; mais en arrivant nous trouvâmes les Indiens dans la douleur à la porte du camp ; Mr. Banks y entra, suivi de Tubouraï , ils virent Tootahah prisonnier Tubouraï se jeta dans ses bras , l'arrosa de ses larmes , par-tout on entendait des sanglots , on croyait que nous l’allions faire mourir j’arrivai bientôt après , et m’informai de la cause du tumulte ; j’appris que la nouvelle du vol qu’on {tous avait fait et mon départ à la tête d’un, déta- Torne J, p So Premier V o t a c e ehernen t avaient alarmé les Indiens, qu’ils commencèrent bientôt à emporter leurs effets et à s’éloigner du fort ; que nos soldats, à qui j’avais défendu de laisser partir deepirognes , de peur qu’on n’y emportât notre instrument , voyant une double pirogue s’éloigner, avaient couru sur elle et l’avaient arrêtée ; qu’ils y avaient trouvé Tootahah , et qu’on l’avait amené prisonnier. Je le fis relâcher tout de suite ; il fut reçu par les Indiens avec des transports de joie difficiles à décrire; lui-même, qui croyait toucher à son dernier moment , se voyant en liberté , nous força de recevoir deux cochons , que nous ne primes qu’à force de sollicitations, parce que nous sentions ne pas mériter sa reconnoissance; il le sentit comme nous le lendemain, puisqu’il nous envoya demander en échange une hache et une chemise ; pour nous reconcilier avec lui, nous voulûmes les lui porter nous-mêmes. Cependant, les Indiens, indignés ou effrayés, ne nous apportaient plus de provisions , et Mr. JBanks fut obligé d’aller dans les bois visiter Tubouraï pour en obtenir quelques corbeilles de fruits à pain il réussit ; mais on se plaignit avec amertume du traitement fait à Tootahah ; peut-être en effet eut-il à essuyer des brutalités de la part de nos soldats notre visite nous reconcilia avec lui en nous y rendant , nous trouvâmes le rivage bordé d’une foule d'Otahi tiens , au milieu desquels un grand homme de bonne mine,armé d’un bâton blanc dont il frappait les Indiens , nous Ht faire un passage j ou nous criait Taio Too- de Jacques C o o k. Si taîiah , Tootahah est votre ami . Nous le trouvâmes assis sous un arbre , environné de vieillards vénérables nous lui donnâmes une hache , nous le revêtîmes d’un habit de drap fait à la mode de son pays ; il fît donner la chemise are grand homme qui nous avait reçu , et pour lequel il desirait que nous eussions des attentions particulières. Oberea et d’autres femmes étaient placées près dé nous. Tootahah sortit, et nous fît dire qu’il nous attendait nous le trouvâmes sous la banne de notre propre bateau, où-il nous fît signe d’entrer, et nousy offrit des rafraîchisse-, mens ; nous en prîmes pour lui complaire , puis il sortit, et dans quelques minutes on vint nous inviter à le suivre ; il était dans une grandes place qui touchait à sa maison , palissadée des bambous de trois pieds de haut là , il voulut nous donner un divertissement nouveau' c’était un combat de lutte le chef et les principaux étaient placés dans la partie supérieure de l’aiii- pliitéâtre, nos sièges v étaient aussi, mais nous préférâmes d’être en liberté parmi Les spectateurs t nous vîmes entrer dans l’arêne dix ou douze' hommes n’ayant de vêtement qu’une ceinture ; ils en firent lentement le tour , les regards baissés , la main gauche sur la poitrine ; de la main droite ouverte, ils frappaient souvent avec raideur l’avant-bras de l’autre , comme pour ses défier d’autres atliletes les suivirent ; il së fît des défis particuliers , en appuyant sur la poitrine leurs doigts joints et remuant vivement les coudes de haut Lst btttz ; si le lutteur acceptait Ig ß % Premier Voyagb défi , il faisait les mêmes signes ; alors ils est venaient aux mains ; ils cherchaient à se saisir ou par la cuisse , ou par la ceinture , ou par la main , ou par les cheveux , et le plus fort renversait hautre , et les vieillards applaudissaient aux vainqueurs par quelques mots , que l’assemblée répétait en chœur , et faisait suivre de grands cris de joie le vainqueur paraissait sans orgueil et le vaincu sans chagrin ni honte d’autres couples succédaient à ceux-là ; si aucun, des deux n’était renversé , ils se quittaient d’un commun accord et en allaient défier d’autres. Pendant que ceux-ci luttaient , d’autres dansaient ; rien ne troublait la bienveillance et la joie universelles , quoiqu’il y eût au moins cinq cents spectateurs. Ce spectacle dura deux heures, il finit par un dîner que Tootahah fit porter au vaisseau. Notre réconciliation avec lui ramena l’abondance dans le marché 5 cependant la verroterie perdait de son prix , il fallut enfin montrer nos doux , et le marché alors fut bien garni les cochons seuls y étaient toujours rares , et quelques-uns d’entre nous allèrent visiter la partie orientale de l’isle , pour voir si l’on ne pourrait point y en acheter , ainsi que de la volaille ; ils y virent des cochons et une tourterelle ; mais tout, disait-on , y appartenait à Tootahah , qui gouvernait en souverain cette partie de l’isle nous sûmes depuis qu’il exerçait l’autorité au nom d’un mineur que nous n’avons point vu. Mr. Green remarqua dans cette partie de l’ pn arbre de 6s verges de circonférence ç’était us Jacques Cook. 53 un figuier dont les branches recourbées vers la terre y avaient pris de nouvelles racines , et ces tiges jointes ensemble semblaient n’en faire qu’une. Une forge que nous avions établie donnait un nouvel aliment à la curiosité des Indiens ; ils regardaient fabriquer nos instrumens , souvent ils priaient de leur en faire avec du vieux fer qu'ils avaient reçu du Dauphin nous fîmes plaisir à Oberea en lui raccommodant une hache rompue ils ne pouvaient prononcer nos noms , ils les changeaient ou par la disposition de leurs organes , ou en leur donnant un sens relatif à ce qui les avait frappés dans chacun de nous. Pour eux Cook était Toute ; Solander , Torano ; Banks , Tapane ; Green , Eterée , etc. Le 21 Mai , nous reçûmes la visite de deux femmes et d’un homme que nous n'avions point vus encore , et qui nous abordèrent avec des cérémonies singulières voyant M. Banks s’approcher , elles firent quinze pas , puis s'arrêtèrent, et lui firent signe d’en faire autant alors elles jetèrent à terre une douzaine de jeunes planes et quelques petites plantes , et un homme qui paraissait un domestique , passa à six reprises différentes , et remit à chaque tous une branche à Mr. Banks. Tupïa , Indien affectionné aux Anglais, recevait et plaçait les rameaux, puis un autre homme apporta un grand paquet d’étoffes j, il y en avait neuf pièces , et en ayant mis trois l’une sur l’autre, Oorattooa , la principale de ces femmes, monta sur ces étoffes , releva, ses. D 3 NH Premier, Voyage vêtemcns jusqu’à la ceinture , et en fit trois fois 3e tour à pas lents , avec beaucoup de sérieux , de sang-froid ; avec un air d’innocence et de simplicité difficile à peindre ; l’homme remit encore trois pièces sur les autres , la dame recommença sa cérémonie, elle la fit encore quand on eut accumulé les neuf pièces ; ensuite on replia les étoffes et on les offrit à Mr. Banks , qui leur donna aussi tout ce qu’il put croire leur être agréable après avoir demeuré une heure dans la tente , elles se retirèrent. Une aventure faillit de nous réduire encore à la disette. Mr. Banks se promenant avec son fusil, il rencontra Tubouraï qui lui arracha subitement son fusil, le banda, et lâcha la détente', mais le coup ne partit pas ; c’était un objet important pour les Anglais de cacher aux insulaires comment on maniait cette arme , et Mr. Banks fit des défenses plus sévères contre ceux qui oseraient les toucher, et y joignît des menaces. Tubouraï les écouta, puis quand l’Anglais fut éloigné , il partit avec toute sa famille pour sa maison d’Eparre nous craignîmes les suites de son ressentiment, et Mr. Banks le suivit pour le ramener ; il le trouva affligé , racontant son aventure à ses compatriotes , et une de ses femmes , en voyant les Anglais, se déchira le front avec une dent de goulu de mer. On ne perdit pas un instant pour les consoler en montrant au chef qu’on ne lui voulait point de mal, il se calma , et revint au fort passer la nuit, pendant laquelle su Indien essaya encore de nous voler. D U Jacques Cook. 65 Le lendemain neus désirâmes que Tubouraï et sa femme assistassent au service divin ; on pensait qu’il nous ferait des questions qui nous donneraient lieu de l’instruire; il y assista , imita notre silence , se leva , se mit à genoux , puis se retira sans nous rien demander le soir, les Indiens nous montrèrent à leur tour une de leurs cérémonies un jeune homme et une fille satisfirent leur penchant amoureux en public et sans y attacher aucune idée d’indécence. Un acte d’un autre genre vint fournir matière à nos réflexions On nous vola une de nos pièces d’eau pendant la nuit , et le lendemain nous ne vîmes pas un Indien qui ne fût instruit, pas uns qui ne fût disposé à nous indiquer où nous pourrions retrouver l’effet perdu ; quelque temps après , Tubauraï nous avertit qu’on devait le lendemain nous voler un autre tonneau , et il voulut coucher auprès pour l’empêcher , mais nous crûmes qu’il suffisait d’y placer une sentinelle , qui en effet apperçut un Indien s’approcher à minuit, et se retirer lorsqu’il vit un soldat qui veillait sur ce qu’il allait faire. Le chef qui nous avait averti du complot , avait résisté jusqu’alors à la tentation , au penchant commun à tous ses compatriotes, et on ne se défiait point de lui; il vit un panier où il y avait de grands clous, et en escamota successivement cinq on l’apperçut dérobant le dernier, il parut affligé ? rendit un des clous et promit de rendre les autres ; mais au - lieu de le faire , il se retira avec sa famille ; on ne crut pas devoir le recherches? P 4 56 Premier V o t a g e encore ; il revint de lui-même , ne reçut qu’un accueil glacé , et se retira mortifié ; mais on ne put lui persuader de rendre les clous pour recouvrer notre amitié. Le 27, nous allâmes rendre visite à Tootahah, qui nous y invitait depuis quelque temps nous le trouvâmes à Atahourou , presque au midi de l’isle , assis sous un arbre , environné d’un grand nombre d’Otahitiens ; nous lui offrîmes un habit et un jupon d’étoffe qui lui plurent; il voulut faire tuer un cochon pour souper et nous en promit d’autres ; mais comme nous désirions moins de souper que de nous procurer des rafraîchis- semens , nous le priâmes de ne pas le tuer , et nous soupâmes avec les fruits du pays. Nous nous couchâmes à la nuit dans des pirogues. Mr. Banks alla dans celle d’Oberea » où il se déshabilla , et elle lui promit qu’elle veillerait sur ses habits ; il s’endormit tranquillement; sur les onze heures il se réveille , et pressé par un besoin , il cherche ses habits et ne les trouve plus il éveille Oberes , qui se lève , allume des flambeaux, et paraît chercher les effets perdus. Tootahah se réveille aussi , sort de sa pirogue , et joint ses perquisitions à celles d’Oberea ; les habits ne se retrouvent point. M. Banks n’avait que ses culottes ; on lui avait pris son habit, sa veste, ses pistolets , sa boîte à poudre et d’autres effets ; il lui restait encore un fusil, mais il n’était point chargé , et il commença à craindre pour lui- même , parce qu’il était seul et ignorait où nous pouvions être ; il sut cacher sa crainte et ses de Jacques Cook; 5j soupçons, parut satisfait des recherches qu’on avait faites , confia son fusil à Tupia et se recoucha ; mais bientôt après il entendit de la musique , il vit des lumières c’était un concert qui se préparait, et il espéra nous y trouver ; il vint presque nud à Len droit où le son se faisait entendre ; il m’y trouva avec trois autres personnes du vaisseau , et nous le consolâmes de sa triste aventure , en lui montrant que nous avions été aussi maltraités que lui quoique je n’eusse pas dormi de toute la nuit, on m’avait volé mes bas même que j’avais placés sous mon chevet. Quoique mal vêtus , nous écoutâmes la musique ; elle était composée de quatre tambours , de plusieurs voix et de trois flûtes à deux trous, dans lesquelles en soufflait avec les narines. Ce concert dura une heure , puis nous allâmes nous recoucher , après être convenus de ne pas nous plaindre et de nous rassembler à la pointe du jour. Alors Mr. Banks fut revêtu par Oberea de quelques vêteinens Otahitiens ; il reprit son fusil, que Tupia lui avait gardé fidèlement, et vint nous rejoindre. Le docteur Solander était le seul qui n’eût pas été volé; nous ne pûmes persuader à Tootahah et à Oberea de faire des démarches pour retrouver nos habits, que nous ne revîmes plus ; nous avions lieu de supçonner nos hôtes d’être complices du vol ; nous demandâmes en vain les cochons qu’on nous avait promis , celui même que nous avions épargné le soir précédent $ il fallut nous en retourner, dépouillés , mécon- tens, et sans autre provision que ce que nous M Premier Voyage avions acheté du boucher et du cuisinier du prince. En nous en retournant nous eûmes un spectacle qui nous consola de nos disgrâces j nous v'mes dix ou douze Indiens qui se plaisaient à nager au milieu de lames effrayantes qui semblaient devoir à chaque instant les mettre en pièces contre les rocs où elles se brisaient lorsque les vagues brisaient près d’eux , ils plongeaient , et ils reparaissaient de l’autre côté avec une adresse et une facilité inconcevables ils trouvèrent l’arrière d’une vieille pirogue qu’ils poussèrent devant eux jusqu’à une assez grande distance de la mer j alors deux ou trois d’entre eux se mettaient dessus, et tournant le boutquarré contre la vague, ils étaient chassés vers la côte avec une rapidité incroyable $ ordinairement la vague brisait sur eux avant qu’ils sussent à moitié chemin , et alors ils plongeaient et se relevaient d’un autre côté , en tenant toujours les débris de la pirogue j ils se remettaient à nager de nouveau, su large , et revenaient ensuite par la même manœuvre ; nous contemplâmes pendant une heure cette scène étonnante, et elle nous fit comprendre quelle force l’homme peut acquérir par i’exercice, et quelles facultés il peut développer. l e jour où nous devions observer le passage de Vénus approchait, et pour être plus assurés d’y réussir, nous résolûmes de nous disperser j’envoyai quelques-uns de mes officiers dans la partie orientale de l’isie avec des instrumens, et d’autres suivis de Mr. Banks et de Tubouraï „ dans l’isle d ’lmao ou Ei/nao 2 située à sept lieues de Jacques Cook. §9 au couchant et appelée par le capitaine Wallis Isle du Duc d’York ; ils y arrivèrent pendant la nuit j et tandis que Mrs. Gore et Monkhouse , préparaient les instrumens et les tentes sur un lit de sable blanc qui se trouvait au centre d’un, grand rocher, Mr. Banks , suivi des insulaires d’Otahiti , alla dans l’intérieur de l’isle acheter des provisions il trouva tout en ordre lorsqu’il revint, les télescopes furent fixés et éprouvés la soirée fut très-belle , chacun fit la garde à son tour pendant la nuit, on rapportait en rentrant dans la tente des craintes ou des espérances pour le lendemain ; le temps est toujours serein disait l’un ; il s’obscurcit, disait un autre. On fut debout à la pointe du jour , 3 e . Juin ; on vit le soleil se lever sans nuage ; et tandis que Mrs. Gore et Monkhouse se disposaient à observer, M. Banks vint se placer sous un arbre pour faire ses échanges avec les insulaires pour n’en pas être incommodé , il traça un cercle autour de lui qu’il ne leur permit pas de passer il trouva que les productions d ’lmao étaient les mêmes que celles d’Otahiti, et que leurs habitans se ressemblaient ; il y reçut la visite du roi de l’isle Tarrao et de sa sœur Nuna ; il les introduisit dans son cercle, leur fit présent d’une hache , d’une chemise , de quelques verroteries , en échange d’un chien , d’un cochon , et des fruits du pays qu’il en avait reçus il les mena vers l’observatoire, leur montra la planète au-dessus du soleil, et tâcha de leur faire comprendre que c’était pour observer ce phénomène que ses com- tfo Premier Voyage pagnons et lui avaient quitté leur pays. Le passage de Vénus fut suivi dans nos trois observatoires avec la plus grande facilité ; mais la jois que nous en ressentîmes fut troublée par le vol d'un cent pesant de clous fait par nos matelots. On ne découvrit qu'un des voleurs qui avait sept clous , mais on ne put lui faire révéler ses complices. Peu de jours après , il mourut à Otaliiti une vieille parente de Tomia , ce qui nous fournit l’occasion d’observer les funérailles de ces peuples. Au milieu d’une petite place quarrée , pa- lissadée de bambous , ils dressèrent sur deux poteaux le pavillon d’une pirogue et placèrent le corps dessous sur un châssis , couvert d’une belle étoffe, ayant près de lui des provisions , alimens préparés, comme nous le pensions, pour l'esprit du défunt; mais Tubouraï nous fît entendre qu’ils étaient une offrande à leurs Dieux, et un témoignage de respect vis-à-vis le quarré, les parens s’assemblaient pour s’affliger ensemble; au-dessous du pavillon , était une multitude de pièces d’étoffes sur lesquelles les pleureurs avaient versé des larmes et du sang sorti des blessures qu’ils se faisaient avec la dent du goulu de mer. A quelques pas sont deux petites huttes ; dans l’une quelques parens du défunt résident habituellement ; demeure le principal personnage de deuil , lequel est toujours revêtu d'un habillement singulier, et qui, quelques jours après ', devait exécuter des cérémonies Bizarres. M. Banks, ctarieux de les voir, et ne le v » lACQfss Cook, 6 1 •pouvant s’il n’y jouait un rôle, y consentit on le dépouilla de ses habits, on noua autour de ses reins une pièce d’étoile , on lui barbouilla tout le corps jusqu'aux épaules, de chai bon délayé dans l’eau ; on noircit de même les autres spectateurs , puis le convoi se mit en marche. Tuboutài était à la tête ; il prononçait auprès du corps quelques mots qui nous parurent être une prière, le convoi s’avançait, tons les Otahi- tiens se cachaient devant lui , ils fuyaient dès qu'ils l’appercevaient il traversa la rivière près de notre fort , toutes les maisons sur son passage devinrent désertes ; la procession dura plus de demi-heure 5 on alla dire ensuite au principal personnage de deuil, Imatata, c'est-à-dire, il n’y a personne ; alors tous les gens du convoi allèrent se baigner dans la rivière et reprirent leurs habits ordinaires. Quand le cadavre est tombé en pourriture, on en enterre les os près du lieu où il fut exposé. Les insulaires apportaient rarement au fort leurs arcs et leurs flèches , cependant Tubouraï vint nous montrer les siens. Il tira une flèche à deux cents soixante-quatorze verges. Ces flèches ne sont point empenées ; ils la décochent à genoux , et quand elle part , ils laissent tomber l’arc ; souvent sa corde est faite de cheveux tressés ; deux de nos matelots en volèrent aux In-* disns, qui vinrent s’en plaindre , et nous punîmes chacun des coupables de vingt-quatre coups de fouet. Nous découvrîmes un jour qu’il .y a dans cett 6z P R B M I K K V O Y A & K isle des musiciens ambnlans ; nous nous rassemblâmes dans un lieu où ils devaient passer la nuit; iis avaient deux dûtes et trois tambours ces derniers joignent leurs voix à la musique , et nous étions le sujet des cliansons de ces espèces de hardes ; on les recevait bien dans les maisons où ils allaient , et on leur y donnait ce dont ils avaient besoin. Un nouveau vol nous jeta dans de nouveaux embarras ; un Indien trouva le moyen d’enlever un fourgon par-dessus la palissade contre laquelle il était appuyé ; j’avais donné ordre qu’on ne tirât point sur les voleurs , les fusiller était une punition trop cruelle pour un acte auquel ils n’attachaient pas les mêmes idées que nous, et d’ailleurs nos soldats l’auraient exercée trop légèrement 5 les effrayer par l’explosion d’un coup tiré à poudre, c’était les habituer à ne pas craindre nos armes ; je voulais cependant mettre fin à ces vols fréquens , et je crus en avoir trouvé le moyen en faisant saisir vingt pirogues chargées de poissons, et en menaçant d’y mettre le feu si l’on ne rapportait tout ce qu’on nous avait volé , et entr’autres nos habits escamdttés dans la visite que nous fîmes à Tootahah. Ceux à qui appartenaient les pirogues nous firent rendre le fourgon, et nous prièrent instamment de relâcher leurs pirogues, mais je le refusai jusqu’à ce qu’on, eût tout retrouvé le lendemain arriva , on ne rapporta rien ; cependant les poissons allaient se pourrir, et pensant qu’il étoit injuste de punir des hommes qui sans doute n’étaienç es Jacques Cook,. HZ pas les maîtres de faire restituer ce que nous redemandions , je me décidai à permettre qu’on enlevât le poisson ; puis je relâchai les pirogues, mortifié du mauvais succès de mon projet. Un autre accident faillit encore de nous brouiller avec les Indiens j'envoyai chercher du lest pour mon vaisseau, et nos matelots ne trouvant pas d’abord des pierres qui leur convinssent, se mirent à abattre un mur qui renfermait le lieu où les os de quelques cadavres avaient été enterrés ^ les Indiens , plus jaloux de ce qu’on fait aux morts qu’aux yivans, s’opposèrent à nous pour la première fois , avec nue violence qui en fit craindre les suites ; M r . Banks accourut, et termina le différend à l’amiable. Nous avions un autre exemple de ce respect pour les morts. Notre chirurgien Monkhouse fut frappé par un Otahï- tien, pour avoir cueilli une fleur sur un arbre situé dans un de leurs enclos funéraires. Oberea vint nous visiter le 19 Juin -, soupçonnée d’avoir aidé au vol de nos habits, elle montra d’abord de l’embarras, mais le surmonta avec une force qui nous étonna nous ne voulûmes pas qu’elle couchât au fort, et elle en fut très- mortifiée 5 le lendemain elle revint au fort avec sa pirogue , se remettant dans nos mains avec une confiance que nous admirâmes ; elle nous fit présent d’un chien , d’un cochon , et de diverses autres choses elle cherchait à rentrer dans nos bonnes grâces, et nous parûmes oublier notre mécontentement. Nous avions vu les Indiens préférer la çhm Atr 6^ Premier Von! chien à celle du cochon , nous voulûmes vérifier si en effet elle méritait cette préférence , et nous livrâmes notre chien à l’indien Tupia pour qu’il l’apprêtât à leur manière. Ils ne nourrissent ces chiens qu’avec des fruits , ils les étouffent en. leru serrant fortement le museau, en font tomber le poil en les flambant et les raclant avec une coquille ; les fendent, en lavent les intestins , échauffent un trou fait dans la terre , mettent au fond des pierres un peu chaudes, les couvrent de feuilles , puis y placent le chien avec ses intestins, le recouvrent de feuilles, de pierres chaudes , et le bouchent par-tout avec de la terre dans quatre heures il est cuit nous trouvâmes que c’était un excellent mets. Le 21 nous reçûmes la visite d’un chef que nous n'avions point vu encore , on le nommait Oamo , et les Indiens lui témoignaient un. respect extraordinaire il menait avec lui une fille de seize ans et un garçon de sept, porté par honneur sur le dos d’un homme ; dès qu’on les apperçut , Oberea et tous les Indiens qui étaient au fort allèrent au-devant de lui, après s’être découverts la tête et le corps jusqu’à la ceinture. Le chef entra dans la tente; mais la jeune femme ni le jeune homme ne voulurent y entrer ; les Indiens eux-mêmes s’y opposaient, et le docteur Solander ayant pris le jeune homme par la main et conduit dans latente, les Otahitiens qui s’y trouvaient se hâtèrent de l’en faire sortir. Nous, -sûmes ensuite qu’Oamo était le mari d’Oberea ; qu’ils s'étaient séparés d’un commun accord j que de Jacques Cook. 65 que la jeune femme et le jeune homme étaient leurs enfans ; que ce dernier s’appelait Terridiri; que la fille devait être sa femme et était sa sœur , qu 'il devait à son tour être souverain de l'isle. Nous apprîmes encore que if'happdi , Oamo , Tootahah étaient frères ; que le souverain actuel était fils du premier et s’appelait Outou ; qu’un usage consacré dans l’isle voulait que le fils succédât à son père dès le moment de sa naissance, et que son père ou son oncle gouvernait pour lui jusqu’à ce qu’il fût eu état de le faire lui-même. Je voulus dresser une carte de l’isle, de ses côtes , de ses havres , et je m’embarquai avec Mr. Banks dans la pinasse ; nous nous dirigeâmes à l’orient, visitâmes le quartier d ’Oahounue , où nous lûmes accueillis par des chefs que nous avions vus au port, et le havre ôdOhulea , situé au couchant d’une grande baie, à l’abri des deux petites isles de Boourou et de Taavjirrii ; l’abri n’est pas excellent c’est là que mouilla Mr. de Bougainville. Nous poursuivîmes notre route vers un isthme placé au fond de la baie, laquelle partage l’isle en deux péninsules, qui ont un gouvernement indépendantl’un de l’autre la côte était platte , bordée de rochers qui laissaient des ouvertures et formaient des havres surs ; nous passâmes la nuit à terre chez des hôtes que nous connaissions , et le matin nous examinâmes le pays aux environs de cette grande baie c’était une plaine marécageuse qui sépare les deux royaumes , et au travers de laquelle les Indiens portaient leurs canots de l’autre côté. Nous n’ÿ Tome I. K 66 Premier Voyage trouvâmes point de fruits à acheter. Après avoir navigué quelques milles, nous descendîmes dans le district d’un chef nommé Maraitata , ou le tombeau des hommes son père s'appelait Pa~ raliairedo , le voleur de pirogues mais ni l’un ni l’autre ne justifièrent leurs noms , et ils nous reçurent avec la plus grande honnêteté. De-là, nous nous rendîmes à pied dans le district qui dépend immédiatement de yFaheatua , roi de la péninsule il est composé d’une grande et fertile plaine , arrosée par "une grande rivière ; elle est peu habitée en suivant la côte qui forme la baie Oaitipeha , nous rencontrâmes Wahea- tua assis près de quelques pavillons de petites pirogues ; c’était un homme maigre , dont le temps avait blanchi la barbe et les cheveux, ayant avec lui une jeune femme de vingt-cinq ans; là sont des havres où les vaisseaux seraient en pleine sûreté ; plus loin , le pays est cultivé ; les ruisseaux y sont resserrés entre des lits étroits de pierres, la côte en est bordée les maisons y sont assez rares et petites , les pirogues grandes , bien faites , et leurs pavillons soutenus par des colonnes ; les bâtimens sépulcraux étaient propres , bien entretenus , décorés de planches sur lesquelles on avait sculpté différentes figures d’oiseaux et d’hommes ; nous ne vîmes point de fruits à pain , dans ce canton fertile , les arbres y paraissent stériles , et il nous parut qu'une noix, assez semblable à notre châtaigne, était la principale nourriture des habitans ils ses nommant ahées. de Jacques Cook. 6/ Nous remontâmes clans la chaloupe et débarquâmes ensuite vis-à-vis la petite isle d’Otooraciie , dans une petite anse , près d'une maison déserta où nous passâmes la nuit ; nous manquions de provisions , et Mr. Banks alla dans l’obscurité en chercher dans les bois, il n’y trouva qu’une cabane inhabitée , et ne rapporta qu’un .fruit\ à pain et quelques allées , qui, joints à un canard et quelques corlieux , nous firent un souper abondant, mais peu agréable par le défaut de pain. Le lendemain , n’ayant pu nous procurer des provisions , nous visitâmes la côte sud-est , où le pied des colines est baigné par la mer sans être défendu par des rochers ; nous parcourûmes la partie méridionale à pied ; elle est très- fertile nous arrivâmes en un lieu dont nous connaissions les liabitans, et nous y fûmes bien reçus nous y achetâmes quelques noix de cocos , et continuant notre route , nous parvînmes dans le district de Matthiabo , où nous trouvâmes des cocos et des fruits à pain le chef nous rendit un cochon pour une bouteille de verre ; if avait reçu du Dauphin une oie et une dinde qui s’étaient fort engraissées, et suivaient les Indiens, qui les aimaient passionnément. Nous eûmes là un spectacle nouveau ; sur un bout de planche circulaire on voyait quinze mâchoires d’hommes suspendues ; elles étaient fraîches et avaient toutes leurs dents nous ne pûmes apprendre alors pourquoi elles étaient là. Le chef s'embarqua avec nous , et guida notre bâtiment au travers des bas-fonds -, puis nous E a 68 Premier Voyage vîmes la baie méridionale qui répond à celle dont nous avons parlé , et qui avec elle partage l’isle en deux parties, wiwerou , chef du district, envoya de belles femmes au-devant de nous dans des pirogues , pour nous inviter à descendre ; il nous reçut amicalement , et nous soupâmes fort agréablement ensemble ; lorsqu/il s'agit de se coucher, Mr. Banks s’enveloppa dans un manteau. Mattihabo en demanda un-semblable , et s’ensuit quand on le lui eut donné. Nous le redemandâmes aux Indiens qui nous environnaient, Mr. Banks montra sou redoutable pistolet , et les Indiens effrayés disparurent ; on en atteignit un , qu’on obligea de nous servir de guide ; nous courions , et cependant la terreur nous avait devancés , bientôt nous reçûmes le manteau, que Matthiabo épouvanté avait abandonné. Nous revînmes , et trouvâmes alors la maison déserte ; cependant les Indiens s’étant assurés que nous n’en voulions qu’au voleur , se rapprochèrent et passèrent la nuit avec nous elle fut tranquille , mais de grand matin on nous vint dire que notre bateau n’y était plus nous courûmes sur le rivage , le temps était serein , on voyait au loin sur la mer , qui était paisible , et nous ne pûmes voir notre bateau. Diverses craintes nous agitaient j nous nous trouvions mal armés, loin de to v secours , et nous passâmes quelques uans un état d’anxiété cruelle ; cependant la marée , qui seule avait chassé le bateau , le ramena , et nous fûmes honteux de ne l’avoir pas présumé. de Jacques Co o k.' 69 Nous nous hâtâmes de quitter ce lieu , de peur qu'un nouvel accident ne vînt nous y surprendre on y trouve un havre grand , bon et commode j le pays est riche en productions , il est peuplé, et ses habitans sont très-honnêtes. Le premier district que nous rencontrâmes était gouverné par Omoé , chef qui bâtissait une maison , et aurait acheté uns hache à tout prix , mais nous n’en avions point ; il ne se soucia pas de nos clous ; il nous accompagna, et nous montra un fort beau cochon qu'il nous donnait pour une hache nous lui dîmes que s’il voulait l’envoyer au vaisseau, nous lui donnerions ce qu’il demandait ; il y consentit et ne le fît pas. Dans ce lieu , nous vîmes une figure d’homme faite d’osier, ayant sept pieds de haut, mal dessinée , dont la carcasse était couverte de plumes blanches et noires; elle avait une espèce de cheveux et quatre protubérances ou cornes , trois ru front et une derrière ; elle était unique dans Otahiti, et i’appe- lait Manioc ; c'est une représentation de Mauvte s un de-leurs Eatuas de la seconde classe. Nous arrivâmes enfin à Opoureonu , péninsule du nord-ouest de l’isle ; nous n’y remarquâmes qu'un lieu de dépôt pour les morts singulièrement décoré. Sur un pavé très-propre s’élevait une pyramide de cinq pieds de haut, couverte de fruits de deux plantes particulières à l’isle ; près, d’elle était une figure de pierre mal travaillée, revêtue d’unhangav fait exprès c’est le seul exemple de sculpture en pierre quenou' vu à Otaliiii. Le havre où nous mîmes notre bateau est à. E 3 yo Premier Voyage cinq milles de l’isthme , entre deux petites isles, dans le district qui appartenait à Oamo et Oberen ; ils étaient allés nous rendre visite au fort ; nous choisîmes la maison d^Oberea pour y passer la nuit ; elle était très-propre , et son père nous reçut avec affection. Avant la nuit, nous allâmes visiter un enclos ou Morai , lieu où l’on enterre les os et rend un culte religieux. Nous y vîmes le Morài d^Oamo et d’Oberea , énorme bâtiment , et le principal monument d’architecture de ces peuples ; c’est une pyramide de pierre , dont la base est un quarré long , dont un des côtés a 267 pieds , et l’autre 87 , élevée Sur de petites élévations pyramidales ; le sommet se terminait en faîte comme une maison ; nous comptâmes onze rampes du pied au sommet, et chacune avait quatre pieds de haut les marches étaient de corail blanc ; ces pierres étaient grandes , taillées , polies ; nous en mesurâmes une, qui avait trois pieds et demi de long» et deux pieds quatre pouces de large ; le reste du bâtiment consistait en cailloux ronds et réguliers ; la base était de pierre de roche , taillée en quarré ; cette masse étonnait » parce qu'elle avait été faite sans fer pour tailler les pierres , et sans mortier pour les joindre ; la structure en était très-solide ; l’on ne voit aucune carrière élans le voisinage , le corail se trouve dans la mer à la profondeur de trois pieds; au milieu du sommet est une figure d’oiseau sculptée en bois » et près d’elle une figure de poisson en pierre, mais brisée ; le bâtiment s’élevait au mi- n e Jacques Cook. 7* lieu d’une grande place quarrée, entourée de murs , pavée de pierres plattes , ombragée par des Etoa ; à cent verges de-là, vers le couchant, étaient de petites platerformes élevées sur des colonnes de bois on y place les offrandes aux Dieux, et on les nomme Ewattas. Ce monument prouvait l’ancienne puissance d’Oberea une multitude d’ossemens humains que nous trouvâmes sur la côte nous fournit l’occasion d’apprendre comment elle l’avait perdue. Quatre ou cinq mois avant notre arrivée, le peuple de Tierrabou, ou de la péninsule d’Otahiti , avait fait une descente dans ce lieu , et massacré un grand nombre d’habitans , dont nous voyions les os ; au-lieu de se défendre avec courage , Oamo et Oberea s’étalent enfuis dans les montagnes, et avaient laissé l’ennemi détruire les maisons et emmener tous les animaux qui s’y trouvaient ; que cette fuite avait fait passer le pouvoir en d’autres mains nous apprîmes encore là que les mâchoires d’hommes que nous avions vues suspendues à une planche arrondie , étaient un trophée élevé à cette occasion. Nous partîmes et vînmes chez Tootahah , que nous n’avions pas vu depuis notre désastreuse visite ; celle-ci fut plus heureuse , nous y sou- pâmes bien , y dormîmes en paix , et n’y perdîmes rien. Nous arrivâmes le premier Juillet à notre fort, après avoir fait le tour de l’isle , que nous trouvâmes de trente lieues. La disette de fruits à pain se faisait sentir , la récolte en était épuisée , celle que les arbres E 4 f?2 Premier. Voyage promettaient ne devait se faire que dans trois mois j les Indiens ne se nourrissaient plus que d’une pâte aigrelette, faite de jeunes fruits broyés qui , après avoir fermenté , se conserve longtemps ; ils y joignaient des fruits de plane sauvage et d’ashée , et de là venait que nous en trouvions si peu dans notre voyage. Mr. Banks paraissait y avoir pris goût ; il en entreprit un nouveau pour remonter la rivière , et voir jusqu'où ses bords étaient habités. Dans les deux premières lieues, elle courait dans une vallée large de quatre cents verges ; ses bords étaient habités dans tout cet espace ; et la'dernière maison qu’il trouva fut pour lui un asyle agréable. Il s’avança deux lieues plus loin encore , où il traversa souvent sous des voûtes formées par des fragmens de rochers où couchaient les Indiens surpris par la nuit ; la rivière n’est ensuite bordée que par des rocs escarpés ; il en descendait une cascade qui formait un lac que les Otahitiens ne traversent pas ; il est la borne de leurs courses. Sur le penchant des rocs , sur les plaines qui sont au sommet , ils recueillent des fruits sauvages du plane le chemin qui conduit sur ces sommets est effrayant , les côtés en sont perpendiculaires et élevés de cent pieds , des ruisseaux qui jaillissent des sentes le rendent glissant ; le sentier était formé sur ces précipices avec des tiges d’une espèce d’orties en arbres , dont les bouts pendans en-dehors servaient de corde à l’homme qui voulait y grimper. Ce fut le terme de la course de M. Banks ; rien au-delà d e Jacques Cook. ne promettait de le dédommager du danger qu’on y court dans tous ces lieux il ne découvrit aucun vestige de mines; les rocs lui parurent brûlés toutes les pierres d’Otahiti portent des marques incontestables du feu , à l’exception du caillou dont on fait des liaclies ; quelques cailloux mêmes sont réduits en pierres ponces , l’argile montre aussi des traces de feu. Ces isles ne seraient-elles point les débris d'un continent détruit par un feu souterrain dans lesquels les eaux de la mer pénétrèrent et causèrent une explosion ? ou l’explosion se lit-elle du sein de la mer , et éleva-t-elle ces isles au-dessus de sa surface ? Ce qui rend ces opinions probables , ce sont les rocs qui les environnent et la profondeur de l’eau à peu de distance des côtes. Nous avions planté des pépins de melons et d’autres graines ; celle de moutarde seule germa, sans doute elles furent gâtées par le défaut absolu d’air dans les bouteilles où nous les avions mises nous en replantâmes d’autres à notre départ ; de diverses plantes recueillies à Rio-Janeiro , nous en donnâmes aux Indiens , nous en vîmes déjà les plantes s’accroître , et nous espérons avoir fait un présent utile à cette isle. Nous nous disposions au départ et reçûmes plusieurs visites , parmi lesquelles fut celle du filou qui nous avait enlevé notre quart de nouante ; le zèle des autres Indiens lui ôta l’espérance d’exercer son adresse ; nous démantelâmes le fort, plusieurs Otaliitiens voyaient avec regret ces préparatifs qui annonçaient notre dé- rj ^ Premier Voyage part, et nous y étions sensibles nous espérions les quitter sans leur faire et sans en recevoir d’offenses il ne fut pas possible d’éviter uns querelle. Deux jeunes soldats de marine s’échappèrent pour rester dans l’isle je ne pouvais leur permettre de rester il me fallut employer des moyens violens pour recouvrer ces déserteurs , et retenir quelques chefs Indiens jusqu’à ce qu’on eût ramené les deux soldats que les insulaires voulaient me cacher , et je les fis conduire au vaisseau sans cependant leur inspirer de craintes. On m’en ramena un alors, mais on retint l’autre avec le caporal et le bas- officier que j’avais envoyés pour les prendre jusqu’à ce que j’eusse relâché Tootahah qui était parmi mes otages je fus ferme à exiger qu’ils me rendissent et mes hommes et leurs armes. On les relâcha , et les chefs furent libres. Ce qui avait causé leur désertion était l’amour deux jeunes filles leur avaient fait prendre la résolution de renoncer à leur patrie pour se fixer à Otahitf. Un Indien pensait, de son côté , à nous suivre c’était Tupia , dont nous avons déjà parlé il avait été premier ministre d’Oberea il était le principal Tahowa ou prêtre de l’isle, connaissait les principes de sa religion , et était expert dans la navigation nous espérions qu’il apprendrait notre langue , ou nous la sienne , qu’il nous instruirait de divers objets intéressans, et nous ne fûmes pas fâchés lorsqu’il nous pria de lui permettre de faire le voyage avec nous ; il d e Jacques Cook. j5 alla dire adieu à ses arnis, emportant un portrait en miniature de M. Eanks pour le leur montre; il revint, et bientôt nous levâmes l'ancre les naturels du pays nous quittèrent en -versant des larmes, et pénétrés d’une tristesse modeste et silencieuse ; plusieurs nous suivirent dans lem-s pirogues en faisant de grands cris. Tupïa ne put s’empêcher de pleurer en quittant l’isie , mais d surmonta sa faiblesse avec une fermeté que v ou s admirâmes j de la grande hune il ne cessa de faire des signes aux pirogues que lorsqu’il les eut perdues de vne. C’est ainsi que nous quittâmes Otahi- ti nous y eûmes des différends que nousne pûmes prévenir , mais en général nous nous ren-limes mutuellement toutes sortes de bons offices ; toits les échanges, conduits sur-tout par M Banks qui était infatigable, se firent avec la plus g .. nie bonne foi. Ceux qui voudront y commercer, doivent y porter de petites et de grandes liaches, des clous de fiche, de grands clous , des lunettes , des couteaux , des verroteries , de belles étoffes de laines blanches ou imprimées mais une hache de demi-écu y a plus de valeur qu’une pièce d’étoffe d’un louis. Rassemblons ici tout ce que nous avons pu savoir de cette isle par nos observations , ou par ses habitans. Cette isle est environnée de rochers de corail , qui laissent entr’eux des havres sûrs et commodes, lesquels peuvent recevoir un grand nombre de gros vaisseaux celui où nous demeurâmes est un des meilleurs ; une haute montagne si tuée dans le milieu de l’isle le fait reconnoître rjB Premier Voyage sa pointe orientale est sous le 228 e . degré ; sa côte est une belle grève de sable , une belle rivière y fournit des eaux saines et abondantes ; On n’y trouve, non plus que dans toute l’isle, d’autres bois à brûler que celui des arbres fruitiers. En général, la surface du pays est inégale ; au centre sont des montagnes qu’on voit à la distance de vingt lieues entr'elles et la mer est une bordure basse dont la largeur varie , mais qui n’a nulle part plus d’une demi-lieue ; là le sol est extrêmement riche et fertile , arrosé par mille ruisseaux d’une eau excellente , couvert d’arbres fruitiers , dont le feuillage est épais et la tige très-forte ; les montagnes quoique en général stériles et brûlées , renferment cependant des lieux riches en diverses productions il n’y a d’habité que la bordure basse et les vallées5 les maisons y sont dispersées , environnées de petits planes au rapport de Tupia , toute l’isle pouvait fournir 6780 combattans. Elle produit des fruits à pain sur des arbres de la grosseur du chêne, dont les feuilles , longues d’un pied et demi , ont les sinuosités de celles du figuier, et leur ressemblent encore par la consistance , la couleur , et un. suc laiteux et blanchâtre ; le fruit est de la grosseur de la tête d’un enfant des réseaux , comme ceux de la truffe , 'ont à sa surface , une peau légère les recouvre ; ta chair en est très blanche et est un peu plus ferme que le pain frais ; son goût est presque insipide , et on le grille avant de le manger. Cette isle produit aussi sept sortes de bananes excellentes , des » e Jacques Cook. 77 planes , un fruit semblable à la pomnse , des patates douces , des ignames , du cacao , une espèce d’arum , des à sucre , un fruit délicieux nommé J ambu , une racine de salep, la racine Etee , 1 'Ashee qui croît en gou;>se et se rôtit comme la châtaigne , dont il a le goût, le JE haïra , arbre dont le fruit ressemble à la pomme de pin ; les pauvres s’y nourrissent principalement du Nono , d’une espèce de fougère, de la racine de Theve ; tous ces fruits croissent sans culture ; on y trouve des mûriers dont on fait le papier Chinois , et diverses autres plantes qui rentrent dans quelques espèces des nôtre's sans être les mêmes ; on n’y trouve aucune espèce de fruits, de légumes et de plantes d’Europe. Il n’y a d'animaux apprivoisés que ceux dont nous avons parlé ; les canards , les pigeons, les perroquets , quelques oiseaux , des rats , sont ses seuls animaux sauvages ; les poissons y sont très- abondans. Les hommes sont plus grands que nous ils sont fort bien faits les femmes d’un rang distingué sont plus grandes que les autres , peut-être parce qu’elles se livrent moins de bonne heure à l’amour,qui les énerve ; leur teint est un brun olive , assez foncé dans ceux qui vivent au grand air leur peau est délicate et polie , mais non colorée la forme de leur visage est agréable ; ils 11’ont ni les pommelettes élevées, ni les yeux creux, ni le front proéminent, mais leurnez est un peu applati leurs yeux sont pleins d'expression et de sensibilité, leurs dents égales et blanches, leur haleine douce , leurs cheveux, noirs et un 78 PrEMIEÏiY O^Y A 6 E peu rudes ; les femmes les portent coupés autour des oreilles, les hommes les laissent flotter en "boucles sur les épaules leurs mouvemens sont remplis de vigueur et d’aisance , leur démarche agréable , leur manière noble et généreuse ; ils sont d’un caractère franc , sans soupçon ni perfidie , sans penchant à la vengeance et à la cruauté nous nous livrions à eux sans crainte , et sans leur penchant au vol , nous n’aurions vu en eux que les êtres les plus aimables de la nature. Nous y avons vu des espèces d 'Albinos leur peau est d’un blanc mat ; leurs cheveux , leur barbe, leurs sourcils sont blancs , leurs yeux rouges et faibles , leur vue courte , leur peau teigneuse , et revêtue d’un duvet blanc ; aucun .n’appartenait à la même famille. Les Otaliitiens s’oignent la tête d’une huile exprimée du coco , dans laquelle ils font infuser des herbes et des fleurs odoriférantes , dont l’odeur nous parut d’abord très-agréable. Le défaut de peigne fait qu’ils ont des poux, et la populace les mange ; excepté sur ce point , ils sont d’une propreté extrême , et ils se servirent de nos peignes avec un empressement qui nous montra qu’ils n’avaient de la vermine que parce qu’ils ne pouvaient se l’ôter ; ils se lavent le corps trois fois par jour dans une eau courante ; ils se piquent la peau avec un instrument partagé en dents aiguës , qu’ils plongent dans un noir de fumée délayé dans l’eau , ils placent la dent sur la peau, et frappant avec un bâton , percent de Jacques Cook. 79 îa peau , dans laquelle ils déposent un noir qui ne s’efface jamais, et on leur dessine ainsi différentes figures } l’opération est douloureuse on la fait aux deux sexes à l’âge de douze à quatorze ans c’est sur-tout sur les fesses que sont imprimées un plus grand nombre de figures, sur le visage ils n’en mettent point ils les montrent avec une sorte d’ostentation ; nous 11’avons pu savoir l’origine de cette coutume singulière. Dans les temps secs , ils portent une étoffe qui ne résiste pas à l’eau quand il pleut , ils se couvrent de nattes et les arrangent de différentes manières. L’habillement des femmes est composé d’une longue pièce d’étoffe dont elles enveloppent plusieurs fois leurs reins , et qui retombe jusqu’à moitié jambe 5 deux ou trois autres pièces d’étoffes sont percées pour y passer la tête , les bouts retombent devant et derrière , s’attachent i avec une ceinture , et laissent les bras libres l’habillement des hommes est semblable , excepté que la première pièce est passée autour de leurs cuisses en forme de culottes plus un homme est distingué , plus il porte d’étoffes les principaux en ont deux qui flottent sur les épaules comme un manteau 5 quand il fait chaud , le peuple va presque nud ; le soir les femmes d’un rang élevé se découvrent jusqu’à la ceinture leurs jambes, leurs pieds ne sont point couverts , un petit bonnet de natte ou de feuilles de cocos dérobe la tête à l’ardeur du soleil j les femmes portent une espèce de turban , ou entortillent lents cheveux avec du fil composé ds 8a Premier Voyage cheveux tressés et les ornent de fleurs ; les hommes les ornent des plumes de la queue d’un oiseau du tropique, ou d’une guirlande bisarre de fleurs collées sur du bois les deux sexes portent des pendans d’oreilles de coquilles, de pois ou graines rouges , mais d’un seul côté ; ils se sont servi de nos quincailleries pour cet usage. Les enf’ans sont nuds , les filles jusqu'à trois ou quatre ans , les garçons jusqu’à six ou sept. Toutes les maisons sont ornées du plus bel ombrage , et de promenades délicieuses , formées par des arbres élevés , où l’on jouit de la fraîcheur en respirant l’air qui y circule librement nous avons dit que leurs maisons sont toutes ouvertes et sans murs on y passe la nuit on y mange quand il fait la pluie ordinairement ils mangent en plein air sous un arbre les inaîfes ss couchent au milieu de la cabane, les eufans à leurs pieds , les serviteurs dorment sous le ciel quand il ne pleut pas ; les chefs ont de petites maisons qu’ils transportent sur leurs pirogues des feuilles de cocos en forment les murs il en est d’autres qui ont 200 pieds de long , sont construites aux frais communs de ceux qui habitent le district, et servent à leurs assemblées nul n’a de retraite cachée , car ils ne connaissent pas la honte dans des actes naturels , ni ce que nous appelons la décence dans le discours. Leur principale nourriture consiste en végétaux les poissons leur fournissent un aliment qu’ils aiment, iis mangent cruds les plus petits , ^ sont t> e j a c q tr s s Cook. Se Lont passionnés de l’écrévisse , du cancre,, des coquillages , des insectes de mer. Le fruit à pain est la base de leur repas chaque Otahitien plante l'arbre qui le nourrit les noix de cocos , les }bananes , les planes et d’autres fruits suppléent à son défaut ; nous ayons parlé de leur manière de faire cuire les alirnens et de les préparer Feâu salée en est la sauce universelle , et la mer la leur fournit ils en font cependant une avec l’amande de noix de cocos fermentée et salée ; l’eau et le jus de cette noix est leur seule boisson ; ils ne mâchent aucun narcotique ; en leur donnant des liqueurs enivrantes , on les en dégoûtait pour jamais ils s'enivrent cependant quelquefois avec le jus exprimé delà feuille d’une plante, mais il n’y a qu’un temps pour trouver cette plante mûre , et les chefs seuls se la réservent. Ils n’ont point de tables, ils mangent seuls , excepté lorsqu’un étranger leur rend visite , et ordinairement sous un arbre ; des feuilles servent de nape , un panier contient la provision , deux coques de noix de cocos sont remplies , l’une d’eau salée qui sert de sauce > l’autre d’eau douce les mets sont proprement enveloppés de feuilles ; on mange avec les doigts , mais on les lave souvent on broie le fruit à pain avec un caillou sur un tronçon de bois , on i'humecte et le réduit en pâte molle qui ressemble à un flan épais , et on le hume comme une gelée ; le repas finit toujours en se lavant la bouche et les dents ; ils mangent beaucoup à-la-fois , et, tzn général les repas n'y sont Tome /. F ga P a e m i s a Voyace pas gais ; les femmes n’y paraissent pas ; c'est un besoin qu’on satisfait avec avidité ; ce n'est pas un moment de récréation où l’on se rassemble pour jouir des agrémens de la société ; quand ils venaient nous rendre visite , chacun apportait son panier de provisions , et lorsque nous nous mettions à ta!de , ils sortaient , s’asseyaient à deux ou trois verges l’un de l'autre en se tournant le dos , et mangeaient seuls sans dire un mot. Ordinairement ils dorment après leur repas et dans le milieu du jour ; ils sont très-indolens manger , dormir , semblent être leurs principales occupations. Ils ont cependant des amusemens , et nous avons parlé de quelques-uns; ils s’exercent à décocher la flèche et à lancer la javeline la première très-loin , mais sans viser à un but ; la seconde sans chercher à la lancer à une grande distance , mais à frapper une marque fixée nous avons parlé de leur flûte ; leur tambour est formé d'un tronc de bois cylindrique , creusé , solide à l’un des bouts , recouvert à l’autre avec la peau d’un goulu de mer ; ils le frappent avec les mains ils ne connaissent point la manière d'accorder ensemble deux tambours de sons différons ; mais ils savent très-bien mettre leurs flûtes à l’unisson ; ils joignent leurs voix à ces instrumens , et font sur-le-champ des couplets analogues au sujet qu'on desire , ou qui les frappe ; ils sont rimes , et quand ils les prononcent on y reconnaît un mèt re ; s on vent ils chantent quand ils sont seuls avec leux de Jacques Cook. §5 mille et qu'il, est nuit ; ou à la lueur que répand une certaine noix huileuse enflammée, dent ils enfilent plusieurs à une baguette. Ils se couchent une heure après que le crépuscule du soir est fini , et se lèvent avant le soleil. Ils ont une danse lascive à laquelle ils accoutument leurs filles dès le bas-âge , c'est en quelque manière les principes de leur éducation ils paraissent, n’avoir pas d’idée de la chasteté tels off'reirt leurs filles, leurs sœurs- aux étrangers par civilité, ou comme récompense , et la femme infidelle n’est que grondée ou maltraitée bien légèrement. On nous a assuré qu ’ils formaient des sociétés où toutes les femmes étaient communes à tous les hommes ; où si l’une devient enceinte , l'enfant est étouffé au moment de sa naissance , pour qu’il n’ernbarrasse pas le père et ne nuise pas aux plaisirs de la mère ; quelquefois celle-ci veut le sauver , et elle ne peut y réussir qu’en trouvant un homme qui veuille l'adopter, mais alors l’homme et la femme sont chassés de la société , et la femme est désignée par ce terme,auquel ils donnent une acception de mépris c’est uns whannovmov/ , une femme qui a fait des en- fans. C’est un titre d’honneur chez eux que d’être admis à ces infâmes sociétés,qu’on nomma Arreoy . Venons aux arts de ces peuples les étoffes dont ils s’habillent sont de trois sortes , et faites de trois différentes écorces d’arbres. Le mûrier fournit la plus belle et la plus blanche j elle se teint en beau rouge l’arbre à pain en fournis» F* 84 Premier. Voyage une moins blanche et moins douce , une espèce de figuier sauvage donne la troisième ; elle est grossière , rude , de la couleur d’un papier gris foncé ; mais c’est la plus utile, parcè qu’elle est la seule qui résiste à l’eau ; c’est celle-ci qui est parfumée et sert aux habits de deuil. Ils prennent beaucoup de soin de l’arbre qui porte la première , ils le plantent dans les terres cultivées , ils ne s’en servent que lorsqu’il a six à huit pieds , et que sa tige a un pouce de diamètre ; ils prennent soin qu’elle soit droite , élevée et sans branches ; alors ils l’arrachent, en coupent la racine et le sommet , ils en détachent l’écorce et la font tremper dans quelque ruisseau, en la chargeant de pierres , pour qu’elle ne soit pas entraînée par le courant quand elle est bien macérée , on sépare l’écorce intérieure de la verte , en la ratissant avec la coquille appelée Langue de Tigre ; Tellina gargadia ils la plongent dans l’eau jusqu’à' ce qu’il ne reste que les plus belles fibres ; ils les étendent ensuite sur des feuilles de plane, l’une à côté de l’autre , enmettant deux ou trois couchesl’une sur l’autre, et prennent soin qu’elles aient par-tout la même épaisseur ; on les laisse jusqu’au lendemain , où l’eau étant évaporée ou imbibée, les fibres adhèrent déjà ensemble on pose la pièce sur le côté poli d’une grande planche de bois préparée , ensuite on la bat avec des maillets d’un bois dur et sillonné de rainures elle s’étend , s’amincit , et devient très - flexible , fraîche , douce j mais elle est spongieuse et fragile l’&j » e Jacques Cook. 6§ toffeesf faite alors, 01 la blanchit et la rebat chaque fois qu’elle a perdit son éclat eile est plus ou moins sine, selon à peine fûmes- nous sur un des bords de la rivière , que les Indiens parurent par pelotons sur 1 'autre , tou* armés , et quand ils furent rassemblés, ils étaient au nombre de deux cents nous ne pouvions espérer de faire la paix avec eux , et il était inutile de les attendre ; ç’aurait été nous exposer à donner la mort à plusieurs , et nous revenions au vaisseau lorsqu’un des jeunes Indiens reconnut son oncle dans la troupe de ceux qui étaient rassemblés. Nous nous arrêtâmes , et bientôt il y eut une conférence établie entre Tupia , nos jeunes gens et les Indiens ; mais ni ceux-ci, ni les nôtres ne voulurent passer la rivière alors les jeunes Indiens voyant sur le rivage le corps de celui qui avait été tué la veille , le couvrirent de vêtemens , et cette marque d’intérêt fit traverser la rivière à un homme seul et désarmé c'était Fonde du jeune Indien il tenait à la main un rameau vert > symbole de paix , que nous reçûmes , et nous lui fîmes des présens ; mais nous ne pûmes l’engager à venir au vaisseau, tandis que nos jeunes gens préférèrent de nous suivre , plutôt que de rester avec leur oncle, qui, nous voyant retirés, fit quelques cérémonie en tournant autour du corps mort , et jeta sur lui une branche verte qu’il avait été cueillir , ensuite il rejoignit sas compagnons bientôt après quatre d’entr’eux se détachèrent , et vinrent iîe Jacques Coor. Ai4 sur un radeau chercher le corps autour duquel on avait fait des cérémonies. Le lendemain, les jeunes gens consentirent volontiers à descendre, ils le firent même avec joie; mais à peine les avait-on quittés , qu’ils accoururent sur le rivage, piier qu’on les ramenât au vaisseau ; on ne le fit pas , et l’on apperçut les Indiens qui vinrent les chercher sur un radeau ; ils restèrent avec eux jusqu’au soleil couchant / puis ils se rapprochèrent du rivage , agitèrent trois fois leurs mains du côté du vaisseau , et coururent rejoindre leurs compagnons avec lesquels ils marchèrent vers le canton de leurs ennemis comme ils étaient libres , et qu’on ne les avait point dépouillés , il nous parut qu’il ne leur arriverait aucun mal. De grands cris se firent entendre sur le rivage pendant la nuit , mais nous n’en pûmes deviner l’objet. Le lendemain nous quittâmes ce canton misérable , que les habitans nomment Taomeroa ou Gi'and-Sable , et à qui nous donnâmes le nom de Baie de Pauvreté. Elle est sous le i^5e. degré 54 minutes de longitude , et le 38e. degré 42 minutes de latitude méridionale sa forme fest celle d’un fer à cheval ; une isle et deux pointes de rocs blancs et escarpés en forment l’entrée. Nous dirigeâmes notre course au midi , mais le calme ne nous permit pas d’avancer ; des pirogues se montrèrent , Tupia s’efforça en vain de les inviter à s’approcher , elles demeuraient immobiles , lorsqu’une autre sortit de la Baie de Pauvreté et cingla directement vers nous j quatre hommes qui la montaient vinrent sur le lia Premier Voyage vaisseau ; nous sûmes d'eux que nos jeunes Indiens étaient en sûreté dans leurs habitations, et que la bonté que nous avions eue pour eux les avait engagés à venir vers nous leur exemple amena tous les autres ; nous leur fîmes des présens ; ils étaient avides de nos marchandises , et pour en remporter davantage , ils vendirent jusqu'à leurs vêtemens et aux pagayes de leurs canots ils n’avaient que deux armes faites de taie verd, ayant la forme d’un battoir pointu, un manche court, des bords tranchans , ils l’appelaient patou-patou elles sont propres à combattre de près , et à fendre d’un coup le crâne le plus dur ils nous firent beaucoup d’amitiés et nous invitèrent à revenir chez eux ; mais j'avais résolu de continuer mes recherches , et les pirogues regagnèrent lentement la terre ; cependant elles laissèrent trois Indiens à bord; les autres ne voulurent pas les venir reprendre, et eux-mêmes étaient si contons de rester , que nous en fûmes étonnés. Cependant le lendemain, se voyant éloignés de quelques lieues du lieu d’où ils étaient venus , ils furent consternés, et versèrent des larmes ; Tupia les consola , et bientôt après nous rencontrâmes deux pirogues , qui craignirent de s’approcher; mais l’une d’elles, cédant aux prières des Indiens qui les appelaient , vint à côté du vaisseau. Nous y remarquâmes un vieillard qui, par la beauté de son vêtement , et son patoupatou fait d’os de baleine , nous parut être un chef il reçut les trois Indiens dans sa pirogue. Nous commençâmes 1 3b » JxèQûÈè G o rt k; îï 3 sçâmes à croire que ces peuples mangeaient des hommes ; nos trois jeunes Indiens nous l’avaient dit , et ceux-ci , pour dissiper la crainte de leurs compatriotes , leur criaient que nous ne les mangerions pas. Nous dépassâmes üïiè pointe fort élevée , terminée en angle aigu vers la mer , et plate à son sommet nous la nommâmes Cap Table Z une chaîne de rochers était entre nous et, la Cote j plus loin, une petite ûjlè nous semblait terminer la terre au midi elle est nommée parles habitans Teahowray ; elle le fut par nous Isle de Portland , à cause de sa ressemblâmes avec Portland nous vîmes sur la côte et sur l’isle les habitans rassemblés en grand nombre j des terreins cultivés , les uns fraîchement sillonnés , d’autres couverts de plantes ; des palissades élevées et rangées en lignes qui ne renfermaient aucun espace et dont nous ne pûmes deviner l’usage une pirogue s’approcha de nous en faisant diverses cérémonies ; l’un des hommes qui la montaient semblait tour-à-tour nous demander la paix ou nous présenter la guerre puis il dansait et chantait. Tupia ne put les persuader de venir à nous. En avançant davantage * nous découvrîmes au Couchant de Portland unes terre qui s’étendait au midi à perte de vue , et en s’en approchant, le vaisseau se trouva tout-à- coup sur un fond extrêmement raboteux , puis quelque temps après nous trouvâmes une eau profonde. Nous étions alors à un mille de l’islà dont le sommet était formé de roches blanches * Tome Ix H 1X4 Pekhiïr Votage sur les flancs desquelles nous voyions un grand nombre d’indiens qui nous regardaient avec attention ; croyant nous voir dans l’embarras , ils lancèrent en mer cinq pirogues , qui se remplirent d’hommes armés ; ^en navigeant vers nous , leurs cris , leurs gestes menaçans , leurs lances qu’ils agitaient , nous annonçaient ce que nous avions à en craindre on tira un coup de fusil qui sembla les exciter encore ; il fallut tirer un coup de canon ; au bruit de l’explosion , ils se levèrent tous , firent de grands cris , se rassemblèrent , et ensuite retournèrent tranquillement au rivage. Après avoir tourné Portland , nous vîmes une baie profonde au couchant du Cap Table qui forme l’extrémité d’une péninsule nous jetâmes l’ancre à quelque distance , et là nous apperçûmcs deux pirogues qui s’approchèrent de nous. Tupia leur parla, mais ne put les déterminer à monter sur le vaisseau on leur jeta quelques bagatelles dont ils parurent conteras , puis ils s’en allèrent des feux allumés nous prouvèrentles craintes et la vigilance des Indiens. La côte nous parut médiocrement élevée ; la grève est de sable-, entrecoupée de roches blanches ; la terre au loin paraît fertile et couverte de bois ; dans l’intérieur on distingue de hautes montagnes. En voguant le long de la côte , diverses pirogues nous suivirent de loin , et semblaient nous défier et nous insulter. Le 1 4, nous vîmes des montagnes où il y avait encore de la neige ; au bas le pays paraît marécageux , il de Jacques Cook. i i 5 nous sembla y voir des champs jaunes, qui probablement ne sont que des glayeuls secs plus loin sont des bocages d'arbres je voulais y envoyer chercher de l’eau douce , mais des pirogues qui du bord s’avancaient vers nous , me firent craindre quelque combat, et je renonçai à mon dessein ; cinq d’entr’elles portant plus de 80 hommes s’approchèrent de nous ; les Indiens chantaient leurs chansons de guerre et agitaient leurs lances nous les avertîmes parle moyen de Tupia , que s’ils s’approchaient davantage , nous avions des armes qui les détruiraient comme la foudre , et que nous allions leur en montrer un essai sans leur faire de mal l’explosion du canon, le feu , le plomb qui retomba en pluie sur la mer les intimidèrent, et ils retournèrent vers le rivage. Tupia les rappela, il les invita à venir sans armes , et qu’ils seraient reçus en amis ; une pirogue déposa ses armes , et vint sous la poupe du vaisseau 5 nous leur limes des présens, et ils allaient monter à bord lorsque les autres revinrent avec des menaces bientôt après toutes les pirogues disparurent. Le 16 nous rencontrâmes des pêcheurs , qui nous vendirent du poisson gâté ; c’était le meilleur qu’ils eussent, et nous voulions commercer avec eux une longue pirogue portant 22 hommes armés s’approcha aussi de nous ; ils n’avaient pas de marchandises, et nous leur donnâmes quelques morceaux d'étoffes, qu'ils aimaient passionnément l’un cl’eux portait une peau qui me parut celle cl’une ourse, et pour m’en assurer je lui offris en échange un H a uff Fr e iir V ci r a. gis morceau de revêche rouge ; il la reçut, et l'eil^ veloppa avec sa peau dans un panier, sans s’embarrasser deines plaintes puis la pirogue et les pêcheurs s’éloignèrent ceux-ci revinrent un instant après , nous en achetâmes encore du poisson dont nous ne pouvions nous servir , et la pirogue suivit les pêcheurs notre trafic se renouvelait , lorsqu’un des Indiens saisissant 'l’ayeto , jeune Otaiiitien qui servait Tupia , l’entraîna dans sa pirogue et s’éloigna pour les obliger de relâcher leur proie , nous tirâmes près d’eux ; un des Indiens tomba , et les autres abandonnèrent Tayeto qui, se jetant à la nâge , vint vers le vaisseau, poursuivi par la grande pirogue, que nous forçâmes de s'éloigner avec quelques coups de fusil et un coup de canon les Indiens eurent quelques hommes blessés. Nous donnâmes au cap qui était alors vis-à-vis de nous le nom de Kidnappers , voleur d’enfant il est situé au 09 e degré 43 minutes de latitude , et au 195 e degré 4 minutes de longitude deux rochers blancs , ayant la forme de meules de foin , le font aisément reconnaître ; il fait la pointe méridionale de la grande baie que nous nommâmes baie de ffaiykes. De-là nous suivîmes encore la côte en nous dirigeant au midi à une lieue du rivage, nous vimes une petite isle élevée et stérile , où étaient des maisons , des pirogues, des Indiens sans doute c’étaient des pêcheurs hisle fut nommée Bare. Plus loin nous découvrimes une grande étendue de terre »'étendant au midi ; en le côtoyant encore , nous b ï Jacques Cook. *17 n’y découvrîmes point de hâvres , et le pays me paraissant toujours plus stérile , je résolus d retourner vers le nord. Vis - à - vis de nous était une pointe élevée et ronde formée de roches jaunâtres , nous la nommâmes cap Tu ma gain y du retour il est sous le 4 ° e degré 3 4 minutes de- latitude méridionale et le 194 e degré 35 minutes de longitudeentre ce cap el le précédent la terre est fort inégale ; la côte moins couverte de bois que celle dont nous avons parlé , ressemble davantage aux Dunes d’Angleterre ; elle paraît cependant fort peuplée ; on voit plusieurs villages dans les vallées , sur les sommets et les flancs des collines on y voyait la chaîne- des monts s’étendre à perte de vue marquetée de neige r dans l’intérieur du pays , nous vîmes deux feux très-étendus allumés pour nettayer ms terrain qu’on voulait cultiver. Le 18 , étant voisin d’une péninsule, de l’isîe Portland , une pirogue vint à nous ; elle portait cinq Indiens , dont deux paraissaient des chefs 5 ceux-ci montèrent sur le vaisseau , nous les reçûmes d’une manière qui les flatta, et iis voulurent demeurer la unit avec nous j’eus beau leur dire que le lendemain nous serions fort loin de leur habitation , ils persistèrent , et nous les gardâmes leur pirogue et les trois autres Indiens surent nais à bord. L’un de ces chefs avait la physionomie la plus ouvert© et la. plus franche -, ils- examinaient tout avec curiosité et furent reconnaissait s des petits présens que nousleur fîmesx suais ils ne, voulurent ni manger ni boire leurs, H A li8 Premier Voyage domestiques au contraire dévorèrent tout ce qu’on leur présenta le lendemain nous laissâmes partir nos Lûtes,étonnés de se voir si éloignés de leur canton. Au nord de la Baie de Pauvreté, est un cap remarquable, dont la roche blanche de la pointe ressemblait au bord du toît d’une maison , et nous le nommâmes Gable - end. Foreland , promontoire du bord du to't . Le ao nous descendîmes dans une baie à quelques lieues au nord du cap ; les Indiens dans leurs pirogues nous invitèrent à y. descendre , ils nous dirent que nous y trouverions de l’eau douce ; ces dispositions amicales nous arrêtèrent parmi ces Indiens , deux nous parurent des chefs ; Lun. était habillé d’une jaquette ornée d’une peau de chien, celle de l’autre était couverte de petites touffes de plumes rouges ; nous les invitâmes à monter à bord ; ils y vinrent ; nous leur donnâmes de la toile qui leur fit plaisir , et un clou qufils regardèrent avec indifférence nous fîmes quelque trafic avec les autres. Ensuite je voulus aller à terrre avec les deux chefs et des hommes armés pour chercher de l’eau douce ; mais la mer trop orageuse ne me le permit pas , les chefs s’y rendirent sur une pirogue qu’ils firent venir ; ils nous promirent pour le lendemain du poisson et des pommes-de-terre. Nous débarquâmes le lendemain par un temps calme , nous découvrîmes deux commis d’eau douce ; les Indiens nous reçurent par-tout avec amitié , évitèrent de nous offenser , et de se rassembler en grandes de Jacques Cook. 119 troupes ; nous leur fîmes de petits présens ; et le lendemain nous vînmes faire de l’eau et visiter le pays ces hommes semblaient nous voir avec plaisir , mais ne se mêlaient point avec nous ils firent quelques échanges , puis reprirent leurs occupations ordinaires sans s’inquiéter de nos actions Mr. Banks visita leurs habitations j il y fut reçu avec franchise et sans crainte il les trouva quelquefois faisant leurs repas , que sa présence n’interrompait point leur nourriture, dans cette saison , consistait en poisson leur pain était la racine d’une espèce de fougère ; ils la grillent sur le feu, ils la battent ensuite pour en faire tomber l’écorce ; l’intérieur est une pâte molle , assez douce , point désagréable au goût, mais mêlée de fils , que quelques-uns crachaient et d’autres avalaient en d’autres temps, ils ont d’excellons végétaux on n’y voit d’animaux apprivoisés que des chiens d'une vilaine figure leurs champs produisent des patates douces , plantées en planches , des eddas , connus dans les Indes orientales , des citrouilles placées dans de petits creux chaque district était fermé d’une haie de roseaux très-serrée ; il y avait i 5 o à 200 acres de terrain cultivé dans cette baie, où l’on comptait environ cent habita ns. Les femmes s’y peignent le visage avec de l'ocre rouge et de l'huile; elles sont coquettes y et les filles folâtres toutes portaient un jupon, au-dessous duquel était une ceinture d’herbes parfumées à laquelle était attachée une petite touffe de feuilles de petites plan tes odoriférantes 1 H 4 Z2» Premier Voyage quelques hommes étaient peints , et nous en vîmes nn qui avait barbouillé d’ocre sec jusqu’à, ses vêtemens, et qui en tenait un morceau à la inain. pour réparer ce que le frotte-* ment faisait perdre à leur couleur Ils ne se bai-, gnent pas aussi souvent que les Otait itiens , parce, que leur climat est froid • mais ils Les surpassent en. un point , c’est dans le soki qu’ils ont d’avoir- des privés nulle ordure ne se voit sur la terre; les restes des repas,1a litière, les immondices, sont rassemblés et régulièrement disposés. Les bateaux étaient occupés à faire de l’eau ^ et Mrs. Banks , Solander et leur compagnie voulant revenir au vaisseau pour mettre en ordre, leur récolte de plantes,, les. Indiens voulurent bien les y conduire dans une pirogue , mais ils la freut renverser dans, la boule en s’y plaçant cet accident ne les rebuta pas , seulement ils firent en deux voyages ce qu’ils avaient voulu faire en nn ; ils trafiquèrent tout le jour au vaisseau c'étaient des étoffes qu’ils préféraient , mais ils semblaient, d’abord donner plus de prix à celles d’Otaliiti ; ils admirèrent tout ce qu’on leur montra de notre bâtiment ; ils paraissaient s’attacher à nous mais comme il était très-pénible de faire de l ’eau dans cette baie, qu'on nommait Tegadoo , nous mîmes à la voile le lendemain. Un vent directement contraire nous empêcha d’avancer , et les Indiens vinrent pendant que nous luttions contre le vent , nous indiquer une baie plus au midi où il y avait de l’excellente eau, douce je crus devoir m’y rgEr »e Jacques Cook. ist dre. L’aiguade, fort commode,, était dans une petite anse bordée de bois , et en effet, l’eau en était très - bonne j des Indiens accoururent pour éclrai i ger leurs armes et des provision s con tre des étoffes d’Otahiti , et des bon teil tes de verre qu’ils aiment arec passion ; ils montraient beaucoup de bonne-foi. Mrs. Banks et Solander y recueillirent des plantes, et virent dans les vallées des maisons qui leur parurent désertes. Les Indiens vivaient sur les collines , dans des espèces de hangars construits très-proprement en avançant dans une de ces vallées, ils virent un rocher troué dans tonte sa profondeur ; il formait une arcade caverneuse d’où l’on découvrait la mer t la baie et une partie des collines voisines l’ouverture était dm y5 pieds de long , 27 de large , 45 de haut. Lu revenant, ils rencontrèrent un vieillard , qui leur montra les exercices militai- taires de son pays avec la lance et le patou - pa- tou ; c’est avec la lance qu’ils cherchent d’abord à percer leur ennemi,, c’est avec le patou-patou qu’ils l’achèvent. Pendant ce temps nous coupions du bois , nous remplissions d’eau nos futailles , nous achetions du poisson des Indiens. Tupia eut une correspondance avec un prêtre du pays, et ils parurent parfaitement d’accord dans leurs idées sur la religion j l’Otahitien demanda au prêtre s’ils mangeaient les hommes celui-ci l’avoua , mais en assurant qu’ils ne mangeaient que leurs ennemis tués dans le combat. Mr de fusil les fit retourner sur leur cote. D’ici, la terre prenait une direction entre ls couchant et le midi; de petites isl'es étaient semées à quelque distance , nous suivîmes la côte qui, lorsque nous eûmes dou blé la pointe , tournait au midi et à l’orient ; des deux côtés nous voyions la terre , nous avançâmes dans l’ouverture , où des Indiens vinrent à nous , et parlèrent de Toiava , de T/ipia ; nous vîmes meme le petit-fils du premier nous limes des présens à tous , puis continuâmes notre route jusqu’à ce que ne trouvant plus assez de fond pour aller plus avant, nous jetâmes l’ancre et allâmes reconnaître le pays dans nos canots; nous reconnûmes que la baie aboutissait à une rivière , que nous remontâmes ; l’eau en était douce sur les bords était un village d'indiens à qui Toiava a vait parlé de nous, et nous leur rendîmes, visite nous continuâmes de remonter la rivière-;, mais étant à quatorze milles de son embouchure et vovaut que l’aspect du pays était le même , que le cours de la rivière ne changeait point,, nous abordâmes sur le rivage occidental. Là . étaient des arbres élevés, d’une espèce dont nous n'en avions point vus encore à six pieds de terre, il en était qui avaient vingt pians de tour et quatre-vingt-dix de haut, de la racine à la ; emière brandie ; le bois en est pesant et solide, propre à faire de belles planches, ayant comme le pin la propriété de devenir léger par des incisions , et par-là pouvant servir à l'air© d’excellens mâts ; c’est peut-être le plus beau, bols qu'il y ait dans le morale nous vîmes encore dans ce lieu di vers arbres d’espèces inconnues ; la rivière y est aussi large que la Tamise peut l’être à Graenwicli ; le flot de la marée y est aussi fort, mais elle y est moins profonde y le fond est d’un vase très-mou nous lui donnâmes le nom de la rivière à laquelle nous la comparions; en nous rapprochant du vaisseau, rions rencontrâmes nos- honnêtes Indiens avec qui nous trafiquâmes la marée qui remonta et le vent , ne nous permirent pas d’atteindre notre bâtiment il nous fallut attacher notre bateau au rivage et y passer la nuit, fort incommodés parla pluie dès le grand matin nous redoublâmes nos efforts et parvînmes au vaisseau dans le moment où le vent devenant plus fort * nous en aurait ôté l’espérance si nous avions été encore sur la rivière. Nous fi nés voile jusqu’à ce que le flux nous obligea de jeter l’ancre; alors j’allai visiter la côte occidentale, tandis que le vaisseau était environné de pirogues avec lesquelles nos gens faisaient un commerce pacifique ; mais l’un d’eux ayant volé une partis d’nn télescope , on voulut L’en punir par deux coups de fouet, et les Indiens croyant qu’on voulait le fair , périr , essayèrent de l’arracher de nos mains, et prirent des armes pour le venger; on leur expliqua ce qu’on se proposait de faire , ils y consentirent ; le- châtiment fut infligé', et un vieillard, qui était probablement le père du cou— nable , le battit encore et le renvoya à terre L4 l3 6 PREMIER VOYAGE cette aventure inspira cependant des défiances aux Indiens , et ils s’éloignèrent quelque temps après pour ne plus se remontrer. Nous continuâmes notre route ayant toujours la terre des deux côtés , et devant nous de petites isles à l’extrémité nord-ouest de la rivière , que nous nommâmes la Tamise , est une pointe à laquelle nous donnâmes le nom de Rodney ; à l’extrémité nord est est une autre pointe, que nous appelâmes cap Colville ; celui-ci est sous le 36 e degré 26 minutes de latitude méridionale , et le i83 degré 3 minutes de longitude il est fort élevé ; un rocher situé au sommet le rend remarquable, et le fait distinguer de loin. La Tamise descend le long d'une vallée parallèle au bord de la nier ; à son orient le sol est élevé ; il est bas au couchant par-tout il est couvert de bois et de verdure le lit du fleuve s’élargit et forme la vaste baie où nous entrâmes pendant l’espace de 14 lieues , elle n’a nulle part moins de trois lieues de large ; les arbres couvrent ses bords , qui dans quelques endroits sont marécageux; entre les deux caps et dans l’embouchure , elle forme différentes petites isles , et au nord du cap Colville il y en a une longue chaîne, que nous nommâmes Isles de la Barrière, quifont qu’au-dedans l’ancrage est sûr les deux caps dont nous avons parlé sont séparés par un espace de neuf lieues les habitans qui habitent ses bords sont peu nombreux , mais ils sont forts , bien faits, actifs ; ils se peignent tout le corps avec tle l’ocre rouge et de l’huile leurs. de Jacques Cook. i3j pirogues sont grandes , bien construites , et sculptées avec goût. Nous'suivîmes les côtes de la grande terre , et vînmes jeter l'ancre dans une baie , à qui nous donnâmes le nom d g Baie des Brèmes , de l'abondance de ces poissons qu’on y trouve en peu de temps la ligne nous en fournit pour nourrir l’équipage pendant deux jours son ouverture est de cinq lieues, sa profondeur de trois u quatre au nord est une terre élevée couronnée de rocs pointus ; vis-à-vis sont de petites isles que nous nommâmes H en. and Chickens » la Poule et les Poussins. Entre la baie et le cap Rodney , la terre est basse et garnie de bouquets de bois ; nous n’y vîmes point d’habitans ; mais les feux qu’on y remarquait pendant la nuit , prouvaient qu’elle n’est pas déserte. Plus loin la terre est basse encore , et couverte de bois ; nous y entrevîmes des maisons éparses , des bourgades fortifiées , des terres cultivées. Nous y reçûmes la visite de deux cents Indiens amenés par sept pirogues ; nous fîmes des présens aux chefs qui se retirèrent ; mais alors les autres devinrent incommodes et fripons , nous en punîmes avec du menu plomb , les autres nous défièrent, nous menacèrent ; il fallut les épouvanter avec le canon pour s’en défaire ; et nous conti-^ nuâmes 1 à suivre la côte des Indiens instruits de l’aventure de la veille vinrent amicalement trafiquer ; d’autres les suivirent ceux-ci avaient des pirogues bien sculptées , et décorées de plusieurs ornemens ils étaient armés de patou- j 38 Premier Voyage patous , de pierres et d'os de baleine; il avaient aussi des fanons de baleine sculptés , et ornés de poils de eliien. Leur teint était plus brun , plus marqué de taches noires que celui des autres Indiens ; ils avaient une large ligne spirale sur chaque fesse , et de loin on aurait cru qu’ils portaient en général des culotes rayées ; mais les uns étaient plus rayés que les autres ; tu us avaient les lèvres noires l'un d’eux nous vola une pièce d’étoffe ; un coup de fusil l’obligea de nous la rapporter , mais alors tous se retirèrent. Nous découvrîmes- une pointe remarquable , que nous nommâmes cap Bretx fa terre en est élevée; •à quelque distance est une petite isle où est un rocher percé de part en part, et ressemblant à. l’arche d’un pont au couchant est une baie large et profonde , dont les bords sont peuplés les isles voisines le sont aussi des pirogues nous approchèrent, ceux quiles montaient étaient vigoureux et bienfaits ; leurs cheveux noirs s’attachaient en touffes surfeurs têtes garnies de plumes blanches les chefs étaient distingués paria- finesse des étoffes qui les couvraient; ils commercèrent frauduleusement comme les autres , et un seul fut puni par un officier qui, avec l’hameçon d'une ligne de pêche, le saisit par le dos ; l’hameçon rompit, et rendit la vengeance plus courte , mais peut-être plus cruelle. Les visites fréquentes et nombreuses que nous recevions dans notre lente navigation le long de ces côtes , nous prouvèrent que cette partie de la Nouvelle Zélande était très-peuplée. Forcés par le vent 3j e Jacques Cook. i 3 y k'aïrc , nous approchâmes de la côte pour chercher un abri près d’une petite isle ; nous y eûmes de nouvelles contestations avec les Indiens-, qu’un boulet, efîleurantia surface de l’eau, rendit plus lionnetes ou moins fripons. J’allai visiter file avec deux bateaux armés ; dès nue j’eus débarqué, les Indiens quittèrent le vaisseau pour accourir en différentes parties de i’isle , et bientôt nous fûmes environnés de deux on trois cents insulaires armés qui s’approchaient en. désordre; nous marchâmes à leur rencontre ; ils restèrent d abord paisibles devant noua , mais leurs armes étaient prêtes , et ils étaient plutôt irrésolus que pacifiques ; leur nombre s’augmenlant à chaque instant , ils devinrent plus hardis, commencèrent leurs danses , leurs chansons , et envoyèrent deux détachemens pour se saisir de nos bateaux; je vis alors qu’il était temps de déployer notre puissance , et je tirai mon fusil chargé à petit plomb ; Mr. Banks et deux autres m’imitèrent , et les Indiens en désordre reculèrent un peu ,un chef vint les rallier , et agitant son patou-patou, les conduisit à la charge avec de grands cris. Le docteur Soiander arrêta son impétuosité ; se sentant blessé , il s'enfuit comme les autres ; ils se rassemblèrent tous sur un monticule, et y semblaient attendre un chef qui se mit à leur tête pour charger. Iis étaient hors de notre atteinte , mais le vaisseau s’étant approché de la côte , fit voler quelques boulets sur la tête des Indiens , qui se dispersèrent alors entièrement ; aucun d’entr’eux ne fut tué , deux a 4 o Premier Voyage seulement furent blessés avec le menu plomb 7 parce que je retins l’ardeur sanguinaire de mes gens devenus paisibles possesseurs du ter rein où nous avions combattu , nous déposâmes nos armes et cueillîmes du céleri peu de temps après ayant apperçu quelques Indiens , nous nous en approchâmes ; un vieillard, suivi de sa femme et de son frère , vint à nous en posture de suppliant; nous le rassurâmes un de ses frères avait été blessé , et il nous demanda avec inquiétude s’il en mourrait; nous lui d'mes qu’il ne devait pas le craindre ; mais que si l’on nous attaquait encore,nous donnerions la mort; en lui parlant avec amitié , en lui faisant quelques présens , il reprit courage , et en donna aux siens , qui s’assirent paisiblement près de nous. De-là rions montâmes sur uns colline, d’où la vue s’étendait au loin ; la perspective était singulière et pittoresque , elle s’étendait sur une multitude d’isles , de bourgades , de maisons dispersées et de plantations ; le pays était peuplé; des Indiens s’approchèrent de nous , en montrant qu’ils étaient sans armes ; ils furent témoins de la punition infligée à quelques-uns de nos gens qui leur avaient volé des pommes de terre ; j'infligeai une peine plus grave à Tun d’eux, qui prétendait que l’Anglais avait des droits sur les possessions des Indiens, qui n’en avaient pas sur les siennes. Nous trafiquâmes amicalement avec les Indiens sur le vaisseau , ils nous reçurent honnêtement lorsque nous redescendîmes à terre , ce qui nous arriva souvent, parce que les vents contraires nous SS J A C Q Û E S C O Ö I,' 14t ïetinrent long-temps dans cette baie. Un jour un vieillard nous montra l’instrument dont ils se servent pour peindre des ta cires sur leur corps ; il ressemble à celui que les Otahitiens emploient au même usage ; nous vimes ceux que nous avions blessés j la diète et la nature les avaient presque déjà guéris. Dans leurs plantations , nous distinguâmes le JSlorus -papyrisera , avec lequel ils font leurs étoffés ; mais cette plante y paraît rare , et les étoffés qu'on en fait n’y ont d’autre usage que celui de leur servir de pendans d’oreilles. Un autre jour nous débarquâmes dans une partie très-éloignée de la baie ; tous les Indiens qui l'habitaient prirent la fuite , excepté un vieillard qui nous suivait par-tout, et à qui nous fîmes des présens malgré ces marques d’amitié, il montra beaucoup d’inquiétude en nous voyant approcher d’un fort, situé sur un rocher ceint de la mer, et où l’on montait avec une échelle ; quand il vit que nous voulions y monter, il nous dit que sa fémme y était 5 et comme cette nouvelle ne nous arrêtait pas, il promit de nous accompagner , pourvu que nous fussions décens ; l’échelle était dangereuse et fragile , nous nous en servîmes cependant j trois femmes nous virent et fondirent eu larmes ; des présens , des paroles amicales dissipèrent leurs craintes nous visitâmes les maisons, et laissâmes les Indiens satisfaits de notre honnêteté. Nous partîmes de ce lieu le 5 décembre, mais nous avançâmes avec lenteur ; le calme survint iXa Premier Voyage ensuite et nous livra au. courant, qui nous entraînait rapidement su des écueils nous fîmes les plus graues efforts pues nous tirer le ce danger, le vent » i s’éleva seconda nos efforts , et nous regagnai' . le large ; mais au moment où lions croyions re en sûreté, et que nous trouvions dix-sept brasses de fond , le vaisseau toucha ce choc nous jeta dans la plus grande consternation ; on accourut, on s’informa , et on demandait encore où était l’ccueil que déjà le vent nous l’avait fait dépasser. Nous nommâmes la haie où nous avions séjournes Baie des Isles ; elles y forment plusieurs liavres sûrs et commodes, on y trouve par-tout un bon mouillage et des rafraîchissemens le poisson y est abondant ; la seine avec laquelle les Indiens le prennent, est d’une grandeur énoruie, elle est faite d'une herbe très-sorte, et occupe un espace de trois cents bras- - ses sur cinq de profondeur ; la pêche est leur principale occupation , des filets mis en tas se voient aux environs de leurs maisons ; on y trouve des goulus, des mulets, des maquereaux, des brèmes , des pastenades et d’autres poissons les habitans paraissent vivre sans avoir de rois y ils viven t en paix, quoique leurs bourgades soient fortifiées ; la marée s’y élève de six à huit pieds. Le vent contraire ralentit notre marche ; nous passâmes près des isles Ccivalles , que nous avions déjà vues des poissons qui portent ce nom et qu’on nous y vendit, le leur firent donner à sept lieues plus au couchant, nous vîmes une baie de Jacques Cook. î>Æ profonde, que lions appelâmes Douhtless , et où le vent ne nous permit pas d’entrer bientôt le calme nous surprit, des Indiens nous approchèrent , ils nous vendirent du poisson , et nous apprirent que dans trois jours , nous verrions la terre ne s'étendre plus au couchant et tourner au midi ; nous pensâmes que ce lieu, qu’ils nommaient Moore Whennua , était la terre découverte et nommée par Tasman Cap Maria van nous leur demandâmes s’ils connaissaient d’autres pays, ils répondirent que quelques-uns de leurs ancêtres avaient visité , dans une grande pirogue, une contrée étendue , nommée ULimaroa ; qu’après un voyage d’un mois, ris avaient vu nn pays où l’on mangeait des cochons. — En ont-ils amené de-là ? dit Tupia ; — non , répondirent les Indiens — il faut donc fjue cette histoire soit fausse ? — répartit, l’Ota- hitien ; — peut-on aller dans un pays où il y a des cochons , et n’en point ramener chez soif—- Mais aussi pouvait-on lui répondre comment ces Indiens pouvaient-ils en savoir le nom , s’ils îi'en avaient jamais vus. Une langue basse de terre qui forme une péninsule que nous nommâmes Knuckle , ou de la jointure, sépare la baie Douhtless d’une autre qui est fort grande , à laquelle nous donnâmes le nom de Sandj Bay , baie de Sable nous vîmes de-là une haute montagne qui s’élève sur une côte éloignée ; je la nommai Mont Carnel , mont du Chameau autour de la baie de Sable , la terre est très-basse , fort stérile , son» j 44 Prb m ier Voyage posée d’un sable blanc amassé en petites collines irrégulières qui s’étendaient en cordons parallèles à la côte ; nous y vîmes deux villages , et des pirogues qui ramèrent après nous et ne purent nous atteindre , parce qu'aucune raison ne pouvait nous attirer dans cette baie. Déjà nous croyions voir l’extrémité de la terre de Zélande, lorsqu’une tempête nous assaillit , nous força d’abattre nos voiles hautes et déchira notre grand hunier. Elle ne dura pas et nous laissa en pleine mer, ne découvrant la terre nulle part ; à peine eûmes-nous découvert une petite isle située à la hauteur de la pointe Knuckle , que le vent vint de nouveau déchirer nos voiles ; malgré tous nos efforts pour nous rapprocher de terre, nous en étions encore à 17 lieues , lorsque le 16 décembre nous découvrîmes une terre qui nous restait vers le, sud à 14 lieues nous tendîmes vers elle , mais un bouillonnement violent d eau nous fit dériver C’était l'effet d’un courant ; et après avoir lutté contre lui pendant 24 heures, nous étions encore au même lieu. Nous vîmes alors la pointe la plus septentrionale de la Nouvelle Zélande. ; elle est sous le 04e, degré 22 minutes de latitude méridionale , et le ipoL degré 35 minutes de longitude ; nous la nommâmes Cap Nord j il se termine en un mondrain applati au sommet, l’isthme qui le joint à la terre est bas, et le fait paraître une isle on y voit un Hippah ou village. Les vents nous forcèrent à louvoyer pendant deux jours, puis nous reconnûmes de petites isles, qui nous parurent celles que de Jacques Cook. î^S que Tasman découvrit et nomma les trois Rois et comme nous n’appercevions point la terre , quoique seulement à vingt lieues au couchant du cap Nord , nous en conclûmes que la partie septentrionale de la nouvelle Zélande était très- étroite des raffales violentes , une tempête nous secouèrent pendant quelques jours encore , pendant lesquels nous portâmes tantôt au midi, tantôt à l’oiient, et ce ne fut que le 3 o décembre que nous pûmes découvrir le cap Maria van Diemen , qui nous parut avoir été bien désigné par les Indiens. Nous revîmes le Mont Camel , qui de l’autre côté ne nous avait paru éloigné que d’un mille de la mer , et de celui-ci n’en paraissait qu’à la même distance , ce qui nous fit conclure que la terre n'avait pas plus d'uns lieue de large dans cet endroit. Nous étions au milieu de l’été de ces climats , et le vent y était d’une force et d’une durée dont j’avais à peins vu un exemple nous consumâmes cinq semaines à faire 5 o lieues, et encore nous nous estimions heureux de n’avoir pas été , durant ce temps, plus voisins de la terre, contre laquelle les vents nous auraient brisés. Le cap Maria est sous le 34 e degré 40 minutes de latitude méridionale et le 190 e degré 22 minutes de longitude de-là au mont Camel , la terre n’est qu’une côte stérile composée de bancs de sable blanc ; plus au midi est une terre basse , à laquelle succèdent des terres plus hautes » coupées de monticules plus au midi elles présentent un aspect désert, stérile, effrayant ; CS Tome /. A l 46 Premier Voyage sont des collines de sable où l’on no découvre pas une tache de verdure , où la mer se brisant en lames terribles, affecte Tarne des tristes images de la solitude, de la désolation et de la mort. Nous nous éloignâmes de ces lieux , et suivant ensuite une direction parallèle à la côte , nous arrivâmes le 10 Janvier 1770 , près d’une terre qui s’élevait en petites pentes , couvertes d’arbres et de verdure , la fumée des maisons dispersées , nous annonçait que le pays était peuplé. Nous appelâmes un promontoire qui s’élève doucement de la mer à une grande hauteur , Pointe Woody , ou boisée ; et une isle qui en est voisine, Gannet Island , ou isle des Mouettes, parce que nous en vîmes un grand nombre. Plus au midi est une pointe escarpée , que nous nommâmes Pointe Albatross à quelque distance de celle-ci, nous découvrantes une montagne très-haute et semblable au pic de Te- nerifïe ; sa pointe sVlevait au-dessus des nuages dont sa base était environnée; elle était couver te de neige ; sa base est fort large et s’élève par degrés depuis la mer qui l’avoisine ; le pays qui l’environne est plat , agréable, couvert d’arbres et de verdure. Nous appelâmes la montagne Mont Egmont, nous donnâmes le même nom au grand cap que forme la côte près de lui. La côte au-delà de ce mont s’étend entre le midi et l’orient en avançant plus loin nous découvrîmes une terre élevée entre le midi et le couchant elle avait l’apparence d’une isle située au-dessous de la nouvelle Zélande , et elle con- de Jacques Cook. 1^7 serra toujours cette apparence la côte que nous suivions était fort liante , coupée par des vallons et des collines , formant plusieurs baies , dans l’une desquelles je voulais entrer pour caréner et réparer le vaisseau bientôt je me trouvai dans un canal dont l’entrée se remarque par de petites isles et un chaîne de rocs ; la marée nous jeta près de la côte, mais nos bateaux nous aidèrent à nous enéloign er; nous vîmes la tête d’un lion marin s’élevant au-dessus de l’eau, une pirogue qui traversait une baie sur la côte que nous avions au midi, et un village situé sur la pointe d’une ide ; nous nous en approchâmes , et les habitans en armes se montrèrent sur le rivage; nous jetâmes l’ancre à quelque distance, dans une anse très-sûre et très-commode , sur un fond mou , à la profondeur de onze brasses quatre pirogues s’approchèrent de nous les Indiens étaient habillés comme les peint Tasman deux coins de l’étoffe dont ils s’enveloppaient le corps se relevaient par derrière , passaient sur les épaules , et venaient se rattacher sous la poitrine ; peu avaient des plumes dans leurs cheveux ; ils tournèrent autour de nous en faisant leurs menaces et leurs défis ordinaires, et ils commençaient à nous lancer des pierres , lorsqu’un vieillard voulut monter sur notre bord, et y monta malgré les efforts que firent ses compagnons pour le retenir nous le reçûmes avec toutes les marques de bienveillance possibles , nous lui donnâmes ce qui lui faisait pi ai - sir , et le chargeâmes de présens pour les K. 3 l/ t 8 Premier Votage autres Indiens. Quand il fut descendu dans sa pirogue, les Indiens dansèrent, ou de satisfaction, ou pour nous délier encore ; car ils font le même acte dans des sentiniens bien différons ; puis ils se retirèrent dans leur liepnab. Devant nous était une vaste forêt, traversée par un beau courant d'une eau excellente ; nous pêchâmes, et primes en. peu d’instans 3oo livres de poisson c'est là que nous carénâmes notre vaisseau ; pendant que nous étions occupés à le faire, des pirogues arrivèrent près de nous , et nous lûmes bien aises cl’y voir des femmes, qui annoncent ordinairement des intentions paisibles chez ces sauvages insulaires ; cependant ceux-ci nous firent craindre une attaque, que le bruit seul des fusils les obligea d'abandonner, et la friponnerie suivie de menaces de l’un d’eux , nous ayant fait encore recourir au menu plomb , ils s’éloignèrent de nous , et ramèrent à l'entour à quelque distance. Nous leur fîmes demander par Tupia s’ils avaient jamais vu un vaisseau comme le nôtre , s’ils n’avaient point entendu dire qu’un, semblable y eût abordé ils répondirent que non. La baie que Tasman appela Baie des Assassins , ne peut être éloignée cependant de plus de cinq lieues du lieu où nous étions. Les femmes et quel ques-uns des Indiens avaient une coëffure composée de touffes de plumes noires , disposées en rond sur le sommet de la tête, qu'elle couvrait et haussait du double. Nous descendîmes à terre , et notre aspect fit fuir avec effroi une famille d’indiens un seul resta, et ce- de Jacques Cook. 1^9 îui-là rassuré , fit revenir les autres lorsque l’un d’eux meurt, ils attachent une pierre à son corps et le lancent dans la mer ; nous vimes flotter sur l’eau le corps d’une femme qu’ils avaient lancé ainsi et s’était séparé de la pierre. Les insulaires s’occupaient alors à apprêter des ali- rnens ; ils faisaient cuire un chien dans leur four près d’eux étaient des paniers de provisions , dans l’un desquels nous reconnûmes des os humains rongés 3 ils paraissaient avoir été cuits , et l’on voyait encore sur les cartilages la marque des dents qui y avaient mordu. Ce spectacle nous fît horreur. Les Indiens dirent que c’était un de leurs ennemis qui était venu sur la côte avec six autres hommes , et qu’ils avaient tué celui-là. Comme nous paraissions douter encore qu’ils mangeassent les hommes , l’un des Indiens nous montra les parties du corps semblables à celles dont nous voyions les restes, rongea l’os , et dit que la chair qui n’y était plus lui avait fourni un excellent repas. Parmi les femmes qui étaient là , il en était une dont les bras , les cuisses , les jambes étaient déchirées d’une manière effrayante ; elle l’avait fait pour exprimer la douleur que lui causa son mari tué et mangé par les habitans de la côte opposée. Le 17 , nous eûmes un réveil charmant, nous entendîmes le chant très - agréable d’une multitude d/oiseaux 3 on croyait entendre de petites cloches parfaitement d’accord 3 ces oiseaux commencent toujours à chanter vers les deux heures du matin , et gardent le silence dès que le soleil est sur l’horjson K 3 ï5o Premier Voyage Le vieillard revint encore nous faire une visite ; on lui parla de l’usage de manger ses ennemis ; on l ui demanda ce qu’ils faisaient de la tête ; il dit qu’ori en mangeait la cervelle , et qu’on attendait bientôt les Indiens du bord opposé , qui devaient venir venger la mort de leurs compagnons ; il nous apporta deux jours après quatre têtes des hommes qu’ils avaient mangés ; la chair, les cheveux y étaient encore ; elles n’avaient point d’odeur désagréable, parce qu’elles avaient été préservées de la putréfaction par quelque ingrédient. On n’en put acheter qu’une , les Indiens réservaient les autres pour leur servir de trophées. La baie où nous étions était vaste, et composée de petites anses dans toutes les directions par-tout elle était bordée d’une forêt épaisse nous y tuâmes des cormorans le poisson est très- abondant dans ce lieu ; nous allâmes examiner le filet d’un Indien qui pêchait ; sans nous craindre , ni faire beaucoup d’attention à nous , il fit ce que nous désirions de lui, et nous montra son filet il était de forme circulaire , de 8 pieds de diamètre, et étendu par deux cerceaux l’appât était au fond , le haut était ouvert, et quand le poisson est au fond , le pêcheur relère le filet lentement et le ferme nous trouvâmes en divers lieux trois os de hanches d’honnnes , et des cheveux suspendus à une branche d’arbre quelques Indiens vinrent d’un bourg que nous n’avions pas vu , quoique situé sur la baie , et nous vendirent du poisson pour des clous, dont ils avaient de Jacques Cook; î St apprrs l’usage. Pendant que quelques-uns de nous pêchaient sur les rochers, que d’autres erraient au loin sans appercevoir nulle part des traces de culture, que Mrs. Banks et Solander s’occupaient sur la grève de recherches botaniques , je grimpai sur les collines avec un matelot je croyais pouvoir découvrir de-là l’étendue du canal; mais d’autres collines et des bois impénétrables nous en dérobèrent la vue ; je vis cependant un passage qui conduisait de la baie où nous étions à la côte occidentale , et la mer qui baignait la côte orientale je m’assurai que ce qui m’avait paru une partie de la terre ferme n’était que de petites isles, où je vis deux villages abandonnés depuis long-temps. Le 14 , nous allâmes dans le hippah que nous avions découvert d’abord en arrivant dans la baie ses habitans nous reçurent avec civilité , avec confiance le roc star lequel il est bâti n’est séparé de la terre que par une fente de quelques pieds ; il est escarpé de toutes parts; un seul endroit peut être regardé comme accessible , et là il est palissade les maisons des Indiens sont propres et commodes ils nous vendirent des os humains , et nous vîmes une croix ornée de plumes, monument élevé à la mémoire d’un mort. Les lieux voisins de cette isle n’ont que des maisons désertes nous fûmes surpris de ce qu’au milieu de la confiance que les Indiens nous marquaient , ils ne parlèrent à Tupia que de fusils et d’hommes tués ; nous ignorions alors qu’un de nos officiers , s’amusant sur un bateau avait vu trois pirogues s’approcher, et que craî- K 4 i§2 Premier Voyage gnant d’en être attaqué , il avait l'ait feu sur eux; mais persuadés qu’ils n’avaient eu que des intentions pacifiques , nous lûmes affligés de ce qu’elles avaient été si mal reconnues. Le lendemain , en visitant l'embouchure du canal, nous rencontrâmes sur la côte une famille d'indiens qui se dispersait pour pêcher ; ils vinrent au- devant de nous ; ils étaient au nombre de trente, hommes, femmes ou en fans ; nous leur donnâmes des rubans, des verroteries ; tous nous embrassèrent et nous donnèrent du poisson ; nous lûmes charmés de cette nouvelle connaissance le 2 6 , nous allâmes voir le détroit qui joint les deux mers du haut d’une colline très-élevée , nous le découvrîmes; il nous parut avoir 4 lieues de large nous élevâmes là une pyramide où nous laissâmes des halles , du petit plomb , des verroteries , etc. , pour être un monument qui assurât ceux qui visiteront ce lieu que des Européens y ont été avant eux au bas de la colline nous trouvâmes une autre famille d’indiens qui nous virent avec joie et nous montrèrent où nous trouverions de Peau douce nous nous rendîmes aussi dans le bourg dont on nous avait parlé ; on ne s’y rend pas sans danger , mais les Indiens nous y reçurent à bras ouverts ; nous y comptâmes une centaine de maisons ; le rocher et une plate - forme les défendent nous donnâmes des clous , des rubans , du papier à ces bonnes gens , et ces présens leur firent tant de plaisir, qu’ils remplirent notre bateau de poissons secs, dont ils^ avaient fait de grandes provisions. de Jacques Cook. i 53 Nous avions aussi voulu pénétrer dans les terres, mais des plantes parasites , touffues, entrelacées , qui remplissaient l’espace entre les arbres , rendaient les bois impénétrables ; nous cueillîmes du céleri sur une isie où il était abondant , et pendant que nous nous y occupions de cet objet , des Indiens y abordèrent cinq ou six femmes qu’ils avaient avec eux s’assirent , se firent des blessures effrayantes avec des coquilles ou des morceaux de talc , tandis que les Iiomrnes, insensibles à leur état, travaillaient à réparer des liuttes abandonnées. Avant que de quitter ce pays , nous élevâmes deux poteaux surmontés d’un pavillon, l’un dans le lieu de l’aiguade , l’autre près du hippah de Fisle , que les kabitans nomment Mortuara nous y gravâmes le nom du vaisseau , et le temps du débarquement; les Indiens promirent de ne l’abattre jamais nous leur fîmes encore des présens , nous y joignîmes une pièce de monnaie et des clous de liebe où était gravée la grande flèche du Roi ils nous dirent que la terre que nous avions au sud ouest était composée de plusieurs isles, parmi lesquelles en était une très- grande située à l’orient ; ils nous assurèrent qu’ils n’avaient jamais entendu parler d’un vaisseau semblable au nôtre , mais que leurs ancêtres leur avaient dit qu’un petit bâtiment venant d’une contrée éloignée nommée Ulhnaraa , portant quatre hommes , avaient été tués en débarquant selon eux, Ulimaraa est situé vers le nord. Tueia nous avait parlé aussi de ce pays , dont il avait 1 54 Premier. Voyage des notions confuses nous remarquâmes qu'iîg nous pendaient du poisson avec peine quelques-uns s’affligeaient des préparatifs de notre départ, d'autres s’en réjouissaient. Deux fois nous levâmes l’ancre pour nous éloigner ; deux fois les mauvais temps nous forcèrent de la rejeter dans l’intervalle Mrs. Banks et Soîander rencontrèrent une famille d’indiens très-aimable ; une veuve y pleurait son époux avec des larmes de sang , son fils était près d’elle, tous deux étaient assis sur des nattes , les autres, au nombre de seize, étaient autour d'eux assis en plein air , car ces Indiens ne paraissent pas même avoir un abri contre la pluie et les orages ils se montrèrent affables , obligeans, et firent regreter à nos observateurs de ne les avoir pas connus plutôt. Enfin , le 6 février nous sortimes du canal, que nous nommâmes canal de la reine vharlotte , il est sous le 4 1 - d. de latitude méridionale, et le 192 e . d. 4d min. de longitude la terre au midi du canal est appelée par les lia- bitans Kaomaroo ; la terre de l’anse où nous mouillâmes se nomme Totaranue \ nous donnâmes à l’anse même le nom de anse de vaisseau ; c’est la plus méridionale des trois qui sont au-dedans de l’isle Mortuara ; elle est très-commode et très-sûre ; deux canaux entre les isles y conduisent; les marées y montent de 6 à 8 pieds le canal même a trois lieues de large à son entrée , et dix lieues de long autour, la terre est si élevée que nous l'apperçûmes de vingt lieues en mer ce sont de liantes collines , » e Jacques Cook. i55 de profondes vallées, couvertes de grands arbres dont le bois est très-dur et pesant la mer y abonde en poissons, et ses rivages en cormorans et en oiseaux sauvages ls nombre des liabitans que nous y vîmes ne surpassait pas 4°° j ne cultivent point la terre, et vivent dispersé-, le long des côtes,où ils trouvent du poisson et des racines de fougère dont ils vivent dans les dangers, ils se retirent dans leurs bippahs ; ils paraissent pauvres ; leurs pirogues sont sans ornement ; ils semblent connaître l’usage du fer , et préférèrent d’abord le papier à tonte autre chose dans les échanges ; mais quand ils virent que l’eau le gâtait, ils le méprisèrent ils estimaient peu les étoffes d’Otahiti , mais beaucoup le gros drap d'Angleterre et le Kersey ronge. Dès que nous fûmes sortis du canal, je me dirigeai vers le levant; mais le calme nous surprit, et un courant rapide nous porta près dùm roc qui s’élevait perpendiculairement de la mer ; le danger augmentait â chaque instant, et il ne nous restait qu’un moyen pour nous sauver, ce fut de jeter une ancre ; le fond était à brasses, elle nous soutint jusqu’à ce que la marée vint nous aider à changer de situation ; dès qu’elle cessa nous remîmes à la voile , et nous approchâmes de la côte méridionale , d’où l’on voyait s’élever une montagne d’une hauteur prodigieuse et couverte de neige. Nous donnâmes le nom de Palliser à la pointe la plus méridionale de la terre que nous avions vers le nord la pointe plus avancée de celle que nous avions au 56 Premier Voyage midi reçut le nom de ambell nous étionss alors vis-à-vis d’une baie profonde , que je nom- an ai Bay Cloud/y, baie nébuleuse ou obscure, an fond de laquelle est une terre basse couverte de grands arbres. Je suivis la côte de la terre située vers le nord, pour m’assurer que c’était une isle ; j’en étais presque assuré , mais plusieurs de mes officiers en doutaient, et je ne voulais pas laisser de doutes il s’agissait donc de remonter le long de la côte jusqu’au cap Turnagain que nous avions déjà reconnu, et qui n’était éloigné que de i5 lieues du lieu où nous étions. Nous voguâmes vers le nord ; trois pirogues nous atteignirent à force de rames ceux qu’elles portaient étaient plus propres que ceux de la baie dont nous sortions , ils étaient aussi plus civils leurs pirogues sont sculptées. En recevant nos présens , ils nous en donnèrent en échange ils nous demandèrent des dons et n’en avaient jamais vus ; sans doute ils en avaient entendu parler à leurs voisins , et ce fait prouve qu’il y a beaucoup de communications entre ces peuples ceux-ci ne sont point soumis au Teratu ; ils se retirèrent contons de nous comme nous l’étions d’eux. Le temps s’élait éclairci, nous vimesle cap Turnagain à quelque distance, et tous nos officiers étant persuadés que la terre que nous voyions, ou l ’Eakeinomowe , était une isle , nous cinglâmes vers le levant. Mais le vent nous chassa jusqu’auprès du cap ï’alliscri entre lui et le cap Turnagain , la terre en plusieurs endroits est basse et plate , verte, © E J A CQffïS COOK. 1 Sj agréable ; dans l’intérieur on y découvre de hautes collines. Le 14 , nous étions vis-à-vis la liante montagne couverte de neige dont nous avons parlé , nous cinglions vers le midi, et nous laissions derrière nous une chaîne de montagnes très-élevées , dont l’extrémité septentrionale n'est pas éloignée du cap Campbell ; à son pied nous découvrions au loin vers les lieux où nous tendions , une terre basse qui semblait une isle l’après midiMr. Banks étant descendu dans- le bateau, s’éloigna de nous pour chasser $ bientôt nous apperçumes quatre doubles pirogues s’avancer vers lui ; nous finies des signaux pour le rappeler, il ne les apperçut pas le calme était profond , et nous craignîmes qu’il ne lut atteint avant de nous avoir approchés ; mais les Indiens n'avaient quitté le rivage que pour contempler le vaisseau , et Mr. Banks revint tranquillement. Tupia employa en vain toute son éloquence pour inviter les insulaires ' à venir vers nous ; après nous avoir examinés, ils s’en, retournèrent nous donnâmes à la terre d’où ils étaient partis le nom de Lookers-cn , ou des spectateurs , c’était celle qui avait l'apparence d’une isle. Nous crûmes voir terre au sud-est , et nous en approchâmes ; mais le lendemain au matin nous ne vîmes plus même l’apparence qui nous avait trompés. Le 16, nous en vimes une dirigée vers le midi et détachée de la côte que nous suivions c’était en effet une isle , à laquelle nous donnâmes le nom de Banks elle est de forme circulaire, et a vingt-quatre lieues de î 58 Premier Y o y a n b tour; sa surface élevée , irrégulière, brisée , paraît peu fertile ; cependant la fumée qui s’en élevait nous prouva qu’elle n’étaic pas déserte sa latitude est de 43 d. 3 a m. sud , sa longitude 191 d. Un nuage que l’on crut être une terre située plus à l’orient, nous fit éloigner de ses côtes ; 011 fut bientôt persuadé qu’on s’était trompé , et nous reviennes près des côtes de la terre que nous avions suivie jusqu’alors et que les habitans nommaient Tovy Pœnammoo balotés par un vent violent, par une mer agitée , nous avançâmes peu ; nous revîmes la côte c’était un sol bas, plat, terminé par défiantes montagnes, paraissant par-tout stérile et désert ; nous étions alors au midi de l’isle Banks plus loin nous entre v mes encore une baute montagne ; nous nous tenions à sept lieues, à cause des lames fortes et bruyantes qui secouaient le vaisseau ; dans cette situation nous tuâmes deux poules du PortEgmont , les premières que nous ayions vues sur cette côte la terre entrecoupée de collines et de vallées nous parut tourner vers le couchant; le brouillard nous la cacha peu de temps après , mais les montagnes paraissaient au-dessus du brouillard lorsqu’il fut dissipé , nous découvrîmes une pointe de terre ou cap avancé que nous nommâmes Saunders ; une montagne qui s’élève à quelque distance en forme de selle , le fait remarquer. Plus au midi la côte paraît médiocrement élevée, entrecoupée de montagnes couvertes de bois et de verdure. Une tempête rendit notre route pénible, dangereuse et lente; nous D D J A c Q t ï s Cook. tS^. nous éloignâmes delà côte , et ne vîmes au loin aucune apparence de terre ; nous revînmes vers celle que nous avions quittée , et nous apperçû- mes des baleines et des veaux marins ; la côte , lorsque nous pûmes la revoir, était élevée etunie; plus loin nous vîmes deux terres, l’une élevée , l’autre basse , qui nous parurent être des isles ; une bande de rochers qui parut tout-à-coup devant nous, nous aurait mis en danger, si le vent du nord ne s'était élevé; elle est à 6 lieues de terre , et à quelque distance on en voit une autre, contre laquelle la mere brise avec fureur ; nous leur donnâmes le nom de Traps onde piège, parce qu’en effet ils peuvent surprendre et perdre des navigateurs peu attentifs. Vis-à-vis, la terre nous parut élevée et stérile , on n’y voit point d'arbres ; quelques arbrisseaux y sont répandus çà et là ; elle est marquée de taches blanches que je pris pour du marbre nous nom- mâmesdàzp Sud la pointe la plus méridionale de cette terre ; il est sous le e d. 19 m. de latitude méridionale et sous le i 85 e d. 12 m. de longitude. Au-delà est un golfe formé par la terre terminée par le Cap Sud , qui est un grand promontoire joint à la grande terre de la nouvelle Zélande par une terre basse. Devant ce golfe est une isle ou rocher de mille pas de circuit, très-haut , fort stérile ; et nous lui donnâmes le nom de Solatuler le golfe même paraît n’offrir aucun abri ; le pays est hérissé de montagnes dont le sommet était marqueté de neige ; on y voit des bois dans les vallées et les lieux élevés , paais nul indice d’habitation if est terminé par * îs,o Premier Voyage la pointe la plus occidentale de cette contrée , et c’est pourquoi nous lui donnâmes le nom de Cap Ouest y sous le 45 e d. 54 ni. de latitude méridionale et le i85 e d. 7 m. de longitude trois lieues plus au nord est une baie que nous nommâmes DusPy , ou obscure ; son ouverture est de plus d’une lieue , sa profondeur paraît égale ; elle renferme des isles qui doivent former des abris sûrs ; sa pointe septentrionale présente cinq rochers , qui présentent l’apparence des quatre doigts et du pouce de l’homme, et nous l’appelâmes pointe de cinq doigts , Point sive Fingers le terrein qui y est joint est élevé et couvert de bois; dans ^intérieur on ne voit que montagnes et rochers stériles. Je n’entrai pas dans la baie Dusky , non plus que dans une autre située plus au nord , et qui paraît offrir un asile sûr et commode ; à chacun de ses côtés , la terre s’élève presque perpendiculairement à une hauteur prodigieuse , et ce fut ce qui me fit craindre d’y entrer, car je n’en aurais pu sortir que par un vent qui aurait soufflé directement vers son entrée, et qu’on ne peut espérer qu’assea rarement mes officiers cependant désiraient vivement qu’on y jetât l’ancre. Nous continuâmes de suivre la côte dont la direction était vers le nord. Le i5 Mars , en nous approchant de la terre , nous crûmes voir un canal, qui , vu de plus près , ne fut qu’une vallée profonde entre deux hautes collines ; plus au nord était une pointe formée de rochers élevés et rougeâtres , d’où tombe une cascade qui se partage en quatre ruisseaux, de Jacques Cook. 16 ruisseaux , et nous lui donnâmes le nom de Pointe de la Cascade assez près de la côte , nous ne trouvions point de fond; tantôt la terre coupée en vallées et en montagnes se montrait à nous couverte de neige ; tantôt un brouillard épais la dérobait à nos regards ; il nous fallait combattre des lames qui nous portaient sur la côte , et quelquefois un calme profond la terre continua toujours de se montrer escarpée etmontueuse dans l’intérieur; vers le rivage elle est basse , et s’élève doucement jusqu'au pied des montagnes ; la plus grande partie est couverte de bois les montagnes forment au-delà de la Pointe des cinq doigts une autre draine d’une hauteur prodigieuse , ne présentant que des rocs dépouillés , ou des fondrières de neige; il est difficile d’imaginer une perspective plus sauvage , plus effrayante que celle de ce pays Vu de la mer on n’y voit que des fentes entre les rochers , et point de vallées mais à leur pied jusqu'au rivage , le sol est couvert de bois , il forme des vallées très-larges et unies , où il paraît qu'il y a beaucoup de marais. Nous naviguâmes en suivant toujours cette côte jusqu'au , où le brouillard dissipé me fit appercevoir une isle que je reconnus bientôt pour être la même que j’avais vue à l’entrée du détroit de la Reine Charlotte. Alors nous eunrejs fait le tour de ce pays ; mais je voulus faire de l’eau avant de le quitter ; j’entrai donc dans une baie , où je trouvai un abri pour le vaisseau et une aiguade $ nous nous occupâmes à remplir nos futailles, à, Tome I. I* Peemïïe VoïiCï couper du bois nous examinâmes les cotes de la taie j du liant d’une colline je n’en pus voir l'extrémité , et il me parut qu’elle avait plusieurs -entrées, ou des baies plus petites à couvert des •vents denier par les ides qui sont en dehors ; la terre y est mon tueuse , couverte d’arbres , de buissons, de fougères , de buttes abandonnées les pierres veinées y ont une apparence minérale , mais nous n’v trouvâmes aucun minerai-. J’aurais désiré revenir en Europe par le cap Horn • mais il aurait fallu braver le froid qui règne dans ces climats, meme lorsqu’on y arrive en été , et nous y serions arrivés dans le milieu de l’hiver eu revenant parle cap de Bonne-Bs- pérance , nous ne pouvions espérer de faire aucune découverte intéressante. Nous résolûmes de prendre la route des Indes orientales , de tendre au couchant jusqu'à ce que nous eussions rencontré la Nouvelle-Hollande , et de la suivre jusqu’à son extrémité septentrionale , ou de chercher les isles de tiuiros. Nous partîmes donc le 3 i mars 1770 de la Nouvelle - Zélande , en partant du point le plus oriental de la terre que nous venions de parcourir, et je l’appelai cap Farewell ou d’adieu ; la baie de laquelle nous Sortions reçut le nom de Baie de tAmirauté les deux pointes qui la forment eurent le nom de Stepheens et de Jackson entre l’isle qui est à son entrée et le cap Farewell, est une autre baie dont nous ne pûmes distinguer le fond , Veau n’y est pas profonde , nous l’appelâmes Baie des Aveugles, Blind-Baie-, je crois que c’est de Jacques Cook. î63 jBaie des assassins de Tasman. Mais avant de quitter ces lieux , jetons un coup-d’œil général sur le pays, ses habitans, leurs mœurs, leurs usages. Ce pays , distingué sur les cartes sous le nom de Nouvelle-Zélande, fut découvert le i 3 décembre 164 2 par Aheljansen Tasman, qui la nomma Terre des Etats ; attaqué dans la Baie des assassins , il ne descendit plus à terre et ne la connut qu'imparfaite ment. Elle est formée de deux isles, et située entre le 34 e . et le 40 e . d. de latitude méridionale , et entre le 196 e . d. 3 o m. et le i 83 e . d. 3 o min. de longitude. Nous avons dit que les habitans donnent à la plus septentrionale le nom ù!Eahcinomau'Wè , à la méridionale celui de Tovy ou T aval- Poenammoo. Celle-ci est un pays montueux pour la plus grande partie , presque stérile, et peu habitée celle-là est remplie de collines et de montagnes , mais toutes couvertes de bois ; chaque vallée y est arrosée par un ruisseau d’eau douce leur sol, celui de leurs plaines, est léger, cependant fertile , et on peut croire que toutes les graines et les légumes d’Europe y viendraient bien ; les végétaux qu’on y voit nous ont fait penser que les hivers y sont plus doux qu’en Angleterre, et l’été n'y est pas plus chaud j un établissement Européen pourrait y prospérer promptement ; les seuls quadrupèdes sont les chiens et les rats ceux-ci y sont pe& nombreux $ il y a des veaux marins sur la côte , mais en, petit nombre ; les naturels du pays en travaillent les dents en forme d’aiguilles de tétés; on y L 2 î64 Premier Voyage trouve aussi quelques baleines des oiseaux qui y vivent, la mouette est peut-être la seule qui soit exactement comme celles d’Europe les canards, les cormorans cependant ressemblent assez aux tiûtres on y trouve aussi des espèces de faucons, de chouettes , de cailles , et plusieurs petits oiseaux dont le chant est très - mélodieux. Les oiseaux de l’Océan , comme les albatross , les fous , les pintades , n’y paraissent que de temps en temps. On y voit aussi le pengoin ou nuance, espèce mitoyenne entre l’oiseau et le poisson , dont les plumes diffèrent peu des écailles , et les ailes des nageoire,.'!! y a assez peu d’insectes; on y voit des papillons , des escarbots , des mouches de sable; mais ils ne sont pas assez nombreux pour être incommodes. La mer y fourmille de poissons très-sains , et d’un goût agréable , leur diversité est égale à leur abondance on y voit des troupes innombrables de diverses espèces de maquereaux et plusieurs sortes d’autres poissons que nous n'avion sj aurais vus; le plus délicat est une espèce d’homard , différent en divers points de l’écrevisse d’Angleterre ; il est rouge , et tout hérissé de pointes sur le dos nous y avons trouvé l ’éléphant de Pejegalo ou le poisson coq décrit par Frezier , des espèces de chiens de mer, des anguilles, des congres de différentes espèces , et d^excellens poissons à coquilles , comme des clams, des pétoncles et des îmitres. Le pays est couvert de grandes forêts remplies de bois de charpente , d'arbres droits et vigoureux il y en a un sur-tout qui se faisait be Jacques Cook. i6£ distinguer par une fleur écarlate cpù semble être un assemblage de plusieurs fibres ; il est de la grosseur du chêne , est très-dur, très-pesant, et convient pour tous les ouvrages de moulin un autre très-élevé et très-droit qui croît dans les marais, peut fournir de très - beaux mâts de vaisseau ; sa feuille ressemble à celle de l’if, et il porte des baies dans de petites touffes aucun ne porte de fruits bons à manger. Le sol est couvert de verdure , et il s’y trouve beaucoup de plantes inconnues en Europe ; mais on y trouve peu de celles que nous connaissons ; il n’en est qu’un petit nombre qui fournissent un aliment ; le céleri , le cresson y sont abondans ; on y mange la racine de fougère et une autre plante qui est désagréable au goût on y cultive les ignames , les patate» douces , les cocos , et des citrouilles qui fournissent des vases utiles le mûrier à papier chinois s’y trouve , mais il est rare il y a deux espèces d’une plante qui tient lieu aux habitans de chanvre et de lin ; toutes deux ont la feuille du glayeul , les fleurs de l’une sont jaunes , celles de Lautre sont d’un, rouge foncé ils s’habillent avec les feuilles sans autre préparation ; ils en font des cordons , des filets , des lignes , des cordages plus forts que ceux du chanvre , et en font encore des étoffes excellentes cette plante utile serait un beau présent à faire à l’Europe. Il paraît qu’il y a des métaux j mais on ne peut le dire que par conjecture les lieux où. un établissement pourrait L 3 t66 Premier V o y a*g s. 1 mieux réussir , seraient dans les environs de la Tamise * et dans la Baie des Isles. Ce pays a de grands espaces absolument déserts , et là où il est habité, il ne parait l’être que près des côtes les hommes y sont grands , forts , bien proportionnés , vigoureux , agiles ils montrent dans tout ce qu'ils font beaucoup de dextérité; leur teint est brun; les femmes n’ont pas les organes délicats , mais leur voix est très-douce ; elles sont plus gaies , plus enjouées * plus vives que les hommes l’habillement des deux sexes est le même les hommes ont les cheveux et la barbe noirs, les dents régulières et très-blanches ; ils vieillissent et ont peu de maladies ; et comme leurs femmes ils sont doux et affables, et se traitent avec beaucoup, d’égards , mais ils sont implacables envers leurs ennemis r la misère et la détresse où peuvent être réduites, des peuplades qui ont peu de végétaux comestibles , presque point d’animaux domestiques*, paraissent être les causes dé ces guerres qui changent ces hommes doux en bêtes féroces et en anthropophages ils nous regardèrent d’abord comme des ennemis ; puis lorsqu’ils eurent connu nos forces , et que nos intentions n’ctaient pas de leur nuire , quoique nous en eussions le pouvoir * iis eurent en nous une confiance sans bornes , et nous les surprimes rarement dans une action inal-lionnête ; ils montrent dans leur commerce et leur maintien autant de réserve, de décence et de modestie dans des actes qu’ils ne croient pourtant pas criminels , qu'on ea e 3 ; J a. c ç 0 a s C oo k. i6y trouve parmi les peuples les plus civilisés les; femmessans être sévères étaient décentes ; et manquer aux égards qu’elles exigeaient,, c’était rompre avec elles. L’huile ou graisse dont les deux sexes s’oignent les cheveux, est ce qu’ils ont de plus désagréable 5 ils connaissent l’usage du peigne et en ont besoin les hommes attachent, leurs cheveux au-dessus de leur tete , ou lésions, avancer en pointe de chaque côté des joues ; les femmes les portent courts ou les laissent flotter sur leurs épaules ; les uns et les autres se peignent le corps de taches noires ; mais les femmes; en ont moins et de plus petites que les hommes ceux-ci semblent en ajouter toutes les années, et les. vieillards en sont couverts outre ces taches,,, ils ont sur le corps des. sillons profonds et larges, d’une ligne , dont les bords sont dentelés le visage des. hommes âgés en est presqu’entière-, inent couvert ; elles sont ordinairement tracées en spirales avec heaucou p de précision et d’élé-. gance sur le corps elles ressemblent au feuillage des ciselures anciennes de loin elles paraissent toutes semblables elles sont toutes différentes quand on les voit de près c’est ici oit l’on en voit le moins sur les fesses nous avons, vu qu’ils se peignent aussi la peau avec de l’ochre- rouge et de l’huile,. Leur habillemen t paraît d’abord bizarre y les. feuilles de glayeul dont ils le composant , sont; coupées, en 3 on 4 band es, qu’ils entrelacent, et; ils en forment une étoffe qui tient le milieu en— Lxe le réseau es le dcaj> ; deux, pièces de; Mtr» i65 Premier Voyage étoffe sont un habillement complet ; l’une s’attache sur l’épaule et pend jusqu’aux genoux; l’autre est enveloppée autour de ia ceinture et pend jusqu’à terre cette couverture convient à des hommes accoutumés à vivre et dormir en plein air ils font d’autres étoffes plus unies et qui ont faites avec bien plus d’art ; la plus belle se fait des fibres dont nous avons parlé, entrelacées comme nos toiles ; ils la manufacturent däns une espèce de châssis de 5 pieds de long , de 4 de large ; les fils qui forment la chaîne sont attachés au bout du châssis , et la trame se fait à la main. Ces étoffes sont bordées de franges de différentes couleurs, faites sur différons modèles, travaillées avec beaucoup de propreté , et même d’élégance, quoiqu’ils n’aient, point d’aiguilles; leur plus riche habillement est celui qui a une fourrure de bandes de peaux de chien différemment colorées. Les femmes négligent plus leur habillement que les hommes ; elles n’ôtent la pièce d’en-has que lorsqu’elles entrent dans l’eau pour prendre des écrevisses deiner 5 mais alors elles ont soin de se cacher aux hommes nous en surprimes un jour dans cette occupation ; et nous vimes les unes se cacher dans les rochers , et les autres se tapir dans la mer jusqu'à ce qu’elles eussent fait une ceinture et un tablier des herbes marines qu’elles purenttrouver, et encore elles ne se montraientqu’ deux sexes ont des trous aux oreilles, assez grands pour y passer le doigt, où ils enfilent de l’étoffe, des plumes , des os d’oiseaux , quelquefois du bois, de Jacqïbs Cook. ïdg Ou des clous que nous leur donnions , ou le du* ret de l’albatross , formant deux toulfes de la grosseur du poing et blanches comme la neige ils y suspendent aussi des ciseaux , des aiguilles de talc vert, des dents et des ongles de leurs parens morts , etc. les femmes se font des bracelets , des colliers d’os d’oiseaux et des coquillages ; les hommes portent un cordon autour du cou , auquel ils attachent un morceau de talc Vert ou d’os de baleine , sur lequel on a grossièrement sculpté la figure d’un homme nous avons vu un homme qui portait une plume au travers le cartilage de son nez. Leurs habitations sont grossièrement cons - truites ; elles ont %o pieds de long , 10 de large , 6 de haut , et sont formées de perches minces , recouvertes d’herbes sèches , garnies quelquefois en-dedans d’écorces d’arbres ; on y entre en se traînant sur ses mains près de la porte est un trou quarré qui sert de cheminée et de fenêtre , et dans l’endroit le plus visible est suspeiîdue une planche sculptée dont ils font beaucoup de eas le toit s’avance sur les côtés , et forme un abri où la famille s’assied sur des bancs ; le foyer est un quarré creux, entouré de cloisons de bois ou de pierres ; un peu de paille étendue sur les côtés forme leurs lits. Un coffre qui renferme des paniers , des citrouilles vuidées, quelques outils grossiers , leurs habits , leurs armes , leurs plumes , est tout leur meuble , toutes leurs richesses ceux qui sont d’une classe distinguée ont des maisons plus grandes ces habitations sus- tj ->, Premier Voyage fîsent à des hommes qui couchent presque toujours sous des buissons avec leurs f'emmés et leurs enfans , et qui ne cherchent pas même d’abri pendant la pluie. Nous a vons parle de leurs, alimens ; ils n’ont point de vase pour faire bouillir l’eau ; ils font cuire la viande dans des fours ou l’enfilent à une broche qu’ils élèvent et plantent près du fou dans la partie méridionale , nous n’avons point vu que l’on cultivât des végétaux. Ces hommes n’ont d’autre boisson que de l’eau. Leurs pirogues sont construites avec beaucoup d’art ; elles sont longues et étroites ; les plus grandes sont destinées pour la guerre, et peuvent porter cent hommes ; le fond en est aigu , avec des côtés droits en forme de coins , composé de trois longueurs creusées d’environ deux pouces, bien attachées par des cordages; chaque côté est fait d’une longue planche d’un, pied de large, d’un pouce d’épaisseur ; un grand nombre de traverses les assurent ; la poupe et la proue étaient ornées do planches sculptées , et dans la dernière elle avait 14 pieds de haut ; quelques-unes ne sont formées que d’un arbre creusé , ne sont ornées que d’un visage hideux qui lance une langue monstrueuse’ et dont les yeux sont des coquillages blancs ; les. bâtimens de guerre sont décorés de planches jour , et couverts de franges flottan tes de plumes noires ; les pagaies avec lesquelles ils les font mouvoir sont petites, légères , bien faîtes ; la. pèle est ovale, a deux pieds de long, et la manche quatre ; ils ne savent navîger que par 11» BB îieçïss Cook. i ji vent favorable ; la voile de natte ou de réseau, st dressée en tre deux planches qui servent à-la- lois de mâts et de vergues ; deux pagaies leur tiennent lieu de gouvernail. Us ont des haches laites d ’une pierre noire et dure , ou d’un talc vert qui ne casse point ; leurs ciseaux sont laits d’ossemeris humains , ou de jaspe coupée en parties angulaires comme nos pierres à fusil ; nous ne savons comment ils les aiguisent. Un long pieu étroit et aiguisé par un bout, avec une petite traverse de bois sur laquelle ils appuient le pied , leur sert de bêche et de charrue ils 'cultivent leurs terres avec soin dans la partie septentrionale j l’art de la guerre seul est également connu dans la méridionale. Nous avons parlé de leurs armes ; la principale est le patou- patou , qu’ils attachent à leur poignet avec une forte courroie , pour qu’on ne puisse le leur arracher ils le portent dans la paix à leur ceinture; une côte de baleine blanche comme la neige, décorée de sculpture , de poils de chien et de plumes, sert de bâton de distinction aux chefs , qui ordinairement sont âgés ; leurs paroles de défi sont presque toujours les mêmes. Haro mai , Jiaromai. , harre ula a patou patou oge. Ve- » nez à nous , venez à terre, et nous vous tue- » rons tous avec nos patou-patous » leur danse de guerre consiste en mouvemens violens , en contorsions hideuses ils tirent la langue et relèvent les paupières de manière qu’on ne voit que le blanc de l’œil ; ils agitent leurs lances , ébranlent leurs dards , et frappent l’air avec leurs tj% Prb * r 1ER V o y a b patou-patous les couplets de leur chanson da guerre sont toujours terminés par un soupir long et profond dans leurs danses , ils montrent beaucoup d’adresse etds dextérités et dans leurs chants beaucoup d’oreille et de goût ; les femmes y donnent l’accent le plus doux et le plus agréable , la mesure en est lente et la chute plaintive j il nous sembla que leurs airs étaient à plusieurs parties ; ils ont des instruirions sonores l’un est la coquille , appelée la trompette de Triton l’autre est une petite flûte de bois, ou une espèce de sifflet ; ils ne s'en servent pas pour chanter avec des voix. Nous avons parlé de leurs heppahs ; nous ajouterons ici que nous n J en trouvâmes point dans les environs de la baie de Pauvreté , de Hairke , de Tegadoo et de Tolaga , mais seulement des plate-formes longues , garnies de pierres et de dards Je peuple y paraît vivre dans la plus grande sécurité ; leurs plantations sont plus nombreuses , leurs pirogues mieux décorées, leurs étoffes plus fines ; ils recounsaisent l’autorité d’un roi qu’ils nommaient Tcratie , et qui habitait à Bay-plenty , ou dans la baie de l’Abondance son empire paraît s’étendre sur 80 lieues de côtes il a sous lui plusieurs chefs Subalternes ; dans quelques districts l’autorité paraît héréditaire , presque toujours elle est dans les mains des vieillards. Les petites sociétés dispersées semblent avoir et conserver en commun leurs belles étoffés et leurs filets de pêche les deux sexes mangent ensemble, mais nous ne b K Jacqvis Cook. 171 connaissons point la manière dont ils partagent leurs travaux il nous parut que l’homme labourait , faisait des filets, allait à la chasse et à la pêché ; que la femme recueille les racines de fougère, ramasse près de la grève les poissons à coquilles , apprête les alimens , fabrique leg étoffes. Il nous parut encore que ces peuples reconnaissaient finfinence de plusieurs êtres supérieurs , dont l’un commande à tous nous ne savons quels hommages ils leur rendent, nous n’y avons vu aucun lieu destiné à un culte public , excepté peut-être une petite place quarrée environnée de pierres , au milieu de laquelle s’élève un des pieux qui leur servent de bêche , soutenant un panier rempli de racines de fougère , que les Indiens nous dirent être une offrande pour se rendre les dieux favorables. Dans la partie septentrionale , on nous dit qu’ils enterraient leurs morts ; dans la méridionale , qu’ils les jetaient à la mer ils nous cachaient, comme un mystère , tout ce qui est relatif aux morts les cicatrices des parens annoncent la mort de ceux qui leur surent chers. Leurs mœurs ont assez de ressemblance avec celles des insulaires de la mer du Sud , pour faire croire qu’ils ont la même origine ; ils disent que leurs ancêtres vinrent, il y a trè$-long-temps , d’un autre pays , nommé Heawise ; la conformité de langage en est une plusjforte preuve encore, car Tupia se fit entendre par-tout des Zélandais la prononciation est différente dans les deux isles en quelques points, mais les mots sont les mêmes devant les noms , *74 Premier Voyägs ils mettent les articles ko ou ; après beaucoup de mots ils ajoutent celui à’csia , sur-tout lorsqu'ils répondent à une question une seconde fois , comme pour affirmer ce qu'ils ont dit d’abord. Mais quel pays peupla originairement celui-ci ? L’existence du continent Austral est plus que problématique, nous ii’ejs avons point trouvé dans les parties de l’océan que nous avons visitées , et plusieurs raisons appuient l’opinion contraire; mais pour la décider, il faudrait un nouveau voyage entrepris dans ce but. Revenons à notre voyage. Après avoir quitté le cap Farev/el. , nous nous dirigeâmes au couchant il y avait douze jours que nous navigions lorsque nous v îmes des oiseaux et des poissons volans qui nous annonçaient la terre ; mais nous ne la découvrîmes que huit jours après , c’était le 19 avril nous donnâmes à la pointe la plus méridionale de la terre que nous apperçûmes le nom de Points-Hicks , du nom de mon premier lieutenant, qui ht découvrit le premier; et quoique par le Journal de Tasman , le milieu de la terre de Van Diemen dût être plus au midi, nous n’appercevions aucune terre au-delà de ce promontoire, qui est sous le degré 58 minutes de latitude méridionale , et le 166 e . degré 5 i minutes de longitude. Plus au nord , nous vîmes un mon drain rond qui ressemble au Ram-liead , tête de bélier , qui est à l'entrée du goulet de Plymouth , et je lui en donnai le nom la terre nous parut basse, unie , le rivage couvert d’un sable blanc , l’intérieur l’était de verdure et de Î>E î A C Q tr È 3 £ O O K . tf'B *bois ; nous vîmes là trois trombes à-la-fois , et sur le soir nous découvrîmes une petite isle voisine d’un promontoire, derrière lequel sont des collines rondes je le nommai Cap Hovte. Le '2o , la terre se présenta sous un aspect agréa, bie ; son élévation était médiocre, elle était mêlée de collines qui s’élevaient insensiblement , de vallées, de plaines, de forêts , entre lesquelles 1 on voyait quelques prairies ; nous continuâmes de nous diriger au nord, et le lendemain nous vîmes vis-à-vis de nous une haute montagne à qui sa ligure fit donner le nom de Dromadaire ; au-dessous est un cap qui reçut le même nom ; nous n’avions vu de lieu propre à un mouillages qu’une baie qui nous parut même peu sûre ; plus haut est un cap formé par un rocher coupé à pic, nous l’appelâmes Pointe Upright ; c’est près de lui que nous apperçûmes pour la première fois de la fumée. Le lendemain 22 avril, nous vîmes sur le rivage plusieurs habitans qui nous parurent d’une couleur noirâtre ou d’un brun très-foncé. Une montagne qui ressemblait par sà forme à un colombier , s’élevait devant nous • vis-à-vis était une petite isle , derrière laquelle nous espérâmes trouver un abri ; mais notre espérance fut trompée , et de grosses lames nous forcèrent de nous en éloigner la côte nous offrait alors un mélange de rochers pointus et de grèves, derrière lesquelles on voyait au loin de hautes montagnes couvertes de bois 5 presque toutes sont applaties au sommet , et leurs flancs sont hérissés de rochers escarpés les arbres qui ombra- Prbmiïr Yoyags gent ce pays , sont gros et élevés. Nous continuâmes de cingler au nord , et le jour de St. George je découvris un promontoire , auquel je donnai ce nom , et deux lieues plus loin une baie que le vent ne me permit pas de visiter. Sa pointe septentrionale reçut le nom àeLong-Nose, long-nez plus avant dans Les terres est une colline ronde dont le sommet a la ligure d’un drapeau , et au bas de laquelle est une pointe que nous nommâmes Red - JPoi/it , ou Pointe- rouge. Sur le soir nous vîmes le long de la cote quelques colonnes de fumée , et des roclies blanches qui s’élèvent perpendiculairement de la mer à une grande hauteur. Le aj , nous cherchâmes à descendre à terre avec l’esquif j nous voyions des hommes marcher à grands pas sur le rivage ; quatre d’entr’eux portaient un canot sur leurs épaules. J’allai à eux suivi de Mrs. Banks et Solander,deTupia et de quatre rameurs. Les Indiens s’assirent sur les rochers, devant eux étaient quatre petits canots, mais dès que nous fûmes près du rivage, ils s’enfuirent dans les bois; la houle ne nouspermitpas d’aborder, nous regardâmesde loin les canots , assez semblables aux petites pirogues delà nouvelle Zélande ; nous remarquâmes qu’il n’y avait point de broussailles entre les arbres répandus sur la côte ; nous y vimes des palmiers et des palmistes; après ces observations , nous revînmes assez mécontens au vaisseau ; le calme rendait dangereux des brisans qui étaient assez près de nous , et nous nous estimâmes heureux qu’une brise légère s’éleva pour nous en éloigner b i3 Jacques Cook. 177 gner le lendemain à la pointe du jour nous découvrîmes une baie qui paraissait être à l’abri de tous les vents , je m’en approchai , je la lis sonder , et nous résolûmes d’y entrer. Les liabitans parurent armés de longues piques, et d’un espèce de sabre de bois ; les uns nous invitaient à descendre , les antres agitaient leurs armes et nous menaçaient ; deux avaient le visage saupoudré d’une farine blanche , leur corps était partagé en larges raies de la même couleur, qui sur la poitrine et le dos présentaient l’apparence de bandoulières , et de jarretières sur les jambes et les cuisses ; tous parlaient entr’eux avec beaucoup de chaleur. Nous jetâmes enfin l’ancre dans la baie , sur les pointes de laquelle nous voyions des huttes et des familles d’indiens près d’elles , des hommes , chacun dans une pirogue , harponnaient du poisson , et ils s’en occupaient si fortement qu’ils ne firent pas attention au vaisseau qui passa près d’eux vis-à-vis de nous était un village de six à huit maisons $ nous en vîmes sortir de jeunes enfans qui allèrent au-devant d’autres enfans et d’une vieille femme qui sortait d’un bois voisin, chargés de fagots à brûler ; tous étaient nuds la femme nous regarda sans craintes , sans surprise ; les hommes arrivèrent avec leur poisson , et apprêtèrent leur dîné près du feu que la vieille avait allumé tous étaient nuds, ils ne faisaient nulle attention à nous , et nous pensions qu’ils ne s’embarrasseraient pas davantage de notre descente à terre ; nous nous trompions dès que nous parûmes , Tome /. . jft 178 Premier Voyage les tins s'enfuirent, deux vinrent nous disputer le passage , armés d’une pique longue de dix pieds et d’un bâton court ; ils nous parlèrent d’un ton élevé, dans un langage dur et désagréable , où ni Tupia, ni nous , ne pûmes rien comprendre j’admirai leur courage , fis cesser de ramer , et tâchant de nous faire entendre par signes, nous cherchâmes à les gagner en leur jetant des clous , des verroteries et autres bagatelles ; ils parurent s’appaiser , mais dès que nous approchâmes , ils reprirent leur ton menaçant ; je fis tirer sur eux un coup de fusil sans plomb l’un d’eux était jeune et fut d’abord effrayé, bientôt il reprit avec vivacité les armes que la surprise avait fait tomber de ses mains , et ils nous lancèrent une pierre alors je fis lâcher un fusil chargé à petit plomb qui blessa le plus âgé à la jambe , et le mit en fuite , nous le crûmes du moins ; mais à peine étions-nous débarqués , qu’il revint avec une espèce de bouclier , et nous lança ainsi que son camarade des javelines ; il fallut encore un nouveau coup pour les forcer à se retirer dans les bois , où nous n’allâmes point les poursuivre. Nous vîmes des petits enfans dans leurs huttes , où nous déposâmes des morceaux d’étoffes , des rubans et d’autres présens ; mais d'où nous emportâmes 5o lances, avec des branches armées d’os de poisson, toutes barbouillées d’une substance visqueuse de couleur verte , qui nous faisait croire qu’elles étaient empoisonnées ; mais l’examen détruisit cette idée ; elles étaient ainsi barbouillées , parce de Jacques Cook. 179 qu’ils s’en étaient servis à prendre du poisson dans des lieux embarrassés d’iierbes marines ; les pirogues voisines mal travaillées étaient faites d’une seule écorce d’arbre que des bâtons tenaient ouverte nous cherchâmes de l’eau et n’en trouvâmes que dans un trou creusé dans le sable ; mais en visitant la pointe septentrionale de la baie , nous en vîmes qui tombait du haut des rochers dans une mare ce lieu était absolument désert dans un autre endroit, nous en trouvâmes un courant où il était plus facile de remplir nos futailles. Sur le rivage, nous vimes des écailles d’huîtres plus grandes que toutes celles que j ’avais pu voir ailleurs ; quelques Indiens se montrèrent et s’enfuirent aussitôt ; ils n’avaient pas touché aux présens que nous avions laissés dans leurs huttes on en vit qui examinèrent avec beaucoup d’attention nos futailles sans y toucher , et emmenèrent leurs pirogues en vain leur faisait- on tous les signes d’amitié et de bienveillance qu’on pouvait imaginer , ils se retiraient avant qu’on pût les aborder , nous les entendîmes avant le jour entrer dans leurs huttes et pousser de grands cris , puis se promener le long de la grève, et se retirer ensuite dans les bois où ils allumaient des feux le 3o , ils parurent vouloir attaquer nos gens occupés à cueillir des plantes , mais ils se bornèrent à pousser des cris et rentrèrent dans la forêt. Le 1 Mai , un de nos matelots nommé Sutherland , fut enterré sur la pointe mér idionale de la baie qui reçut son nom nous M a ïf>o Premier. Voyage allâmes ensuite visiter le pays; nos présens étaient toujours dans les huttes , nous v en ajoutâmes de nouveaux , tels que des étoffes , des miroirs, des quincailleries la terre y est couverte d’un gazon épais et de grands arbres ; nous y vîmes un quadrupède de la grosseur d’un lapin que nous ne pûmes prendre , et la fiente d’un autre qui par analogie nous parut être de la taille du daim , des traces d’un animal dont les pattes étaient comme celles du chien , et dhuîtres qui semblaient être celles d’un putois ou d’une belette nous vîmes un grand nombre d’oiseaux , parmi lesquels il y en avait d’une très-grande beauté, tels que des loriots et des catacouas. Nous revînmes de notre course , et nous apprîmes qu’une vingtaine d’indiens avaient suivi quelque temps deux de nos officiers sans les attaquer; que s’étant ensuite arrêtés en voyant que les deux officiers avaient rejoint plusieurs d’entre nous , quelques matelots avaien t voulu marcher à eux, mais que voyant qu’ils ne fuyaientpas, ils avaient eu peur enx-mêmes, et qu'en se retirant avec précipitation , ils avaient encouragé quatre de ces Indiens , qui s’étant avancés , leur avaient lancé leurs javelines nous arrivions alors , et pour faire voir aux Indiens que nous ne les craignions ni ne leur voulions du mal, nous allâmes vers eux en leur faisant des signes de paix ; mais ils s’éloignèrent les jours suivans , on en vit quelques-uns , tous s’enfuirent ; nos armes, dont ils nous avaient vu faire usage à la chasse, leur avaient inspiré de la terreur dans une de n e Jacques Cook. nos promenades nous en découvrîmes dans de ; en nous voyant ils s’éloignèrent à la rame lorsque nous revînmes nous trouvâmes les restes d’un repas des Indiens, c’étaient des moules que chacun avait grillées à part ; ils les avaient abandonnées en nous voyant ; nous en goûtâmes , et plaçâmes auprès quelques présens. Un jour cependant , un de nos officiers rencontra un vieillard , une femme et quelques enfans , sous un arbre au bord de l’eau ; iis ne s’apperçurent mutuellement que lorsqu’ils furent près les uns des autres les Indiens témoignèrent d’abord des craintes , mais ne s’enfuirent pas ; ils refusèrent un perroquet que l’officier avait tué et leur offrait ; il resta peu- de temps avec eux ; ils avaient la peau d’un brun très-foncé l’homme et la femme avaient les cheveux gris , et tous étaient nuds. Deux autres Anglais eix- rencontrèrent six dans les bois , et un septième perché sur un arbre, qui, au signal qu’ils donnèrent , leur lança une javeline ; mais voyant que le coup n’avait pas porté , ils s’enfuirent il fallut renoncer à l’espérance de les apprivoiser. La baie où nous étions était sous le 34 e degré de latitude méridionale , et le 160 e degré 53 minutes de longitude ; la grande quantité déplantés nouvelles qu’on y trouva, m’engagea à. l’appeler Baie de Botanique; elle est étendue,, sûre commode reconnaissable par une terre- unie et médiocrement élevée y son entrée a un quart de mille de largejla meilleure situation est vers la côte du nord ; on y peut facilement faire- M L i8r Premier Voyage du bois et de l’eau ; elle est très-poissonneuse, et on y trouve des pastenades de plus de 3 oo livres ; au fond il y a beaucoup d'oiseaux aquatiques , et par-tout d’excellens coquillages ; la marée y est haute de quatre à cinq pieds des deux pointes qui en forment l’entrée, l'une reçut le nom de Solander , l’autre celui de Banks. Nous en partîmes le 6 mai , et suivîmes la côte toujours en cinglant vers le nord ; quelques lieues plus loin , nous vîmes un havre que nous appelâmes Bort Jackson ; un autre plus au nord fut nommé Bay-Broken , ou Baie-rompue le lendemain nous eûmes la vue d’une terre qui s’avançait en trois pointes arrondies, que nous nommâmes Cap des trois Pointes nous n’y vîmes point d'habitans , mais çà et là un peu de fumée. Le 10 , nous apperçûmes une montagne remarquable , un peu éloignée de la oôte elle avait la forme d’un chapeau ; sur le soir nous vîmes au nord d’une pointe basse de rocher une anse qui me parut à l’abri de tous les vents; nous lui donnâmes ainsi qu’à la pointe le nom de Stephens ; à son entrée sont trois petites isles dans l'intérieur, assez près de la côte , sont quelques montagnes hautes et rondes ; de la fumée s’élevait en divers endroits ; au-delà du cap Havike , nous en vîmes s’élever du sommet d’une montagne parmi celles que nous voyions il en était trois très-grosses, très-élevées , qui se joignent l’une à l’autre et se ressemblent elles peuvent être vues de 10 à 16 lieues au loin , nous les nommâmes les Trois Frères. Nous nous ap- de Jacques Cook. î83 prochaines de la terre vers un lien d’où nous voyions des colonnes de fumée obscurcir l’air ; c’était un cap d’une hauteur considérable , surmonté d’un mondrain rond, derrière lequel il y en a deux plus gros et plus élevés ; il reçut le nom de SmoaBey , ou de la fumée à une assez grande distance de la côte , nous ne trouvions que de 21 à 3 o brasses. Plus nous nous éloignions de la baie Botanique, plus, la terre devenait mon tueuse d’abord elle présenta un mélange agréable de hauteurs , de collines . de vallées et de plaines couvertes de bois ; près du rivage , la terre était sablonneuse , coupée de rocs, et quelquefois de montagnes qui de loin paraissent des isles. Le 1 5 , étant à une lieue de la côte , nous regardâmes avec nos lunettes vers le rivage, etnous viraes une vingtaine d’hommes qui avaient sur leur dos un gros paquet qui nous parut de feuilles de palmiers ils marchaient sans nous regarder le long d’un sentier qui conduisait sur une colline derrière laquelle nous les perdîmes de vue près de là était une pointe élevée que nous nommâmes cap Byron ; à l’orient d’une montagne coupée à pic sont des brisans dangereux, ce qui nous lui fit donner le nom de Mount VFarning , ou Mont d’Avis. Après avoir passé les caps que nous appelâùies Look-Out et Moreton , nous vîmes la baie de ce dernier nom , où le fond est une terre basse , et où quelques personnes supposaient une rivière , parce que la mer y était plus pâle; le vent ne nous permit pas de nous en assurer ; au nord de M 4 ' Premier Voyage ce lieu sont trois montagnes , remarquables par la forme singulière de leur élévation qui les lait ressembler à une verrerie ; aussi les nommâmes- nous Glass-ilouse. Le 18 , nous vîmes une pointe de terre si inégale, qu’elle ressemble à deux isles situées au-dessous de la terre ; nous l’appelâmes Double-lsland ; sur son flanc septentrional sont des roclres blanches , et la terre y forme une grande baie ouverte dont le fond est une terre très-basse cette partie de la côte est médiocrement élevée, le sol en est sablonneux et stérile ; avec nos lunettes nous découvrions des amas mobiles de sable qne le vent transportait, ils ne laissaient voir que la tête encore verte des arbres qu’ils avaient couverts, et abandonnaient des troncs dépouillés des terrains bas remplis de broussailles paraissaient habitables , mais ne nous laissaient voir aucun vestige d’habitans. Près de nous passèrent en nageant deux serpens d'eau ; ils ressemblaient à des serpens de terre , et avaient de fort belles taches , mais leur queue était large et plate, sans doute pour leur servir de nageoires le 19, nous vîmes un grand nombre d’indiens rassemblés sur une pointe ronde et noire } il s’en éleva de la fumée pendant le jour , et des feux y brillèrent pendant la nuit une chaîne de rochers qu’on nomma Brise-mer , qui s’étendait au nord , semblait partir d’un cap couvert de deux monceaux de srririe blanc , que nous nommâmes S andy ; nous navigeames à l’orient de ce banc jusqu’à ee que nous eussions trouvé assea de fond pour le traverser ; nous le travej- be Jacqïes Cook. i 85 sâmes en effet à huit lieuee du cap Sandy ; nous vîmes près de .1 à pour la première fois l'oiseau appelé ; il en passait des volées continuelles qui volant le soir entre le nord et le couchant, en revenaient le matin et se dirigeaient entre le midi et le levant; nous conjecturâmes qiffil y avait dans cette direction au fond d’une baie profonde que nous appercevions un lagon , ou une rivière , ou un canal d’eau basse, où ils allaient pêcher le jour , et qu’il, y avait vers le nord des isles où ils se retiraient la nuit nous nommâmes cette baie , baie d’Hervey. Nous nous approchâmes de la terre qui était liasse; mais au-delà de laquelle il y avait des collines couvertes de bois. Plus loin nous vîmes une large baie où je résolus de mouiller la terre autour de nous parut couverte de palmiers, et sur le rivage se promenaient des Indiens qui ne daff gnaient pas nous regarder. Nous y jetâmes l’ancre sur le soir, et je descendis à terre le lendemain pour examiner le pays le vent était si froid que nous fumes obligés de prendre nos manteaux ; nous trouvâmes dans la baie un canal qui conduisait dans nn grand lagon où il y a des bas-fonds les vaisseaux peuvent mouiller dans le canal, qui a un quai t de mille de large autour sont des fondrières et des marais salans sur lesquels croît le véritable palétuvier des isles de l’Amérique , que nous n’avions point vu encore sur ses branches nous remarquâmes des nids de fourmis vertes, qui sortaient en foule lorsqu’on agitait les branches ; leur piqûre ests i86 Premier Voyage plus douloureuse que celle des autres fourmis sur ces arbres se trouvent encore des chenilles vertes , rangées sur les feuilles comme des liles de soldats ; leur corps est couvert d’un poil épais qui pique comme une aiguille ; mais la douleur qu’elle cause est moins durable. Parmi les bas- fonds étaient de gros oiseaux , dont quelques- uns nous parurent être des pélicans très-sauvages nous y tuâmes une espèce 7 d’outarde qui pesait ij livres et. demie , et qui fut le meilleur oiseau que nous eussions mangé depuis notre départ d’Angleterre la mer y abonde en poissons ; on y trouve aussi des huîtres de toutes espèces , entr’autres le marteau, et de petites huîtres perlières. Nous ne vîmes point d’habitans , mais du vaisseau on en apperçut une vingtaine qui vinrent l’examiner , puis se retirèrent nous remarquâmes bien de la fumée en divers endroits, et trouvâmes dix petits feux qui brûlaient les uns près des autres dans un bosquet d’arbres fort serrés , contre lesquels étaient élevés des morceaux d’écorce pour mieux les préserver du vent cette écorce était molle , et d’autres morceaux étendus par terre paraissaient avoir servi de lits des vases d’écorces , des coquilles , des os de poissons, restes d’un repas , étaient répandus au tour nous n’apperçumes nulle part des maisons ni des débris de cabanes. Nous partîmes de ce lieu le 24 , par un vent léger ; nous côtoyâmes des brisans , puis nous suivîmes les sinuosités de la terre le lendemain nous passâmes le tropique du Capricorne , et de Jacques Cook. 187 nous donnâmes son nom à un promontoire qui est situé directement sous cette ligne il est élevé, blanc , stérile ; près de lui sont des rocs et des isles à son coucliantest un lagon dont deux bancs de sable forment l’entrée ; sur ces bancs on découvrait une multitude d’oiseaux ressernblans aux pélicans au-delà du promontoire la terre est basse et sablonneuse , coupée par des pointes de rocs ; l’intérieur est montueux et triste nous passâmes ensuite entre la terre et plusieurs isles hautes , d’un circuit resserré , et peu fertiles. Nous vîmes au loin dans les terres de la fumée ; l’aspect du pays nous lit croire qu’il y avait là un canal ou une rivière , nous avions trop peu de fond pour tenter de le vérifier , et sans nous approcher de terre , nous fûmes bientôt obligés de jeter l'ancre, et de faire sonder tout autour de nous, pour trouver un canal plus profond ; pendant ce temps on s’amusait à pêcher , mais on ne prit rien que des crabes de deux espèces l’une du plus beau bleu sur le dos , les pinces et les jointures , avait le ventre du blanc le plus brillant l’autre marquée d'un outremer léger sur les jointures et les pinces, avait sur le dos trois taches brunes qui formaient n coup d’œil singulier. Nous cherchâmes un passage au travers des isles que nous nommâmes Keppel , ainsi que la baie qu’elles paraissent défendre , et nous le trouvâmes la terre , les isl^s sont habitées ; nous y vimes de la fumée et des habitans. Plus loin est le cap Monifold , où la terre est haute et s’élève en collines devant lui sont trois isles. u8& Premier Voyage Au nord d’un cap que nous nommâmes Town~ shend y sont plusieurs isles, et le cap même dont la terre est élevée unie , presque nue , nous, parut en être une elles s'étendaient aussi loin que notre vue ; leur élévation , leur contour est très-varié , aucune ne se ressemble ; des bas- fonds nous firent aller sans cesse la sonde à la •main , ayant un bateau devant nous. Le 29 , nous vîmes un canal où. je desirais entrer pour visiter le pays et attendre la pleine lune nous, y jetâmes l’ancre , et y descendîmes ; la terre y est couverte d’une herbe dont les tiges pointues •et barbelées s'attachaient aux habits et pénétraient j usqu'à la chair ; une nuée de mosquites. nous y tourmentaient ; aucun courant d’eau douce ne s’offrait , nous y remarquâmes des branches d’arbres , où de petites fourmis blanches avaient fait des nids d’argile larges comme un boisseau , et d’autres qui étaient perforées par une fourmi noire, qui en faisait sortir la moelle et s’y logeait ensuite ces branches étaient verdoyantes et fleuries comme les autres . une multitude de papillons y reposaient ^ tandis que des millions d’autres voltigeaient dans l’air ^ là nous vîmes encore une espèce de poisson laissé sur la grève par la marée y armé de deux nageoires de poitrine très-fortes, avec lesquelles il sautillait comme une grenouille. J'avais remarqué que cette terre donnait des indices de minéraux , et j’en eus bientôt une preuve nouvelle ; je voulus prendre le plan de cette baie , et je- remarquai que l’aiguille de ma boussole variais- b 35 Jacques Coo e. i 8 p prodigieusement dans sa position ; j’en conclus qu’il y avait dans les collines des mines de fer. En remontant le golfe avec le docteur Solander, nous le trouvâmes, dans une espace de huit lieues , large de quatre à cinq mille , puis ses côtés s’ouvraient et formaient un grand lac j’observai qu’un bras de ce lac s’étendait vers le levant , et peut-être il communique avec la baie située au couchant du cap Townskend au midi je voyais des collines élevées où je désirais gravir, mais le temps était mauvais , le jour touchait à sa fin , et nous revînmes nous avions vu çà et là. de la fumée, et même deux hommes qui marchaient le long de la côte. Mr. Banks d’un autre côté , avec plusieurs personnes de l’équipage , visitèrent le pays ; ils entrèrent dans un marais fangeux , couvert de palétuviers , dont les branches enfoncées dans la boue leur servaient quelquefois d’appui , et qui s’échappant quelquefois sous leurs pieds, les faisait enfoncer plus avant ; souvent il fallait enfoncer ses pieds et ses mains dans la vase pour s’en tirer. Ils virent les restes d’un repas de quelques Indiens et des tas d’herbe où ils avaient couché. Un autre détachement entendit la voix de quelques hommes, vit les traces d’un grand animai, apperçut des outardes et d’autres oiseaux, parmi lesquels il y avait de beaux loriots. Le pays était en général sablonneux et stérile , coupé par de profonds ravins , effets d’abondantes pluies qui forment des torrens. Nous donnâmes à ce golfe le nom de. Thyrsty-Sound, ou canal de la soif, parce que 1Ç0 Premier Voyage nous n’y trouvâmes point d’eau douce chacune des pointes qui le forme a une colline élevée, ronde, escarpée , et des deux côtés est un groupe d’isles les oiseaux y sont-si sauvages qu’on ne put en prendre. Sa latitude méridionale est de 22 degrés 10 minutes , sa longitude est de 167 degrés 12 minutes. Nous quittâmes ce lieu , le 3 i mai ; nous na- vigeâines encore entre la côte et des isles ; bientôt un banc nous força de jeter l’ancre nous nous éloignâmes ensuite de ce lieu , et nous mîmes à l’abri de trois isles , que nous restâmes jusqu’au lendemain , où nous continuâmes notre route ; un grand nombre d'isles s’étendaient toujours à perte de vue ; nous vîmes le large canal Broad-Sound' ; il a dix lieues à son entrée , est embarrassé d’isles et de bancs de sable, et a au nord une pointe que je nommai Balmerston notre navigation était lente , et les bas-fonds la rendaient dangereuse , quoique nous fussions à deux lieues de terre et à quatre des isles plus loin est le cap Hillborough , promontoire élevé , de trière lequel la terre paraît entrecoupée de montagnes , de collines , de plaines , de vallées, couverte de verdure et de bois la plus grande des isles avait à peine cinq milles de tour ; plus près de la terre il en était de très-petites, d/où nous vimes s’élever de la fumée. Le 3 juin , nous navigeâmes au couchant, vers un passage qui se trouva une baie dont le fond était une terre très-basse , éloignée de six lieues de son ouverture ; nous lui donnâmes le nom de »e Jacques Cook. 191 Baie Repuise nous évitâmes d’y entrer, et tournant au nord-ouest, nous passâmes encore entra la terre et d’autres isles, parmi lesquelles on en. remarque une petite , très-élevée et se terminant en pic cette espèce de canal a ici cinq lieues de long ; le fond y est bon , et il peut être regardé comme un havre sûr , près duquel la terre offre des bassins ; la terre , les isles y présentent aussi des prairies et des bois sur hune des dernières nous vîmes deux hommes et une femme , et une pirogue mieux travaillée que celles que nous venions de voir nous donnâmes aux isles le nom de Cumberland , et au passage celui de Bentecôte , parce que nous le traversâmes durant ces fêtes. Lorsqu’on en est sorti , on découvre le cap Glocester il est élevé , et a près de lui l’isle d 'Holbome au couchant du cap est une baie profonde qui paraît se joindre à la haie Repuise nous l’appelâmes Edgcumbe à son couchant est un promontoire qui s’élève tout-à-coup au milieu de terres basses , et nous le nommâmes cap Upstart ; on le découvre de 12 lieues ; derrière sont des terres élevées et stériles ; mais en général la côte est basse , et presque par-tout nous voyions s’en élever de la fumée. Le 6 , nous vîmes l’embouchure d’une baie qui s’étend à deux lieues de profondeur ; elle et le cap qui la termine au levant eurent le nom de Cleveland ; devant elle est une isle qui fut appelée Magnétique , parce qu’en s’en approchant l’aiguille se “dérangeait sans cesse tout autour, le terrain est rocailleux , brisé, 192 P b ï su i » Voyage stérile ; cependant la fumée annonce qu’il n’est pas sans habitait». Au-delà nous trouvâmes un groupe d’islcs situées à cinq lieues de la terre, où nous vines de grandes colonnes de fumée ondoyer dans l’air sur les isles nous vîmes quelques habitans et des pirogues nous crûmes y découvrir des cocotiers, et tandis que je m’en approchais avec le vaisseau , Mrs. Banks et So- lander s’y firent conduire dans la chaloupe ; en y débarquant , ils trouvèrent que ces cocotiers n’étaient que des palmistes ils y cueillirent quelques plantes , et y virent un homme qui, en les appercevant, fit un grand cri et se cacha. Nous cinglâmes vers le promontoire que nous appercevions au-delà ; il était élevé , et vers sa pointe est un mondrain rond qui semble en être détaché je l'appelai Pointe lïillock, pointe du mondrain ; avec l’isle Magnétique il forme la large baie que nous nommâmes üallijaa ; entre le cap Hil/ock et celui de Sandwich , qui en est à près de quatre lieues , est une terre élevée, brisée, stérile plu-, loin sont de nouvelles isles , et vis-à-vis , une belle et grande baie qui semble offrir un bon abri; mais je ne m’y arrêtai pas , et lui donnai le nom de RocHngham entre sa pointe septentrionale et quelques isles, est u» passage où nous nous engageâmes, et d’où, avec nos lunettes , nous découvrîmes une trentaine d’habitans rassemblés sur une isle; ils étaient nuds, bruns , et avaient les cheveux courts ils regardèrent le vaisseau avec curiosité l’une tle ces isles semble toucher la terre , et nous la pommâmes; de Jacqvbs Cook. Iy 3 pommâmes Isle Dunck d'autres plus au nord reçurent le nom de Frankland devant elles est Une pointe élevée qui eut le nom de Gras ion - elle commence une côte de 22 lieues , remplie de rochers, presque nue , mais cependant habitée près du cap est une isle basse , couverte de bois et de verdure , vis-à-vis de laquelle est une baie où nous entrâmes pour faire provision d’eau douce le fond était un sol bas rempli de palétuviers le pays s’élevait ensuite par-tout en. collines escarpées et n/offraient aucune commodité pour faire de l’eau , ce qui me détermina à revenir au vaisseau et à continuer notre route jusqu’alors , pendant un espace de i 3 oo milles au travers des bas-fonds , les noms que nous avions imposés n’avaient point été des monumens de détresse. Un cap situé au-delà de la haie Trinité mérita que nous lui donnassions le nom de Cap de la Tribulation nous découvrions vis-à-vis de lui différentes isles ou des rochers ; et voulant éviter le danger où nous pouvions nous jeter pendant la nuit , comme aussi m’assurer s’il n’y avait pas des isles en pleine mer , je voulus gagner le large le vent était bon, la lune brillait , le fond était de 21 brasses , et nous étions tranquilles pendant que nous soupions, on nous annonça que le fond n'était plus que de huit brasses , et à cette nouvelle nous courrions tous à nos postes ; mais nous retrouvant l’instant après dans une eau profonde , nous crûmes avoir échappé au danger vers les dix heures le fond diminua de nouveau •, de 20 brasses Tome I. __ N *ï 9 4 J* Ä ü M I S X VoÿACX il vint à 17 , et avant qu'on, pût rejeter k sonde, le vaisseau toucha et n’eut de mouvement que celui que la houle lui donnait en le battant sur le rocher où il était en un instant nous fûmes sur le tillac , tons épouvantés ; nous craignions que le vaisseau ne fût engagé dans rm rocher de corail , le plus dangereux de tous lorsqu’ils se retirèrent nous voulûmes les suivre » mais ils nous témoignèrent que nous leur ferions de la peine, et nous les laissâmes aller. Un jour ils vinrent au nombre de dix. ; avant d’approcher , ils posèrent leurs armes qu’ils firent garder par l 'an d’entr’eux, et montèrent sur le vaisseau 5 ils voulaient se procurer une des tortues que nous avions prises et qui leur faisait envie ; ils nous la demandèrent ; nous la refusâmes ; ils furent indignés, et essayèrent de l’enlever de force ; mais nous la défendîmes, et elle nous' resta. Transportés de colère , ils traversent la rivière , et mettent le feu à l’herbe sèche autour des instruirons que nous avions à terre , elle s’enflamma avec rapidité Mr. Banks sauva à peine sa tente de l’incendie ; un de nos cochons y fut brûlé , la forge consumée , et il aurait de même consumé des filets et des toiles que noS gens avaient lavés et étendus, si nous n’avioné réussi à arrêter les progrès du feu ^ et à éloigner les incendiaires , en tirant sur eux un fusil chargé à petit plomb. Les bois les dérobèrent à notrô vue , puis iis revinrent et nous allâmes an-devant d’eux ; un vieillard s’avança et nous fît une harangue , puis ils se retirèrent de nouveau ; nous les suivîmes quelque temps , après nous être saisis de quelques-uns de leurs dards , et nous nous assîmes sur des rochers ; ils s’assirent aussi à quelque distance ; et le vieillard s’avança vers nous , portant une javeline sans pointe ; à tout ce qu’il nous dit et que nous ne pûmes comprendre nous ne répondîmes que par des signes Premier Voyage d’amitié le vieillard retourna vers eux , tous posèrent leurs armes, et vinrent à nous d’un air pacifique. Nous leur rendîmes leurs armes, et la réconciliationfut achevée ils revinrent avec nous jusque près du vaisseau , sur lequel ils ne voulurent pas monter ; ils nous promirent de ne plus mettre le feu à l’herbe , s’assirent , puis nous quittèrent. Cependant les suites de l’incendie nous montraient la nuit le spectacle le plus affreux et le plus magnifique $ le feu avait pris aux arbres, il s’étendait dans la forêt , et toutes les collines autour de nous , dans un espace de plusieurs milles , étaient en feu. Les habitans ne parurent point les jours suivans un de nos gens en rencontra tout-à-coup quatre qui faisaient griller un oiseau et un quartier de kangu- roo quoiqu’effrayé , il ne voulut pas prendre la fuite il s’assit gaiement avec eux , leur offrit son couteau, qu’ils examinèrent, et le lui rendirent ; il leur fit signe qu’il allait les quitter , mais ils ne le voulurent pas ; ils examinèrent ses habits , lui tâtèrent les mains et le visage , pour s’assurer que son corps était comme le leur , puis lui permirent de se retirer et lui montrèrent son chemin. Mr. Banks avait trouvé en tas toutes les étoffes que nous leur avions données , sans doute parce qu’elles leur étaient inutiles. Pendant que ceci se passait, je faisais chercher par-tout un passage ; montés sur une colline, nos regards erraient autour de nous dans l’espérance de gagner la haute mer , et de quelque côté que nous tournassions les yeux , nous ne voyions DE Jacques Cook, 209 1 Voy ions que des roc fiers et des bancs de sabla sans nombre , et point de passage que par les sinuosités dangereuses qu’ils forment; mais il n/y en avait pas d’autres , et le beau temps , le calme le rendant seul possible , il nous fallut l’attendre. îfous nous nouvissious de notre pèche parmi les poissons que nous primes était nue tortue , dans laquelle nous trouvâmes entre les deux épaules un harpon de bois gros comme le doigt , long de quinze pouces , et dont la, pointe était barbelée , comme nous en avions vus entre les mains le* liabitans du pays nous cherchâmes eu vain ce légume auquel on donne le notu de en parcourant une vallée profonde , dont les côtés couverts d’arbres et de buissons étaient presque perpendiculaires , nous trouvâmes à terre plusieurs noix anacardes >' oi'lentale , ce qui nous fit chercher barbre qui les produit ; mais après nous être épuisés de fatigues , il nous fallut y renoncer , et nous n’avons pu l’y trouver. M. Banks prit un animal de la classe des opossums ; c’était une femelle qui avait deux petits ; il ressemblait au phalanges de M. de Ballon , mais notait pas h.' même il avait avec cet animal quelque analogie , sur tout par la conformation extraordinaire de ses pieds qui le distingue de tout autre quadrupède. Le Juillet, le calme survint ; nous nous disposâmes à partir, mais la marée baissait, la barre qui bouchait le golfe ne se trouva avoir que îfi pieds d’eau 4 et autre vaisseau en, prenait ci Wo me s& O Sio Premier "Vöyage demi , puis le vent se releva., et il fallut prendre encore patience nous occupâmes notre oisiveté forcée avec le filet et la ligne ; nous visitâmes nos pompes, qui se trouvèrent en très-mauvais état ; heureusement que notre vaisseau avait été assez bien réparé le 3 , nous fîmes un effort inutile pour nous éloigner ; le lendemain nous fûmes plus heureux , et nous sortîmes , ayant devant nous la pinasse qui sondait continuellement quand nous fûmes à 5 lieues du havre , nous jetâmes l’ancre pour avoir le temps d’examiner-les bas-fonds à la marée basse. Nous donnâmes à la rivière que nous venions de quitter le nom de notre vaisseau elle forme le havre ou crique qui s’enfonce à 3 ou \ lieues dans un canal tortueux qui reçoit un ruisseau cl’eau douce à un mille de la barre , l’eau n’est pas assez profonde pour un vaisseau un de ses bords très-escarpés le rend très-commode pour mettre un navire sur le côté ; l’endroit le plus sûr pour en approcher est au raidi au nord il y a une lieue de grève basse et sablonneuse , mais au midi est une terre élevée ; le meilleur rafraîchissement qu’on y peut trouver est la tortue, et il faut l’aller prendre loin dans la mer j il y a beaucoup de poissons outre les végétaux dont j’ai parlé , on du pourpier et une espèce de fèves à tiges rampantes qui nous furent utiles contre le ous avons parlé dukan- guroo et de l'opossum; il y a encore une espèce de putois, des loups, des chiens, plusieurs sortes de çerpens , dont quelques-uns sont venimeux ; »e Jacques Cook. ait nno grande variété d’oiseaux tels sont les milans , les faucons , deux sortes de catacouas , des loriots , des perroquets , deux ou trois sortes de pigeons , plusieurs espèces de petits oiseaux les hérons , les canards silllans , les oies saurages , les corlieux sont les principaux oiseaux aquatiques. Nous avons parlé de l’aspect du pays ; ajoutons qu'on y trouve un grand nombre de nids de fourmis blanches, dont quelques-uns ont 8 pieds de haut et 16 de circonférence. Les arbres y sont peu variés ; le plus commun est le palétuvier un grand nombre de ruisseaux s'y rendent dans la mer. La marée basse arriva, et de la grande hune j’examinai les bancs et les rocs , qui me présentèrent un aspect très - menaçant ; c’est vers'Ie nord - ouest qu’ils offraient un passage moins dangereux , et c’est là que je résolus de tenter de sortir de cet amas d’écueils en attendant le moment de lever l’ancre , nous faisions une pêche abondante ; mais quand la marée était favorable , le vent fut trop fort , et il fallut attendre qu'il se calmât. Nous levâmes l’ancre et nous avançâmes en louvoyant il fallut encore le jeter, parce que nous avions devant nous un banc de rocs qui n'avait que quatre pieds d’eau $ nous cherchâmes en vain de l’œil un passage pour arriver au - delà, rien ne s’offrit qu'une multitude d’écueils détachés , terminés par d’autres où la mer brisait avec violence , ce qui me .fît croire qu'ils étaient les derniers qu’on trouverait en gagnant la haute yrsr; car dans l’in- O 3 '213 P REMI EU. V O Y A O E térieur , la mer ne brisait pas , et par-là leg écueils n’en étaient que plus dangereux on me conseillait de reprendre la route par laquelle nous étions venus dans le golfe , mais le vent ne le permettait pas ; il se renforça même , et nous lit ciiasser sur nos ancres pour empêcher qu’il ne nous jetât sur les rocs qui nous environnaient , il nous fallut abattre nos mâts de perroquets , nos vergues , nos huniers. Ce ne fut que le 10 août que le vent s’affaiblit ; nous avançâmes d’une lieue vers la terre, toujours précédés d’un bateau ; puis nous tournâmes plus au nord , et arrivâmes entre trois petites isles et une antre plus basse qui était entre nous et la terre ; les écueils formaient comm une chaîne cpii suivait le rivage et laissait entre lui et feux un passage près d’un cap que nous nommâmes l'IaUery , nous crûmes voir une ouverture pour sortir de cette situation dangereuse; nous avançâmes quelque temps , et découvrîmes bientôt une chaîne de rocs qui s’étendait devant nous ; elle semblait se joindre à la terre, mais cette terre no me parut qu’un amas d’isles avant de nous être assurés si nous pouvions espérer d’y trouver un passage , il fallut venir jeter l’ancre à un mille de la côte , et je débarquai pour voir du liant d’une pointe élevée que je nommai Xiook-Out, dominant au loin sur une terre basse, couverte de sable blanc et de buissons verts ; j’y vis des pas d’hommes, mais rien qui put nous -tirer de l'incertitude cruelle où nous étions des -isles , des bauçs , c’est tout ce qui s’offrit dajxs um pur solo lieu Mr. enti pra noi cita coi » 5 T I l 1 I I î e Jacques Cook.’ 2i3 lin espace de dix lûmes , et l’air n’était pas assez pur pour me permettre de voir au- delà je résolus d’aller sur une isie élevée qui était à 5 lieues au loin dans la mer ; je m’y rendis avec Mr. Banks , et j'envoyai visiter un autre passage entre la terre et quelques isies basses. Nous y gravîmes la colline la pins élevée , agités tour-à - tour par l’espérance et par la crainte de - là nous découvrîmes h deux ou trois lieues une cliaine de rocs , coupce en divers endroits , et contre laquelle la mer brisait avsc violence au-delà , disais-je , il n'y a donc plus de brisans qui rompent l’impétuosité des vagues ; mais comment sortir de l'enceinte de ces brisans ? Le ciel tait obscur , et ne me pas de voir distinct rent et au loin , et nous résolûmes de passer la nuit dans cette isle , dans l’espérance que Je lendemain le ciel serait plus, serein un buisson qui était .sur la grève nous servit d’abri dès les trois heures j’envoyai sonder le canal entre la chaîne de rocs et l’isle où nous étions , et je montai sur la colline ; mais le temps était encore plus obscur qu'il n’avait été la veille la sonde annonça un fond suffisant jusqu’aux rochers ; on y vit un passage où le vent ne permit pas de s’engager, et qui parut étroit ; ce rapport me donna quelque espérance. Lisle* où nous étions a 8 lieues de tour en général elle est stérile et rocailleuse ; elle a cependant des- terres basses , couvertes d’une herbe longue clair - semée et de quelques arbres là se tien- sent de très-gros lézards , ce qui nous fit donnée 2,i4 Premier Voyage leur nom à cette isle. On y trouve de l’eau douce dans un étang les Indiens la visitent, et nous y trouvâmes des morceaux de coquillages dont ils s’étaient nourris , et des huttes bâties sur des hauteurs , tandis que sur la terre-ferme elles sont dans des lieux moins exposés au vent ; ce qui nous persuada qu’il y avait un temps où l’on jouit constamment dans ces climats d’un ciel pur et d’une mer calme. Mr. Banks trouva ici quelques plantes nouvelles il y a à qualque distance de celle - ci d’autres isles, mais plus petites. En retournant au vaisseau, nous descendimes sur une isle basse , sablonneuse et couverte d'arbres, habitée par un nombre incroyable d’oiseaux ; nous y primes le nid d’un aigle et celui d’un oiseau inconnu, construit sur la terre avec des morceaux de bois ; il avait 26 pieds de circonférence et deux pieds huit pouces de hauteur des monceaux de coquillages attestaient que cette isle 11’était pas non plus inconnue aux Indiens, et nous lui donnâmes le nom de Y Aigle. J’appris en arrivant qrdon avait découvert un canal fort étroit le long de la grande terre , resserré par des isles où 011 avait trouvé de la chair fraîche et des terres fraîchement remuées qui paraissaient être des tombeaux après avoir examiné ce qu’il nous convenait de faire , nous crûmes que la saison , le défaut de provisions, une sûreté plus grande nous obligeaient à tenter le passage vers l’isie des Lézards nous nous y dirigeâmes, et après avoir fait sonder le canal étroit qu’on avait découvert dans la chaîne des db Jacques Cook. 21 5 rocs , "nous l’enfilâmes , et bientôt nous nous trouvâmes clans une mer libre et sans fond. La joie se manifesta sur tous les visages depuis trois mois nous étions environnés d’écueils , contre lesquels une ancre trop faible , un cable brisé , un vent trop fort , une houle élevée pouvaient à chaque instant nous briser nous avions fait 160 lieues, obligés d’avoir dans tous les instans la sonde à la main ; et nous trouvant tout-à-coup dans une mer ouverte et une eau profonde, il nous semblait que nous n’avions plus de danger à craindre ; cependant de longues lames secouaient notre vaisseau, et lui faisaient faire 9 pouces d’eau par heure ; nos pompes étaient mauvaises , et il nous restait encore une vaste mer à traverser. L’isle des Lézards est peut-être le meilleur endroit de la côte pour trouver des rafraîckisse- mens ; on y trouve de beau , du bois à brûler ; les isles basses , les bancs qui l’environnent abondent en tortues et en poissons ; nous trouvâmes sur le rivage des bambous , des cocos et autres productions qui ne sont pas naturelles au pays, et que le vent y amène du levant. Bientôt continuant notre route, nous ne découvrîmes plus de terre ; nous ne la revîmes que le . soir du lendemain , et c’était sans doute la continuation de la côte que nous avions suivie si long-temps ; de nouveaux brisans nous environnèrent ; nous nous en éloignâmes , et le lendemain nous nous y retrouvâmes encore ; la vague nous y portait, et nous n'avions point de fond O 4 SlHf -Premier Y o y a e s pour jeter l’ancre , ni de vent pour cingler au- delà ; toute notre ressource fut de nous faire traîner par nos bateaux pour différer an moins notre perte ; malgré nos efforts , nous notions encore qu’à cent verges du rocher sur Jeunes la même laine qui battait le flanc du brisait à une hauteur effrayante, et nous u’é~ tiens séparés du naufrage que par une épouvantable vallée d’eau d’une largeur égaie à la brise d’une vague nous étions perdus , ma!é uns efforts, si un vent léger ne s’était élevé sou secours joint à celui des bateaux , nous éloigna lin peu des rochers ; mais l’instant après le vent tomba et nous revînmes sur l’écueil un faible souille se fit appercevoir pendant dix minutes encore , et il nous suffit pour arriver devant une ouverture dans le rocher , large de la longueur dn vaisseau , au-dedans de laquelle la mer était calme ; nous ne balançâmes pas à tenter de la traverser ; nous y arrivâmes j mais comme alors la mer se retirait, le courant du reflux qui passait par la coupure ne nous permit plus d’y passer, et nous rejeta , aidés de nos bateaux , à un quart de mille de là. Le reflux cessa sans que le calme nous permît de nous éloigner , et le flot vint de nouveau nous rejeter sur le rocher dans cet instant nous y découvrîmes une autre ouverture , et pendant que nous luttions contre le flot , je l’envovai visiter ; on trouva la coupure étroite et périlleuse , mais le passage possible 5 il fallait tenter l’eu ou périr j nous y entrâmes poussés par Je flot, lovent et n b J a c q s k s Cook. %vj un retirant rapide ; nous j jetâmes Cancre sur un fond de 17 brasses mêlé de corail et de coquilles, et nous nous crames heureux tPàrs rentrés dans la même situation d’où nous étions sortis avec tant de joie ; je résolus même de naviger dans l’espace qu’ils occupaient , parce que c’était le moyen de découvrir si le pays dont nous suivions ki côte était joint » la Nouvelle Guinée ; découverte qui me paraissait intéressante nous avions à braver des écueils inconnus, sonnés de rochers de corail qui s’élèvent perpendiculairement, n’ayant point de fond à leur pied, couverts dans la marée , et contre lesquels brisent les lames énormes du vaste Océan méridional. Pendant que non étions à l’ancre , nous envoyâmes chercher sur ces rochers des poissons à coquilles , parmi lesquels il y avait des pétoncles que deux hommes pouvaient remuer à peine Mr. Banks y trouva des coquillages curieux, des et des coraux dont le plus remarqua Lie étais, le Tubipora Blusica la terre était à 9 lianes de nous; et le lendemain nous nomes à la voile , deux bateaux nous précédaient ; nous passâmes devant une isle basse et sablonneuse , évitant les bancs qui s’offraient à nous , nous vinmes jeter l’ancre à quelque distance de trois isles que nous nommâmes islesde Farben, éloignée de 5 lieues de la terre , qui est basse et sablonneuse vers le couchant , mon- tueuse au midi le lendemain , après une route interrompue par les écueils , nous vinmes dans un beau canal , qui nous conduisit à une isl* so 8 Premier Voyage éloignée de la terre de moins de 3 lieues , elle en a une de tour , et nous y -vîmes quelques liommes armés de lances; delà nous voyions autour de nous une multitude de petites isles et de rochers ; mais nous commencions à nous familiariser avec eux ; le vent ne nous permit pas de prendre les tortues que nous y découvrions la grande terre nous paraissait basse et stérile , couverte de gros monceaux de sable blanc ; elle forme une pointe que nous nommâmes cap Greenville à 9 lieues plus au levant sont des isles élevées , auxquelles je donnai le nom de Sir Charles Hardy d’autres reçurent celui de Cockhurn ; plus au nord, nous apper- çûmes des isles basses vers lesquelles nous nous dirigeâmes, et que le grand nombre d’oiseaux qui les couvraient nous firent appeler Bird-isles. Le 20 , des bancs et des rochers que nous vîmes tout-à-coup me firent plier les voiles jusqu’à ce qu’on y eut découvert un passage près d’eux était une petite isle garnie de quelques arbres , et sur laquelle nous vîmes quelques huttes d’indiens; derrière il y en avait un giand nombre ; nous navigeâmas lentement entr’ellcs , et découvrîmes devant nous une grande terre ; en cinglant vers elle , nous perdîmes de vue les bancs, les rochers et les isles ; nous nous ap- perçumes le lendemain que la terre que nous avions vue au nord , et que nous croyions la continuation de celle dont nous avions jusqu'alors suivi les côtes , en était séparée par un détroit que nous pouvions traverser ; nous y de Jacques Cook. 219 cinglâmes , mais toujours en nous faisant précéder par des bateaux pour éviter les écueils le canal entre les deux terres avait un mille de large ; nous y parvînmes , et vîmes que la terre située au nord n'était que diverses isles assez, voisines les unes des autres. La pointe la plus septentrionale du pays que nous venions de parcourir reçut le nom de Cap Yorck sa longitude est de 160 deg. 6 min. , sa latitude, méridionale 10 d. 3 7 m. ; auprès sont de petites isles basses ; la terre elle-même est plate , basse et sablonneuse la partie septentrionale du cap est montueuse , les vallées y offrent de beaux bois , la côte de petites baies toutes les isles qui sont au levant furent appelées Isles d’Yorck. Après les avoir dépassées , nous découvrîmes la terre devant nous, nous crûmes d’abord qu’il nous faudrait retourner en arrière ; mais en l’approchant, nous reconnûmes qne différons canaux séparaient cette nouvelle terre de celle que nous suivions ; nous jetâmes l’ancre dans le plus grand , qui s’élargit au - delà de son entrée, et devant nous il ne nous offrit qu’une mer ouverte. Aurions-nous enfin trouvé un passage pour la mer des Indes? disions-nous. Leur nous en asrurer, nous résolûmes de débarquer dans l’isle qui était au sud-est du canal ; nous y voyions dix Indiens sur une colline , nous allâmes vers eux neuf avaient des lances, le dixième était armé d’un arc et d’un paquet de flèches ; ft'ois vinrent sur la grève où nous allions débarquer , puis ils se retirèrent tranquillement,.Hous '^10 P R K Ml ! !t V O Y A B gravîmes sur la plus liante colline, qui était d’unff stérilité affreuse. Du sommet , nous ne vîmes point de terre entre le midi et le couchant vers le nord on découvrait un grand nombre d’isles élevées , et rangées les unes derrière les autres. Tout nous persuada que nous étions parvenus à la mer des Indes , et avant de quiiter ce pays , je lui imposai le nom de Nouvelle Galle méridionale •, j’en pris possession en y arborant le pavillon anglais , et le bruit de l’artillerie rendit cet acte plus solemnel. L’isle où fltious étions prit le nom de Possession. ; elle n’est tni haute ni étendue j nous nous rembarquâmes ensuite de notre vaisseau nous apperqû mes de la fumée s’élever de la terre et des isles voisines , et des femmes nues cherchant des poissons à coquilles. Nous mimes à la voile , et découvrîmes quelques isles basses, auxquelles nous donnâmes le nom de 'Wallis des bas-fonds nous forcèrent encore à jeter l’ancre , et j’envoyai sonder on trouva un passage au nord était une chaîne d'isles. Nous mimes à la voile et descendîmes , Mr. Banks et moi, dans celle qui -était près de nous c’était un rocher stérile et fréquenté par des oiseaux semblables à des bolibres , et dont la limite l’avait blanchie presqu’en- îièrement il y avait quelques bouquets de bois ; Ùiousl’appelâines/vÇÂ? Boohy. Neveu us au vaisseau, le vent s’éleva, et la boule qui venait du sud-ouest, îious assura plus encore que nous étions au couchant de la Nouvelle Galle méridionale , oî que nous avions devant nous une mer ouverte^. v Jacqüïs Cook, LLê. 'Ä était donc prouvé que le pays qu’on appelait Nouvelle Hollande , était une vaste isle séparés de la Nouvelle Guinée. Au nord-ouest était un groupe d’isîes de hauteur et d’étendue diverses, . qui paraissaient couvertes de plantes, de bois , et avoir des habitai*s ; nous les appelâmes Isles du prince de Galle ; sans doute qu’elles s’étendent jusqu’à la Nouvelle Guinée. Nous donnâmes au détroit le nom du vaisseau avec lequel* nous l’avions découvert. La nouvelle Galle méridionale est la plu grantle isle connue sa longueur en ligne droit* est de 675 lieues , et sa surface en quarré doit être plus grande que l’Europe entière ; les ter- reins élevés paraissent n’en faire qu’une petit* partie ; elle offre un mélange de fertilité et d* stérilité ; c’est au nord qu’il y a le plus de rochers , c’est dans la partie méridionale que l’herbe est plus épaisse et les arbres plus grands ceux-ci sont ordinairement à 4 ° pieds de distance le* uns des autres, et l’intérieur ne parait pas mieux boisé ; les terrains marécageux , inondés par les marées, sont hérissées de palétuviers ;-loin de 1 » mer les terreins humides produisent une herb* abondante, et des broussailles revêtent les vallées; la plus grande partie du sol n’est pas susceptible d’une culture régulière ; on n’y trouve pas de grandes rivières, mais beaucoup de petites et des ruisseaux la surface du pays est entrecoupée de criques salées ; nous y avons vu deux petits lacs*d"’eau douce dans des bois il n’y a que 4 eux sortes de bois de charpente ; du plus grand 222 Premier Voyage qui croît par-tout le pays , distille une gomme on résine d’un rouge foncé, semblable au sang de dragon , et qui peut-être en est un ; ses feuilles sont semblables à celle du saule ; l’autre ressemble à nos pins le bois des deux est dur et pesant il y a un arbre couvert d’une écorce douce qu’il est facile de peler , on se sert de cette écorce dans les Indes orientales pour calfater les vaisseaux. Nous y trouvâmes trois, sortes de palmier ; le plus abondant a les feuilles plissées comme un éventail son chou est petit, d’une douceur exquise ; ses noix sont bonnes pour les cochons un autre , semblable au chou palmiste d’Amérique , a des feuilles ailées et grandes comme celles du cocotier ; son chou plus gros n’est pas si bon le tronc du troisième qu’on ne trouve qu’au nord , n’a que dix pied$ de haut ; ses feuilles petites, ailées , ressemblent à celle de fougère; il ne produit pas de choux , mais des noix de la grosseur d’un inaron, qui agirent sur nous comme un émétique , et rendirent malades les cochons qui en mangèrent ; la pulpe séchée peut être saine et nourrissante on y trouve un grand nombre de petits arbres et de buissons inconnus en Europe ; l’un porte de mauvaises figues, l’autre des prunes applaties sur •les eûtes, un troisième une pomme couleur de pourpre , bonne quand elle est gardée quelques jours. Nous y découvrîmes une variété infinie •de plantes inconnues , mais peu sont bonnes à manger on y remarqua une plante à feuilles longues , étroites , épaisses , semblables à lg DK Jacques Cook. 22c» queue de chat , laquelle distille une résine d’un, jaune brillant qui ressemble à la gomme-gutte , mais ne tache pas comme elle ; l’odeur qu’elle exhale est douce nous avons déjà parié de quelques autres plantes j ajoutons-y une espèce de persil, deux espèces d’ignames douces , mais petites, dont .nous n’avons pu trouver la plante entière. Nous avons trouvé dans les bois un fruit de la couleur et de la forme de la cerise , qui a peu de saveur , dont le goût est aigrelet et agréable, et le noyau mou ; tet un autre assez ressemblant à la pomme de pin , mais d'un goût qui déplaît. Le chien , le kanguroo , l'opossum , une espèce de putois , nommé Quoll par les ha- bitans , qui a le dos brun , tacheté de blanc qui est la couleur du ventre , sont les seuls quadrupèdes que nous ayionsvus ; la chauve-souris qu’on y trouve , paraît être le Rouget de Mr. de Bus son nous avons eu occasion de parler ailleurs des oiseaux qu'on y voit le pigeon y est très- beau et y vole en grande troupe parmi les reptiles on compte les serpens , les scorpions , les mille-pieds, les lézards les insectes y sont peu nombreux ; les mosquites et les fourmis sont les principaux il est des fourmis vertes qui font des nids d’une structure curieuse, en pliant avec force des feuilles langes comme la main , et en réunissant leurs bords avec une espèce d© glu qui s’élabore dans leur corps ; en troublant le travail de ces insectes , nous sentimes leur aiguillon, dont la piqûre n'est guères moins dangereuse que celle de l’abeill la fourmi 22^ Premier Voyage noire se loge dans l'intérieur des branches en cassant la branche , nous lûmes couverts de ces animaux , qiji sortaient par essaims delà branche rompu , et dardaient leur aiguillon avec violence; une troisième espèce très-petite fait son nid dans la racine d’une plante parasite qui croît comme le gui sur les arbres ; elle est grosse comme un grand navet, et les fourmis la vaident par nue multitude de canaux tortueux qui me paraissent pas nuire à sa végétation leur piqûre ne fait que chatouiller. Il y a une quatrième espèce de fourmi, qui est blanche et sans aiguillon ; elles construisent deux habitations , lhtne sur un arbre , l’antre à son pied ; la première a quatre fois la grosseur de la tête d’un homme , et est composée départies de végétaux pétries avec une matière glutineuse que ces insectes tirent probablement de leur corps sous celte croûte on trouve dans un grand nombre de sinuosités une quantité prodigieuse de cellules, qui toutes communiquent entr'elles et avec d'autres sur le inctne arbre une grande avenue conduit à la fourmilière construite au -pied d’un autre arbre , et communément à la racine ; celle-ci a la figure d’une pyramide dont les côtés sont irréguliers elle a environ six pieds de hauteur et de diamètre ; il en est de plus petites et dont les côtés sont plats ; leur extérieur est d’argile détrempée , d’environ deux pouces d’épaisseur sans communication au-dekors , elles n’en n’ont qu’avec les fourmilières qui sont sur Je s arbres ; il est probable que les fourmis se retirent de Jacques Cook. 22Z retirent clans leurs demeures souterraines durant la saison pluvieuse , et que pendant la saison sèche, où elles n’ont pas à craindre l’hunudité et le froid , elles se retirent dans leurs habitations sur les arbres. La mer fournit à l’homme dans ces lieux plus d’alimens que la terre ; nous avons parlé des poissons; ils sont d'espèces très-variées, et excepté le mulet , aucun n’est connu en Europe la plupart sont bons à manger , et plusieurs sont excellens. Ce serait donc sur les bords de la mer qu’on devrait trouver des peuplades plus nombreuses d’habitans ; cependant elles y sont rares et faibles elles ignorent la culture , et sans doute les peuples de l’intérieur l’ignorent aussi les hommes y sont bien laits , sveltes , d’une vigueur , d’une activité et d’une agilité remarquables ; leur voix est douce et efféminée ; leur peau est couverte de boue et de fumée, et elle en paraît noire ; elle nous parut être couleur de chocolat ; ils n’ont ni le nez plat ni les lèvres grosses ; leurs dents sont belles, leurs cheveux longs et noirs ; mais ils les portent courts ; ils les bouclent légèrement ; ils n’y mettent ni huile, ni graisse, et sont exemptsde vermine leur barbe est touffue ; ils la brûlent quand elle est trop longue les deux sexes sont absolument nuds ; nous n’avons vu les femmes que de loin ; les hommes qui nous visitaient les laissaient toujours derrière leur principale parure consiste dans l’os qui leur traverse le cartilage du nez il est gros comme le doigt, a cinq ou six pouces Tome J. J? 226 Premier Y o y a g e cle long , et bouche leurs narines , ce qui les fait nasiller quand, ils parlent outre ce bijou , ils ont des colliers faits de coquillages , taillés et attachés ensemble fort proprement, des bracelets , de petites cordes qui font deux ou trois fois le tour de la partie supérieure du bras , un cordon de cheveux qui leur passe autour des reins , des espèces de hausse-cols de coquillages suspendus sur la poitrine ils se font de larges tâches rouges sur la poitrine , et des raies blanches , les unes étroites tracées sur les bras, les jambes, les cuisses; les autres larges sur le reste du corps ; le rouge paraît être de l’ocre le blanc est peut-être une espèce de stéatite ; ils ont les oreilles percées et n’y portent point de pendans ; ils estimaient beaucoup leurs orne- ïiiens et ne faisaient aucun cas de nos verroteries et de nos rubans , et cette indifférence fait qu’ils ne volent point. On voit aussi sur leurs corps des cicatrices irrégulières , nionumens de la douleur qu’ils ressentent en perdant leurs parens. Ils paraissent n’avoir aucune habitation fixe leurs huttes sont petites , construites en forme de four avec des baguettes flexibles dont ils enfoncent en terre les deux extrémités ; ils les recouvrent ensuite avec des feuilles de palmiers , ou de l’écorce ils s’y comment au nombre de trois ou quatre , le corps en rond ^ de manière que les talons de l’un touche la tête de l’autre ; l’ouverture est toujours opposée au coté où le vent souille le plus ordinairement , et vis-à-vis du feu une horde errante les construit au lieu de Tacques Cook. 227 qu’elle vient habiter ; elle les abandonne lorsqu'elle le quitte. Là où elle ne demeure pas plusieurs jours , elle couche sur les buissons ou sur l’herbe sèche leur seul meuble est un vase d’écorce lié avec une baguette pliante dont le bout sert d’anse ils ont encore un sac à mailles qu’ils portent sur le dos, et où ils renferment leurs hameçons , leurs lignes , des coquilles » des pointes de dards. Leurs hameçons sont faits avec art leur principale nourriture est le poisson ; ils mangent aussi des kanguroos et des oiseaux ; ils font griller tout ce qu’ils mangent ; l’igname est le seul végétal dont ils se servent pour aliment ; ils mâchent continuellement da certaines feuilles qxre bous n’avons Ils font des entailles aux arbres pour y monter , et peut-être que là ils attendent et surprennent les oiseaux. S’ils veulent allumer du feu , ils tournent promptement et avec force la points émoussée d’un bâton sur un morceau de bois plat, en un instant ils ont du feu et le propagent. Leurs armes sont la javeline et differentes espèces de lances ; quelques-unes ont quatre pointes- garnies d’un os pointu , barbelées , et enduites d’une résine dure ; vers le nord , les lances n’ont qu’une pointe ; ce sont des espèces de cannes ou de jonc droit et léger qui ont huit à quatorze pieds de long, composées de pièces enchâssées les unes dans les autres , et qu’on arme d’une pointe de bois dur , ou d’un os de poisson, ou de morceaux aigus de coquilles brisées ; ils les lancent arec beaucoup do forcent de dextérité P 2 2 g Premier Voyage avec la main ; pour de grandes distances , ils la mettent au bout d’un morceau de bois façonné qui augmente la force du jet comme la fronde ils ont pour armes défensives un bouclier ou targe de trois pieds de long, de la moitié de large , fait d'écorces d’arbres , qu’ils découpent même sur l’arbre avant que de l'enlever ; de sorte qu’ils semblent ne pas ignorer que l’écorce d’un arbre devient plus épaisse et plus forte lorsqu'on la laisse sur le tronc après l’avoir entaillée en rond. Leurs pirogues sont grossières et mal faites dans la partie méridionale, elles ne font qu’un morceau d'écorce duquel on maintient l’ouverture par des cerceaux ; elles peuvent porter trois personnes sur les bords ils la poussent avec une perche, ailleurs avec une rame longue d’un pied et demi ; elles tirent peu d’eau, sont très- légères, et commodes pour la pêche des coquillages dans la partie septentrionale , les pirogues sont faites d’un tronc d’arbre creusé , elles ont quatorze pieds de long, et très-peu de largeur ; ce qui leur rend un balancier nécessaire ils les font avancer avec des pagaies, elles ne portent que quatre hommes ; on ne sait comment ils les font ; le seul instrument qu’on leur ait vu , est une hache de pierre fort mal faite, quelques coins de pierre , un maillet de bois et des stagnions de corail ils polissent leurs bâtons et les pointes de leurs lances avec la feuille d’une espèce de figuier. Les armes qu’ont ces peuples annoncent qu’ils de Jacques Cook. 229 ont des guerres entr’eux , mais nous n’en ayons point vu d’exemples , et nous ne pouvons dire si c’est la guerre qui a dépeuplé cette vaste contrée , ou si sa stérilité ou d’autres causes s’y opposent à la population. Nous quittâmes l’isle Booby , le 2 H Août nous perdîmes le lendemain en de vains efforts pour retrouver / une ancre perdue ; mais le a5 , nous reprimes notre route jusqu’au moment où,u 11 bas-fond nous arrêta nous nous appercûmes qu’il nous environnait de toute part , excepté dans la ligne qui nous y avait conduits il fallut donc rebrousser par le même chemin ; nous n’étions pas éloignés de terre de quatre lieues , et cependant nous l’appercevions à peine du haut du tillac c’est qu’elle est unie et fort basse nous nous en approchâmes d’une lieue j elle était couverte de bois , et parmi les arbres que nous vimes , nous crûmes y distinguer le cocotier la fumée s’en élevait de divers endroits ; des bas-fonds nous arrêtèrent encore, et nous reprimes le large après avoir passé devant un golfe qu’une petite isle met à couvert des vents. A minuit , nous recouvrâmes une grande profondeur et revînmes vers la terre que nous appercûmes être toujours basse et boisée une écume brune couvrait la mer ; vue au microscope, eil e offrait une quantité innombrable de particules longues de demi ligne , dont chacune semblait être formée de 3o ou 4° tubes ; les matelots qui avaient cru d’abord que c’était du frai, lui donnèrent ensuite le nom de Sea-Saw-Dust, sciure de mer _ P 3 23 o Premier Voyage Nous Urnes plusieurs tentatives inutiles pour approcher de la côte , d’où une brise légère nous amenait une odeur qui ressemblait un peu au benjoin. Nous parvînmes enfin à la voir à quatre milles de nous lapinasse fut lancée à la mer, et je m’y enbarquai avec onze personnes, parmi lesquelles étaient Mrs. Banks et Solander l’eau était si liasse que la pinasse toucha le fond à plus de 3o toises de terre ; nous y parvînmes à gué la terre nous y découvrit des pas d'hommes; près de nous était une forêt , que nous suivîmes jus- tpdà un bois de cocotiers bordé par un ruisseau d’eau saumâtre les arbres étaient petits, mais chargés de fruits ; près de là était une cabane , couverte de feuilles encore en partie, et aux environs des coques de fruits récens nous regardions ces fruits avec avidité ; cependant , la crainte d’un danger inconnu ne nous permit pas de monter sur les arbres pour en cueillir , et nous n’en goûtâmes pas. Plus loin nous rencontrâmes des planes et un arbre à pain, mais ils n’avaient point de fruits ; bientôt nous trois Indiens qui poussèrent un cri horrible , et courant vers nous, l’un d’eux lança quelque chose qui brûlait comme la poudre à canon et qui ne fit point de bruit, les deux autres nous jetèrent leurs javelines ; nous tirâmes sur eux à petit plomb sans les atteindre , et sans les effrayer ils nous lancèrent une nouvelle javeline ; nous tirâmes à balle , et tous s’enfuirent avec agilité ; en nous rapprochant du bateau, nous, vîmes les matelots laissés dans lapinasse, qui Bs J acqüïs Cook. 23a rions faisaient signe qu’un grand nombre 'cVinsulaires approchaient nous les appercûmes nous- mêmes un instant après ; dès qu’ils nous eurent découverts , ils firent halte ; nous revînmes c;ans notre pinasse et ramâmes vis-à-vis d'eux ; ils étaient plus de soixante ils ressemblent aux habitans de la Nouvelle-Hollande , iis ont leur taille, les cheveux courts comme eux , et sont aussi nuds , mais moins bruns; ils nous défiaient et nous lâchaient des feux dont nous ne connaissions ni la nature ni le but ; dans leurs mains étaient des bâtons courts, peut-être creux, qu’ils agitaient de côté et d’autre , et à l’instant no s voyions du feu et de la fumée de la même manière qu’il part d’un fusil; iis duraient peu, et ne faisaient entendre aucune explosion. Nous finies siffler quelques balles parmi les,arbres qui étaient dans leur voisinage, et ils s’en allèrent tranquillement les javelines qu’ils nous avaient lancées avaient quatre long ; elles étaient mal faites, d’une lame de bambou rouge , garnies d’une pointe de bois dur , barbelées , et lancées avec roideur. ; Cette terre est à 65 lieues du Cap walche , ou du port de Sr. Augustin elle est très-basse couverte d’herbes et de bois épais le cocotier le plane , l’arbre à pain y prospèrent; on y trouve beaucoup d’arbres , de plantes , de buissons communs aux pays que nous venions de parcourir. Dès que nous fumes sur le vaisseau nous fîmes voile au couchant ; le temps nous , pressait, le vaisseau faisait beaucoup d’eau , eg P4 2.^2 ' Premier V o r a * k il fallait incessamment nous rendre à Batavia pour le radouber. D'ailleurs la nouvelle-Guinée est connue des Hollandais et des Espagnols , et il étoit probable qu’il n’y avait pas de grandes découvertes à y faire. L’espace qui sépare la Nouvelle - Guinée de la Nouvelle - Galle mé idionale , est semé d’isles qui semblent devoir faciliter la communication entre les deux pays ; cependant \es végétaux utiles de la première n’ont point été transplantés dans la seconde ; la langue paraît n’y être pas la même , et l’on peut supposer que les peuples y ont une origine différente. Le 3 septembre nous nous éloignâmes de cette côte 3 le 6 , nous vîmes deux petites isles, et je serais descendu dans l’une d’elles , si le vent eut été moins fort ce sont ses isles Arrou , et elles ne sont point marquées sur les cartes elles sont sous le je. degré 6 minutes de latitude méridionale , et le idae. degré 3 o minutes cle longitude ; les jours suivans nous en vîmes encore une qui doit être Timor Laoet. Le 9 , nous découvrîmes Timor 3 nous approchâmes de ses côtes 5 la nuit nous y vîmes des feux , le jour de la fumée ; la terre était haute , partagée en collines couvertes de bois épais3 entr’elles sont des clarières très-étendues qui paraissent être l’ouvrage des hommes nous vîmes un golfe qui répond à la description qu’on en trouve dans te voyage de Dampierre près de la grève s’élèvent de grands arbres pyramidaux 3 derrière sont des criques d’eau salée ombragées par le palétuvier d e Jacques Cook. a33 et le cocotier du rivage au pied de la première colline , la terre est unie dans l’espace d’une lieue , et nous n’y vimes ni plantations , ni maisons ; cependant, tout y annonce qu’elle est fort peuplée. Nous suivîmes les côtes jusqu’au i 5 nous y vîmes toujours de la fumée sur les monts, et sur la terre qui est à leur pied, et que la mer borde les montagnes semblaient diminuer de hauteur ; nous découvrions en divers endroits de grands bocages de cocotiers ; enfin le dernier jour nous vimes des maisons et de nombreuses plantations ; celles-ci étaient enfermées de haies jusque sur le sommet des plus hautes collines ; celles-là étaient ombragées par des bois de palmier éventail , ou Borassus cependant nous n’y vimes ni hommes ni bétail. La navigation le long de ces côtes y est sans danger. Le 16, nous découvrîmes les isles de Hotte et de 'Semait , ou S imao , et nous passâmes entr’elles. La première n’est pas si montueuse que Timor, mais elle est agréablement entrecoupée de colline- et de vallées; elle fournit au commence beaucoup de sucre sur sa côte septentrionale on voit quelques palmiers-éventails, et un grand nombre d’arhi es qui y sont sans feuilles. Semau p, ésente à peu - près le même aspect. Sur les 10 heu, es du soir , nous vîmes une lueur rongeât, e et obsc n e , qui s'élevait de 20 degrés sur l'horison,et dont l’étendue variait par intervalles ; à travers et en dehors de cette première couleur , passaient des rayons d’une couleur beaucoup plus vive , qui s’évanouissaient et reparaissaient au même ins- ?34 Pb nuits Voyage taii E ]e phénomène conserva son "éclat jusqu’ils minuit que nous cessâmes de le regarder. Nous croyions ira voir plus d’isles à découvrir jusqu’à Javaj cependant le 17 nous en vîmes une encore nous allâmes à elle , et bientôt nous y remarquâmes des maisons , des cocotiers , de nombreux troupeaux de moutons cette vue , le nombre de mes malades , leur regret de ce qu’on n’avait pas descendu à Timor , me déterminèrent à y aborder et de commercer avec les habitons du vaisseau nous remarquâmes deux hommes à cheval qui examinaient notre vaisseau , et nous comprimes que des Européens y avaient formé quelqu’établissement. Mon second lieutenant y débarqua , et rencontra quelques insulaires qui, par leur habillement et leur ligure, ressemblaient aux Malais ; ils étaient honnêtes , mais ne purent Eentendre , et il n”y trouva point de mouillage pour le vaisseau. Je l’v renvoyai avec de Targent pour acheter au moins quelques rafra'- chissemens pour les malades ; avant qu’il pût aborder , nous apperçùmes deux autres cavaliers portant un habit bleu , une veste blanche , un chapeau bordé , qui regardaient curieusement le vaisseau d’autres cavaliers se rassemblèrent autour de nos gens ; nous vîmes qu’on leur apportait des noix de coco ; ils revinrent , et nous firent signe qu’il y avait une baie on nous pourrions mouiller à quelque distance de ce lieu ; nous y allâmes jeter l’ancre , près d’une grande ville Indienne , qui peu après arbora pavillon Hollandais et fit entendre trois coups de canon r » e Ja i Qu is Cook. j’envoyai Mr. Gore visiter le gouverneur s'il y en avait un ; il fut reçu par une trentaine cl’in- diens armés de fusils , qui , marc liant sans ordre , le conduisirent chez le Ht ja ou roi de l’isle ; il lui dit qui nous étions et ce dont nous avions besoin le faja dit qu’il ne pouvait commercer avec nous sans l’aveu de l’agent de la compagnie Hollandaise , qu’il allait consulter l’agent vint bientôt lui-même c’était un Saxon nommé Lange; il consentit à ce que nous desirions , et voulut nous visiter sur le vaisseau il y vint avec le raja , et je leur donnai à dîner ; le raja parut hésiter si nous lui permettrions de s’asseoir avec nous ; j’eus bientôt dissipé ses scrupules ceux d’entre nous qui savaient le Hollandais on le Portugais servaient d’interprêtes avec l’agent et le raja , on avec ses sujets. Le raja nous demanda un mouton ; il ne nous en restait qu’un , nous le lui donnâmes ; il demanda un chien anglais, Mr. Banks lui donna son lévrier. Mr. Lange demanda une lunette, il l’obtint ; ils nous promirent que le lendemain, sur la grève , nous trouverions des buffles , des moutons , des cochons , de la volaille , et que nous pourrions en acheter autant qu’il nous plairait satisfaits de leurs promesses, nous les renvoyâmes ivres, après qu’ils eurent vu faire l’exercice à nos soldats nous les saluâmes de neuf coups de canon ; Mrs. Banks et Solan- cler les accompagnèrent , visitèrent les maisons de là ville, qu’ils trouvèrent assez grandes , ©onsistant en un toit de feuilles de palmier 9 236 P r. b h i s b Voyage soutenu sur un plancher de bois par des colonnes hautes de tjnatre pieds on leur y fit boire du suc de palmier non fermenté ; il est doux, assez agréable , et on espéra trouver en lui un anti- scorbutique. Le lendemain rien, ne parut sur la grève où je descendis le roi, nom nié Madacho Loml Djara , nous y donna à dîner il fut servi dans trente-six paniers qui renfermaient vu du porc ou du riz ; trois vases étaient pleins de bouillon dans lequel le porc avait été cuit chacun de nous fut conduit vers un trou fait dans le plancher , où. l’on nous versa de l'eau contenue dans un vase de feuilles de palmier ; nous nous lavâmes, puis nous nous plaçâmes à terre autour des plats. Le roi avait disparu , nous le demandâmes ; on nous assura que l’usage ne permettait pas à celui qui donnait à dîner de s’asseoir avec scs hôtes le porc , le riz étaient exceilens ; après dîner, nous fîmes encore demander le roi pour boire avec lui ; l’usage ne lui permettait pas de s’enivrer dans un repas qu’il donnait , et pour ne pas s’enivrer il fallait ne point boire. Nos matelots, nos domestiques prirent la place que nous avions quittée , et ne pouvant consommer tout ce que nous y avions laissé , on les obligea à emporter les restes dans leurs poches. Dans le moment de la gaieté nous voulûmes parier des provisions promises , mais l’agent avait reçu à propos une lettre du gouverneur de Concordia dans l’ de Timor, qui y mettait obstacle c'était un moyen de se les faire acheter plus cher j nous n’emportâ- DE JACQÏIS G O O JC. 2Z7 mes au vaisseau que quelques volailles et un sy- rop fait de suc de palmier , meilleur que la mélasse et beaucoup moins cher. On éprouva toujours de nouveaux obstacles , de nouvelles défaites de l’agent et du raja qu’il faisait agir. Le 20 , nous descendîmes, je marchandai un petit buffle , et parce que je n’en voulus pas donner le double de ce qu’il valoit, nous vîmes arriver une déclaration du roi, qui nous annonçait que ses sujets ne commerceraient pas avec nous , parce que nous avions refusé d’en payer le prix fixé on faisait rétrograder les volailles , le syrop, les buffles , les moutons. Je vis que ce renvoi déplaisait à un Indien qui jouissait d’une grande autorité je lui donnai un sabre , et alors il fit trembler le collègue de sagen t en l’agitant sur sa tête , liai ordonna de s’asseoir,et bientôt le marché fut approvisionné nous nous procurâmes toutes les provisions nécessaires , et ne payâmes que les premières à haut prix. L’isle s’appelle Savu quelques cartes l’appellent Saow elle a huit lieues de long, sa lai> geur m’est inconnue ; le nom du havre où nous mouillâmes est Seba ; la côte de la mer ,y est liasse • au centre s’élèvent de grandes collines quand la saison sèche y dure long temps , on n’y trouve plus d’eaux douces que dans de petites sources éloignées de la mer telle était sa situation quand nous y arrivâmes ; cependant l’aspect du pays était très-beau ; le cocotier , le palmier arecas ornent les bords de la mer les col- s38 Premier Voyage lines sont richement couvertes jusqu’au sommet de plantations du palmier-éventail, qui y forme des bocages impénétrables à l’ardeur du soleil entre ces arbres prospèrent le maïs , le millet, l’indigo ; rien n’est plus beau que les arbres et la verdure qui ornent cette terr e le cocotier, le tamarin , le limonier , l’oranger, le mangue , sont, avec le palmier-éventail , les principaux de ses arbres ; le sol produit aussi du bled sarazin, du riz , des melons d'eau , des calii- vances, une espèce de canne à sucre , du céleri , de la marjolaine, du fenouil, de l’ail, quelques autres légumes d’Europe, du bétel, des noix d’aréque, du tabac, du coton, de la eanelie même ; on y trouve le fruit du savonier, le blimbi qui croît sur un arbrisseau , qu’on ne peut manger crud , mais qui est bon mariné et cuit à l’étu- vée. Le buffle , le cheval, le mouton, la chèvre , le cochon , l’âne , le chien , le chat, la poule, le pigeon y sont apprivoisés ; les montons sont couverts de poils , ont les oreilles longues et pendantes , et le museau arqué ; leur chair est nnfgre et sans saveur les habitans préfèrent le chien et le chat au mouton et à la chèvre ; les cochons y- sont gras et succuleus ; les poules y sont grosses , et n’y font que de petits œufs. Les habitans sont petits , leur teint est un brun foncé , leurs cheveux sont noirs, lisses, et attachés au haut de la tête avec un peigne j ils sont bien laits , vigoureux , actifs ; leurs traits sont variés / ijs s’arrachent la barbe ; les femmes la glèbe , mais le, propriétaire n’a point d’autorité sur sa personne sa valeur commune est celle d’un cochon gras ; ils accompagnent les hommes de distinction , l’un porte son épée ou son coutelas , l’autre un sac plein de bétel , d’aréque , ou de tabac tel homme en possède 5 oc. Une longue suite d’ancêtres y est un grand motif de vanité les maisons où ces générations se sont écoulées ; une pierre sur laquelle elles se sont tour-à-tour, assises , y ont le plus grand prix. De grandes pierres élevées sur des collines y attestent l’existence passée de chaque roi , et servent de table au festin général qu’on donne à ses funérailles. Ils savent faire une étoffe de coton , ils la filent, la tissent, la teignent leur religion est une espèce de fétichéisme ; chaque homme y a éoudieu, dont il en est le prêtre et qu’il adore à son gré ; leur morale est irréprochable chaque Tome I. Q s4 Premier Voyage homme n’ya qu’une femme , et tout commères illicite entre les deux sexes y est inconnu le vol y est un crime rare, l’assassinat y est sans exemple. Ils sont propres , et jouissent d’une santé constante on y traite la petite vérole comme la peste. Il y a dix ans que la compagnie Hollandaise lit un traité avec les rajahs , par lequel elle leur fournit de la soie , des toiles, de la coutellerie, de l’arrack, etc. , et en reçoit du riz , du maïs , des callivances ; elle seule a le droit d’y commercer elle y avait placé trois personnes, un agent avec son substitut qui veille à l’exécution du traité, et un instituteur qui enseigne la jeunesse. Nous partîmes de Sa vu le 21 septembre ; non» apperçûmes deux petites isles dans son voisinage. Le 27 , nous découvrîmes la pointe occidentale de Java, puis les isles du Prince et de Cralaca celle-ci est élevée et se termine en pic. Nous primes quelques rafraîchissemens sur la côte de Java, sur-tout pour Tupia qui était très-mal le pays semblait un bois continuel un vaisseau Hollandais nous apprit que le Sxvallow y était abordé deux ans auparavant ; cette nouvelle nous lit plaisir , car on était encore incertain de son sort lorsque nous partîmes d’Angleterre un autre bâtiment vint nous vendre toutes sortes de rafraîchissemens. Un pros arriva de Batavia pour nous faire différentes questions parmi lesquelles il y en avait d’indiscrettes ; nous répondîmes simplement que nous étions Anglais , et allions de Jacques Cöok. 2^3 en Europe. Nous finies long-temps de vains efforts pour arriver à Batavia dont un. courant nous éloignait ; nous parvînmes enfin le 8 octobre à mouiller près d'une des Mille-lsles qui peut avoir aoc toises de long et 5o de large; elle renferme une maison, une petite plantation , oit parmi d’autres fruits croissait le T aima- Christi on y tua une chauve-souris qui avait trois pieds d’envergure. Le 9 , nous arrivâmes dans la rade d e Batavia. Nous y trouvâmes un vaisseau de la compagnie anglaise , deux bâtimens anglais , i 3 grands vaisseaux hollandais , et un grand nombre de petits navires. Nous y apprîmes que le Falmouth , vaisseau dont parle le capitaine Wallis , avait été vendu à l'encan il y avait six mois , et son malheureux équipage renvoyé en Europe. Mes canons étaient en mauvais état, et par cette raison je ne saluai pas , j’en fis mes excuses. Je m’occupais incessamment du soin de faire réparer mon vaisseau. Nous nous logeâmes dans l’hôtel destiné aux étrangers , puis je rendis visite au gouverneur, qui me reçut honnêtement, et me promit tout ce qui nous était nécessaire. Ce même jour , un navire hollandais qui était près de nous , eut le grand mât de hune et son grand perroquet mis en pièces par le tonnerre ; nous aurions partagé son sort, si nous n’avions depuis quelque temps dressé une chaîne électrique qui conduisit la foudre aux côtés du vaisseau. Nous demeurâmes donc à Batavia Mr. B mks prit un logement particulier, il y fit venir Tupia et son valet, tous les deux malades ; en sortant Qa 244 Premier Voyage du vaisseau il était abattu et engourdi , mais en entrant dans la ville , il lut animé d’une nouvelle vie. Les maisons, les voitures , les rues , les liabitans , une multitude d’objets nouveaux pour lui , se précipitèrent à-la—fois dans son imagination , et y produisaient une sorte d’enclian- tement, Tayeto exprimait son. étonnement en dansant dans les rues, saisi d’une espèce d'extase la diversité des habillemens frappait Tupia, nous lui d mes que chaque, nation portait ici l’habille, ment de son pays , et il voulut prendre celui de ’ Tahiti. On reconnut à Batavia qu’il était du meine pays que Taourou , le Tahitien qu’y avait amen» Mr. Bougainville. Mais bientôt nous sentîmes les-funestes effets du climat et de la situation hasse et marécageuse de cette ville célè- ' Lie presque tout l’équipage tomba malade, le docteur, Solandcr prit .la. lièvre , d’autres personnes' étaient mourantes., Tupia retomba dans sa première langueur, elle empira encore, Taveto prit une inflammation de poitrine ils dem an _ deren t .à revenir au vaisseau où ils respiraient un air plus libre , mais on le mettait alors à la bande , et on les conduisit sur l’isle Cooper où on leur fit dresser une tente Mr. Banks demeura deux jours auprès d’eux , quoiqu’il eût ' aussi une fièvre violente et intermittente. Mr. Monkhouse , notre chirurgien , homme éclairé et sage , en fut la première victime le docteur Solander eut à peine la force d’assister à ses funérailles ; nous voyions approcher la mort sans pouvoir l’éviter ni la fuir ; Tayeto mourut, Tupia Te Jacques Cook.; 2 45 le suivit bientôt après. Il fallut louer une maison.' de campagne pour sauver Mrs. Banks' et Solan- der j’étais alors très-mal ; il n’y avait plus que dix personnes en état de faire le service. Cepen dant notre vaisseau percé, ébranlé presque dans toutes ses parties , se réparait avec la plus grande diligence ; nous le voyions regréer , équiper de nouveau avec impatience la saison pluvieuse avait commencé le croassement continuel et insupportable des grenouilles se faisait entendre de toutes parts ; les cousins , les mosquites sortaient en foule de dessus les eaux stagnantes des marais, et la maladie et la mort mettaient de la lenteur dans tous nos préparatifs. Le 8 décembre, notre vaisseau fut entièrement radoubé ; nous ne pûmes cependant mettre à la voile que le 26 ; nous avions alors 40 malades, et le reste de l’équipage était très-faible un seul n’avait pas été malade, c’était le voilier, vieillard d’environ 80 ans, qui s’enivrait tous les jours à Batavia. Tupia ne fut pas victime de la seule insalubrité du climat accoutumé à ne vivre que de végétaux , de fruits mûrs , le changement de nourriture l’accabla bientôt de toutes les maladies des marins , et il est probable que lors même que nous n’aurions pas relâché à Batavia , il n’’aurait pu résister jusqu’en Angleterre. Batavia est située dans une plaine basse et marécageuse, où plusieurs petites rivières qui descendent des montagnes bleues débouchent dans la mer , sous le 6 e . d. 10 m. de latitude méridionale et le 124 e . d. 22 m. de longitude,. '^'4 6 Premier V O y a g- e Elle a peu de rues qui n’aient un large canal où l’eau coule très-lentement, et dont plusieurs se prolongent à plus d’une lieue dans l’intérieur du pays ; elle occupe un vaste terrain , parce que les maisons y sont grandes et les rues larges , celles-ci sont belles ; les canaux y sont bordés d’arbres, mais ils arrêtent la circulation de l’air dans la saison des pluies , une partie des maisons est inondée , et l’eau y dépose une quantité inconcevable d’ordure et de vase ; on nettoie les canaux , et la boue noire mêlée d’excrémens qu’on en tire, se dessèche sur les bords et exhale des vapeurs putrides ; les charognes abandonnées sur le bord des eaux courantes y en exhalent aussi, et ajoutent à l’insalubrité naturelle de ce climat. La plus grande force de Batavia est d’être élevée au milieu des marais , où il suffit d’arrêter l’ennemi quelques jours pour l’affaiblir et bientôt le détruire. Les soldats Européens qui la défendent , sont aussi, par l’effet de ce climat malsain , pâles , faibles, et se traînent avec peine ; tous les blancs qu’elle renferme sont soldats ; les plus jeunes somt toujours sous le drapeau, les antres peuvent toujours y être rappelés. Les Portugais qui l’habitent , sont accoutumés au climat, et sont bons tireurs , parce qu’ils s’exercent à la chasse des porcs sauvages; les Chinois, les Indiens libres ou Mardikers sont braves , et savent manier avec adresse le sabre , la lance et la dague ; mais ne connaissent pas l’usage de l’arme à feu. Telles sont les principales défenses de Batavia ; de Jacques Coox. a \j car ses murs , ses fossés , sa citadelle sont peu redoutables. Il est presqu'irnpossible d’en former le siège par mer, parce que l’eau y est trop basse, que le seul canal profond qu’il y ait est défendu par deux môles , un château, et une chaîne de poutres flottantes. Son havre est un des plus beaux de l’Inde , le fond en est bon , la mer n’y est jamais incommode pour les vaisseaux , et la plus grande flotte peut être à couvert dans son enceinte. Au dehors et autour du havre, sont diverses isles que les Hollandais emploient à différons usages celle d 'Edam est la demeure des coupables Européens qui n’ont pas mérité la mort ; ils y travaillent comme esclaves , pendant un terme plus ou moins long , à faire des cardes ou à d’autres travaux utiles dans celle de Turemereiit est un hôpital, où l’on jouit d’un air plus sain que celui de Batavia ; Kuiper renferme des magasins de riz et d’autres denrées j c’est sous la rive de celle d’Onrust que les vaisseaux mettent à la bande et déposent leurs équi- pemens et leurs cargaisons- Les environs de Batavia sont semés dé maisons de campagne et de grands jardins, plantés d’autant d’arbres que le terrain en peut porter , usage qui rend les fruits abondans mais qui. nourrit l’humidité de l’air. Ces forêts d’arbres fruitiers occupent un sol entrecoupé par des rivières et des canaux navigables tous les champs y sont environnés d’un fossé plein d'eau ou de boue ; et au milieu des terres cultivées , on trouve des marais et des fondrières ; aussi- Q4. * P i! em ier Voyage y est - on familiarisé avec les maladies, et les remèdes qu'on prend se suivent aussi régulièrement que les repas tout y a un air malade, la mort n’y cause point d'étonnement., et n/y excite point la sensibilité ni la tristesse dans une étendue d’une douzaine de lieues , le sol est exactement parallèle , excepté deux hauteurs qui s’élèvent d’environ 3o pieds, sur l’une desquelles s’assemble un marché fréquenté. Au-delà de cette vaste plaine sont deux collines élevées où l’air est sain et frais, où les végétaux d’Europe qui craignent la chaleur viennent fort bien , où les insulaires sont vigoureux et colorés. Quelques riches habitans y ont des maisons, où ils vont une fois par année ; les malades s’y guérissent en peu de temps , mais en s’éloignant de ces hauteurs , on perd rapidement la vigueur qu’on y avait recouvrée. Le sol est très-fertile dans cette plaine le riz y croît abondamment, et y reste sous l’eau autant qu’il est nécessaire; sur les collines on en sème une espèce qui demande moins d’can ; cependant il faut le semer au commencement de la saison pluvieuse , et on le recueille au commencement de la saison sèche; les- habitans recueillent le maïs avant qu’il soit mûr et le grillent en épi ; un de leurs principaux alimensest la lentille, nommée cadjag on y recueille du millet, des ignames fondantes et chantres , des patates douces , des pommes-de- terre très-bonnes. Les jardins potagers sont plantés de choux , de laitues , de concombres , de rayes blanches de la Chine , de la plante aux î>e Jacques Gook. 2 49 eufs , de carottes , de persil, de céleri, de pois - d'angole , d’un légume semblable à l'épinard , de petits ma s excellens oignons, d'asperges, de sauge , d’hysope , etc. On y recueille une quantité immense de belles cannes à sucre et beaucoup d’indigo. On y compte ay espèces de fruits les principaux sont la pomme à pin broTsielia ananas qui y est très-abondante , pleine de suc et d’un bon goût, de bonnes oranges douces , des pimplemousses , d’excelîens limons , des mangues qui ressemblent à une pêche fondante , différentes sortes de bananes , de médiocres raisins, du tamarin désagréablement apprêté , de bons melons d’eau , de bonnes citrouilles , le cachiman ou cœur de bœuf, noriu reticulata de Linnens, qui est un fruit estimé , la noix de mangoustan, qui a un heureux mélange de doux et d’aigrelet qui le rend aussi sain qu'agréable , des jambos , des grenades, le durion dont la saveur approche d’un mélange de crème , de sucre et d’oignons 5 le rambutam qui ressemble à la châtaigne par sa forme , et dont le goût acide est très-agréable ; le salach qui renferme des amandes jaunes dont la saveur ressemble à la fraise. Ces fruits ne sont pas les seuls, mais ils sont les meilleurs on en consomme une quantité incroyable à Batavia ; il y a dans ses environs beaucoup de fleurs différentes inconnues en Europe ; le champacka a 10 pétales d’un jaune plus foncé que la, jonquille , à laquelle il ressemble par son parfums; le cananga a un parfum agréable qui lui est ü 5 o Premier V o y a b * particulier ; il est verd ; le mulatti est le jasmin d’Arabie ; le combang , petite lieur très- odoriférante , du genre des apocins ; le bonja tanjong a la forme d’une étoile de 7 à 8 rayons, jaunâtres, d’un parfum agréable ces fleurs sont presque sans odeur durant le jour ; c’est sur le soir qu’on les vend il y a beaucoup d’autres fleurs, trop rares pour qu’on en voie au marché ; on en orne ses cheveux... on en répand dans sa chambre, on en couvre sou lit, on brûle sans cesse des aromatiques et des résines , sans doute par luxe , et encore pour affaiblir l'influence des exhalaisons infectes qui s’élèvent des canaux t des fossés. Java produit du poivre , dont on envoie annuellement en Europe pour de grandes sommes elle nourrit des chevaux, des vaches, des buffles, des moutons , des chèvres, des cochons 1 les. chevaux paraissent en être originaires ; ils sont petits et pleins de feu ; les bœufs , quoique de la même espèce que ceux d’E’arope , ont une figure différente ; on y en trouve de sauvages les buffles y sont abondans ; mais les Ja vans et les Chinois peuvent seuls en boire le lait , et en manger la chair les moutons y ont de grandes oreilles pendantes , du poil au lieu de laine , et line chair dure et coriace ; les chèvres n’y sont pas meilleures ; mais les cochons y sont bons et fort gras. On y voit aussi des chiens, des chats sauvages, et deux espèces de daims les parties désertes nourrissent encore un grand nombre de tigres , de singes, et quelques rhinocéros. r>E Jacques Cook. 2 5 i 'Le poisson est très-abondant à Batavia , et il en est d’excellens ; la rareté de quelques-uns en fait le prix et le mérite auprès des riches , qui dédaignent d’excellens poissons que leur abondance rend la nourriture du peuple on y trouve des tortues , mais moins tendres et moins grasses que celles des isles de l’Amérique , de grands lézards ou iguans dont quelques-uns, à ce qu’on assure, sont aussi gros que la cuisse d’un homme; la chair en est excellente. Les poules y sont très-grosses , les canards et les oies y sont à très-grand marché , les pigeons sert chers j. le prix des coqs-d’Inde exorbitant ; le gibier volant y est rare ; les bécassines de deux espèces, sont peut-être les oiseaux de ce genre qu’011 y voit le plus communément , c’est aussi l’oiseau le plus généralement répandu sur la terre. - Parmi les habitans de Batavia, il y en a à peine la cinquantième partie qui soit Hollandaise les Portugais en forment le plus grand nombre , mais les Hollandais seuls exercent le pouvoir presque toutes les femmes blanches qu’on y voit, descendent de parens Européens de la troisième ou quatrième génération le climat leur y est moins funeste qu’aux hommes elles imitent en tout les femmes Indiennes et mâchent du bétel comme elles le commerce y est facile , chaque manufacture est dirigée par un Chinois, qui n’en peut vendre le produit qu’à un négociant Batave. On y nomme les Portugais Oranseranç ou hommes Nazaréens , et Cager * 5 %. Premier Voyage o vtCafir, nom injurieux donné par les raaho- métans ils sont devenus luthériens, ne connaissent plus leur patrie , se servent préférablement de la langue malaise, vivent de chasse, blanchissent le linge , travaillent comme artisans , comme manœuvres ils ressemblent aux Indiens par leurs mœurs et leurs vêtemens ; ils en diffèrent par les traits, at ont le teint plus foncé et le nez plus pointu. Les Indiens sont mélangés d’hommes rassemblés dans les isles voisines, et l’on voit quelle est leur patrie , par les vices et les vertus qui les distinguent ils cultivent les jardins , vendent des fruits, le bétel, l’aréqne , vont à la pêche , voiturent les marchandises par les'canaux le riz est leur principale nourriture , iis mangent aussi beaucoup de fruits j ils sont très-sobres , mais somptueux dans leurs festins ils sont mahométans, et le mariage est leur cérémonie la plus brillante ; les fêtes en durent j, 5 jours , pendant lesquels les femmes empêchent le mari de visiter son épouse leur langue est le malais, mais elle en est un dialecte corrompu les femmes y ont beaucoup de cheveux , ils sont noirs , et forment une tresse circulaire sur le sommet de la tête où elle est attachée également avec une aiguille , et surmontée d’une tresse de fleurs. Ils se baignent fréquemment , ont grand soin de leurs dents, qu’ilsusent et rendent égales avec une pierre à aiguiser ; ils y tracent dans le milieu le leur longueur un sillon profond , et les conservent très-saines. Il se passe rarement une semaine sans que l’on voie quel- D JaCQÖE! COOS. ques-uns d’entr’eux s’élancer dans les rues enivrés d’opimn , armés d’un poignard , et tuanfc tout ce qu’ils soupçonnent vouloir les saisir, jusqu’à ce qu’ils soient tués eux-mêines , ou arrêtés des outrages , quelques injustices , la jalousie lés précipitent dans les excès ils sont condamnés à être rompus vifs, çt ceux qui les arrêtent en vie sont bien récompensés. Ces liommes imbus d’opinions absurdes , croient que satan est la cause de tontes les maladies, et ils lui font des offrandes de tout ce qu’ils estiment le plus; c’est lui qui leur présente dès songes, qui cause leurs insomnies, et ils vont vers les prêtres ou cav/ins , chercher des éclair- cissemens ; ceux-ci leur font ordinairement entrevoir, que le diable a besoin de vivres et d’argent , et ils en suspendent aux branches d’un arbre aux bords des rivières , où des passans et sans doute les cawins viennent s’en saisir ils croient que les femmes accouchent souvent d’un enfant et dhm jeune crocodile que la sage- femme porte sur-le-champ à la rivière, sur les bords de laquelle la famille, et sur-tout le jumeau , porte des àlimens pour mériter par ce devoir fraternel de n’être point puni par des maladies ou par la mort. Cette opinion est répandue sur toutes les isles jusqu’à Timor et Cerarn, sans qu’on puisse en découvrir l’origine. On en raconte mille exemples , mille faits dont les circonstances ridicules font sentir la fausseté. 'Quelques peuples de ces isles , tels que les Bon- gis et les Macassars, font cm souvenir de oes cro- *54 P K I M t E 4 VoVAGS odiles jumaux , qu’on nomme Sudaras , une Cérémonie périodique iis se rendent par troupes en des bateaux fournis de provisions et de musiciens , pleurer et chanter alternativement, invoquer leurs parens jusqu'à ce que le crocodile paraisse alors la musique s’arrête, et on lance à l'eau les provisions , du bétel , du tabac ils croient ainsi se rendre agréables à leurs parens. Les Chinois sont nombreux à Batavia , ils sont pauvres , tiennent boutique , vendent des fruits, sont charpentiers, menuisiers , forgerons , tailleurs, brodeurs ; plusieurs cultivent des jardins , les champs de riz et de sucre , nourrissent des vaches , des buffles , et en portent le lait à la ville. En général ils sont industrieux et actifs , mais il n'est point de gain déshonnête pour leur avidité le jeu est leur délassement , et ils s’y adonnent avec fureur rarement ils sont oisifs propres dans leur extérieur , leurs manières sont serviles ; sobres, peu somptueux , le riz bouilli est le fondement de leurs repas ; niais ils mangent encore des chiens , des chats , des grenouilles , des lézards , des serpens de plusieurs sortes , et beaucoup de poissons , surtout de ceux qui sont méprisés des autres. Ils renferment leurs morts dans une bière de bois large et épaisse, faite d’un tronc d’arbre creusé comme un canot, sur laquelle ils placent une couche de 9 pouces d'épaisseur , d’un, mortier nommé chinant qui devient bientôt aussi dur que la pierre 5 et jamais quoi qu’il leur en. 2>e Jacques Cook. %5$ coûte, ils ne déposent cette bière dans une terre qui ait déjà servi au même usage. La loi veut à Batavia que les morts y soient ensevelis selon, leur état, et on prélève les frais de la cérémoni* avant de consulter le bien que le mort laisse on- celui qu’il doit. Les esclaves forment une classe nombreuse des habitans du pays on les tire de Sumatra , de Malacca, des isles à l’est ; ils sont paresseux, vivent de peu , et diffèrent par la figure comme par le caractère les plus voleurs , les plus incorrigibles sont les Papuas, tirés de l’Afrique ; les plus fainéans et les plus vindicatifs sont les Macassars les meilleurs et les plus chers viennent de l’isle Bail ; les plus belles femmes , bien plus chères que les hommes , sortent de la petits isle Nias ; mais elles succombent bientôt sous l”air mal-sain de Batavia. Les maîtres ont le pouvoir d’infliger à leurs es* claves tous les châtimensqui ne les privent pas dé la vie ; mais s’ils les font mourir , ils sont punié capitaleinent. Aussi ne punissent-ils pas eux- mêmes leurs esclaves, mai* ils les livrent à un officier chargé de leur faire administrer un nombre de coups de fouets proportionné à leur délit. Les états sont distingués avec soin, à Batavia les ornemens des voitures, l’habillement des cochers l’indiquent une subordination exacte y retient tout dans une soumission qui paraît être de l’ordre. Tous les gouverneurs des tablissemens Hollandais dépendent du gourer* D§6 P R JS M I E a VoYAGE nenr général de Batavia , il les juge , il les punit à son gré ; sons lui sont les membres du comeii, auxquels on dünne le titré de nobles quiconque rencontre leur voiture s’arrête se lève , fait la révérence ; on rend les mêmes respects à leurs femmes et à leurs en fan s. La justice y est administrée par un' corps dé magistrats divisés en plusieurs classes ; dans les jugelmns criminels ils se montrent sévères pour l'indien , indulgens pour l’EuIôpééri les Malais-', les Chinois ont des juges civils qui leur sont particuliers ; ce privilège et celui de porter des cheveux longs , est acheté par des impôts qu’ils paient tous les mois. ' Nous partîmes de Batavia le 27 Décembre 1770 , et bientôt nous eûmes dépassé de petites isles qui ne sont pas loin de la côte naviguant tamôt vers Sumatra , tantôt vers Java , nous abordâihes le 5 Janvier sur les cotes de l’isle du Prince pour y faire du bois et de Peau, pour nous,y procurer des rafraîchissemens nécessaires à nos malades , qui empiraient des Indiens parurent sur la grève , et l'un deux parut être leur roi nous l’abordâmes , lui parlâmes , sans pouvoir convenir avec lui du prix d’une tortue nous parûmes le négliger pour parcourir la côte , •ôîi nous trouvâmes un ruisseau d’eau douce , et des insulaires qui nous vendirent trois tortues; le lendemain elles devinrent moins chères et plus abondantes ; nous en achetâmes 2 ou 3 oo •livres par jour des volailles , de petits che-j- vreuils , des poissons , quelques végétaux nous furent J ï>e Jacques Cook. i5j furent apportés par les naturels du pays. L’isle renferme une ville d’environ 400 maisons , cou- pée en ville vieille et nouvelle par une rivière d’eau saumâtre les habitans y sont moins nombreux dans le temps des moissons, parce qu’alors les habitans résident au milieu de leurs champs' de riz , pour les défendre des oiseaux et des singes; et c’est là que Mr. Banks trouva sa majesté qui le reçut gracieusement , quoiqu’occupé à préparer son soupe au milieu de son champ de riz. Cependant, nos gens faisaient notre provision d’eau et coupaient du bois des insulaires les environnaient , et l’un deux leur vola une hache tolérer ce vol eut été les encouragera en commettre de nouveaux nous nous plaignîmes au roi, et la hache fut rendue le lendemain. Rien ne nous retenait plus à l’isle du Prince ^ située sous le 6' d. 4y m. de latitude méridionale , et nommée Pulo Selan par les Malais, Pulo Pariertem par ceux qui l’habitent. Leur principale bourgade se nomme S amadang. En prenant congé du roi, nous lui limes présent de deux mains de papier qui lui lirent plaisir ; le conseil que rions lui donnâmes de nourrir des buffles , des moutons et d’autres bestiaux , pour attirer des vaisseaux vers son isle , parut lui en faire moins , et il n’anrioriça pas des dispositions à le suivre cependant il désirait que les visites des Européens devinssent plus fré - queutes. Nous en tirâmes diverses provisions, parmi lesquelles on peut remarquer deux espèces de daims 5 Tome I. R 2,58 P R E M I î! R V O Y ACrl l’une le la grosseur du mouton , l’autre de celle du la- in ; des .o • ues , de la volaille, des citrons , des fruits du des noix, de cocos et divers végétaux elle est couverte de bois , de champs cultivés; sa surface est plate, et on n’y distingue quhrne petite éminence on a préféré quelque temps une baie de Sumatra , ou une petite isle voisine de ses côtes, et on a eu tort l’isle du Prince vaut mieux ; l’eau n’en est mauvaise que dans la partie du ruisseau qui touche à la mer les tortues y sont vertes, peu grasses , peu savoureuses on y trouve encore de grosses poules, de petits chevreuils , plusieurs espèces de poissons , des pommes de pin , des melons d’eau, des citrouilles , du riz, des ignames. Le rajah ou prince dépend du roi de Bantam ; les liabi- tans sont Javans , ils en ont les moeurs , la religion , mais on n ’y a point vu de mosquées ils mangent des noix du palmier appelé circi- nalis qui, sur les côtes de la Nouvelle Galles, empoisonnèrent nos porcs et rendirent malades plusieurs de nos gens. ; mais ils la coupent en tranches minces qu’ils-font sécher au soleil , puis tremper trois mois dans l’eau douce ; après quoi ils en expriment le suc et leur font encore éprouver Faction du soleil c’est ainsi qu’ils les dépouillent de sa qualité vénéneuse mais ils ne la mangent que dans les temps de disette. Leurs maisons sont élevées sur des poteaux de 4 à 5 pieds le plancher en est à jour et formé de cannes de bambou ; le toit est en pente et de feuilles de palmier l’enceinte est encore une ï> e Jacques Cook. claie de bambous chacune forme un quarré long, a une porte et une fenêtre, et est partagée en deux parties dont chacune l’est en deux chambres ; l’une sert de cuisine , la seconde est pour les enfans , la troisième pour le maître et sa femme , la quatrième pour les étrangers les maisons des pauvres ne se distinguent de celles des riches que par leurs petitesse telles sont aussi les cabanes élevées dans les champs de riz ; mais elles sont sur de plus hauts poteaux. Le petit peuple ne paraît'pas méchant ; il montra même de la bonne-loi dans le commerce; il parle deux langues, l’une en usage dans les montagnes de Java d’où il paraît sortir, l’autre est la malaise ; l'une et l’autre ont des mots qui leur sont presque communs avec celle des liabi- tans des isles de la mer du Sud ; la ressemblance est sur-tout frappante dans les mots qui expriment les nombres , et elle l’est même avec ceux en usage dans l’isle de Madagascar cependant les peuples qui habitent ces isles , paraissent être d’une origine différente le Ja van couleur olive a les cheveux longs , le natif de Madagascar est noir , et sa tête est couverte de laine ; cette distinction n'est pas une raison décisive ; le climat , les mœurs , les alimens , peuvent à la longue faire passer les hommes de l’un de ces états à Lautre. Nous désirions ardemment d’arriver au cap de Bonne-Espérance , les maladies dont nous avions pris les germes à Batavia, se développaient avec violence ; les dyssenteries, les fièvres len^ R 2 ä5o Premier Voyage tes nous enlevèrent, dans l’espace de six semaines, Mr. Parkinson, peintre d’histoire naturelle ; Mr. Green , Gastronome ; Mrs. Sporing , Mon- khouse, l’officier de poupe , notre vieux voilier, son aide , notre cuisinier , trois charpentiers, neuf matelots, etc. malgré les soins que nous prenions de mêler le jus de citron à l’eau que nous buvions , et de laver toutes les parties du vaisseau avec du vinaigre ; nous désespérâmes longtemps de la vie de Mr. Banks ; notre vaisseau devenait un hôpital , quand en lin , le i5 mars, nous jetâmes l’ancre en travers du cap que nous avions désiré d’atteindre si vivement. Nous fîmes peu de remarques utiles dans cette traversée nous no trouvâmes le vent alisé général quinze jours après avoir quitté la pointe Java; jusqu’alors les vents furent variables, le temps brûlant et l’air mal sain ; le vent alisé Peu de jours après notre départ de Java, nous vimes des boubies voltiger autour de nous cet oiseau , qui se juche tous les soirs à terre , nous annonçait qu’il y avait quelque isîe dans le voisinage c’est peut-être celle de Sclam, dont le nom et la situation sont également incertains dans nos cartes. Les courans ne nous parurent considérables qu'en approchant du méridien de Madagascar , et alors ils faisaient dériver de 20 lieues dans 24 heures. Sous le 27 e . degré / minutes de latitude méridionale , nous lûmes environnés d'oiseaux d’espèces diverses, et ils devinrent d’autant plus nombreux que nous approchâmes davantage de la côte il en était un de Jacques Cook. 26=1 de la grosseur du canard , d’une couleur obscure , ayant un bec jaunâtre. Mon premier soin au cap fut de louer une maison pour nos malades ; ils étaient en grand nombre , et cependant j’appris que notre état était bien moins fâcheux que celui de divers vaisseaux qui avaient paru au cap et dont le voyage n’était pas le tiers du nôtre par sa durée. Je restai près d’uii mois sur cette plage, et quand je rembarquai mes malades , plusieurs étaient encore en danger ; j’y pris des provisions, j’y réparai mon vaisseau et ses agrêts , et fus prêt de remettre à la voile le 14 avril. Je dirai peu de chose du Cap l’aspect du pays est désert ; le sol en est stérile des montagnes hautes et nues , des plaines couvertes d’un sable léger où croît la bruyère , voilà ce qu’on y trouve 5 la millième partie du terrain peut-être y est cultivable et cultivé là , on voit des jardins , des vergers , des vignobles , mais ils sont écartés les uns des autres. On y trouve peu d’arbres , et ils y sont tortus , minces et petits , les plus grands n’y ont que six pieds de haut ; le bois de charpente y vient de Batavia ; on y dépense autant à se chauffer qu’à se nourrir. On y apporte des provisions de l’intérieur du pays qui ne paraît pas être plus fertile. Nous vîmes un fermier qui venait de quinze journées de distance apporter des provisions , et amenait son jeune enfant ; nous lui demandâmes s’il n’aurait pas mieux valu le laisser entre les mains de son voisin ; » Un voisin ! répondit R 3 fis 2 Premier. Voyage -5 cët homme pour en trouver un il faut fair© 53 cinq journées de marche ». Il semble qu’un pays dont les cultivateurs sont si éloignés les uns des autres , n’annonce pas de la fertilité. La seule ville qu’y aient les Hollandais est appelée la Ville du Cap ; elle a mille maisons , construites en briques et blanches à l’extérieur, mais couvertes de chaume , à cause de la violence des vents ; les rues en sont larges , commodes , coupées à angles droits un canal ombragé de chênes assez beaux , traverse la rue principale ; les canaux qui la coupent ont uns pente si rapide qu’il a fallu les hérisser d’écluses. Les hommes y ont des coutumes diverses ; mais les femmes s’y asservissent aux modes de la mère-patrie avec tant de fidélité , que toutes font porter encore une chaufferette devant elles , quoiqu’elle leur soit fort inutile elles sont belles en général, ont la peau fine , et le teint beau ce sont des modèles comme femmes, mères et ma'tresses de famille. Le principal commerce du pays consiste dans les rafraîchisse mens qu’on y vend aux vaisseaux qui viennent y relâcher. L’air est sain au cap les maladies apportées d’Europe s’y guérissent promptement mais celles d’Asie sont plus tenaces l’industrie y a suppléé à la stérilité du sol ; et on y trouve l’abondance des choses nécessaires réunies avec les commodités du luxe le bœuf et le mouton originaires du pays y sont excellons ; les derniers sont couverts d’une toison qui tient le milieu entre ton 3 s a c q TT » s Cook. 26ZI -Ja laine et le poil, ils traînent de longues et pesantes queues ; les vaches y sont petites , leur taille est élégante, leurs cornes longues et écartées , leur lait donne du très-bon beurre et du fromage très-médiocre ; les cochons, la volaille y sont abondons les lièvres y ressemblent à Ceux d’Europe ; les gazelles y sont d’espèces diverses on y trouve deux espèces de caille et des outardes les jardins y rapportent tous nos végétaux , tous nos fruits , ceux du plane, des goyaves , des jambos ; le froment et l’orge prospèrent dans les champs cultivés ; parmi les vignobles , celui de Constance donne seul un vin. estimé. A l’extrémité de la rue haute est le jardin de la Compagnie , long de deux tiers de lieue, partagé à angles droits .par des allées plantées de chênes qui produisent un ombrage agréable dans celle du milieu ; ces arbres y ont toute leur hauteur ; ailleurs ils ne forment qu des palissades on y cultive des légumes deux quarrés y sont destinés à la botanique au bout est une ménagerie qui renferme des quadrupèdes et des oiseaux qu’on n"’a point vus en Europe tel est le coe-doe , grand comme un cheval, et dont la tête est ornée de grandes cornes spirales. Les habitations des Hottentots les plus voisines de la ville en sont à quatre journées de marche ceux qui servent les Hollandais sont plus maîgres que gras , forts , très-vifs, très- actifs leur taille est ordinaire , leurs yeux sont ternes et sans vie , leur peau est couleur de suie, 264 ÎKïMiBS Vor AGI leurs cheveux sont frisés en boucles pendantes de 7 à 8 pouces de long leur lxabit est une peau de mouton jetée sur les épaules une ceinture ornée de verroterie suspend une petite poche dans les hommes , un large tablier de cuir dans les femmes ; tous portent des colliers , plusieurs des bracelets de verre ; ils entourent leur cheville du pied d’un cercle de cuir dur pour la défendre des épines; quelques-uns ont des sandales de bois ou d’écorce ; plusieurs vont nuds-pieds leur langue grossière est distinguée par une espèce de gloussement, qui sert à en marquer les phrases à peine articulées leur modestie est stupide leurs danses sont alternativement lentes ou rapides à l’excès la mesure de leurs chansons est prompte ou lente comme leurs danses. Ils forment des tribus qui se distinguent par leurs usages ; elles vivent en paix, excepté l’une d’elles , fixée à l’orient , qui ne vit que de pillages nocturnes , qui est armée de lances et de zagayes empoisonnées ils lancent une pierre avec tant de force et d’adresse , qu’à cent pas de distance ils frappent plusieurs fois de suite un but de la largeur d’un écu. On se défend de l’attaque de ces voleurs en dressant des taureaux qui, à leur approche, se rassemblent et s’opposent à eux , jusqu’à ce qu’ils entendent la voix de leurs maîtres , à laquelle ils obéissent avec la docilité d’un chien quelques-unes de ces tribus connaissent, l’art de fondre, de préparer le cuivre , et ds travailler le 1er leurs chefs sont riches en bétail, et couverts de peaux de lions , de tigres ou de de Jacques Cook. s65 zèbres, bordées de franges ils s’oignent souvent le corps d’une graisse quelquefois rance , et quelquefois avec du beurre l’amputation d’un testicule , le tablier naturel des femmes nous ont paru exagérés, etn’ètre que des faits particuliers. La baie du cap est large, sûre et commode, ouverte aux vents de nord-ouest, qui rarement y souillent avec force près de la ville est un. quai en bois, qui se prolonge assez loin pour servir à la facilité des débarquemens et des em- barquemens des canaux y conduisent de l’eau douce on y entretient de grandes chaloupes pour porter des provisions aux vaisseaux à l’orient de la ville , sur la grève , est un fort quarré qui défend la baie , aidé des redoutes et des batteries qui s’étendent le long de la côte ; mais ces défenses sont exposées à l’artillerie des vaisseaux la garnison est de 800 hommes, et la milice du pays, rassemblée par des signaux, peut assez promptement s’y joindre. Les Français de Fisse de France tirèrent, en 1770, dix cap, 5 o 0,000 livres de bœuf, 400,000 de fleur de farine , autant de biscuit, et 1200 tonneaux de vin. Nous levâmes l’ancre et approchâmes de Fisse Robe ou Pénquiri , dont les Hollandais nous interdirent l’entrée , parce que c’est là qu’ils relèguent les criminels qu’ils y emploient à tirer de la pierre à chaux des carrières , et qu’un vaisseau Danois y en avait enlevé peu de temps auparavant. Il ne nous arriva rien de remarquable jusqu’au 29 , que nous traversâmes notre -% 66 Premier Voyage premier méridien , après avoir fait le tour du globe du levant au couchant. Le 1 mai, nous découvrîmes l’isle Ste. Hélène , et nous jetâmes Lauere devant le fort James. L’isle est située au milieu de l’océan Atlantique , à 4 °° lieues de l’Afrique , à 602 de l’Amérique c’est une montagne immense où la mer est sans fond elle fut le sommet d’un volcan l’affaissement de la •terre qui forma ses vallées profondes, a été l’effet d’un feu souterrain qui a consumé ses pierres , et les a amalgamées avec des corps étrangers , tels que la marcassitc. De loin, cette isle qui a 12 milles de long sur 6 de large , ne présente qu’un amas confus de rochers bornés par des précipices , composés d’une pierre à moitié friable et sans indice de végétation. On découvre ensuite la vallée Chapel, où est située la ville son sol est revêtu d’une herbe clair-semée; mais des rocs nuds la bordent c’est dans les vallées de l’intérieur qu’on découvre le plus de fertilité. La ville est sur le bord de la mer son église, ses halles tombent en ruines , ses maisons sont la plupart mal bâties ; tous les blancs y sont Anglais ; la compagnie à qui Ste. Hélène appartient , ne leur permet pas d’y commercer c’est des rafraîchissemens qu’ils fournissent aux vaisseaux , qu’ils tirent seuls leur subsistance , et cependant ils ne cultivent pas le sol aussi bien qu’il pourrait l’être 5 elle pourrait produire les végétaux et les fruits de l’Europe et de l’Inde ; sur ses hautes montagnes croît le chou palmiste } sur ses coteaux prospèrent le bois rouge et le D L Jacqïis Cook. %6j gommier ; ses plaines sont courertes de plantes d’Europe et des plus communes de celles des Indes ; on n’y entretient des chevaux que pour la selle tout le travail s’y fait par des esclaves , qui paraissent assez misérables. Parmi ses productions , on peut compter l’ébène ; il est très-noir , et d’une dureté qui approche de celle du fer , mais il est très-rare on y trouve peu d’insectes sur le sommet des plus hautes montagnes , on voit une espèce de serpent. Nous sortîmes de cette isle arec i3 vaisseaux, que le notre ne put suivre nous approchions du terme de notre course , lorsque mon lieutenant Jlicks expira ; il était attaqué de consomption en quittant l’Angleterre , il en fut consumé durant tout notre voyage , mais depuis notre arrivée à Batavia, il avait vu la mort s’approcher rapidement. Ce fut seize jours après , que lé même matelot qui découvrit la Nouvelle Zélande nous annonça les côtes de notre patrie $ et le ia> juin, nous jetâmes l’ancre à Douvres. ^5MK^ s ^v • warnt*- GHM- . . A. ^ 'tzk G' ' './-" ’5 .• y •?{;'• ih.» W * ' ' • v' >'ï» ' >êi, M’-' - •• !» 1 HISTOIRE ABRÉGÉE DES VOYAGES. HISTOIRE ABRÉGÉE DES PREMIER , SECOND E T TROISIEME VOYAGES, AUTOUR DU MONDE, Par COOKj Mise à la portée de tout le monde , par Bérenger. TOME SECOND. fi b 3 3ô £& Vs A B A S L E , Bk sachez J. J. Thurneysen. - M MW 1 7 9 5. KATALOG /A Y QiT Y V\. ^ I A X A X .X 4 n s HISTOIRE ABRÉGÉE DES VOYAGES FAITS AUTOUR DU MONDE. SECOND VOYAGE DE JACQUES COOK. e •voyage eut pour objet de s’assurer si la partie inconnue de l’hémisphère austral renfermait un vaste continent, d’y faire des découvertes , de fixer 'ce que les découvertes des Navigateurs laissaient d’incertain encore. Pour remplir cet objet avecsuccès, il fallait connaître la grandeur et la forme des vaisseaux les plus convenables pour faire des découvertes 5 ils doivent pouvoir contenir assez de munitions et de provisions pour nourrir l’équipage pendant un espace de temps considérable,être d’une construction solide et ne pa stirer beaucoup d’eau ils doivent être enfin tels que l’ Eruleavour. On acheta donc deux vaisseaux ; l’un , de 462 tonneaux, fut nommé la. .Résolution , l’autre, de 336 tonneaux, fut appel» Tome II. A 3 Second Voyage l ’Adventure l’âventure ; on voulut d’abord les doubler en cuivre , mais comme ce métal ronge les ferrures ,on suivit l’ancienne méthode le premier vaisseau fut monté par 112 hommes , le second par 81 , tous hommes choisis , surtout les officiers ; on pourvut avec soin les vaisseaux de tout ce qui pouvait leur être nécessaire; ils eurent les meilleures munitions , les meilleures provisions pour plus de deux ans au gruau d’avoine on substitua le froment , à l’huile le sucre on ajouta aux provisions ordinaires de la drêche, du Sauerkraut, des tablettes de bouillon portatives , du salep , de la moutarde , de la marmelade de carotte , du jus de moût de bierre épaissi lés premiersobjet sétaient déjà reconnus comme de bons anti scorbutiques , les autres devaient être éprouvés relativement à ce but; on embarqua aussi sur chacun des vaisseaux les matériaux préparés pour faire une patache du port de 20 tonneaux , si la nécessité ou l’utilité le demandaient ; on les fournit de filets de pêche , de lignes , d’hameçons, de toutes sortes de marchandises pour échanger avec les Indiens , ou pour gagner leur amitié ; d’habits pour les climats froids, et des meilleurs instrumens astronomiques. On engagea Williams Hodges , peintre de paysage ; M. Reinhold Förster et son fils, naturalistes célèbres , et M. Williams Wales et Bayley , astronomes, à s’embarquer avec nous. Je fis voile de Deptlord le 9 avril 1772 , sur le vaisseau la Résolution , accompagné de Ï'A- d jr Jacques Cook. 3 tenture ; mais les vents contraires, et l’expérience qui m’apprit que mon vaisseau portait mal la voile , ne nous permirent d’entrer dans le canal dePlymouth que le 3 de juillet. C’est là que je reçus mes instructions le premier objet de mon voyage était de retrouver le cap de la Circoncision découvert par M. Bouvet , sous le 5 o e . degré de latitude méridionale , et vers le e . de longitude , de m’assurer s’il était une isle ou une partie du continent , d’y faire des recherches et des observations de toute espèce , de reconnaître les hab i tan s et de s’en faire aimer. On m’enjoignait ensuite de m’approcher du pôle austral autant qu’il était possible , d’y chercher un continent, et de découvrir les isles qui peuvent être dans cette partie inconnue. Avant de sortir du port , nous fûmes exposés à. faire naufrage 3 le bâtiment avait été amarré à une petite bouée qui, ne pouvant supporter des efforts violens , dériva promptement ainsi que le vaisseau la promptitude à déplier les voiles et à dégager les manœuvres nous sauva. Le i 3 juillet , nous sortîmes de Plymouth je jetai un dernier regard sur les montagnes fertiles de l’Angleterre , et je fus attendri la beauté du matin, le spectacle des vaisseaux qui marchent sur la mer éclaircirent mes tristes idées. Nous passâmes devant la tour élevée d distone , fanal utile aux navigateurs et nous frissonnâmes de crainte , en pensant au sort des gardes solitaires qui sont souvent obligés d’y passes trois mois sans communiquer avec personne 5 A s 4 SïCOKD VOYAftB à celui de Winstanley, qui fut écrasé par la chute du premier édifice qu’il venait d’élever , et au mouvement de la tour actuelle , lorsqu’elle est assaillie par les vents furieux et les vagues émues. Plus bous nous éloigmons-de la côte , plus le yent augmentait les vagues devenaient plus élevées , le roulis était plus violent le mal de mer saisit ceux qui n’étaient point accoutumés à naviguer , et meme quelques matelots accoutumés à vivre feur l’Océan le vin de Porto , brûlé avec des épices et du sucre , termina ou soulagea leurs maux après trois jours de douleur. Le 20 , nous découvrîmes et passâmes le cap Ortegal sur la côte de Galice ses environs sont montueux ; ses rocs pelés et blancs sont surmontés par des montagnes dont le sommet est couvert de bois on y vît des champs de bled presque mûr , et des cantons semés de bruyère. Deux jours après on vit le fanal de Corunna l’air était calme , la mer unie ; des champs cultivés, des enclos, de petits hameaux, des maisons de plaisance , variaient agréablement la cime des monts ; autour de nous flottaient des myriades de petits crabes d’un pouce de diamètre , de l’espèce appelée par Linnæus Cancer depurator. Ce spectacle nous inspira de la gaieté sur le soir nous vîmes une tartane Française qui portait de la farine dans deuxports d’Espagne los vents avaient retardé leur route, ils manquaient d’eaù , et vivaient de pain et d’un peu de vin 5 des frégates espagnoles leur avaient refusé des secours ; nous remplîmes leurs de Jacques Cook. H futailles , et ils nous comblèrent de bénédictions. Le lendemain 24 > nous rencontrâmes trois vaisseaux de guerre espagnols le dernier portait pavillon anglais , mais il l’abattit dès qu’il eût vu le notre , prit le sien, et tira un coup dé canon sur chacun de nos vaisseaux nous mimes à la cape ; il nous demanda qui nous étions, nous le satisfîmes ; mais aux questions que nous lui fîmes à notre tour , il ne fit que répondre Je vous souhaite un. bon voyage. Nous nous en éloignâmes un peu 'humiliés de notre faiblesse. D’autres objets vinrent nous distraire ; des marsouins jouaient autour de nous pendant le jour , et la nuit, la mer paraissait lumineuse, sur-tout au sommet des vagues et dans le sillage du vaisseau des masses d’une lumière pure éclairaient la surface des flots , et il S’ën élançait de petites étincelles brillantes. Le 28 , nous découvrîmes Porto Santo , isle de cinq à six lieues de long , dont le sol stérile est coupé de vignobles qui offrent cependant un beau tapis de verdure. On y compte 700 habi- tans. Plus loin on voit Madère , les Isles désertes et Santa Crux ; leurs montagnes coupées par des vallées profondes, des maisons situées parmi les vignes et des cyprès élevés embellissent leurs coteaux , et tout le pays est très-pittoresque. Le soir du lendemain notts mouillâmes à Funchiale dans l’isîe de Madère ; je saluai, je fus salué à mon tour , et nous débarquâmes. Funchiale est bâtie en amphithéâtre autour de la baie , et sur la A 3 Ç SeCDîTD "V O T A G 7. pente des collines qui la bordent ses maisons sont blanches , à deux étages , couvertes de toîts bas , d’une architecture simple et d’une élégance orientale des plate-formes, différentes batteries donnent sur la mer un vieux château situé sur un r oc noir que la mer entoure lorsqu’elle est haute , commande la rade un autre commande la ville les collines qui sont derrière sont couvertes de vignes , de plantations , de bosquets , de maisons et d’églises , elles rappellent l’idée des jardins supendus de Sémiramis. La ville même détruit le charme du paysage ses rues sont étroites , mal pavées et sales , les maisons de pierres ou de brique $ elles sont sans vitres , un treillis en tient lieu des boutiques et des magasins sont au rez-de-chaussée les églises, les monastères sont bâtis sans goût , obscurs au dedans , décorés par des ornemens entassés et mesquins. Nous allâmes chercher des plantes dans l’intérieur du pays , et en suivant un ruisseau, nous arrivâmes à un bocage de châtaigniers , voisin du sommet le plus élevé de l’isle Lair y était vif, et une jolie brise le rendait plus frais encore de-là nous promenions nos regards sur l’isle et nous nous en entretînmes elle a dix-neuf lieues de long et trois et demi de large Gonzales Zarco la découvrit en Funcliiale est sa seule Cité , elle a sept autres villes. Le gouvernement y est à la tête de tous les départemens civils et militaires un Corregidor nommé par le Roi , amovible au gré delà Cour, y administre la de Jacques Cook, j justice chaque judicature a un sénat, présidé par un juge élu dans l’isle les marchands étrangers élisent le leur les domaines et les revenus du Roi montent à environ 2,700,000 livres la paie des officiers civils et militaires, celle des troupes, Fentretien des bâtimens publics , enlèvent la plus grande partie de cette somme cent soldats réguliers , 3 ooo hommes de milice composent les forces de l’isle, se rassemblent sous, le drapeau une fois Fannée et s’exercent pendant un mois. On y compte 1200 prêtres séculiers , la plupart instituteurs des enfans des particuliers il n’y a d’école publique qu’un séminaire, où un prêtre instruit dix étudians 1 pour entrer dans les ordres , il faut avoir étudié à Coimbre. Un évêque, un chapitre, un doyen y président sur tout le Clergé le premier a eu vin et bled un revenu qui équivaut à 6 j 5 oo livres 5 o ou 60 franciscains sont dispersés dans quatre monastères ; les religieuses n’en ont pas davantage, et y sont au nombre de 3 oo. Toute l’isle est divisée en 43 paroisses, qui renferment environ. 6400 habitans. Le climat y est excellent en été, il est doux et tempéré ; il y a peu d’hiver ; la neige demeure plusieurs jours sur les hauteurs , mais disparaît en un jour dans les plaines les hommes y ont un teint basané ; ils sont bien faits , et ont le pied large. Ces insulaires ont le visage oblong , les yeux et les cheveux noirs les femmes sont petites , brunes , sans, couleurs et sans grâces, dans leur maintien. La culture y est peu per- A4 8 Second Voyaoe sectionnée , un gouvernememt trop dur s’y oppose ; cependant on y est gai on y travaille en chantant, et le soir on se rassemble et se délasse en dansant au son d’une guitare les plus malheureux habitent dans les villes les femmes y vivent enfermées , et les hommes nourrissent leur orgueil de quelques vieux titres ; ils sont insociables , ignorans, et ridiculement graves. Toutes les terres v appartiennent à un petit nombre de familles qui habitent dans les villes. L’isle n’est qu’une grande montagne dont les flancs s’élèvent du fond de la mer au centre est une vallée , toujours couverte d’une herbe délicate et tendre. Toutes les pierres semblent avoir été brûlées , elles sont noirâtres, percées, et plusieurs sont de la lave ; le sol est un terreau mêlé de craie , de chaux et de sable , il semble qu'elle fut un volcan dont la vallée était le cratère. Des sources d’eaux y descendent des parties hautes dans les vallons et les crevasses profondes dont 1 isle est découpée j on n’y voit pas de plaines , ses petites rivières sont des torrens qui entraînent les pierres des collines ; des canaux en conduisent l’eau dans les vignobles , auxquels la chaleur du climat rend l’arrosement nécessaire. Par-tout où il y a desterrainsunis , on en fait des plantations d’eddoes , renfermées par lin fossé où se rassemblent des eaux stagnantes qui servent à les fertiliser les cochons mangent les feuilles, et les hommes les racines de cette DK Jacques Cook. y plante. On y consomme beaucoup de patates douces et des châtaignes le bled, l’orge succèdent au vignoble épuisé , mais ils ne suffisent qu’à la consommation de trois mois on bat le bled en plein air sur la terre durcie, avec une planche quarrée , hérissé de clous , traînée par deux bœufs par-tout où l’on peut planter une vigne , elle y est bientôt des sentiers bordés de murs les séparent on y forme comme des espèces de berceaux en treillages de bambous , sur lesquels le sarment s'appuie le raisin y est élevé à l’ombre ; on peut facilement arracher les mauvaises herbes , et couper les grapes, dont quelques-unes pèsent jusqu’à six livres. Le vin n’y est pas par-tout d’une égale bonté, ni d’un prix égal le malvoisie, produite par un plant tiré de Candie , est le meilleur un inuid en coûte plus de 600 livres le plus commun ne vaut que la moitié de ce prix on croit qu’on en recueille annuellement 4^000 muids. Ces vignes sont enceintes de murs , de haies de poiriers , de grenadiers , de et de rosiers sauvages les jardins produisent des pèches, des abricots, des coins , des pommes, et autres fruits d’Europe, ainsi que des bananes , des goyaves et des pommes de pin le mouton , le bœuf y sont petits et de bon goût les chevaux sont petits aussi , mais ils ont le pied sûr , et ils grimpent avec agilité les bœufs y sont attelés à des traîneaux, qui sont les seuls voitures qu’on y connaisse. Parmi les bêtes sauvages, on ne remarque que lo Second V o y a o s le lapîn gris parmi les oiseaux sont i’épervier j la. corneille, la pie, l’alouette, l’étourneau , l’emberiza, les moineaux, le pigeon ramier , l’hochequeue , le rouge-gorge , l'hirondelle qui y passe un hiver de quelques jours dans des crevasses , la perdrix rouge , l'oxia , le pinçon , le chardonneret, le canari r la volaille telle que les poules, les canards, les oies, les coqs d'Inde y sont rares il n’y a point de serpens , mais tout y fourmille de lézards j il y a peu d’insctes. Madere et les isles voisines ne manquent pas de poissons. Funchiale est sous le 32 33' 3/p de latitude septentrionale sous le i° 23' de longitude. Après y avoir pris de l'eau, du vin et quelques provisions , nous en partîmes par un vent frais le 4 Août nous dépassâmes TPaima , Isle haute qu'on découvre de quatorze lieues au loin sur la mer, qui fait partie du groupe des Canaries connu des anciens sous le nom à’Isles fortunées y oublié ensuite jusqu’à la fin du quatorzième siede autour de nous , on apperce- vait la bonite et le dauphin poursuivant le poisson volant qui leur échappait dans l’air , il vole dans toutes sortes de directions, en ligne droite, en ligne courbe, perce les vagues et les traverse ces poissons forment des bancs immenses souvent en échappant à l’avidité qui les poursuit, ils trouvent des boubies , des frégates , des oiseaux du tropique , et autres tyrans de l’air qui les dévorent. Et nous disions quel Empire ne ressemble pas à l’océan ? quel gouvernement; dz Jacques Cook. iz peut-on citer où les grands armés du pouvoir , éblouis de leur magnificence , n’oppriment point le faible et le malheureux sans appui ? Nous vîmes aussi l’isle Fero , et c’est après l’avoir dépassée , que nous fîmes de la bierre , en mettant une mesure de jus épaissi de la drêche dans dix mesures d’eau ce mélange joint au roulis du bâtiment et à l’air , y excita une telle fermentation , que plusieurs des futailles se défoncèrent avec une explosion aussi forte que celle d’un fusil, précédée toujours d’une espèce de vapeur la ,fumigation du soufre l’arrêtait pour quelques jours peut- être le mélange d’un esprit double distillé saurait empêchée. Déjù nos livres et nos meubles se couvraient de moisissures ; le fer , l’acier commençaient à se rouiller , il fallut fumiger le vaisseau avec de la poudre à canon et du vinaigre des •particules salines , des parties animales pu - trifiées journellement dans la mer, peuvent produire ces effets. Peut-être la chaleur des tropiques volatilise l’acide marin qui attaque ces métaux 3 il se peut aussi que cet acide entrant dans les poumons et dans les pores, devienne salutaire aux pulmoniques , raffermisse les fibres relâchées par la chaleur, et arrête la transpiration trop violente. Nous résolûmes de toucher à St. Yago pour faire de l’eau , et le 9 nous, découvrîmes les isles qui en sont voisines ; dès le lendemain nous jetâmes l’ancre dans le Port de Fraya- t* S-Eco K TJ Voyage que nous cherchions. C’est une petite baie sur la côte méridionale de l’isle , facile à reconnaître par une colline ronde et pointue qui en est voisine, un fort la protège, nous fîmes de l’eau à un puits qui est à son entrée ; elle est bonne , mais peu abondante , et la houle en rend l’approche difficile. On peut y acheter des boeufs dont le commerce est dans les mains d’une compagnie exclusive, des cochons, des moutons qui y sont mauvais , des chevres maigres qui sont de l’espèce antilope , de la volaille et des fruits. St. Yago, la plus grande des isles du Cap Verd , porte le nom de sa capitale , située au centre du pays, et le siège de l’évêque on y compte 4 -ood maisons divisées en quatre paroisses. Praya est sur un rocher escarpé où l’on monte par un sentier serpentant vers la mer ses murs tombent eu ruines ; vers la terre elle a un mauvais parapet de pierres sèches quelques cabanes y tiennent lieu de maisons. L’isle est peu peuplée les babitans sont de taille médiocre , laids , presque noirs , les cheveux lainés et frisés , les lèvres grosses comme les nègres peut-être le climat , ou leur alliance avec les nègres ont rapproché ces deux peuples on y voit peu de blancs les habitans les plus distingués portent de vieux habits que les matelots Européens leur vendent , le plus grand nombre n’est vêtu qu’en partie les femmes y sont laides , leurs épaules sont couvertes d’une longue corde de coton à franges qui descendent jusqu’aux t> e Jacques Cook. i3 genoux pardeyant et' par-derrière les enfans impubères sont nuds un climat brûlant y rend l’homme indolent et paresseux ; ils mandient avec insensibilité et fuient le travail qui trouble leur repos sans augmenter leurs jouissances la sol y est brûlé, la végétation s’y détruit dès que les pluies lui manquent, et la population y est très-faible. Les isles du Cap Yerd sont montueuses, mais les collines inférieures y sont couvertes de verdure et sont coupées par des vallées l’eau ne s’y trouve que dans des mares et des puits il y a cependant une rivière qui se décharge à Izibeira dans l’isle St. Yago près de Prava est une vallée plantée de cocotiers , de cannes à sucre , de bananiers , de cotonniers, de goyaviers , mais les broussailles y prospèrent plus encore. Une nation active et libre pourrait y faire croître le café , l’indigo , la cochenille ; une nourriture saine y remplacerait les racines; et des maisons agréables les trous que les hommes y habitent. S. Yago est couverte de pierres qui paraissent être de la lave ; le sol y est une espèce de charbon de terre et de cendre ocreuse ; les rochers sur la côte sont noirs et brûlés ils annoncent un ancien volcan , et l’isle Fuego n’est encore qu’une montagne brûlante l’intérieur du pays a des montagnes escarpées et sourcilleuses , ce sont peut-être les volcans les plus anciens. Nous y avons trouvé peu de plantes du tropique et point d'inconnues, quelques nouveaux insectes , ï4 Second Voyage de nouveaux poissons et différens oiseaux , tel» que la poule de Guinée , qui court vite et vole rarement. Les cailles et les perdrix rouges y sont très-communes ; mais l’oiseau le plus remarquable est le martin pêcheur , qui se nourrit de gros crabes de terre rouges et bleus qui remplissent les trous de ce sol sec et brûlé on y voit beaucoup de singes. Nous nous rembarquâmes à la fin du jour ; la houle nous força de nous déshabiller pour'nous rendre à nos chaloupes, et nous courûmes le danger d’être mordus par les goulus de mer qui sont nombreux dans le havre des raffales et eut dès que nous fûmes en mer, le temps fut épais et brumeux un soir nous vimes un metéore lumineux d’une forme oblongue et d’une couleur bleuâtre j sa forme fut rapide et il disparut bientôt. Une hirondelle suivait notre bâtiment et se juchait le soir sur un des sabords le jour elle voltigeait autour du vaisseau des bonites jouaient aussi sur les ondes , mais nous n’en pûmes prendre un goulu fut moins défiant il fut amené sur le port avec 4 poissons suceurs qui s’étaient attachés à lui ; sa chair frite est bonne , mais sa graisse le rend difficile à digérer. Le 19 août , un charpentier sobre et bon ouvrier, arrangeant un des écoutillons , tomba dans la mer et disparut tous nos efforts pour le sauver furent inutiles nous le regretâmes longtemps. Nos futailles commençaient à se vuider une pluie qui tombais en toriens le$ »emplit ; des ondees de pluie nous atteignii D L Jacques Cook. i5 ç’est un grand besoin que l’eau fraiclie sur la mer ; en la buvant, le sang se délaie, on répare la perte causée par une transpiration abondante, et alors on a moins à craindre les maladies putrides , sur-tout si l’on change souvent de linge. Je reviens à notre hirondelle $ dans la solitude de l’Océan un oiseau intéresse , et j'en vais raconter la mort. La pluie avait détrempé son plumage , elle se laissa prendre ; on la sécha , on lui permit de voltiger dans la chambre , et cette prison ne parut pas l’affliger on ouvrit les fenêtres à midi , elle s’élança dans l’air libre, revint le soir , s’envola le matin , et revint nous trouver encore. Elle paraissait sentir que nous ne lui voulions point de mal , et passait sans trouble une partie du jour dans la chambre de l’un de nous ; mais bientôt elle disparut pour jamais. Peut-être elle entra dans le poste de quelque matelot, qui la tua pour en nourrir son chat ; peut-être le chat même lui épargna cette peine, j^insi presque toujours la familiarité des oiseaux avec nous leur est fatale. Le 22 nous éprouvâmes un calme parfait, qui fut suivi de raffales, de pluies, de chaleurs étouffantes ; le thermomètre était à midi de 79 à 82° pendant ce temps , la mer nous offrit des poissons longs de quinze à vingt pieds ; c’étaient des Dauphins peut-être , parmi lesquels nous remarquâmes des Sauteurs , qui sont d’une couleur brunâtre nous étions alors au midi de la côte de Guinée , et la vue de ces poissons surprit nos officiers, qui st’ea yoientpas ordinairement i 6 Second Voyage dans ces parages. Nous n’avions point de malades , malgré les effets de la pluie dans ces climats chauds ; c’était l’effet sans doute de nos soins pour faire aérer et sécher le vaisseau , y allumer des feux entre les ponts , fumer l’intérieur, obliger les équipages d’exposer à l'air leurs lits et tenir leurs habits propres. Le 27 nous vimes des mouettes, des frégate», des oiseaux de tropique qui ne volent jamais loin de la terre ; cependant nous nous en croyions encore à quatre-vingt lieues nous mesurâmes le courant, il portait au Nord d'un tiers de mille par heure; le thermomètre en plein air se tenait à d. ÿ. , à la surface de l’eau il descendait au 74 j à 8o brasses de profondeur , il fut au 66 e . degré. Le î septembre , nous vimes un diable de mer à sa forme extérieure , on l’eut cru du genre des rayes ; mais il paraît être une espèce nouvelle de poissons volans et leur ennemi, les bonites reparurent nous primes un dauphin dont la chair est sèche , mais la vivacité inimitable de ses couleurs qui changent continuellement d’une teinte à l’autre , tandis qu’il meurt, présentait un des spectacles les plus admirables qui puisse s’offrir aux regards d’un voyageur. Le 8 septembre , nous passâmes la ligne et fîmes la cérémonie ordinaire la gaîté qu’elle inspire, les ablutions forcées mêmes ne nuisent point à la santé. Le vent était favorable , le temps beau , nous avancions rapidement, des oiseaux noua annonçaient la terre ; peut-être venaient-ils des isles Ascension ou S. Mathieu, que nous laissâmes de Jacques Cook. 17 saints à peu de distance quelquefois la mer nous paraissait couverte d’animaux de la classe de^ mollusca , et que nous nommâmes glanais dtlan,- tiens. L’rn d'eux, dont la couleur était bleue, avait la forme d’un serpent et quatre pattes divisées en plusieurs brlilmhes d’autres étaient trans- parens comme des cristaux , et en s’unissant, formaient de longues chaînes nous vîmes aussi celui que les Portuguais nomment vaisseau de guerre, et les Anglais salée. Nous apperçumès un vaisseau auquel nous ne parlâmes point, pour 11e pas perdre de temps ; nous commencions à sentir le froid, qnoiquhipeine parvenus sous le 2 5 e . degré de latitude ; mais nos corps relâchés par la zone torride v étaient devenus plus sensibles. Vers le 4 octobre, nous vîmes pour la première fois de petits petrels à couleur de suie et à croupion blanc , des pintades et des albatrossés , et le 11 nous obssrvârnes une éclipse de lune , qui fixa la ' longitude du lieu où nous nous trouvions de nouveaux oiseaux parurent avec ceux dont nous avons parlé tels sont le coupeur d’eau et la petite hirondelle de mer sur la mer nous découvrîmes U hélix Janlfi ina, coq ni! läge d e cou leur violette, qui n’est point le purpura d~s anciens, remarquable par la minceur extrême de sa texture , et qui semble destiné à fuir les coms bordées de rochers un lion marin fut pris pour un homme tombé dans la mer et fit pousser des cris d’ail arm es ; on revira sur-le-champ , on ne vit rien ; on fit l’appel, il ne manqua personne j Tome IL JB î8 Second V o y a b nos amis de l’Aventure nous apprirent ce qui nous avait trompés. n Parvenus sous le parallèle de Tristan de Cunha, nous vîmes une grande baleine et un* espèce de goulu de couleur blanchâtre , ayant deux nageoires sur le dos , et long d’environ vingt pieds ; nous nous régalâmes de quelques alba- tross dont nous examinâmes deux espèces malgré ces événemens passagers , l’ennui d’une longue navigation commençait à nous gagner la vie solitaire et monotone des vaisseaux nous attristait; des observations d’histoire naturelle parvenaient à nous distraire. Nous approchions du cap de Bonne-Espérance ; déjà les oiseaux de mer commençaient à nous quitter pour faire place à l’oiseau noir ou Poule du Cap , que nous découvrîmes avec la terre, après une navigation plus heureuse que ne nous l’avaient promise des hommes expérimentés qui s’attendaient à de longs t f’réquens calmes , et à des ouragans dans le voisinage de la ligue dans le temps où nous la passâmes. Ce fut le 29 que nous découvrîmes la montagne de la Table nous forçâmes de voiles pour gagner la baie avant la nuit et nous ne pûmes y réussir nous la passâmes à louvoyer. Là nous vîmes la mer toute en feu , phénomène sur la cause duquel nous n’élio»s pas d’accord je fis tirer quelques seaux d’eau , et nous y trouvâmes une quantité innombrable de petits insectes trans- parens et globuleux , de la grosseur d'une tâte d’épingle ordinaire, d’unçsubstance gélatineuse de Jacques Cook. joj panel l'eau était en repos , leur nombre paraissait diminuer et la lumière se dissipait insensiblement , en l’agitant on lui rendait son éclat, et les binettes se mouvaient dans des directions contraires aux ondulations de l’eau en remuant l’eau avec la main , une étincelle lumineuse s’attachait aux doigts -, et avec une forte lentille , nous découvrîmes l’orifice d’un petit tube qui entre dans le corps de cet atome dont quatre ou cinq sacs intestinaux remplissaient l’intérieur. On ne put faire de découvertes plus exactes pour connaître leur nature et leurs organes ; le toucher les gâte , et ils n’offrent plus qu’une masse confuse de linéamens flottans nous soupçonnâmes qu’ils étaient le frai d’une espèce de méduse ou d'ortie de mer tel était l'animalcule qui couvrait l’Océan dans un grand espace, se mouvait d’un lieu à un autre , jouissait de la facilité de briller quand il lui plaît, et d’éclairer tous les objets qu'il touche la mer paraissait enflammée ; le sommet de chaque vague semblait un. phosphore , une ligne lumineuse marquait la trace du navire de grands corps de lumière se remuaient à nos côtés, quelquefois avec lenteur, quelquefois avec vitesse ; iis s'éloignaient, se rapprochaient de nous , avaient la forme des poissons , et lorsque les plus gros approchaienC des petits , ceux-ci se retiraient on hâte. Le jour naissant nous fit voir un beau ciel, et nous vînmes mouiller dans la baie delà Table, à un mille du débarquement , près du fort ; bientôt nous reçûmes la visite des officiers d, B L » 2S Second Voyage la Compagnie , qui venaient examiner les vaisseaux, la sauté des équipages, et s'assurer si la petite vérole était à bord , maladie redoutable an Cap. J’allai visiter le Gouverneur qui me reçut avec politesse et m'apprit que des vaisseaux de l'isle Maurice avaient découvert une terre sous le méridien de cette isle , et le Jd. de latitude méridionale , et qu’un coup de vent les en avait écartés. Nous fumes frappés du contraste qu’offre cette colonie et S. Yago dans celle-ci le sol susceptible de culture , est négligé de ses liabitans paresseux et opprimés au Cap, on voit une ville propre et bien bâtie au milieu d’un désert entouré de masses de roc , entrecoupé de montagnes noires et effrayantes ; au bord de l’eau sont les magasins les maisons sont répandues derrière sur un coteau légèrement incliné j il n'y a qu’une église , les Luthériens y ont une chapelle, mais n’y peuvent avoir un Prêtre ; ils sont obligés de se servir des Aumôniers Danois ou Suédois , qui abordent au Cap. Les esclaves ne paraissent y avoir aucune Religion , et on ne s’en occupe pas. La Compagnie a plusieurs centaines d’esclaves qui logent, vivent et travaillent dans une maison spacieuse un autre grand bâtiment sert d’hôpital aux matelots des vaisseaux de la Compagnie , et il en est ordinairement rempli entassés dans un vaisseau , sous la zone torride , vivant à petites rations de viandes salées , la fièvre et le scorbut les moissonnent on leur y donne des médicamcns ; mais % de Jacques Cook. sr les pins salutaires sont les provisions fraîches et un air pur ; près d’eux est le jardin où l’on cultive les herbes potagères, les antiscorbutiques, il est défendu contre les tempêtes destructives par de hautes allées de chênes, qui forment les seules promenades aérées et couvertes qu’on trouve dans ces climats chauds. Nous nous établîmes dans la maison de Mr. Brands dont les soins empressés nous furent utiles pour trouver des provisions et pourvoir à nos besoins tandis qu’on s’en occupait, nous fîmes des excursions botaniques dans la campagne le sol bas et marécageux près de la mer s’élève insensiblement de tous les côtés vers les trois montagnes qui forment le fond de la baie 1* bas est couvert de quelque verdure ; les cantons élevés ont un aspect horrible et sec ; mais on y voit des buissons dispersés , habités par des lézards , des serpens , des tortues, des oiseaux, et une grande variété de plantes quelques plantations sont élevées dans les lieux qu’un filet d’eau fertilise on y fît des collections immenses de plantes, et y trouva un grand nombre d’animaux inconnus aux naturalistes. Nous visitâmes la montagne de la Table la route en est très-roide , difficile et semée de cailloux. Vers le milieu , on entre dans une crevasse effrayante et vaste dont les côtés perpendiculaires sont garnis de rochers menaçans , empilés et couchés des ruisseaux sortent des fentes , ou tombent des précipices en gouttes , et donnent la vie aux plantes et aux arbrisseaux B L 22 Sbcoiîd Voyage qui sont plus bas des plantes y répandaient une odeur aromatique. Le sommet de la montagne est stérile et presquede niveau par-tout quelques cavités y étaient remplies d'eauetde terre végétale qui nourrissaient quelques plantes odoriférantes; des babnirts hurlans , des antilopes , des vautours solitaires , des crapaux habitent aux environs la vue y est très-étendue , la baie n’y paraît qu’un étang, les vaisseaux que de petites barques, la ville que des ouvrages d'en fans les autres montagnes nous paraissaient petites mais au- delà des collines blanches, une chaîne majestueuse de hautes montagnes arrêtait notre vue •un grouppe de masses irrisées de rochers enfermait la baie , et se terminait an cap des Tempêtes. Entre le midi et l’orient, nous découvrions de nouvelles plantations enfermées par d’immenses bruyères, dont la verdure contrastait avec le reste du pays , et Constantin célèbre par ses vignobles- Un air froid et perçant nous força de descendre cette montagne après y être demeurés deux heures. C’est sur-tout au stid-esl* de cette montagne que nous dirigeâmes nos excursions, parce que le sol y produit un grand nombre de simples diverses près des collines l’aspect en est très-agréable au bord de chaque ruisseau on voit des plantations variées de vignobles , de champs et de jardins , entourés de chênes hauts de dix à vingt pieds qui les mettent à couvert des vents destructeurs. Le gouverneur Tulbagli les fonda et y a construit des maisons et des jardins pour de Jacques Cook. 23 ses successem-s ; ils n’ont de remarquable que Toinbre et l’eau qu’on y trouve la Compagnie y a des hangards , on y voit une brasserie , et plus loin la belle vallée qui renferme la plantation appelée 1 eParadis, où l’on trouve des bosquets délicieux , et d’excellens fruits. Nous vîmes arriver dans la baie deux vaisseaux Hollandais dont l'équipage était dans un délabrement extraordinaire , et dont l’un avait touché au port de Praya un mois avant nous notre voyage plus rapide n’avait point répandu de maladies parmi nous, et cette raison fit que notre séjour au Cap pouvait être fort court cependant nous n’apareillâmes que le 22 novembre pendant ce temps l’équipage se nourrit de bœuf ou de mouton frais, de pain nouvellement cuit , de beaucoup de légumes ; on calfata et on peignit les vaisseaux , et on acquit un nouveau secours pour les découvertes en histoire naturelle. Ce fut Mr. Spéarmann, élève de LinnæuSj et dont l’enthousiasme pour les sciences ne s’est jamais démenti; il était versé dans la médecine , avait une ame sensible , était un vrai philosophe. Avant de nous embarquer , nous achetâmes à haut prix un épagneul qui allait à l’eau , afin que cet animal' ramassât tous les oiseaux qui tomberaient hors de notre portée. Nous avons parlé ailleurs de la colonie du Cap , nous n’en dirons qu’un mot aujourd’hui. Il y a ordinairement cinq esclaves pour un blanc ceux-ci les traitent avec douceur , les habillent bien, mais les obligent à ne porter ni bas n! B 4 2-4 Second Voyage souliers. On y voit un grand nombre de Malais, de Bengalois et quelques nègres. Les colons sont Hollandais , Français protestans , et la plupart Allemands ils sont industrieux, aiment l’aisance , et peuvent même jouir de l’abondance ; ils sont hospitaliers et sociables ; ils ont peu de moyens et peu le goût de s’instruire ceux qui veulent que leurs en sans le soient , les envoient en Hollande ; l’éducation des femmes y est négligée, et leur conversation est peu intéressante plusieurs parlent le français, l’anglais, le portugais, le malais ; elles dansent, chantent, jouent du luth , mais manquent de délicatesse. Il y a cependant des colons instruits rarement ils y amassent d’aussi grandes fortunes qu’à Batavia, et les plus grandes surpassent rarement la somme de 5 00,000 livres. A la campagne , les fermiers sont simples , ignorans , hospitaliers , et la plupart d’une corpulence remarquable. La compagnie ne concède plus de terrain à perpétuité ; elle le livre à un fermier pour la redevance annuelle de ia 5 livres pour 6o acres, renie qui nelcà encourage pas à cultiver la-vigne ils élèvent beaucoup de bétail tels fermiers ont de 7 à j 5 ,ooo moutons et des vaches à proportion les vignobles sont dans les plantations voisines du cap , les champs de bled sont les plus éloignés. Lorsqu’ils viennent à la ville, ils amènent leur làmille avec eux , dans des chariots couverts de toile ou de cuir traînés par 8 à 12 paires de bœufs. Souvent les plus opidens confient à un jeune homme un troupeau de 4 à 5 oo de Jacques Cook. 26 moutons qu'il conduit dans un canton éloigné abondant en eau et en herbe il a pour sa part la moitié des agneaux, et bienlôt il est aussi riche que son bienfaiteur. Le bled qu'on y recueille sert à l’approvisionnement des isles de France et de Bourbon , et il y aurait plus de productions si les plantations étai eut inoinséloignées, et les chemins moins impraticables. La compagnie défend à ses colons de s’établir à moins d’un mille de distance les uns des autres. Celte colonie serait florissante si elle n’appartenait pas à une société de marchands. L’atmosphère y est sujet à des variations fréquentes , ce qui cause beaucoup de rhumes ; il neige , il gèle dans les montagnes , rarement dans la plaine. Cette extrémité de l’Afrique est uue masse de hautes montagnes dont les extérieures sont noires , escarpées , stériles et composées d’un garnit grossier qui ne contient aucune production de volcan les intérieures paraissent être métalliques on y trouve des sources chaudes. La colonie de Stelleiiboch passe pour la plus fertile du cap les chênes y deviennent très- hauts près de la ville , les plus hauts n’ont pas 3o pieds d’élévation la botanique peut s’y enrichir, et deux savans y ont rassemblé plus de mille plantes inconnues avant eux. Le règne animal n’y est pas moins riche les plus g^an Js quadrupèdes , comme l’éléphant, le rhinocéros, la gi- raffe ou cameléopard, l’hippopotame, le gnou, le lion , le bu 111e s’y trouvent, ce dernier y est très- féroce ; il attaque les fermiers dans leurs voyages, %6 Second Vor ace tue et sonie au pied leur bétail ; telle est sa tores qu’attelé à un chariot, avec six bœufs ordinaires, on ne peut le faire changer de place. On y trouve aussi des antilopes, des lièvres, des jerhuas, et beaucoup d’autres quadrupèdes plus petits , proie ordinaire et facile des lions , des léopards , des tigres, des hyènes rayées et tachetées, des jackalls et de plusieurs autres animaux féroces qui n’y sont pas rares. Les oiseaux , les poissons y offrent une grande variété d’espèces dont plusieurs sont mal connues , ou ne le sont pas du tout. Après avoir reçu du cap tous les secours possibles, nous entrâmes à bord, et mimes à la voile ; le temps était variable etnousavions desondées de pluie,qui ne nous empêchaient pasd’avancer,nous revîmes encore la mer lumineuse comme nous l’avions vue en arrivant. Nous disposâmes notre route pour chercher le cap de la Circoncision, et prévoyant que nous allions arriver dans un climat froid , loin de tout lieu de relâche , je fis distribuer des braies , des chausses de drap et la jaquette qu'avait accordée l’Amirauté, et prendre toutes les précautions possibles pour ne pas perdre de l’eau douce on lavait avec l’eau de la mer, et on en distillait sans cesse. Sous le ày° 4/ de latitude , nous fûmes accueillis d’une tempête qui dura une semaine entière c’était la première que nous éprouvions , la mer émue brisait avec violence contre le vaisseau tout ce qu’il renfermait de mobile s’ébranlait , se heurtait, se brisait le hurlement de la tempête , le rugisse- UE Jacques Cook. i rj. ment des vagues , l’agitation du vaisseau nous interdisaient tout travail, et nous présentaient des scènes nouvelles et souvent affligeantes. Un volontaire logé dans l’avant du vaisseau , s’éveilla tout-à-coup une nuit, et entendit l'eau courir dans son gîte , il saute de son lit, et se trouve dans l’eau jusqu’à mi-jambe il crie , on se lève, on emploie les pompes , tout travaille avec vigueur et l’eau semblait s’accroître encore , on ajouta les pompes à chapelets aux autres ; mais tous nos efforts auraient été vains si le volontaire s’était réveillé plus tard, et si l’on n’avait découvert que l’eau entrait par une écoutille enfoncée par le clioc des vagues on la répara et nous écliapâmes au danger d’être ensevelis dans les flots ait milieu d’une nuit très-sombre. Cette tempête nous jeta bien loin à l’orient de la route projetée , et nous perdîmes l’espoir de gagner le cap de la Circoncision un plus grand mal encore fut qu’elle tua la plus grande partie des moutons, des cochons , des oies que nous avions embarqués ; le passage brusque d’un temps doux et chaud à un autre très-iroid et très-humide nous affecta tous , et pour en tempérer l’effet, je sis ajouter quelque chose à la ration ordinaire des boissons fortes. La tempête cessa enfin , nous eûmes une nuit sereine , un beau matin qui fut bientôt suivi d’une brume épaisse le baromètre était très-bas , le vent s’accroissait à chaque instant , et une seconde tempête s’éleva il nous fallut abattre toutes nos voiles , mais sa violence fut épuisée dans un jour. Un grand nombre 28 Second Voyage d'oiseaux du genre des peterels et des hirondelles, nous avaient accompagnés depuis le Cap , et la tempête semblait avoir accru leur nombre ; parmi ces oiseaux était la pintade et le pelercl bleu dont i aile est coupée en travers par une bande de plumes noirâtres. Quelquefois nous appercevions trois espèces d’aibatross , et nous prenions de ceux-ci à la ligue avec un morceau de mouton pour appât la chair en était bonne. Nous rencontrâmes aussi des pingoius et de touffes de goesmon , quoiqu’à une grande distance des côtes ; ils ne les annoncent donc pas. Il est probable que d’après le degré de fraîcheur ou de putréfaction où on les trouve , on pourrait conjecturer depuis quel temps les plantes flottent sur la mer , et dans des cas très-rares, combien elles sont éloignées de terre ; mais des circonstances accidentelles rendront toujours le calcul in - certain. Le vent s’affaiblit par degrés , et dégénéra en grains accompagnés d’ondées de neige nous pûmes cependant déplier nos voiles , quoique la mer lut très-grosse encore la nuit du neuf au dix donna une gelée très-vive , et le lendemain nous vîmes des isles de glace il en était qui avaient an moins 2000 pieds de long sur 400 de large , et s’élevaient au moins de 200 pieds , ce qui. annonçait une épaisseur d’environ 2000 pieds çes masses de glace ne flottent probablement qu’avec lenteur , parce que les vents et les vagues ne heurtent que la petite partie qui s’élève au - dessus de la surface de la mer .les de Jacques Cook. 29 courans sont peut-être lesagens principaux qui les mettent en mouvement en nous assurant par nos courses qu’il n’y avait pas de continent austral , nous nous persuadâmes que ces isles se forment dans la mer ; car on ne cloute plus que l’eau salée ne puisse se geler. Au reste on peut juger de la différence du froid qui règne dans les deux hémisplxères par le lieu et le temps où nous rencontrâmes ces glaces nous étions au milieu de décembre qui répond dans cet hémisphère à noire mois de juin , et la latitude était de 5i° 5'. Dans un temps obscur , on peut se perdre contre ces isles nous en vîmes une qui avait do pieds d'élévation et demi mille de circonférence, platte à son sommet, ayant ses bords coupés perpendiculairement. Le capitaine Furneaux , qui commandait l’Aventure , la prit pour une terre, et s'y serait jeté si mon signal ne lui avait découvert son erreur; nous marchâmes avec précaution sur-tout la nuit , allant à petites voiles , faisant de courtes bordées , tantôt cl’un côté , tantôt de l’autre; c’est dans ces circonstances que je découvris des oiseaux que je ne connaissais point encore ils étaient blancs , ayant le bec et les pieds noirs , et de la grosseur des pigeons ; ils paraissent être de la classe des pete- rels et indigènes de ces mers froides. Nous étions toujours obligés à de plus grandes précautions, parce qu'un brouillard épais nous environnait, qu’il se mêlait à de la pluie et de la neige fondue , et que les isles de glace augmentaient ; on 3o Second V o y a si h voyait dans le jour lorsque nous passions entre elles j parce qu’alors le thermomètre baissait de trois à quatre degrés quelques-unes avaient près d'une lieue de circuit la mer était enflée, et les vagues en se brisant s’élançaient jusqu’à leur sommet ; mais ce spectacle, d’abord agréable à nos yeux , nous remplit d’épouvante , en pensant qu’une vague pouvait nous lancer sur elles et nous briser en un instant. Différons oiseaux qui nous avaient accompagnés jusqu’alors disparurent ; les pingouins se montrèrent , le pete- rel blanc se jouait autour des masses de glace , dont on peut le regarder comme l’avant-coureur; plusieurs baleines se montraient aussi parmi les glaces , et variaient un peu la scène affreuse de ces parages. Nous vovions quelquefois vingt de ces isles à-la-fois ; l’une d’elles avait des taches noires qu’on prit pour des animaux ; cependant elles ne changeaient point de place. Nous navigions avec peine ; nos voiles , nos agrêts étaient gelés , et il en tombait des glaçons qui leur sonnaient des espèces de franges. Comme nous étions sous le parallèle du cap de la Circoncision , et que nous nous attendions à voir la ferre , tout attirait notre attention ; chacun desirait découvrir le premier la côte souvent on croyait la voir , et ce n’était qu ’une isle de glace ou un brouillard. Un jour l’Aventure nous annonça qu’on voyait distinctement la terre nous vîmes une immense plaine de glaces brisées et des isles de toutes formes , de toutes grandeurs f qui , s’étendant au loin par de Jacques Cook. Si derrière , élevées encore par les vapeurs brumeuses qui couvraient Fhorison , ressemblaient en effet à des montagnes quelques officiers persistèrent à croire qu’ils avaient vu la terre , jusqir’à ce que deux ans après nous eussions navigué précisément dans le meme lieu , sans y trouver ni terre ni glace. Les memes scènes se reproduisirent les jours suivait s toujours des masses déglacé , des pingouins , des peterels et des poissons , parmi lesquels nous en remarquâmes deux plus petits que les haleines ordinaires , et cl hm blanc qui approchait de la couleur de chair. La mer était tranquille , et nous nous concertâmes avec le capitaine Furneaux ; nous nous donnâmes des rendez-vous en cas de séparation , et il en était temps ; car en effet nous fûmes séparés peu de jours après. Quelques travaux jetaient de la variété dans notre marche uniforme et lente nous coupions des masses de glace pour en tirer de l’eau douce en la fondant MM. Förster et Males voulurent répéter des expériences sur la température de la mer à une certaine profondeur ; mais la brume les environna, et ils perdirent de vue les deux vaisseaux au milieu d’une mer immense , sur un bateau à quatre rames , sans mâts , sans voiles , loin de toute espèce décotes, environnés de glaces , dénués de provisions , leur situation était effrayante et terrible ils voguaient au hasard faisant de vains efforts pour se faire entendre ; iis écoutaient eux - mêmes , et tout était en silence autour deux ; ils résolurent 3a Second Voyage île ne plusse mouvoir dans la crainte Je s’écarter, et ils y demeurèrent quelque temps. Enfin dans le lointain le son d’une cloche frappa leurs oreilles , ils ramèrent avec vigueur de ce côté-là ; ils poussèrent des cris perçans , auxquels l’Aventure répondit , et ce vaisseau les prit à bord , bien joyeux d’avoir échappes à une mort lente amenée par le froid et la faim. Nous côtoyâmes pendant quelques jours des bancs immenses de glace qui ne laissaient point d'ouverture entr’eux ; les bonis en étaient plus brisés qu'à l’ordinaire , et on en voyait de toutes parts flotter d’innombrables isles le vent nous portait de l’une à l’autre, et nous étions sans-cesse en danger de nous briser contre ces écueils flottans , ou de prendre fond sur eux, situation plus alarmante qu’on ne pourrait dire car quelquefois des vaisseaux y demeurent attachés j et nous avions à craindre le môme sort cependant ce spectacle nous devint enfin aussi familier que celui des brouillards et de la mer. La multitude de ces plaines de glace nous fit faire quelques observations. Nous étions sûrs de rencontrer de la glace dans tous les endroits où nous appercevions une forte réllection de blanc près de Fhorison la glace n’est pas toujours blanche , près de la iner elle parait souvent d'un beau bleu de saphir , ou plutôt de bervl cette couleur s’élevait quelquefois à 3o pieds de la surface , et provenait peut-être des particules d’eau lancées contre la masse , et qui en avaient pénétré les interstices quelquefois le haut formais » 3 n Jacques Cook. 33 malt une large'couche de blanc formée probablement par des neiges accumulées. Je résolus de marcher à l’est, puis de reprendre au midi s’il était possible , pour gagner les derrières de ces plaines de glace il ne dégelait point, le froid au contraire devenait plus incommode , et je crus devoir faire allonger les manches des jacquettes des matelots , et couvrir leurs têtes d’un bonnet des symptômes de scorbut commençaient aussi à se développer, et je lis distribuer aux malades du moût frais de drêchc et du jus de limon et d’orange ce dernier , inutile pour quelques-uns , en guérit totalement d’autres. Le temps variait, quelquefois il s’éclaircissait, et la vue pouvait s’étendre au loin nous en profitions pour avancer avec plus de vitesse et encore pour aller à la chasse ; on tua quelques peterels bleus cet oiseau est de la grosseur du pigeon ; ses ailes , ses pieds, son bec sont gris-bleu; son ventre et la partie inférieure de ses ailes sont blancs et légèrement teints de bleu une trace de cette couleur traverse ses ailes et le dos un peu au-dessus de sa queue ; elle teint encore les extrémités des plumes de la queue ; son bec est large , sa langue l'est beaucoup aussi son plumage est abondant et chaud , ses ailes sont très-fortes et longues on chassa aussi au pingouin , chasse rarement heureuse , parce que ces oiseaux plongent et restent longtemps sous l’eau , et que lorsqu’ils en sortent , ils parcourent une ligne droite avec une vitesse si prodigieuse , qu’il est difficile de les atteiu- Torne II. Q 34 Second Votaoe dre. Nous en tuâmes un qui nous coûta une douzaine de coups de fusil son plumage est dur , luisant, épais, composé de longues plumes étroites , placées les unes sur les autres aussi près que des écailles ; leur peau t es-forte et leur graiss» les rendent propres à résister à l’hiver perpétuel de ces climats rigoureux leur ventre large, leurs pieds en arrière , leurs nageoires qui leur tiennent lieu d'ailes , facilitent le mouvement de leur corps , d’ailleurs très-lourd ; il semble que ces oiseaux et sur-tout les premiers vivent de diverses espèces de mollusca qui montent à la surface de l’eau dans un beau temps; il paraît aussi qu’ils peuvent vivre assez long - temps sans alimens. Nous passâmes au travers de plusieurs bancs de glace brisée et Hol tan te ils étaient étroits mais fort longs ; des morceaux étaient de forme platte , d’autres offraient diverses branches en forme de rayons de miel, comme des rochers de corail , et présentaient mille ligures va - liées. On tua deux peterels dont le bec était moins large que celui dés autres cette différence indiquait-elle une autre espèce , ou dislingnait-elle la femelle du mâle dans là même espèce? on disputa sur ce point, et hou ne prouva rien. Je résolus de courir an couchant jusqu’au méridien du cap de là Circoncision , le vent était très-favorable et la mer assez débarrassée de glaces , mais irons n’avanoânies pas autant que -nous le désirions ; de hautes isles de glaces. de Jacques Cook. 35 nous dérobaient le vent sur lern - sommet nous voyions des pingouins qui grimpaient par ira côté qui s’élevait en pente ces glaces leur tenaient lieu de terre ; car il n’y en avait probablement point qu’à 6 ou 700 lieues de distance. On dit cependant qu’ils doivent aller sur les côtes pour faire leurs petits $ peut-être leurs femelles y étaient , et que nous n'avons vu que des mâles. Nous tuâmes aussi un oiseau blanc de la classe des peterels ; son bec un peu court est d’une couleur mitoyenne entre le noir et le bleu foncé , ses jambes et ses pieds sont; bleus. Après avoir échappé au danger d’une plaine immense de glace qui était entre nous et de nombreuses isles sur lesquelles nous apperçû- ines un veau marin , nous reprimes notre route à l’ouest , et l’après-midi du 1 Janvier 1773'^ rions vimes la lune pour la première fois depuis notre départ du Cap ; ce qui peut faire juger du temps que nous avions eu jusqu’alors. Nous en profitâmes pour faire diverses observations , et nous trouvâmes que nous étions à- peu-près à la longitude qu’on donne au cap -de la Circoncision , sous la latitude du 58 ° „ 60' 3 o tJ . Nous n’étions donc qu’à une cinquantaine de lieues plus au midi du lieu ou on 3 e place le temps était serein , et nous pouvions voir à i 4 oui 5 lieues autour de nous, etnous ne vimes rien il est donc trcs-probable qu’on s’est trompé en croyant découvrir cette terre , et qu’on a pris pour elle des montagnes et des C a A6 Second Voyage bancs de glace qui nous trompèrent nous-mêmes dans les premiers jours. Nous revînmes dans les parages que nous avions déjà parcourus , et passâmes dans le même lieu où nous avions vu un grand banc de glace cinq jours auparavant; nous n’en vi- mes pas de traces; sans doute il avait dérivé au nord , et c’est une nouvelle raison pour croire qu’il n’y a pas de terre sous ce méridien. Nous faisions route à l'est-sud-est afin de reconnaître un plus grand espace vers le midi un vent Irais nous favorisait , mais il pleuvait , et la pluie se gelait sur les agrêts , de sorte que les cordages étaient couverts de la plus belle glace transparente que j’aie jamais vue , et qu’on ne les pouvait manier sans douleur ; cependant le temps était plus doux et la mer plus débarrassée de glace qu’elle ne l’avait été depuis plusieurs semaines. Nous parvînmes jusqu'au 6i° 1 ad de latitude méridionale; là nous vîmes les glaces se multiplier, et nous en ramassâmes des morceaux durs comme des rochers, qui nous donnèrent quinze tonneaux de bonne eau douce en les fondant dans des chaudières ; seulement l’air fixe en avait été chassé , et tous ceux qui en burent éprouvèrent une endure dans les glandes de. la gorge , effet ordinaire produit par l’eau de neige ou de glace. Je continuai encore ma route au Sud avec un vent de nord- ouest accompagné d’ondées de neige le 64° 12' de latitude ; là nous vîmes encore des allpatrosses, et l’on en tua un sa de Jacques Cook. 3/ couleur était mitoyenne entre le brun et le gris foncé ; la tête et le dessus des ailes étaient un peu noirâtres 5 il avait le fd des yeux blanc ces oiseaux étaient alors les seuls quinenous eussent pas abandonnés. Nous mesurâmes le courant il portait au nord-ouest et faisait pies d’un tiers de mille par heure nous plongeâmes un thermomètre à cent brasses dans la mer, on l’y laissa dix minutes , et on le retira qu’il était au point de la congélation exposé à l’air , il remonta à quatre degrés. Nous observâmes plusieurs distances du soleil et de la lune qui fixèrent notre longitude. C’est ainsi que nous remplimes cinq jours assez beaux , dont on profita encore pour faire laver le linge et les habits de l’équipage avec l’eau de glace fondue. Le 17 nous passâmes le cercle antarctique le temps était beau , et nous ne voyions qu’une isle de glace le matin; mais vers les quatre heures la mer nous en parut couverte nous en comptâmes trente-huit, et nous eûmes assez de peine pour les éviter enfin elles augmentèrent , et bientôt nous ne vîmes plus qu’une immense plaine de glaces différentes qui formaient ici des collines élevées , là de monceaux brisés et serrés les uns contre les autres un radeau dont le sommet était plat et uni, haut de seize à dix-huit pieds, nous parut très-grand , car nous n’en pouvions appercevoir l’extrémité des baleines jouaient autour de ses bords, et des pintades brunes et blanches volaient dans ses environs cet oiseau avait la C 3 38 Second Y o y a c , t , partie antérieure brune , la postérieure blanche; nous voyions avec lui des peterels blancs et bleus, des albatrosses d'un gris ronce, mais les autres espèces ne se montrèrent plus. Parvenus au 67 ° i5 y lorsepue nous rencontrâmes ce banc , nous crûmes qu’il était imprudent de marcher plus encore an midi, d'autant plus que la moitié de l’été était déjà passée ; je résolus donc de chercher directement la terre qne les Français croyaient avoir découverte , et nous revînmes vers le nord. Nous nous en étions déjà rapprochés de trois degrés , lorsque nous ap- perçumes un de ces oiseaux que dans notre premier voyage nous avions appelés poules du Port Egmont c’est la grande mouette du nord elle était épaisse et courte , de la grosseur d’une grande corneille, te couleur de chocolat elle avait une raie blanchâtre en forme de demi-lune au dessous de chaque aile on en voit aux isles Tero dans le nord de l’Ecosse jamais je n’en avais apperçu à plus de 4 ° lieues loin des terres , ni moins de deux ensemble celle-là voltigea plusieurs fois sur le vaisseau , puis s’éloigna vers le nord-ouest. Quelques jours après nous en virnes une encore qui s’élevait à une grande hauteur sur nos têtes , et nous regardait avec attention ; ce qui était un spectacle pour nous z accoutumés comme nous l’étions à voir les oiseaux raser la surface de la mer dans le même temps des marsouins blancs et noirs passèrent devant nous avec une vitesse étonnante qui les déroba bientôt à notre vue. Nous marchions tou»- T j! Jacqttïs Cook, 3q Jours an nord , le temps était brumeux, la pluie et la neige l’onduo ne ceseairnt point, le froid augmentait, et l'eau de nos iuuùlies [»lacées sur les ponts geir." te 'e> les nuits c’est dans ces parages eue nous .ne..s albatrosse blanche aux ailes teintes en noir et c pintade. La mer qui venait du non.’-ouest était très-grosse et n’annonçait pas de terre dans cette direction , c’était là cependant eue nous nous attendions à la trouver le vent était fvais , il augmen ta encore , bientôt il devint une tempête accompagnée d'épais brouillards , de neige et de pluie j elle dura près de deux jours , puis le soleil et la lune se montrant par intervalle, on en profita pour faire des observations. Le 3o Janvier, un vent très-frais déchira plusieurs de nos peiites voiles; vers le sôir nous marchâmes au couchant sous nos basses voiles.; le vent diminua le lendemain et nous revinmes au nora nous étions déjà sous le 5o° 5o ! de latitude, et nous voyions toujours des isles de glace en passant près de l’une d’elles , un craquement inattendu nous apprit qu’elle se brisait ou tombait en pièces nous n’en revimes plus aussi long-temps que nous gardâmes la même direction. On nous avait appris au Cap de Bonne Espérance que Mr. de Kerguelen partant de l’isle Maurice avec deux vaisseaux vers la lin de 177 t, avait découvert le 3i Janvier de l’année suivante deux isles, qu’il appela Isles de la Fortune , et le- Jour suivant une troisième qidii nomma 1 ’lsle-, Fonde , de sa forme , puis une terre d’une éten— 4 o Second Voyage due et d’une hauteur considérables , qu'un des vaisseaux la cotoya dans l’espace de 20 lieues , que la voyant très-élevée , inaccessible et nue , il l’abandonna pour cingler vers la Nouvelle- Hollande j que Mr. de Kerguelen fut chargé de revoir cette terre , qu’il la vit, mais n’y jeta qu'un coup d’œil, et revint sans faire de découvertes. Mr. Marion en 1772 avait découvert aussi de petites isles en trois endroits difïérens du 4 6 ~ au de latitude, toutes peu considérables, élevées , pleines de rochers et sans arbres de là il se rendit aussi à la Nouvelle-IIolIande , où il fut tué. Je voulus vérifier ces découvertes , et me concerter avec le capitaine Furneaux il m'informa qu’il venait de voir un grand radeau de goesmon autour duquel étaient plusieurs de ces oiseaux qu’on nomme plongeurs. C’était un signe d’une terre prochaine, mais il ne nous fut pas possible de connaître si elle était au levant ou au couchant je résolus de suivre cette latitude pend an ^'quatre ou cinq degrés à l’ouest, puis de revenir à l’est ; mais les vents ne me le permirent pas. La grosse 111er qui venait du nord-est, du nord-ouest, de l’ouest, prouvait qu’il n’y avait point de terres étendues vers le couchant ; nous gouvernâmes donc au levant ; nous vimes du goesmon , et de ces oiseaux qu’011 nomme oiseaux d’œufs, mais aucune terre je gouvernai plus vers le sud , rien ne nous y annonça son voisinage vers le nord-ouest, la 111er était tranquille alors , quand le vent soufflait de. Jacques Cook. Jans cette direction ; nous allâmes donc vers le couchant, et ne fûmes pas plus heureux. Une carte de Mr. de Vaugondy pourrait faire croire que nous n’allâmes pas assez vers le levant, que deux degrés de longitude nous séparaient d’une terre cela peut être, mais nos vains efforts prouvent au moins que cette terre est une petite isle, et non le Cap nord d’un continent austral comme on Pavait supposé. Le 7 Février, le jour était beau, et je fis mettre tous les lits à Pair, tous les habits sur le tillac; je fis nettoyer le vaisseau , et fumer entre les ponts. Nous voyions des poules du Port Egmont et des plongeurs de deux espèces ; pendant la nuit nous entendîmes des pingouins; cela nous fit jeter la sonde , et nous ne trouvâmes point de fond à 2,10 brasses. Le vent était à l’est et soufflait avec force; il était accompagné de nuages sombres que suivit une brume épaisse ; dans cet intervalle on tira un coup de canon toutes les heures à midi je fis signal de revirer ; mais l’Aventure qui n’avait point répondu aux premiers signaux, ne répondit point non plus à celui-là j’eus alors trop de raison de craindre que nous ne fussions séparés , quoiqu'il fût assez difficile de dire comment cela était arrivé dans ce cas, nous étions convenus de croiser trois jours dans les parages où nous nous serions quittés ; je le fis en tirant un coup de canon toutes les demi-heures , et en allumant des feux pendant la nuit ; mais nous ne pûmes découvrir l’Aventure , et nous perdîmes Pespérance de la rejoin- 'Jfz Seconb Voyage dre. Tout l’équipage fut affligé de cette séparation ; nous ne jetions plus les yeux sur l’Océan .sans ressentir le chagrin de nous voir seuls la vue d’un vaisseau avait jusqu’alors adouci nos peines et inspiré la gaieté il fallut renoncer à tette consolation. Une preuve assez forte qu’il y avait une terre voisine , c’est que tandis nous louvoyions, des pingouins et des plongeurs frappèrent souvent nos yeux, et que plus loin vers le sud, nous ne vîmes plus que des uetcrels , des alba- ïrosses , des coupeurs d’eau, etc. Ces pingouins étaient plus petits que ceux que nous avions vus sur la glace ; ils avaient le bec rougeâtre -et la tête brune nous vîmes aussi des veaux marins, ce qui me fit sonder sans trouver encore de fond. Des isles de glace reparurent, et le 37 , nous apperçiunes dans les cieux des clartés semblables à une aurore boréale 3 elles paraissaient en différons temps , en différentes parties du ciel , et répandaient leur lumière sur tout Tatmosplière. Nous vîmes une isle de glace de 200 pieds de haut , et nous pensions à en couper quelques morceaux lorsqu'il s’en détacha de grosses masses qui dérivaient promptement à l’ouest, où bientôt elles furent répandues sur un grand espace nous allâmes en ramasser , et nous pûmes en remplir huit à dix tonneaux. Nous tournâmes alors au levant, un peu vers le midi, et cette route au milieu dùui grand nombre de masses flottantes, nous obligea à beaucoup de de Jacques Cook. 43 précautions. Le zo , à midi , nous crûmes fortement voir terre au sud-ouest. Je revirai pour m’en approcher, ]e tempe était bon, et je reconnus bientôt que ce n’était qu’un brouillard, qui disparut le soir la nuit nous montra une aurore australe ti ès-brillante et très-lumineuse qui parut d’abord au levant , et se répandit ensuite dans tout le ciel elle différait des aurores boréales, en ce qu’elle était toujours d’une couleur bleuâtre , au-lieu que vers le nord , elles prennent différentes teintes et sur - tout une couleur de feu et de pourpre. Quelquefois elle cachait les étoiles , quelquefois aussi on les voyait au travers. Tandis que nous étions encore occupés à ramasser de la glace éparse sur la mer , une isle qui n/avait pas moins de 4°° toises de tour et trois ou 4 oo pieds d'élévation au-dessus de l’eau , se renversa entièrement la base occupa la place du sommet, le sommet celle de la base , et ce renversement ne changea rien à sa hauteur. Lu plus grand nombre s’offrait toujours à nos regards , une nuit orageuse , épaisse, neigeuse nous enveloppa , et nous soupirions après le jour ; il vint encore augmenter nos allarmes , en nous présentant des montagnes escarpées de glace que nous avions dépassées sans les appercevoir. Ces dangers , ces nuits sombres me firent renoncer à passer de nouveau le cercle arctique je dirigeai donc au nord par un vent qui mit en pièces des isles dont les débris embarrassèrent encore davantage notre chemin pendant la nuit om 44 Second V o r a si e peut distinguer les Lies par leur élévation ; niais on ne voit les morceaux que lorsqu’ils sont sous le vaisseau ; cependant l'habitude du péril en écartait l’inquiétude, et nous permettait de jouir de l’aspect qu’elles ollraient il était très-pittoresque ; l’écume des vagues bruyantes s’insinuant dans les crevasses et les cavernes de ces isles ajoutaient à la beauté lu spectacle quelques- unes étaient percées de part en part et on voyait le jour au travers ; plusieurs ressemblaient à un clocher , ou avaient une forme spirale ; ^imagination en comparait d’autres à des objets connus ; et le temps en devenait moins long. L’air était un peu plus chaud qu’il ne Lavait été un mois auparavant dans les mêmes latitudes , et cependant des vents plus fréquens, plus forts, plus humides , nous faisaient ressentir un froid qui nous donna des engelures aux mains et aux pieds, et fit périr neuf’ petits cochons , malgré tous nos soins pour les conserver telle était la fin de notre élé. Le i mars , nous eûmes un calme de 2 4 heures dont une forte houle ne nous permit pas de jouir. Nous étions alors sous le 60 e . degré 36 minutes dé latitude méridionale, nous commençâmes à voir moins d’islcs de glace le ciel était toujours couvert , et rarement nous voyions le disque du soleil. Le 6 , une isle de glace d’une lieue de tour se présenta devant nous ; elle avait au-moins cent pieds de haut, et cependant telle était l’impétuosité des vagues , qu’en se luisant Controlle elles s'élançaient au - dessus du som- de Jacques Cook. ^,5 met le lendemain nous eûmes une nuit agréable , le ciel était clair et pur, le temps serein et doux , et nous ne voyions point de glace ; mais ce plaisir fut de courte durée vers le soir du jour qui suivit , le ciel s’obscurcit, le vent sauta an sud et la tempête s’éleva ; la pluie et la neige la rendirent plus incommode encore elle lit place à un vent d'ouest, à un froid très-âpie la boule que le vent du midi avait élevée dura deux jours après lui , malgré des vents qui lui étaient contraires , et cette marque me persuada toujours plus qu'il n’y avait point de terre au sud. Des jours agréables et un temps modéré qui suivirent , me firent cependant regreter de n/y avoir pas toujours dirigé ma course , et j’étais tenté d’en prendre la direction, lorsque la brume et le froid nous déterminèrent à porter au nord; nous éprouvâmes dans cette route des alternatives de vents violens, de grêle, de neige, de pluie, de jours sereins , de nuits éclairées par des brillantes aurores. Le 16 mars , nous étions sous le 58 e . degré 58 minutes de latitude et le i6u e Z de longitude , quand nous observâmes la déclinaison de oi minutes à l’est ; et je fus satisfait d’avoir pu déterminer avec quelque précision la ligne où. l’aiman n’a plus ou presque pins de déclinaison. Dans ces parages nous viines aussi de grosses mouettes grises qui chassaient une albatrosse blanche elles l’atteignirent malgré la longueur de ses ailes , et cherchèrent à l’attaquer par- jd S I C O K D V O Y A G S dessous le ventre l’albatrosse leur échappait en plongeant son corps dans i’ean son bec formidable les écartait alors ces mouettes sont fortes et voraces ; nous ne vîntes pas la lin du combat. Je portai à l'est, en tirant vers le sud jusqu’à ce que j’eusse atteint le §9. degré 7 minutes de latitude, là je résolus de quitter ces latitudes méridionales , et de marcher à la Nouvelle-Zélande pour y apprendre des nouvelles de l’Aventure, y rafraîchir mon équipage, et m’assurer en chemin si la côte de Van -Diemen était jointe à la nouvelle-Galles méridionale nous nous en approchâmes par un ciel toujours plus incertain , souvent décoré le soir par de brillantes aurores australes nous vîmes un veau marin, des pingouins , des poules d’Egmont , desgoesmons, signes regardés comme certains du voisinage de la terre ; et cependant la plus voisine de celles qui nous étaient connues , était encore éloignée de deux cents soixante lieues. Le vent ne nous permit pas de toucher à la terre de Van- Diemen , et nous nous approchâmes à force ds voiles le jour et la nuit de la Nouvelle-Zélande parvenus sous le 49°. degré 65 minutes de latitude, nous jouissions d’un temps doux , d’une température agréable notre route était semée d’oiseaux Je mer et de veaux marins , et le a .5 nous apperçâuies enfin la Nouvelle-Zélande qui était encore à la distance de dix lieues je gouvernai vers elle avec un vent frais et vui temps assez, clair qui dura peu nous d £ Jacques Cook. 4 ? en étions encore à une lieue et demie lorsqu’une brume épaisse vint nous en dérober la vue , et craignant une plage inconnue , je revirai et pris d’abord le large vers le sud , puis vers le nord la mer était très-agitée et irrégulière. Le lendemain de grand matin le vent diminua , et à midi nous entrâmes dans la baie JDuski dont je ne connaissais point l’intérieur je la remontas l’espace de deux lieues au travers de diverses isles couvertes de bois. Le- 26 mars , nous y mouillâmes près de la côte, et par cinquante brasses d’eau nous avions fait en cent dix - sept jours trois mille six cents soixante lieues sans voir une seule fois la terre. Une si longue navigation ne donna le scorbut qu’à un seul homme mal constitué c’est à la fumigation , au soin de tenir propre , au moût de bière doux, aux tablettes de bouillon portatives, au sauerkcraut que je le devais ; nous essuyâmes d’autres maux; nos voiles, nos agrêts avaient été mis en pièce , le tangage et le roulis avaient été si violeris que les œuvres mortes du vaisseau avaient été rompues des tempêtes affreuses , des pluies , la grêle, la neige s’étaient succédées , des rocs de glace flottans qui nous menaçaient sans cesse , un air dévorant, un» mer âpre et toujours houleuse , un ciel obscur et chargé de brouillards , nous avaient tenus dans une inquiétude constante , et dans ces latitudes élevées on ne peut pêcher que des baleines. En nous avançant dans la baie Duski , le ^8 Second Voyage temps était très-doux ; des arbres toujours verds y offraient un contraste agréable avec la teinte jaune que l'automne répand sur les campagnes des troupeaux d’oiseaux de mer animaient les côtes, et le pays retentissait du chant de ceux des forêts nous avions tant souhaité de voir la terre , qu’elle eût été moins belle que nous l’aurions trouvée encore charmante. De superbes points de vue , d'antiques forêts, de nombreuses cascades , qui se précipitaient de toutes parts avec un doux murmure , nous annonçaient un des plus beaux pays de la terre. Je sis chercher un mouillage plus commode, et on en trouva un ; le bois y était si abondant que nos vergues étaient enlacées dans des branches d’arbres. Auprès était un courant d’eau douce je sis pêcher pour avoir des a Ihnen s frais , et nous primes assez de poissons pour en dîner tous. Des côtes et des bois remplis de volaille , semblaient nous promettre encore de ces jouissances qu’on peut regarder comme le luxe de la vie. Bientôt nous commençâmes nos recherches d'histoire naturelle ; nous apperçûmes un grand nombre d’animaux et de plantes presque toutes inconnues ; et tandis qu'on préparait une place pour nos tentes , pour la forge , pour l'observatoire de l’astronomie , qu’on brassait de la bière mêlée avec des feuilles d'un arbre semblable au sapi- nette d'Amérique , nous nous enfonçâmes dans les forêts. biais une découverte nous rendit plus prudens des officiers qui chassaient loin du vaisseau vinrent T e Jacques Cook. Jq rent nous avertir qu’ils avaient vu des Zélan- dais qui lançaient à l’eau un canot. A peine eurent-ils parlé , qu’une pirogue parut au travers d’une pointe éloignée d'un mille ; une ondée do pluie la lit retirer , elle reparut de nouveau montée de sept à huit hommes qui nous regardèrent, mais ne répondirent point aux signes d’amitié que nous leur fîmes , ils s’en retournèrent. Après midi j'allai dans l'anse avec deux chaloupes , espérant de les revoir ; nous ne trouvâmes que la pirogue échouée près de deux petites huttes , dans lesquelles on voyait des vestiges de feu , quelques filets de perle , quelques poissons répandus sur la grève ; sans doute ils s’étaient retirés dans les bois voisins nous laissâmes dans 3a pirogue des médailles , des miroirs, de la ras- sade , et une hache plantée dans des branches d’arbres pour leur en marquer l'usage , et nous revînmes au vaisseau. Nous allâmes cependant encore chercher des plantes ; notre excursion fut pénible et fatiguante sur un sol glissant d’humidité des plantes encore en fleur et des arbres , des arbrisseaux dépouillés nous donnèrent l’idée des végétaux inconnus que produisait cette contrée. Après notre retour , nous allâmes voir si les Indiens avaient pris nos présens ; tous étaient encore dans la pirogue il ne paraît pas qu’ils y soient revenus. L’anse où nous étions était spacieuse une flotte entière pourrait y mouiller au sud-ouest. elle a des collines élevées toutes couvertes de bois ail" leurs des pointes , des isles formaient un coup- Tome IL D 5 à Second Voyage d’œil pittoresque ; la mer tranquille et éclairée par le soleil couchant, les nuances variées de la verdure , et le chant des oiseaux qui résonnaient de toutes parts , adoucissaient la dureté qu’olf rait d’ailleurs ce paysage. Des jours pluvieux nous retenaient à bord , mais dès que le temps redevenait agréable , les uns allaient à la chasse , les autres à la recherche des productions de la nature ceux-ci firent une collection précieuse d’oiseaux nouveaux et des plantes nouvelles ; ceux-là tuèrent des canards , des poules de bois , divers oiseaux sauvages , et trois veaux marins , dont l’un avait six pieds de long , et pesait deux cents vingt livres ; furieux de ses blessures , il attaqua la chaloupe et ne fit que hâter sa mort. En visitant le pays nous découvrîmes une belle anse , dont les bords étaient escarpés , et au fond de laquelle de jolies cascades formaient un ruisseau d’eau douce nous revîmes des Indiens dans une petite isle voisine c’étaient un homme et deux femmes il nous appela, et parut craindre lorsque nous l’approchâmes leur teint était olive , ou brun foncé ; leurs cheveux noirs et bouclés étaient remplis d’huile et de craie rouge en poudre ceux de l’homme étaient attachés sur la tète; ceux des femmes étaient courts leurs corps étaient bien proportionnés, mais leurs jambes mal faites et minces étaient tournées en-dehors. J’allai à l'homme qui m’attendait sur son rocher, tenant en main des feuilles de papier blanc , je l’embrassai , et lui offris les bagatelles que j’avais de Jacques Cook. 5 i sur moi sa frayeur se dissipa ; nous nous rassemblâmes ; les femmes causèrent beaucoup sans se faire entendre ; ils refusèrent le poisson et la volaille que nous leur offrîmes , parce qu’ils n’en avaient pas besoin quand nous les quittâmes le soir , la plus jeune des femmes dansa devant nous 5 l’homme se borna à nous examiner , et nous nous retirâmes. Nous leur fîmes d’autres visites et des dons qu’ils reçurent avec indifférence ; les haches et les clous seuls leur firent plaisir. Nous vîmes alors toute la famille , qui renfermait encore deux jeunes-gens et trois en- fans j tous avaient bonne mine iis nous menèrent dans leur habitation placée au milieu des bois ; elle consistait en deux petites huttes formées avec des bâtons et des écorces ; près d’elle était une piro gue double. Quand nous les quittâmes l’homme nous présenta une pièce d’étoffe de leur fabrique , un ceinturon d’algues , des colliers d’os , de petits oiseaux et des peaux d’al- batrosses, en échange d’une couverture de drap rouge que je lui fis présenter ; lorsque je la portai , nous les trouvâmes occupés à se parer, à huiler leurs cheveux , à les orner de plumes arrangées de différentes manières , et ils nous reçurent avec beaucoup de courtoisie l’homme fut si charmé de sa couverture ou de son manteau rouge qu’il me donna son patou-patou leur langue avait une duveté que les antres Zé- landais ne font pas remarquer. Ils nous vinrent visiter à leur tour, mais sans vouloir monter sur notre vaisseau le tambour était l’instrument D a 5a Secottd VoTAfiü qui paraissait le plus leur plaire ; ils s’établirent ensuite plus près de nous. Nous vivions là en ictyophages , les pluies et les brouillards étaient fréquens dans ce lieu , mais ils n’enveloppaient à-la-fois qu’une partie delà baie de hautes montagnes toujours couvertes de nuages s’élevaient au-dessus du vaisseau ; exposés aux vapeurs qu’on voyait se mouvoir avec différons degrés de vitesse sur les flancs des collines , et qui se convertissaient en. pluies ou en brumes, lesquelles nous mouillaient jusqu’aux os ; une humidité mal-saine gâtait les collections de plantes ; les bois qui nous couvraient nous faisaient vivre dans l’obscurité , et il fallait allumer des flambeaux à midi cependant le poisson frais , la bière de inyrthe et de pin nous maintenaient en santé. Parmi les poissons , il en était un dont le goût ressemblait à la morue , et en effet il est de ce genre sa chair est ferme , succulente et nourrissante une très - belle écrevisse , des poissons à coquille , et de temps en temps un cormoran , un canard , un pigeon ou un parrot , nous procuraient un régal extraordinaire. Nous nous occupions à disférens objets. Ici je faisais dessiner une cascade qui paraît peu considérable quand on la regarde du bas mais elle offre le plus beau spectacle quand on est monté cent toises plus haut. Une colonne transparente et argentée , d’environ trente pieds de tour , qui se précipite impétueusement d’un rocher perpendiculaire élevé de trois cents pieds , frappe d e Jacques Cook. 5 3 d’abord les regards ; au quart de sa hauteur , un roc incliné la convertit en une nappe limpide , qui se brise en tombant sur de petites éminences ses eaux se réunissent enfin au milieu d’un beau bassin entouré de rochers entassés, au travers desquels l’eau s'échappe et s’enfuit en écumant le long de la colline jusqu’à la mer. Sa chute répand autour d’elle une vapeur épaisse, qui, frappée des rayons du soleil se peint des couleurs de l’arc-en-ciel le bruit qu’elle fait étouffe tout autre son -, ce n’est^ qu’à quelque distance qu’on distingue le chant aigre des grives, les accens plus graves des oiseaux à cordon , et la mélodi* enchanteresse des pivoines aupiès de soi on voit des rochers escarpés , bruns , festonnés au sommet par des arbres et des arbrisseaux, et d’autres rocs, tous de granit, de fàxum , ou de talc, revêtus de mousses de fougères, d’herbes et de fleurs ; le courant est ombragé par des arbres hauts de quarante pieds ; plus loin est une baie étendue, jonchée de petites isles couronnées d’arbres , enfermées par des montagnes majestueuses, dont la tête couverte de neige est cachée dans les nuages. La création végétale et animale était plus belle et plus abondante que par-tout ailleurs où nous avions débarqués , sans doute, parce que les rocs , réfléchissant les rayons du soleil , et éloignant les tempêtes , y rendaient le climat plus doux. Un jour je montai la pinasse pour reconnaître les isles et les rochers de l’entrée de la baie ^ nous en parcourûmes plusieurs , et y tuâmes D 3 S 4 Second Voyage quatorze veaux marins , tous de l’espèce qu'o» appelle ours de mer , et qu’on trouve dans le Kamtchatka ceux de la baie Duski sont petits , mais difficiles à tuer. On mange leur chair, qui est presque noire , ainsi que le cœur et le foie le hasard nous fit rencontrer le bateau de nos chasseurs , au moment où il allait être mis en pièces par les rochers nous les vîmes eux - mômes sur une petite isle où la marée basse nous empêchait d’arriver , et nous débarquâmes à peu de distance sur une grève nue , où nous soupâ- mes frugalement avec du poisson que nous finies griller sur un feu que nous allumâmes ; nous dormîmes ensuite sur un rivage pierreux où le dais du firmament nous servit de couverture. Vers les quatre lieu-es du matin la marée montante nous permit d’aller chercher nos chasseurs en chemin nous apperçûmes une quantité innombrable de peterels bleus les uns volaient, d’autres étaient dans des trous en terre , au milieu des bois , sous des racines d’arbres , dans des crevasses de rochers où on ne pouvait les atteindre , et où peut-être vivaient leurs petits , les vieux paraissaient aller sur la mer pour leur chercher de la nourriture le bruit qu’ils faisaient ressemblait au croassement des grenouilles ; on - les voit peu le jour, et ils volent beaucoup durant la nuit. Nous revînmes avec nos chasseurs au vaisseau. Je commençai une nouvelle course deux jours après , j’examinai les havres et les isles qui se trouvaient sur la route ; puis nous nous réunîmes de Jacques Cook. 55 pour faire une chasse générale des tireurs se mirent en embuscade de différons côtés , et avec le bateau je vins faire lever le gibier, je réussis si bien qu’une centaine de canards allèrent tomber dans notre embuscade en visitant un bon havre où est un mouillage sûr et au fond duquel est une belle grève sablonneuse , je pris vingt poules de bois , qui me récompen - seront de la peine d’avoir parcouru un is - thme au travers de bois humides, où je marchais dans l’eau jusqu’à la ceinture la pluie nuisit à l’abondance de notre chasse ; cependant nous abordâmes dans notre vaisseau avec sept douzaines de pièces de volaille et deux veaux marins. Enfin notre Zélandais se détermina à venir à bord. Avant d’y poser le pied , il se tira à l’écart, plaça une patte d’oiseau et des plumes blanches dans ses oreilles , rompit une branche verte d’un arbrisseau voisin, la prit à la main, et en frappa plusieurs fois les flancs du vaisseau en répétant une harangue ou prière qui semblait avoir des cadences régulières dès qu'il eut fini , il la jeta dans les grandes chaînes de haubans et entra. Pendant la cérémonie , la jeune femme qui riait et dansait toujours , fut très-sérieuse et se tint aux côtés de l’homme qui parlait. Je conduisis ces Zélandais dans la chambre où nous déjeunions , mais ils ne voulurent pas nous imiter l’homme cherchait à savoir où nous dormions , mais son attention était errante , rien ne la fixait en entrant il nous avait fait présent D 4 56 Second Voyage d’une pièce d’étoffe et d’une huche de talc vert; ils nous en donnèrent deux encore, et reçurent ù leur tour des huches et des clous de fiche toute autre chose paraissait sans prix à leurs yeux nos oies les amusèrent ; ils caressèrent un petit chat, mais en lui redressant le poil pour mieux voir sans doute la richesse de sa fourrure ; ils furent charmés d’apprendre l’usage des chaises et de voir qu'on les portait de place en place. Pour nous montrer son affection, l’homme tira de dessous son vêtement un petit sac de cuir fort sale, y trempa ses doigts qui en sortirent couverts d’une huile puante dont il voulut oindre mes cheveux, mais je m’y refusai. Mr. llodge plus complaisant garda une touffe de pl unies trempées dans cette huile, dont la femme voulut orner son cou. Nous allumes visiter le fond de la baie en nous éloignant de la mer, nous trouvâmes les montagnes plus élevées , plus escarpées et plus stériles. La hauteur et la grosseur des arbres diminuaient insensiblement ; on ne voyait plus que des buissons. Nous appercevions les monts les plus élevés dont le sommet était couvert de neiges à côté de lions étaient de petites isles couvertes qui avaient de petites anses et des ruisseaux, plus loin nous vîmes une belle cascade et un grand rocher revêtu d’arbres et de buissons l'eau était au bas calme et transparente, et on y voyait comme dans une glace le paysage des environs une foule de points pittoresques réunis par des masses de lumière et d’oui- ns Jacques Cook. bre , produisaient un effet admirable. Nous résolûmes de couclier sur la grève près d’un ruisseau et d’un bois ; on y débarqua les rames , les voiles , les manteaux , les haches , les fusils , les provisions. Les uns ramassèrent du bois sec , les autres l’allumèrent ceux-ci dressaient une tente ; ceux-là préparaient le poisson , plumaient et rôtissaient la volaille ; d’autres mirent la table ; nous soupâmes avec appétit, discourant sur la petite délicatesse de nos nations civilisées. Nos matelots se divertissaient autour du feu , se régalaient et s’entretenaient à leur manière puis nous nous enveloppâmes dans nos manteaux et dormîmes. Le lendemain nous débarquâmes sur un côté de la baie, et me glissant derrière les buissons , je tirai un canard à ce bruit, des Zélandais que nous n’avions point apperçus , poussèrent des cris horribles nous nous retirâmes dans notre chaloupe, et les mêmes cris se répétèrent, mais un bras de rivière ne permettait pas aux habitans de nous joindre, et nos deux chaloupes remontèrent cette rivière en tuant des canards sauvages. Enfin un homme et une femme se montrèrent sur le bord; la femme agitait dans sa main quelque chose de blanc en signe d’amitié ; et il est singulier que cette couleur annonce chez toutes les nations des intentions pacifiques ils n’attendirent pas cependant que nous eussions débarqués, ils se retirèrent au fond des bois. Je remontai la rivière , et bientôt la force du courant me força de rebrousser chemin, Mr. Förster monta, sur une colline 58 Second Voyage au travers des fougères , des arbres pourris et d’épaisses forêts , et il arriva au bord d’un joli lac dont l’eau était limpide, douce et de bon goût ; mais les feuilles des arbres d’une forêt sombre qui l’environnait, lui donnait une couleur brunâtre il n’y vit que l’esox ou aiguille , poisson sans écailles , brun, tacheté de jaune , ressemblant à la truite ses environs étaient déserts et silencieux, point de plante n’y montrait sa fleur ; ce lieu tranquille inspirait une douce mélancolie. J’apperçus deux Indiens sur le bord opposé , mais nous ne pûmes leur parler lorsqu’ils nous virent approcher de la côte , ils s’enfoncèrent dans leurs épaisses forêts , et nous revînmes dans le même lieu où nous avions passé la nuit nous y déjeunâmes , et revenions à bord , lorsque nous apperçûmes des hommes qui nous appelaient. J’aillai à eux, je débarquai sans armes avec deux compagnons, les insulaires étaient aminés de piques, et ne se laissèrent approcher que lorsque je débarquai seul je les engageai à'mettre bas leurs piques ; P un deux la quitta, et vint à moi avec une plante dont il nie donna à tenir une extrémité , ensuite il commença une harangue , fit de longues poses , puis reprenait son discours lorsque j’avais prononcé quelques mots. Le discours fini , nous nous saluâmes ; il ôta son vêtement, et me le mit sur le dos , la paix parut conclue et nous nous rassemblâmes amicalement ils avaient des traits rudes et réguliers leur tqiut était olive, leurs cheveux de Jacques Cook. 5g touffus. leur barbe noire et frisée leurs jambes , leurs cuisses étaient minces et leurs genoux gros ; cependant ils paraissaient forts et montrèrent beaucoup de courage. Je leur donnai à chacun un couteau et une hache , n’ayant pas autre chose j c’était ce qui pouvait leur être le plus utile. Ils désiraient nous conduire à leur habitation ; mais la marée et d’autres circonstances ne me permirent pas d'accepter leur invitation ils vinrent à notre chaloupe, parurent craindre nos fusils , qu’ils regardaient comme des instrumens de mort, parce qu’ils leur avaient vu tuer des canards ; nous ne leur vîmes ni pirogues ni canots ; deux ou trois morceaux de bois attachés ensemble les transportaient d’un bord à l’autre de la rivière sur laquelle ils vivaient. Le poisson et les oiseaux leur offrent une proie abondante ; leurs voisins peu nombreux ne les inquiettent pas, car peut-être ce canton ne renfermait que trois familles. Nous quittâmes ces Zélandais, et revînmes au vaisseau où la famille Zélandaise avait aussi rendu visite 5 mais le lendemain elle quitta le canton, et nous ne la revîmes plus ; ce qui était d’autant plus extraordinaire , que nous l’avions enrichis de haches et de clous de fiche , effets précieux pour ce peuple. Nous fîmes encore quelques expéditions nous allâmes à la pêche d-, veau marin , dont la peau servait à nos agrèts, la graisse nous fournissait de l'huile à brûler, et la chair des mets dont la sapeur égalait celle des tranches de bœuf fricas- 6 o Second Voyage 8668. Nous montâmes sur le sommet d’une montagne où nous allumâmes du l'eu, et d’où nous vîmes que celles de l’intérieur du pays étaient stériles, couvertes de neige, de rochers escarpés,, bordées par d'affreux précipices séparés par des abîmes effrayans. Au sommet de l'une d'elles on trouva de petits buissons , des plantes alpines qu’on n’avait vues encore nulle part le bas était revêtu de bois épais , et les arbres qui approchaient le plus du pied étaient aussi les plus grands. On y avait monté avec peine à cause de l’entrelacement des ronces et des lianes ; on en descendit avec danger, à cause des précipices dont on ne s’écartait qu’à l’aide des arbres et des buissons. On y trou va une espèce de dragon végétal, à feuilles larges, dont la branche centrale, lorsqu’elle est tendre , a Je goût d’un noyau d’amande et un peu la saveur du chou. On découvrit aussi la chaîne de roclters sur lesquels la mer se brisait, et qui sont les premiers objets" qui frappèrent nos regards lorsque nous découvrîmes la terre. Nous déposâmes cinq oies dans un lieu où elles devaient trouver beaucoup de nourriture et n'être point troublées par le voisinage des hommes. Nous tuâmes près de là un héron blanc , oiseau qu’on voyait autrefois en Angleterre. Nous profitâmes de huit jours d'un ciel beau et serein pour faire nos provisions d'eau et de bois , pour- raccommoder nos agrêts, calfater notre vaisseau , et nous disposer au départ mais avant de quitter ces lieux , je trouvai tua de Jacques C o o k„ 6t canal qui communique de la baie à la mer , plus commode que celui par lequel nous y étions entrés -, et nous tuâmes en cliemin quarante-quatre oiseaux , pies de mer , canards , etc. Nous rembarquâmes nos tentes , nos munitions, et faisant bêcher le terrain assez mauvais que nous avions occupé , nous y semâmes différentes graines de jardin ce canton , éclairci par nos mains , qui montrait d’abord un cahos de plantes entassées » devint une espèce de jardin et un champ bien ordonné. Nous y avions abattu de grands arbres dont nous avions fait des planches , facilité baignade en creusant l’entrée d’un ruisseau , et fait une boisson agréable de plantes indigènes dont les naturels ignoraient l'usage ; nous y avions offert une scène animée par différens travaux les collines retentirent des coups redoublés qu’on avait frappés sur l’enclume. Le paysage sembla revivre sur le papier par le crayon d'un jeune artiste ; l’œil d’un astronome y suivit le mouvement des astres , on y observa les plantes et les animaux des forêts et des mers, mais bientôt sans doute on ne retrouvera plus de traces dé nos travaux , et les ronces y étoufferont les plantes utiles. Nous levâmes l’ancre enfin et sortîmes de la baie le 1 mai , mais la brise qui soufflait s’éteignit, et reculant plus que nous n’avancions, nous fumes obligés de rentrer dans une anse où nous mouillâmes si près de la côte , que notre pavillon se perdait dans des branches d’arbres nous en visitâmes les environs , et y trouvâmes des huttes habitées depuis peu ; près d’elles étaient 62 Second Voyage deux larges foyers ou fours là encore nous découvrîmes de nouveaux oiseaux et de nouveaux poissons. Une luise légère s’éleva et put nous conduire dans un nouvéau passage que je désirais visiter. Ses côtes étaient fort escarpées et formaient divers paysages embellis par un grand nombre de petit escascades et de dragons végétaux. Pendant qu’avec la chaloupe on visitait un bras de mer qui tournait à Fest, je lis nétoyer et aérer avec du feu les entreponts et les ponts, soin- importuns, sur-tout dans les temps humides. La chaloupe revint le lendemain après avoir essuyé une violente tempête on avait apperçu des deux rives une foule de cascades , des bois, des arbrisseaux dépouillés , parce que le voisinage des hautes montagnes, blanchies par la neige , y rendait l'hiver liiltif les nuits y étaient trè -Ironies, et cependant il fallut y en passer deux sans couvert ; dans la dernière , après avoir amarré la chaloupe le mieux qu’il fut possible , on monta sur une colline , où l’on fit du feu au milieu d'un rocher étroit , et on y rôtit quelques mi-sons quoique ceux qui étaient là fussent mouillés jusqu'aux os , et que le vent fût très-froid, ils ne purent se tenir près du feu, parce que les flammes se précipitaient tout autour en tourbillons , et à chaque moment ils étaient obligés de changer de place pour ne pas être brûlés. La tempête s’accrut le terrain était glissant , cependant il fallut descendre pour passer la nuit dans les bois , sous le vent des hautes montagnes on y fut encore plus mal que sur la de Jacques Cook. 63 colline l’humidité empêchait le feu d'y brûler rien ne mettait à couvert de la pluie ; l'eau qui tombait des feuilles mouillait encore davantage , et la fumée , que le vent ne laissait pas monter , étouffait. On se coucha sans souper, sur un terrain humide, enveloppé dans des manteaux trempés , accablé de douleur que le sommeil soulagea un instant ; un coup de tonnerre fut le signal du réveil, et fit appercevoir que la tempête était devenue un véritable ouragan le rugissement des vagues qu’on entendait de loin , l’agitation des forêts, la chûte des gros arbres inspiraient l’épouvante les éclairs illuminaient la mer, et en montrant les vagues écumantes se roulaient en montagnes les unes sur les autres , et les tonnerres répercutés par les rocs environnans, en devenaient plus effrayans. On reconnut que ce bras de mer s’étendait à l’orient dans un espace de trois lieues, qu’il y avait un bon mouillage, du bois, de l’eau douce, des oiseaux de mer, du poisson. Je visitai encore un autre bras, mais sans en voir l’extrémité ; nous chassâmes, et tuâmes des oiseaux de mer et des veaux marins ; puis nous levâmes l’ancre et dépliâmes les voiles par un temps assez orageux , pour continuer notre route. Cette baie Dus^i est un des lieux où les navigateurs peuvent trouver le plus de rafraîchisse- mens, et il est utile d’en donner une courte description. Elle a deux entrées ; la méridionale se distingue par des rochers pointus que leur figure nous fit appeler les cinq doigts ils forment une 64 Second V o y a g * péninsule étroite qui va du midi au nord , d’une hauteur médiocre , par - tout égale et couverte de bois cette entrée n’est pas difficile , parce que si elle renferme des dangers , elle n'en cache aucun Peau v est très-profonde , et l’on n’y peut mouiller commodément que dans ses anses et ses havres, il en. est d’excellens. L’entrée septentrionale est à cinq lieues au nord de la pointe des cinq doigts ses côtes très-élevées font qu’on ne peut Pappercevoir de loin elle est défendue des grosses vagues par quelques isles. Ce pays est très-montueux , les sites y sont sauvages , et les montagnes cPune hauteur étonnante et couronnées de roches stériles ou de neiges éternelles; mais la terre qui touche la côte de la mer , est revêtue de bois épais jusques au bord de l’eau. On n’apperçoit aucune prairie, et il n’y a de terrain plat qu’au fond dss anses profondes où un ruisseau se rend à la mer, et a formé le canton bas en amenant la terre et les pierres du haut des collines tout y est couvert de forêts on de ronces on y trouve des arbres propres à l 'architecture navale , à la bâtisse des maisons , à l’ébénisterie et à d’autres usages les plus beaux sont les sapinettes , et ils ont huit à dix pieds de tour sur quatre-vingt-dix à ceut de haut il y a beaucoup d’arbrisseaux aromatiques, la plupart de l’espèce des rnyrthes, mais il n’est aucun de ces arbres qui donne un fruit bon à manger les bois sont remplis de liane , dont plusieurs ont cinquante à soixante brasses de long avec les ronces et les buissons , elles rendent le pays DE J A C e Jacques Cook. y5 vés , dont les bords sont escarpés et le sommet nni vers le pied , il y a des marais couverts de différentes herbes , et sur-tout de la plante daim de la Nouvelle-Zélande au sommet on trouve des herbes sèches et des buissons qui fourmillent de cailles. Des cavités profondes qui se prolongent jusqu’à la mer , étaient remplies d’ar bres et de ronces habitées par des petits oiseaux et des faucons ; de grosses troupes de jolis cormorans construisaient leurs nids sur de petites roches brisées, ou dans de petits creux que ces'oiseaux paraissent avoir élargis eux-mêmes. Les environs du canal de la Reine Charlotte sont composés de collines argilleuses , disposées en couches obliques , d’un gris verd , ou bleu , ou d’un brun jaunâtre , veinées quelquefois de quartz blanc. On y trouve un talc verd , demi- transpârent, dur , susceptible d’un beau poli les Indiens en font des ciseaux , des haches , des patou-patous sur les montagnes , on voit de vastes couches de différentes parties de corne et d'ardoises argilleuses , qui semblent remplies de particules de fer ; sur le rivage on trouve des cailloux et des morceaux d’un basalte noir, ferme et pesant ailleurs sont des couches du saxuin noirâtre de Linnæus, composé d'un mica noir, compact , entre - mêlé de petites particules de quartz sur la côte on remarque des morceaux de pierre-ponce blanchâtre. J’avais un bélier et une brebis, que je débarquai dans la Nouvelle-Zélande , dans l’intention de les y faire multiplier, mais peu de jours après j 6 Second Yoyacä je les trouvai morts , probablement pour, avoir mangé quelque plante empoisonnée. Des Indiens vinrent nous visiter ils ressemblaient à ceux de la baie Dusky , mais ils étaient plus turbulens , plus familiers , plus iusoucians iis ne voulurent boire que de l’eau , et l’aimaient beaucoup adoucie avec du sucre ils estimaient singulièrement les bouteilles de verre, mettaient la main sur tout ce qu’ils voyaient, mais 1 abandonnaient dès qu’on le leur disait. Ceux que nous vimes ensuite, demandèrent des nouvelles de Tupia , ce Taïtieu qui m’avait accompagné à mon retour ; ils s’afili- gèrent de sa mort la même demande nous fut laite par d’autres qui n’avaient jjamais vu ni lui ni nous ; ce qui prouve qu’ils communiquent entr'cux. Tupia leur était devenu cher par sa facilité à parier leur langue et par ses connaissances. Nous visitâmes l’intérieur du pays les collines sont plus élevées quand on s’éloigne de la mer ; les forêts y sont impénétrables, et peuplées de pigeons , de parrots et de petits oiseaux qui y viennent passer l’hiver les pies de mer, différentes espèces de cormorans animent les bords de l’Océan ; la baie occidentale renferme de belles anses elle est entourée de collines couvertes d’arbrisseaux et d’arbres , dont les sommets présentent une plaine revêtue de fougère. Tel est encore l’état de plusieurs isles voisines nous y trouvâmes une espèce de poivre , dont le goût ressemblait au gingembre. Nous trouvâmes ù bord des Indiens , et parmi si ,T a c q u ï s Cook. 77 eux lin jeune liomme de douze à quatorze ans , qui paraissait plus vif et plus intelligent que les autres ; il but avec délices du vin doux du Cap . et en demanda un second verre , qui mit ses esprits en mouvement; il babilla avec une volubilité prodigieuse , cabriola , voulut tout ce qui frappait ses regards , s’impatienta, et devint presque furieux de nos refus. Sa conduite nous prouva combien ces hommes impatiens et emportés étaient heureux de ne pas connaître de boissons enivrantes. On montra à quelques-uns d’entre eux des plantes de pornmes-de-terre, des tumeps, des navets des carottes , des panais , racines utiles, dont ils parurent sentir le prix ils avaient des femmes , dont les lèvres étaient remplies de petits trous peints en bleu noirâtre un rouge vif formé de craie et d’huile couvrait leurs joues feur teint était d’un brun clair , leurs cheveux noirs , leur visage rond , leur nez et leurs lèvres un peu épaisses , des yeux noirs et expressifs le haut de leurs corps est proportionné , mais elles ont les jambes minces et torses , et de gros genoux leurs pères , leurs frères les offraient aux matelots pour des clous , une chemise , etc. ; les femmes seules sont astreintes à une fidélité qu’elles ne démentent jamais. Les hommes ont beaucoup de physionomie , sur-tout les vieillards, qui portent une barbe et une chevelure blanche on grise des cheveux touffus qui tombent en désordre sur le visage des jeunes gens , rendent leurs regards plus farouches encore ils portent des vetemens faits avec la plante de lin ; des morceaux de pee* 78 Second Voyage de chien-pendaient aux quatre coins des Iialnts des plus riches. Quelques-uns se mirent à voler ce qui leur tombait sous la main ; nous les chassâmes, et ne leur permîmes plus de montera bord; ils s’en irritèrent et nous menacèrent, mais ne firent rien de plus. Quelques-uns'se fixèrent près denous et nous fournirent abondamment du poisson , parce qu’ils étaient plus habiles pécheurs que nous. Le i juin , il en arriva que nous ràvions point vus encore leurs pirogues vieilles et usées étaient de différentes grandeurs , et trois avaient des nattes triangulaires attachées au mât , et à une vergue qui, formant un angle aigu avec le pied du mât, se pliaient avec facilité ; cinq touffes de plumes brunes décoraient le bord extérieur de la voile à l’avant et à barrière , on voyait un visage tors ; leurs pagayes proprement faites avaient la pâlie pointue ils nous vendirent des morceaux de pierre verte , taillés en forme de haches , des pendans d’oreilles , des petits anneaux , en ligures humaines contournées et ramassées , qu’ornaient de monstrueux yeux de nacre de perles , ou d’autres coquillages ; ils les portaient à leur cou, et elles paraissaient être une espèce de talisman. Ils échangèrent un tablier de la natte la plus fine , couvert de plumes rouges , de morceaux de peau de chien blanche et orné de coquillages, des hameçons de bois barbelés d’os et d’une forme grossière sur leur poitrine étaient des dents humaines, qu’ils vendirent pour des outils de fer et des verroteries de Jacques Cook. 79 ils avaient des cliiens à longs poils , à Oreilles pointues et de diverses couleurs ; iis les aiment beaucoup , et les tiennent attachés par le milieu du ventre ; ils les nourrissent de poissons ou de racines comme les hommes. Nous remarquâmes des lignes spirales qui sillonnaient leurs visages r l’un d’eux, qui était grand et fort, d’un âge mûr, avait des marques régulières sur le menton , les joues, le front et le nez ; il montrait de l’autorité sur les autres , ce que nous 11’avions point observé encore ; c’était peut-être l’effet naturel de son âge. Quelques-uns qui étaient de bonne humeur, nous donnèrent le spectacle d’un Heiva, ou d’une danse. Placés de file , ils se mirent nuds jusqu’à la ceinture ; l’un d’eux chanta , le reste accompagna les gestes qu’il faisait ils étendaient leurs bras, et frappaient alternativement du pied contre terre avec des contorsions de frénétiques ils répétaient en chœur les derniers mots , et l’on y distinguait une sorte de mètre $ mais on ne sait s’il y avait de la rime la musique était grossière et peu variée. Nous déposâmes dans ce lieu un bouc et une chèvre , un verrat et deux jeunes truies, poux en répandre l’espèce dans la Nouvelle-Zélande. On avait cru d’abord que ses habitans vendaient leurs enfans, parce qu’ils venaient nous les présenter ; mais ils ne nous les présentaient qu’afin. de leur faire offrir des présens on m’en présenta un de cette manière , et je compris bientôt que c’était pour lui faire donner une chemise blanche je les satisfis et on remporta l’enfant ils So Srcokd Tor acï s’enfuirent tons en voyant leurs ennemis s’approcher du vaisseau , et que nous ne voulions pas leur faire tirer dessus. Ces nouveaux Zé- îandais étaient dans une grande double pi-ogne deux hommes de belle taille , l’un à l’avant, l’autre à l’arrière de la pirogue , se levèrent lorsque nous en fûmes voisins le premier avait un manteau noir de natte très-serrée, garni de çornpartimens de peau de chien il tenait à la main une plante de lin encore verte , et de temps en temps il disait quelques mots à son camarade, prononçait très-haut et d’une manière sol einteile , une longue harangue bien articulée , et il élevait et abaissait sa voix de toutes sortes de manières différentes. D’après ses ton» divers et Res gestes, il semblait faire des questions , se vanter , défier au combat quelquefois il parlait sur un mode assez bas ; puis tout-à-coup il poussait les exclamations violentes , et s’arrêtait. Quand il eut fini , nous l'invitâmes à monter à bord , il fut d’abord indécis , mais bientôt il vint suivi des siens , et nous salua par une application de nez. La paix fut promptement établie entre nous ces hommes étaient plus grands que ceux que nous avions vus jusqu’alors ; ils venaient de la côte de l’isle septentrionale, avaient des habits , des ornemens , des armes plus riches que ceux que nous connaissions , et parlaient avec beaucoup de volubilité; ils avaient plusieurs manteaux couverts de peau de chien , et ils y mettaient un grand prix ; ils en avaient encore de fibre de lin., embellis d’élégantes bordures de J a c q u s s Cook. Si et de diverses couleurs ; le noir y était si fortement imprimé , qu’il mérite l’attention ; car nous manquons de productions végétales qui donnent cette couleur d'une manière durable leurs manteaux sont quarrés , ils attachent deux de leurs coins sur la poitrine avec une épingle d’os de baleine ; une ceinture de fines herbes en- lie la partie inférieure sur leurs reins , ils descendent souvent jusqu’à mi-jambe ; d’ailleurs ils étaient mal-propres, et avaient le visage sillonné , ou peint d'un ocre rouge délayé dans une huile puante tous leurs outils étaient sculptés evec élégance et faits avec soin $ le tranchant d’une hache qu’ils nous vendirent était du plus beau jaspe vert, et le manche relevé par une jolie ciselure. Ils avaient quelques instrumens de musique une espèce de trompette longue de quatre pieds dont le son était très-sauvage j un autre instrument composé d’une sorte de murex, monté en bois, sculpté , percé à la pointe où s’applique la bouche , qui lorsqu’ils l’embouchaient , exoitait dans l’air un mugissement horrible ; une espèce de flûte large dans son milieu où était une grande ouverture, outre celle des extrémités. La figure humaine qui décore la proue de leurs pirogues,avait une longue langue qui sortait de la bouche ; ils en placent une aussi à l'extrémité de leurs haches de guerre qu’ils portent sur leur poitrine , suspendue à un collier ; on voit encore ce même ornement sur les pagaies et âes pelles avec lesquelles ils vident l’eau nous limes arec eux up. commerça d’échange et Tome II. £ Lr Seconb Voÿagb quand ils se furent retirés, nous les vîmes se réunir avec quatre ou cinq pirogues ; nous allâmes aussi les y joindre , et nous achetâmes beaucoup d’armes, d’outils, de vêtemens, etc. Ces Indiens avaient avec eux tous leurs meubles ; lors même qu’ils s’éloignent peu de leurs habitations, ils transportent ainsi tous leurs biens ; tout canton qui leur fournit leur subsistance est leur patrie, et par conséquent ils ne sont jamais hors de chez eux. Ils mènent une vie errante , rassemblés en petites peuplades toujours sur leurs gardes, et soit qu’ils voyagent ou qu’ils travaillent, ils ont toujours les armes à la main les femmes mêmes en portent quelquefois. Ceux qu’on a vus dans un temps ont fait place à d’autres peu de temps après tel lieu parut habité, qui bientôt après devient désert. Nous quittâmes nos Zélandais pour v enir célébrer entre nous l'anniversaire de la naissance du roi Georges III ; j’accordai une doube ration aux matelots , et la joie fut générale. Le jour suivant , je donnai au capitaine Furneaux le détail de la route que je me proposais de faire je lui assignai des rendez-vous en cas de séparation , et quoique non» fussions au cœur de l’hiver, je projetai des découvertes jusqu’au /[ 6 r . degré de latitude méridionale. Je n’avais pas de temps à perdre, et il fallait profiter de tout celui que nous avions. D’ailleurs les deux vaisseaux étaient bien pourvus , les équipages en bonne santé , et on ne pouvait employer la saison plus utilement. Le 7 juin, nous partîmes par un vent favo- de Jacques Cook. 83 able ; mais bientôt il cessa de l’être , et nous saurions pu sortir du détroit si le reflux ne nous avait été favorable une brise de nord vint nous aider à en sortir , et nous en fbines le lendemain à midi à la distance de 7 lieues. Nous contemplâmes cet océan immense où l’on plaçait un continent très-vaste , que les courses précédentes avaient déjà resserré, et que la nôtre resserra plus encore , si elle n’en démontre pas la non-existence. Nous espérions le trouver , et d'aborder sur des côtes dont les produs- tions précieuses nous dédommageraient de nos peines. Je révoquais en doute ces nouveaux pays , mais j’étais loin d’aifirmer qu’on n’eu trouverait point je n’en étais pas assuré moi- même, et’je ne voulais point décourager. Nous appercevions encore les hautes montagnes dont nous venions de nous éloigner, quand je diii- geai ma course entre le midi et l’orient, mais un peu plus vers celui-ci. De grands poissons cétacés ,un nombre infini d’albatrosses nagèrent autour de nous ; nous avancions assez rapidement, mais bientôt le vent nous força de diriger vers le nord le temps était variable 5 un beau ciel succédait à la pluie, un vent très-frais à un calme profond. J’appris du capitaine F urneaux que deux de ses matelots étaient malades du mal vénérien ; ils l’avaient pris dans la Nouvelle- Zélande où cette peste avait pénétré , oû i 1 est fort probable même qu’elle est indigène. Un vent violent nous força d’abattre toutes nos voiles hautes la mer était très-grosse , mais cette es* F 3, 84 S X C O K B V O r A G B pèce de tempête ne dura que jusqu'au lendemain. Nous voyions souvent des albatrosses , des pete- reles , des passes-pierres, et presque tous les matins un arc-en-ciel une nuit, ce phénomène , causé par la réfraction de la lune, fut assez frappant. Un jeune bouc tomba dans la mer ; après l’avoir repris, on le frotta , on lui injecta des clystères de fumée de tabac , etc., et malgré tous ces soins , on ne put le rappeler à la vie il faisait alors un calme qui fut suivi d’un vent du midi assez faible, mais suivi cependant d’une grande houle creuse qui venait du couchant, et qui prouve qu'il n’y a point de terre un peu étendue dans cette direction le soir du i5 juillet nous vîmes flotter une bûche de bois qui semblait couverte de bernacles ; mais nous ne pûmes deviner d’où et comment elle y était venue , et depuis quel temps elle était dans cette mer. Nous parvînmes enfin à un degré et demi plus au couchant que je ne me l’étais proposé , et rien n’y annonçant la terre , nous primes la direction nord-est. Nous venions de passer des jours très-ennuyeux à la chercher le climat avait été rigoureux, les vents contraires , et il n’était survenu aucun événement intéressant $ mais nous étions assurés qu’il n’y avait point de terre Jans les latitudes moyennes. Nous continuâmes pendant quelques jours notre route vers le nord, quelquefois plus au couchant, quelquefois vers le levant, et nous parvînmes au 3i degré de latitude. Là , le temps était si chaud, qu’il ï> i J a c q tr * 9 Cook; 85 nous fallut mettre nos habits les plus légers. La gaieté de l'équipage se ranimait à mesure que nous nous rapprochions du tropique , et les matelots employaient leurs soirées à toutes sortes de jeux la douceur de l’air nous en chantait Le 20 juillet fut remarquable , en ce que nous ne vîmes pas un seul oiseau. Ceux que nous avions vus , dont nous avons parlé ailleurs , fréquentent l’océan dans les latitudes plus élevées enfin nous ne découvrîmes rien qui pût nous faire penser qu’il y eût quelque terre dans la nature quatre jours après nous essuyâmes une tempête qui déchira toutes nos voiles , et quand elle fût appaisée , que le ciel eut repris sa sérénité , nous vimes le premier oiseau du tropique que nous ayîons apperçu dans ces mers. Ce jour 9 le soleil couchant répandit sur lès nuages le jaune le plus brillant ; ce qui nous persuada encore davantage que les couleurs du firmament ne sont nulle part aussi riches et aussi belles qu’aux environs du tropique. J’envoyai à bord de l’Aventure pour m’informer de la santé de l’équipage ; j’appris qu’il y avait des malades , que le cuisinier était mort j, que le scorbut et le flux de sang retenaient sur les cadres vingt de ses meilleurs matelots. Nous ri'avions que trois malades, et un seul l’était du scorbut quelques-autrer en avaient des symptômes , et on leur donnait du moût de bière , de. la marmelade de carottes , du jus de limon s d’orange cette différence venait probablement, de ce que VAventure ne prenait pas autant d L* 3 L6 Second Voyage nouvel air que la Résolution , qui pouvait ouvrir plus d'écoutilles ; de ce que nous consommâmes plus de choux-ci out ou svuerh'aut et de moût de bière , et de ce que nous appliquions les grains du moût sur toutes les pustules ou enflures ; régime que n’observait pas Y Aventure. D’ailleurs son équipage ne mangea pas autant de végétaux que le mien dans le canal de la Reine Charlotte , parce qu’ils les connaissaient moins bien et y étaient moins accoutumés mon exemple donna du goût pour les anti-scorbutiques à tous ceux qui agissaient sous moi, et dans la suite je n’eus pas taesoin d'ordonner d’en cueillir ; chacun se hâtait de s’en emparer le premier. Il n’est pas inutile de remarquer que le scorbut est plus dangereux , plus virulent sous les climats chauds que sous les climats froids ; car la chaleur contribue à l’inflammation et à la putréfaction. Le cidre diminua ensuite le nombre des scorbutiques sur l’Aventure. Parvenus au milieu du parage que le capitaine Carteret assigne à l’isle Pitcairn, je la cherchai sans l’appercevoir je devais la recouvrer pour en vérifier la longitude , et corriger par elle toutes celles des isles découvertes par le même navigateur qui ne put confirmer ses longitudes par des observations astronomiques j mais nos malades m’obligeaient à hâter ina marche , et je la continuai, bien sûr de ne plus trouver sur mon passage de continent un peu étendu , comme je m’étais assuré qu’il n’en de Jacques Cook. 87 existait pas dans l’espace de plus de 3 o degrés en latitude que je venais de - parcourir il pouvait être dans des latitudes plus avancées , et c’est ce que je me promettais de déterminer dans l’été suivant. Vers le 21 degré de latitude , nous commençâmes à voir des poissons volans , des mouettes, des oiseaux d’œuf. Un ciel nébuleux , un temps incertain semblaient nou* annoncer les approches du vent alisé ; nous ne l’atteignîmes que vers le 19 degré 36 minutes de latitude ; nous avions espéré de trouver dans les latitudes moyennes les vents réguliers , et cependant nous n J y avions éprouvé que des vents très-variables qui ne se fixaient qu’à l’est d’où ils soufflaient avec violence. Ainsi le nom de pacifique donné à cet océan , ne lui est appli-, cable que dans la partie située entre les Tropiques , où en effet les vents sont uniformes » le temps doux et beau , et les flots peu agités Dès que nous eûmes atteint le vent alisé , nous mettions toutes nos voiles durant le jour ; nous faisions petites voiles durant la nuit, pour ne pas laisser échapper quelques nouvelles découvertes , ou pour ne pas donner contre des isles noyées nous jouissions du spectacle de la chasse faite par les bonites et les dauphins à des bandes de poissons volans, à celle des frégates, oiseaux noirs à longues ailes et à queue fourchue , qui s’élevant dans l’air à une grande hauteur, fondaient avec une vitesse étonnante sur un pois- -son qu’ils voyaient nager et ne manquaient jamais de l’atteindre cette dernière nous rappe- F 4 88 S k c o fcr n V o r a c, T. lait le stratagème employé par les Anglais , qui placent une pelamide ou un h*reng sur la pointe d’un couteau attaché à une planche flottante , et l’oiseau , en se précipitant dessus , se transperce lui-même. Le h août ', nous découvrîmes une isle qui? pouvait avoir deux lieues d’étendue , revêtue de bois , au-dessus duquel les cocotiers montraient leurs têtes élevées. Cette vue réjouit nos yeux fatigués de l’uniformité de l’océan ; nous lui donnâmes le nom de la Résolution , mais nous 110 nous y arrêtâmes pas ; elle était trop petite pour fournir à nos besoins, et les rafraîchissement devenus nécessaires, nous faisaient presser notre route pour O-Taïti où nous étions surs de les trouver nous voguions avec tranquillité ; la chaleur n’était pas incommode , parce que le vent alisé accompagnait le beau temps , et que Dos abris étaient étendus sur les ponts. Nous marchions à l’ouest sur le soir du même jour , on nous annonça une autre isle du haut des mâts ; nous l’appellâmes douteuse , et passâmes plus au nord. Le lendemain à la pointe du jour , nous découvrîmes terre devant nous à la distance d’un peu plus de demi-lieue; c’était une de ces isles à moitié submergées , ou plutôt un banc de corail de 20 lieues de tour, au milieu duquel était un grand lac ; à son centre étaient quelques islots couverts de bois, parmi lesquels on distinguait des cocotiers une pirogue montée de six ou sept hommes , était à la voile dans ce ïae si le jour ne nous avait éclairés à temps , d t J a c q u jr s Cook. 89 nous allions nous briser sur ce banc contre lequel la mer brisait et formait une houle terrible. Je lui donnai le nom de Furneaux , et elle paraît être une des isles vues par Mr. de Bougainville. Sans l’examiner davantage , nous nous en éloignâmes à toutes voiles en continuant notre route à l'ouest. Plus loin, nous vîmes encore une de ces isles basses ; il en est beaucoup dans cette mer entre les Tropiques ; elles sont de niveau avec les flots dans leurs parties inférieures, élevées de quatre à cinq pieds dans les autres j leur forme est sou vent circulaire; ejies renferment un bassin d’eau de la mer les rochers s'élèvent perpendiculairement du fond ; elles produisent peu de chose , et les cocotiers paraissent être ce qu'elles ont de meilleur ; mais malgré leur stérilité , malgré leur peu d’étendue , la plupart sont habitées. D’où viennent leurs habitarrs ? d'où viennent ceux des autres isles? c’est ce qu’il est difficile de déterminer. Ceux de ces isles submergées semblent craindre les étrangers , caractère qui leur vient peut-être de la rareté de lettre provisions , et de leur petit nombre qui les expose à l’oppression. On ne connaît, ni leur langue , ni leurs coutumes , qui seules pourraient faire conjecturer d'où ils tirent leur origine. ê A cinq heures nous vîmes encore une terre ; c’était l’isle de la Chaîne , découverte dans mon premier voyage pour éviter les dangers où ces isles pouvaient nous jeter durant la nuit que je voulais mettre à profit pour avancer, je fis mettre S J ACQfîS Coôï. lo3 Afin de nous mieux traiter , on nous offrit une gousse de noix de cocos remplie de petits poissons frais qu’on y mange cruds , sans autre sauce que de l'eau , nous les goûtâmes et ne les trouvâmes pas désagréables. Nous approchâmes des collines , malgré les sollicitations des Naturels , qui auraient voulu nous suivre, et craignaient la fatigue , nous engageâmes quelques guides à conduire nos pas. Nous y trouvâmes des plantes sauvages, et nous côtoyâmes un ruisseau rapide" jusqu’à un rocher perpendiculaire festonné par différens arbrisseaux, d’où il tombait en colonne de cristal des fleurs odoriférantes environnaient au pied une nappe tranquille et limpide. Ce lieu, d'où l’on découvrait la plaine et la mer , était d’une beauté frappante. A l’ombre des arbres dont les branches se courbaient mollement sur les ondes , nous jouîmes d’un zéphir agréable qui calmait la chaleur du jour le bruit uniforme et imposant de la cascade n’était interrompu que par le gazouillement des ruisseaux. Nos guides se reposèrent et nous examinèrent dans un profond, silence , dessinant des plantes. Nous redescendimes ensuite dans la plaine nous y rencontrâmes une foule d’insulaires , qui environnaient notre peintre Hodges et Mr. Grin- dall ; ils étaient sans armes, et cette confiance en donna aux Taïtiens. Nous nous joignîmes à eux, et entrâmes dans une hutte spacieuse où. une grande famille était rassemblée. Un vieillard à longue barbe blanche y était couché Hpr une natte propre, et appuyait sa tête sur uja G 4 ici Second Voyage petit tabouret qui lui servait de coussin son yisage était calme et non sillonné , parce qu’il vivait content il jouait avec de petits enf'ans nuds ; des hommes bien faits , des nymphes sans art en qui la jeunesse suppléait à la beauté , entouraient le patriarche et conversaient avec lui ; on nous pria de nous asseoir ; nous nous assîmes ils nous examinaient, mais assez rapidement , demandaient nos noms , les changeaient à leur manière , et les répétaient avec plaisir ; on nous donna des fruits , on nous lit entendre le son de la flûte et des chants sans variété , mais qui ne blessaient point l’oreille par des sons dis- cordans. Charmé de ces tableaux de bonheur , Mr. Hodges remplit ses portes-feuilles de dessins , et les naturels le regardaient attentivement dessiner quelques mots , et une pantomime muette nous tinrent lieu des discours suivis que nous aurions aimé avoir avec ces bonnes gens notre docilité et nos efforts pour leur plaire , leur étaient aussi agréables , que leur caractère social et leur empressement à nous instruire j, l’étaient pour nous. Le vieillard nous lit plusieurs questions sur notre pays , sur notre séjour dans l’isle , sur nos femmes nous le satisfîmes et leur limes de petits présens , puis nous continuâmes notre excursion ces pauses dans des cabanes hospitalières nous rafraîchissaient , et nous n’étions point du tout latigués les sentiers de la plaine étaient bièn battus , la surface était de niveau et couverte de jolis gramens ni çousins , ni mous- de Jacques Cook. io5 quites ne bourdonnaient autour de nous , et nous ne craignions la piqûre d’aucun insecte des boc- cages épais nous sauvaient de l’ardeur du midi ; une brise de nier nous rafraîchissait. Nous arrivâmes à un endroit où la mer formait un petit golfe, près de lui est une plaine au milieu de laquelle était un moraï composé de trois rangées de pierres en forme d’escaliers couverts d’herbes , de fougères et d’arbrisseaux, Vers l’intérieur dn pays , l’édifice était terminé par un enclos oblong de pierres , élevé de trois pieds , au-dedans duquel étaient deux ou trois palmiers solitaires , et des casuarinas avec leurs rameaux pleurans plus loin s’élevait un grouppe épais d’arbrisseaux sous lequel on entrevoyait une hutte qui renfermait une espèce de théâtre , où était déposé un cadavre couvert d’une étoffe blanche, qui retombait en différens plis et environné de jeunes cocotiers , de bananiers et de dragons végétaux non loin de là était encore une hutte où l’on avait placé des alimens pour la Divinité, et un bâton planté en terre sur lequel nous vîmes un oiseau mort, enveloppé dans un morceau de nattes. Au milieu était une femme assise qui achevait les obsèques du mort. Nous revînmes par la côte de la mer quelques-uns de nous se baignèrent , et l’un d’eux vêtit à la mode de Taïti, ce qui fit un plaisir infini aux insulaires. Nous arrivâmes à une- habitation propre, où un gros homme se berçait voluptueusement sur son coussin de bois, et recevait les mets dont on remplissait sa bouche il les îo6 Second Voyage dévorait avec un appétit vorace sur son visage était peinte l'insensibilité on jugeait que ses pensées étaient bornées au soin de remplir son ventre il daigna nous regarder à peine, il excitait ses domestiques par des monosyllabes à remplir leur devoir la vue de ce chef diminua le plaisir dont nous avions joui dans nos promenades précédentes un homme voluptueux passant sa vie dans l’inaction la plus stupide, ravissant à la multitude qui travaille 1 es productions quelaterre répand sur tous, fit disparaître les idées riantes de l'égalité qui paraissaient régner dans cette isle. Nous cherchâmes à écarter de notre imagination ce tableau désagréable, en entrant dans une cabanne petite, mais propre, où un jeune homme que notre confiance et des honnêtetés nous avaient attaché,, nous reçut aidé de son père et de sa mère qui témoignèrent beaucoup de joie de voir les amis de leur fils , et nous prièrent d'accepter le repas qu’ils nous avaient préparé oes bonnes gens se croyaient heureux de ce que nous goûtions leurs agréables mets ; il nous semblait être dans la cabane de Philémon et Baucis ; des grains de verre , des clous , une hache , une chemise récompensèrent leur hospitalité- Approvisionnés d'eau, de fruits , de racines , je résolus de partir pour le havre de Matavai un des naturels nommé Tuahow coucha sur le vaisseau pour s’y rendre il avait connu Mrs. Banks et Solander , et désirait beaucoup de les revoir f il reconnut son isle dans une carte que j'avais dressée , et nous montrant le havre d'O- T e J a c - pectable , mère de Toutahah > vint me prendre par les deux mains , et me dit en versant des larmes Toutahah , votre ami , est mort. Je fus touché de sa tendresse , et mes larmes allaient se confondre avec les siennes , lorsque le roi m’éloigna d’elle. Nous revînmes à notre demeure , où le commerce se faisait avec avantage un grain de verre y était l’équivalent d’un panier de fruits à pain ou de noix de cocos. M. Förster y retrouva son ami O-Wahow, qui lui lui fit des présens et ii’en voulut point recevoir plusieurs haïtiens firent des vols sur les vaisseaux des femmes y accoururent et y passèrent la nuit avant que l'ombre vînt cacher les plaisirs des matelots , elles firent des danses indécentes au son d’une fiùte .que l’une d’elles embouchait avec son nez ; leur .simplicité donne un caractère d’innocence à leurs actions blâmables en Europe. Tome II 1 H Second V o y a g 2 O-Too me fit mis seconde visite , et m'apporta des étoffes , des cochons , des fruits ; il lit aussides présens au capitaine Furneaux , et je lui en rendis plus qu’il ne m’en avait donnés , et j’habillai -sa sœur avec élégance ; je l’accompagnai ans on des cornemuses qu’il aimait beaucoup. Je lui rendis sa visite le lendemain , et lui lis présent encore de diverses choses qu’il ne connaissait pas ; tel fut un large sabre dont il craignit de se ceindre , et qu’il lit ôter promptement de devant ses yeux , parce qu’il en était effrayé. Il fit jouer devant nous une espèce de drame dont nous ne pûmes deviner le sujet ; il était mêlé de danses, trois tambours en formaient la musique. Il nous renvoya chargés de fruits et de poissons. Nous allâmes visiter les produc’ions du pays nous parûmes le matin une rosée abondante avait rafraîchi tous les végétaux ; des insulaires nous suivirent jusqu’à une rivière large de soixante pieds , qu’ils traversèrent en nous portant sur les épaules pour un grain de verre. Arrivés dans les boccnges , nous vîmes les insulaires prendre leurs bains accoutumés , pratique salutaire , sur-tout dans les climats chauds. Nous arrivâmes à la hutte dhine veuve qui avait une famille nombreuse , dont l’a né avait vingt- quatre ans et le plus jeune vingt an s de moins; son lils aîné Noona , d’une phisionomie heureuse , aimait les Européens , et nous comprenait avec facilité nous y primes des fruits qu’un homme robuste suspendit par portions égales aux c-xtré- de Jacques Cook. ii5 mités d’un bâton , et il le porta sur ses épaules ; Noona et son jeune frère nous suivirent en riant ; nous avions enrichi sa famille de grains de verre , de doux, de miroirs et de couteaux, nous montâmes sur une colline aride , où nous ne trouvâmes que deux petits arbrisseaux et une fougère sèche ; mais nous en vimes s’élever une grosse troupe de canards sauvages. Nous en traversâmes une autre où les débris des végétaux brûlés tachèrent nos habits nous descendîmes dans une vallée fertile , où un joli ruisseau fuyait en serpentant vers la mer des écluses en retenaient l’eau pour la répandre sur des plantations d’arum, qui demande un sol humide on y en cultive une espèce grossière , à larges feuilles lustrées , à racines longues de quatre pieds ; et une autre dont les feuilles sont petites et veloutées , dont les racines sont moins grandes et meilleures ; toutes, deux sont caustiques , si on ne les dépouille de leur âcreté en les faisant bouillir ; les cochons cependant les mangent cimes. En remontant le ruisseau , la vallée se rétrécissait entre des collines escarpées et chargées de bois ; en le descendant la plaine s’ouvrait couverte d’arbres fruitiers , de plantes diverses , de maisons commodes et voisine» scs bords étaient formés dédits de cailloux ronds le flanc des collines nous offrit de nouvelles plantes. A deux lieues du rivage de la mer, noua nous assîmes à l’ombre sur le gazou , et nous fîmes un repas champêtre des insulaires le partagèrent , et furent étonnés de l'usage que nous H a il6 Se CO in V o Y a g b faisions 3u sel ils ne le trouvèrent pas bon ; leur coutume est de tremper leur poisson dans l’eau de la mer , qui leur tient lieu de tout assaisonnement. Nous revînmes au vaisseau , après avoir remarqué dans notre promenade plus d’hommes oisifs , des cabanes et des plantations plus négligées , des hommes plus incommodes par leurs demandes qu’à Oaitepeha. Vers les dix heures du soir , nous lûmes réveillés,par un grand bruit sur la côte et des cris de meurtre. Craignant que nos gens n’eussent causé le tumulte , je me hâtai d’y envoyer ma chaloupe pour les ramener elle revint avec trois soldats et un matelot ; on saisit encore ceux qui n’étaient pas à leur poste , et on les mit en prison il me parut que. c’était-là leur seul délit, et je les en punis les naturels s’enfuirent au milieu de la nuit , la terreur se répandit au loin , le roi s’éloigna , et j'eus de la peine à en obtenir audience. Il parut troublé , consterné; mais il se rassura peu-à-peu , et le son de la cornemuse achq^a de,lui rendre sa gaieté. Cette visite devait être la dernière, et je lui donnai trois moutons dû Cap qu’il avait désirés ; il nous envoya trois cochons ; mais l’un d’eux était si petit, que le dop parut peu digne d’un grand à un Otaliitien , qui l’emporta et en lit apporter deux gros en sa place. Nous donnâmes encore aux spectateurs des outils de fer , et d’autres marchandises , et eux en retour nous enveloppèrent les reins de pièces d'étoffes. J’annon- çai mon départ au roi qui en parut affligé, et U de Jacques Cook. ny m’embrassa plusieurs ibis. Nous reyinmes à bord „ tandis que nos savans faisaient encore une excursion , suivis d’un homme robuste qui portait leur sac , ils traversèrent une jolie colline , et descendirent dans une vallée, où ils virent un des plus beaux arbres du monde qu’ils appelèrent Baringtonia ses fleurs plus larges que des lys , en avaient la blancheur ; mais la pointe de leurs nombreux filets était d’un cramoisi brillant les naturels lui donnent le nom d ’Huddoo sa noix enyvre les poissons, qui viennent alors à la surface de l’eau , et se laissent prendre avec la main. Ils entrèrent dans une maison de roseaux , entourée d'arbres odoriférans , et de très-jolis cocotiers ; on les y reçut avec hospitalité ; un jeune homme monta sur un des plus hauts palmiers , et se replia avec tant d’aisance et de promptitude le long de l’arbre pour en cueillir les fruits , qu’ils ne purent s’empêcher de l’admirer ils remontèrent la vallée et gravirent sur une colline escarpée, où une jolie brise les rafraîchit et les délassa. Là , sous l’ombre d'un pandangou palmier solitaire, ils jouirent d’une vue délicieuse sur la plaine de Matevai , la baie où mouillaient les vaisseaux , les innombrables pîrog es qui les entouraient , le récif qui environne l’isle, et l’immense Océan qui termine l’horizon.. Devant eux était Tedhuora , isle basse , déserte , mais quelquefois visitée, et dont deux pirogues des pêcheurs revenaient à pleines voiles. Ils approchèrent des montagnes intérieures pour eu, visiter les .riches boccages , dont ils ne voyaient H. 3.“ lîB S T. c o N D Voyage pas que des collines et des vallées stériles les séparaient, ils s’en apperçnrent; et la difficulté des chemins , la certitude de n'y trouver ni maisons , ni habitons , ni fruits , jointes à ce qu’ils ignoraient le temps du départ des vaisseaux, les déterminèrent à rebrousser ils descendirent par un chemin difficile qu’ils ne purent franchir sans 3e secours de leur guide , qui fit connaître leur approche aux Insulaires de la plaine , qui accoururent avec des noix de cocos pour les désaltérer. Ils arrivèrent au bas, et s’y reposèrent sur une herbe molle. Ils se disposaient à se rendre au vaisseau , lorsqu’un homme d’une phisiono- inie heureuse , accompagné de ses filles âgées d’environ seize ans , les invitèrent à dîner ils acceptèrent, et remontèrent les bords de la rivière au travers des boccages de cocotiers , d’arbres à pain , de pommiers , d’arbres d’étoffes , de plantations de bananiers etd’addoes. Son habitation était au haut d’une petite éminence où un ruisseau murmurait sur un lit de cailloux. On étendit dans la cabane de roseaux une belle natte, sur une herbe sèche. Toute la famille s'assit avec eux; la fille de leur hôte , la plus belle peut-être de Taïti, aidée de ses compagnes , leur frottèrent les bras et les jambes avec leurs mains pour les délasser , et leur opération fut en effet salutaire notre repas , nous dirent-ils à leur retour , fut gai, et bientôt nous nous trouvâmes pleinsde force comme le matin. Notas passâmes deux heures sous cette cabane hospitalière , et après lui avoir fait des présens , nous nous rapprochâmes du rivage t> e Jacques Cook. 119 et traversâmes dii'ferens hameaux, dont les habi- tans rassemblés jouissaient à l’ombre de la beauté de l’après-dîné. Nous y vimes préparer avec deux sucs jaunes le cramoisi brillant dont on teint les étoiles , en usage parmi les grands de petits clous , des grains de verre nous en procurèrent quelques pièces. Arrivés à nos tentes , nous nous embarquâmes dans une pirogue de Taïtiens, qui nous conduisirent au vaisseau pour deux grains de verre. Nos malades à-peu-pxès guéris , nos futailles réparées et remplies, je résolus de ne pas différer notre départ je fis enlever tout ce qui se trouvait sur la côte , et préparer les vaisseaux à démarrer. Mon lieutenant revint d’Atthouron » canton où je l’avais envoyé pour en rapporter les cochons qu’on lui avait promis. Il y trouva la vieille Oberea dépendante et presque méprisée elle lui disait je suis pauvre et ne puis donner un cochon à mes amis. Son mari, qui l’avait répudiée , était détrôné et vivait avec son fils , dont la concubine était une des plus jolies filles du pays celle-ci suivit les Européens, et voulut s’assurer s’ils étaient en tout semblables à ses compatriotes. Pottatow , qui était mon ami dans mon premier voyage , voulut me faire visite ; mais avant de partir , il mit dans les mains du lieutenant un petit panache de plumes jaunes, tandis qu’il lui faisait la promesse que Cook serait l’ami de Pottatow ; il enveloppa ensuite soigneusement les plumes dans un morceau d’étoile et les mit sous son turban ; c’est une manière de H 4 12,0 Second V o y a c. e serment, et le chef marqua lenûs ce temps la plus grande coniiance il vint à nous avec sa famille , des cochons et des étoiles ; et quoique la multitude et ses femmes éplorées le supplias-' sent de ne pas s’exposer à la mort en montant dans notre vaisseau , il entra dans la chaloupe, en disant avec majesté à ceux qui l’environnaient Cook ne tuera pas ses amis. C’était un des plus grands hommes de l’isle, il était fort, et la circonférence d’une de ses cuisses égalait presque celle du corps d’un matelot ; un mélange de douceur et de noblesse se remarquait dans ses traits , et son courage se faisait remarquer plus encore , parce qu’on le comparait à la timidité d’Otoo. Sa femme avait aussi dans le poit quelque chose’de très-mâle , et semblait née pour la supériorité et le commandement. Le vent qui dans ce moment tourna vers l’est, nous força de les congédier plutôt que nous ne le désirions ; ils voulurent savoir dans quel temps nous reviendrions , et ne nous quittèrent pas sans verser des larmes. Avant que nous missions à la voile, Poreo „ jeune Otahitien , vint nous prier de l’embarquer avec nous, j’y consentis ; d’autres le désirèrent comme lui, mais je les refusai on vint redemander Poreo , je le laissai libre , et il préféra de rester ; cependant il versa des larmes lorsqu’il vit la terre s’éloigner; il semblait craindre qu’on ne le tuât, et que son père n’eût à pleurer sa mort. Nous l’assurâmes qu'il serait notre lils , et n e Jacques Cook. irr /il nous serra dans ses bras avec tendresse sa gaîté revint avec sa confiance. Nous quittâmes cette isle délicieuse après y avoir demeurés quatorze jours dans un si court intervalle nous eûmes peu de loisir pour étudiée le caractère des insulaires ; tous les objets d’administration , leurs usages , leurs cérémonies étaient neufs etintéressans pour nous, partageaient notre attention et la distrayaient en quelque manière ; cependant nous pouvons avoir aj outé quelques remarques à celles des voyageurs précédens. La brise modérée qui nous portait, nous permit d’admirer encore toute la soirée le riche paysage que cette isle offrait à nos yeux , même pendant l’hiver ; de rechercher les causes de sa population , de voir les effets que pourrait avoir cette population augmentée , et les suites de l’inégalité qui existe entre ses habitans. Nous vîmes que la simplicité de leur manière de vivre , tempérait ces distinctions et les détruisait même tout le monde peut s’y vêtir sans peine , sans efforts les plantes y présentent à chaque pas les moyens d’élever une habitation décente, semblable à celle de tout le monde ; la fertilité du sol fait qu’avec peu de travail chacun peut pourvoir à ses besoins entre l’homme le plus élevé et l’homme le plus vil , il n’y a pas à O-Taïti la distance qui subsiste en Angleterre entre un négociant et un laboureur une affection mutuelle fait qu’ils paraissent ne faire qu’une même famille ; l’origine de ce gouvernement est; 124 Second Voyage patriarchale ; la familiarité qui règne entre le souverain et le sujet y offre des traces de l’antique simplicité le dernier homme de la nation parle aussi librement au roi qu’à son égal; il le voit quand il le désire tous deux font souvent les mêmes travaux ; il est vrai que l'un les fait par plaisir , l’autre par nécessité ; mais ces travaux les rassemblent cependant, et font qu’ils ne sont point avilissans. Cet état bien doux ne durera pas long-temps; il y aura des opprimés, des oppresseurs , des révoltes , des révolutions; mais rien ne les annonce encore , à moins que la fréquentation des Européens n’en hâte le moment. Dès que nous fûmes hors de la baie , je fis route vers Huaheine , isle à vingt-cinq lieues d’Otaliiti , où je me proposais de mouiller. Nous l’apperçûmes le trois au matin , et à neuf heures nous jetâmes Eanere dans le havre d’Owharre; l’Aventure échoua sur le côté septentrional de l’isle ; mais le secours de nos chaloupes la tirèrent de danger , la remirent au large , et elle vint mouiller en sûreté près de nous. Dès que les habitans nous apperçurent , ils nous apportèrent des fruits, et de la grosse volaille dont nous n’avions pu avoir à Otaliiti nous débarquâmes et ils nous reçurent amicalement je leur fis des présens et ils nous amenèrent des codions, des chiens , de la volaille, des fruits qu’ils échangèrent contre des haches, des clous , du verre etc. J’appris que le chef O-Rée vivait encore et que je le verrais bientôt. Le commerce se fai- de Jacques Cook. ia3 sait avec honnêteté, ]e descendis moi-même pour m’en assurer. Bientôt après je sus qu’O-Rée m’attendait ; mais ayant de débarquer sur le rivage voisin de sa maison , les babitans apportèrent à notre bord , les uns après les autres , et avec quelques simagrées , cinq petits bananiers , qui sont leurs emblèmes de paix , trois petits cochons dont les oreilles étaient ornées de fibres de noix de Cocos , puis un chien chacun avait un nom, et un sens mystérieux ; on nous pria ensuite de décorer trois petits bananiers de miroirs , de clous , de médailles , de verroteries , et nous allâmes, en les portant ainsi parés, au travers des habitans rangés en haie. A quelques pas du chef, on prit nos arbres pour les poser devant lui 1 hm après l’autre Ihm était destiné au Dieu, le second au roi , le troisième à l’amitié. O-Rée vint se jeter à mon cou , il versa des larmes , sg livra à toute l’effusion de sa tendresse , et me présenta à ses amis. Je lui offris tout ce que j’avais de plus précieux ; il me lit des présens et promit de fournir à tous nos besoins ; il tint parole. R me vint voir le lendemain avec un enfant de onze ans • nous nous limes de nouveaux présens, et pendant notre séjour , il m’envoyait tous les jours régulièrement les meilleurs de ses fruits et des racines apprêtées. En peu de temps nous achetâmes cent cinquante cochons , beaucoup de volailles et de fruits. Nos savans visitèrent le pays , où ils virent les poules se jucher sur les arbres fruitiers , et les cochons errer en liberté. Ils remarquèrent une aa4 Second Yotage vieille femme qui en nourrissait un avec la pâte aigrelette et fermentée du fruit à pain les femmes en général soignent et carressent ces animaux tnpides avec une affection singulièrejquelquefois elles leur présentent la mamelle elles en font de même pour les chiens quand elles ont perdu leurs enfàns ces chiens sont courts , ils ont la tête large , le museau effilé , les yeux petits , les oreilles droites , les poils lisses , durs et de différentes couleurs ; ils aboient rarement, heur- lent quelquefois , et haïssent les étrangers. On tua des martins - pêcheurs, auxquels ils donnent le nom de la divinité , mais ils n’en parurent point offensés ; il paraît cependant qu’ils les vénèrent ils ne demandaient rien , ne se pressaient pas autour de nous avec importunité ; les femmes n’avaient pas autant de lubricité que celles d’Otahiti; en général les hahitans nous regardaient avec une sorte d'in différence ; ils ne connaissaient pas l’usage des présens réciproques y leur démarche était hardie et insouciante ; l’explosion de la pondre ne les frappait ni de crainte ni d’étonnement. Cependant ils nous donnèrent toujours des marques d’hospitalité et de bienveillance ; il en faut excepter quelques malveillans , tels qu’un chef barbouillé de rouge , regardé comme un méchant homme parmi les sien, qui nous menaça tenant une massue dans chaque main ; je la lui arrachai , et je la fis briser à ses yeux ; tels encore que deux Indiens qui atteignirent, battirent, pillèrent le docteur Spanuiuin. Nous nous plaignîmes à O- DE J A C Q TT E S C O O K. î 2-^ Rée de cet outrage , il en marqua le plus violent chagrin j et après avoir fait des reproches à son peuple , il vint se remettre dans nos mains comme otage. Ses sujets le retenaient, il ne les écouta point ; ils furent désespérés de le sentir en notre pouvoir , ils pleuraient , priaient , suppliaient , essayaient de l’enlever de force. Je joignis mes prières aux leurs , tout fut inutile j il voulut qu’on le conduisit dans notre chaloupe, sa sœur l’y suivit nous parcourûmes la côte avec lui , mais je ne voulas pas le suivre dans l’intérieur des terres où il vouloit poursuivre les voleurs ; ce qu’on avait perdu ne valait pas la peine qu’il voulait prendre. Il desira se rendre avec nous au vaisseau ; il y vint avec sa sœur que sa fille désespérée voulait arrêter , et qui-se mettait la tête en sang avec des coquilles, parce que ses prières étaient inutiles. Il dîna de bon cœur avec nous ; puis nous descenditnes le frère et la sœur au milieu de plusieurs centaines ds leurs sujets qui les attendaient, et les embrassèrent avec des larmes de joie ; tout respira, dès ce moment, le contentement et la paix le commerce se rétablit , les provisions arrivèrent en foule , on nous rapporta tous les effets enlevés les femmes qui avaient témoigné plus d’allarmes , montrèrent aussi plus de reconnaissance , et nous eûmes occasion de remarquer parmi les habitans de ces isles les sentimens les plus humains et les plus délicats. Ainsi finit cette journée tumultueuse , où la confiance du chef en notre honnêteté, en mon amitié, termina 126 Second Voyage nos différends , et fit renaître le calme et la joie. J’allai lui faire visite avant notre départ, et nous lui finies des présens utiles, il m’en donna à son tour nous nous embrassâmes les larmes aux veux 3 il vint encore sur notre vaisseau , où se rendirent des pirogues remplies de cochons , de volaille et de fruits pour faire des échanges il nous accompagna demi lieue en mer, et revint sur sa pirogue, qu’il aidait lui-même à faire voguer. Tel fut notre séjour à Huaheine , isle qu’un golfe profond sépare en deux péninsules, réunies par un isthme que la mer inonde, lorsqu’elle est haute. Ses collines sont moins élevées que celles d’Otaïti ; mais leur respect annonce des restes de volcan on crut y reconnaître un crater et un rocher de lave il y a moins de plaines, il y a cependant d’agréables points de vue , et la circonférence de 1 isle entière n’excède pas huit lieues. Elle nous fournit beaucoup de cocos et de fruits , et environ trois cents porcs. Un des insulaires voulut s’embarquer avec nous sur l’Aventure il s’appellait O-Maï ; il était de la classe du peuple, cependant il avait beaucoup de pénétration , de la vivacité , des principes honnêtes il intéressait, et savait éviter de se faire mépriser ; il évitait les excès pour n’être pas ivrogne , il lui a suffi de voir que le bas peuple seul buvait beaucoup il a su être sobre et retenu, imiter la politesse des gens de Cour, et faire des progrès étonnans dans le jeu d’échecs 3 mais son entendement en général fit peu » e Jacques C ö o k. 127 de progrès ; il fut accueilli du roi, du lord San- wich, des docteurs Banks etSolander. Les plaisirs qu’on lui procurait ne lui ôtaient pas le souvenir de sa patrie il voyait avec contentement approcher l’instant où il pourrait la revoir ; il est parti chargé de présens , pénétré de reconnaissance des bontés qu’on a eues pour lui , et après avoir été inoculé. Il emporte à ses. compatriotes nue orgue portative , une machine électrique , une armure completse , point de machines utiles, mais des animaux domestiques, qui pourront augmenter la masse des jouissances de ses compatriotes. Nous limes voile pour Uîietéa , rù je comptais- demeurer quelques jours. Nous arrivâmes près du havre d’Ohamaneno, dans le commencement d’une nuit fort sombre , mais nous fûmes guidés par les flambeaux des pêcheurs ; nous entrâmes dans le havre à la pointe du jour ; nous fîmes sonder , nous nous louâmes réciproquement , et enfin les deux vaisseaux furent assurés sur leurs ancres. Dès lors nous fûmes entourés de pirogues chargées de cochons et de fruits nous re pûmes acheter des premiers , parce que nous manquions de place , cependant on nous obligea à en prendre plusieurs qu’on guinda sur le vaisseau, nous fîmes échange de nos clous et de notre verroterie contre leurs fruits. Par son aspect , cette isle ressemble beaucoup à celle d’Otahiti j elle est trois fois plus grande que Huaheine; ses plaines sont plus larges , ses collines plus élevées. Un de ses chefs monta sur le vaisseau ; il . i s8 S e c o n K Voyage était très-robuste , mais il avait de très - petites mains ; ses bras étaient piqués en figures quar- rées y de grandes rayures noires traversaient sa poitrine., son ventre et son dos. Ses reins et ses cuisses étaient noirs par-tout. Il prit M. .Förster îe père pour son ami , et lui envoya bientôt après une pirogue chargée de noix de cocos et île bananes , sans vouloir rien accepter en retour. Un autre chef nous rendit visite ; sa grosseur était extraordinaire il avait cinquante- quatre pouces de circonférence à la ceinture , et une de ses cuisses en avait plus de trente-un ; ses cheveux pendaient en longues tresses flottantes jusqu’au bas de son dos, et ils étaient si touffus que sa tête en paraissait énorme. JSous allâmes faire notre visite à O-Rco , elles de cette partie de l’isle ; on nous mena chez lui sans cérémonie ; il était assis dans sa maison sur le rivage , et nous reçut avec cordialité ; il était d’une taille moyenne , mais très-gros ; sa physionomie était pleine d'expression il badinait avec nous , et riait de bon cœur ; sa femme était âgée , ses enfans jeunes , sa fille était petite , et avait des yeux à la chinoise , mais toutes les formes de son corps avaient de l’élégance et de la grâce • ses manières étaient engageantes , et sa voix si douce , qu’il n’était pas possible de lui rien refuser. Le chef changea de nom avec moi ; c est la pins grande marque d'amitié qu’ils puissent donner après nous être fait des présens mutuels , nous retournâmes à bord quelques Anglais se promenèrent au milieu des boc- cages, de Jacques Coök. 129 cages , cueillirent des plantes, et tuèrent quelques oiseanx , et ëntr’autres un martin-pêcheur; ce qui affligea beaucoup la fille du roi , et lui donna de l’éloignement pour le chasseur ; les femmes partageaient sa douleur , et le chef les supplia de n’en plus tuer à l'avenir, non pins que des hérons , mais il leur permit de tuer tous les autres oiseanx. Nous n’avons pu trouver la cause de cette vénération. Dans une autre visite au chef, il fit jouer une comédie domestique ; trois tambours composaient la musique il y'avait huit acteurs ; le sujet était un vol commis avec adresse; le voleur y triomphe , quoique par leurs usages ce crime soit puni de la bâtonnade. Après la pièce nous allâmes diuer à bord , et durant la fraîcheur du soir , nous retournâmes nous promener dans l’isle nous y apprimes qu’elle en avait neuf petites à son couchant, dont deux sont inhabitées •- nous en visitâmes une , et nous trouvâmes des plantes nouvelles dans ses vallées le sommet est formé d’une pierre de marne , ses flancs le sont de cailloux dispersés on y trouve quelques ' morceaux de lave caverneuse , qui semble receler du fer. Les vaisseaux étaient presque toujours environnés de pirogues montées de personnes des deux sexes , qui venaient échanger’ des fruits et des étoffes contre des grains de verre ou des doux. Vers le soir, en nous promenant, nous découvrîmes un hangard dans lequel e'tàit 3 un cadavre , environné d’un boCeage épâîs déd différons arbres ; autour, le-terrain était seins Tome II. I i3o Second Voyage de crânes et d’ossemens ; nous ne pûmes avoir d’éclaircissemens sur ce sujet. Le lendemain de grand matin , Ü-Reo et son lils vinrent nous visiter le dernier me lit présent de fruits et d’un cochon. Je lui donnai une hache , je l’habillai à l’Européenne, ce qui lui inspira une vanité singulière. Ils s’amusèrent avec nous; O-Reo lit des marchés avantageux avec ses sujets en notre nom , et nous rendit tous les services, nous lit tous les plaisirs qui dépendirent de lui. Le roi Oo-Ooroo vint aussi nous rendre visite , et nous faire recevoir des piésens. 11 lût content de notre réception quelques femmes du peuple restèrent sur nos ponts , et se montrèrent complaisantes pour nos matelots. Ces prostituées se donnaient le titre de Dames , elles avilissaient le titre sans s’ennoblir elles-mêmes. Nous limes encore quelques courses le long des côtes , et trouvâmes au nord des criques profondes , des marais remplis de canards et de bécassines , fuyardes , parce que les insulaires en aiment la chair et les poursuis eut. J’envoyai une chaloupe et des bateaux dans l’isle d’O-Taha pour y acheter des bananes et des plantains que je voulais embarquer ils en revinrent chargés j les habitans se montrèrent obligeans et hospitaliers , mais voleurs. Le pays et ses habitans ressemblent aux autres isles de cet archipel, les productions végétales et animales y sont les mômes. Le chef se nommait O-Tah il régala ses hôtes d’une comédie ou un grand nombre de piro-r gués étaient rangées le long de la côte devant sa de Jacques Cook. i3i maison , et dans Finie était un cadavre couvert d’un toit on en faisait les funérailles. Les Anglais vinrent coucher dans leurs bateaux , et le lendemain , ils doublèrent la pointe septentrionale de l'isle , et ils virent au-dedans de la chaîne des rocs qui la ceint , de petites isles basses , couvertes de palmiers et d’autres arbres ils y achetèrent d’excellentes bananes , et y furent volés ils ne purent recouvrer leurs effets qiFa- près avoir usé de représailles ils firent de nouveaux achats de bananes , et remarquèrent une maison très-vaste , remplie d’habitans de différentes familles , et qui semblait être un bâtiment public, élevé pour servir d’asyle aux voyageurs , plutôt qu’une habitation particulière. Durant l’absence de nos bateaux, j’allai dîner chez O-Reo ; j'y portai du poivre , du sel, des couteaux , quelques bouteilles de vin. En arrivant nous vîmes le plancher couvert de feuilles vertes ; nous nous assîmes tout autour ; un homme apporta sur ses épaules un cochon fumant qu’il jeta sur les feuilles un second fut apporté de même la table était garnie de fruits à pain chauds , de bananes , et de noix de cocos destinées à servir de verres. On se mit à manger sans cérémonie , et rien de plus propre et de mieux apprêté que leurs alimens. Quoique les cochons- fussent entiers, toutes les parties en étaient également bien cuites et d’un excellent goût. Le chef et son fils mangèrent avec nous , et on envoyait des morceaux à d’autres qui étaient assis derrière. Les femmes et le bas peuple I a i32 Second Voyage nous demandaient des morceaux d’un ton très- suppliant les hommes mangeaient de bon appétit ce qu’on leur donnait , les femmes enveloppaient soigneusement leurs tranches , et ne les mangeaient que lorsqu’elles étaient seules leur empressement , les regards envieux des chefs sur les femmes qui obtenaient quelque chose, nous persuadèrent que ces alimens sont destinés aux riches. O-Reo but avec plaisir du vin de Madère , les matelots et le peuple enlevèrent les restes de notre dîner et les dévorèrent ce qui annonce que le cochon est une viande rare pour le peuple les insulaires qui se rendaient à notre bord pour avoir les entrailles de ces animaux le prouvent encore. Us connaissent une liqueur ényvrante qui se fait avec le poivre, et elle fut la cause peut-être de la désertion de Porea , cet Otahitien qui avait voulu s’embarquer avec nous il s’ényvra avec une de ses nouvelles connaissances ; son visage était en leu , et ses yeux semblaient sortir de sa tête. Il recouvra sa raison j mais parut accablé de honte le poivre passe pour un signe de paix, peut-être que parce s’ényvrer suppose de la bonhommie on est puni de cet excès par la maigreur , les yc-ux rouges , la peau écailleuse et tachée suivant, toute apparence la plante du poivre engendre la lèpre. Le lendemain , nous fumes surpris de ne voir aucun insulaire nous nous rendîmes à terre lit maison d’O-Reo était déserte il s'était en'ni avec sa famille quelques habit a ns qui se laissèrent atteindre , se plaignirent qu’on avait tué I E Jacques Cook. i33 quelques-uns des leurs ; et ne pouvant lieu comprendre' à ces plaintes., je me rendis chez le roi de l’isle nous i’apperçûmes dans une pircfc gue il débarqua, et s’enfonça dans l’intérieur du pays d'autres Indiens nous attendirent, et nous prièrent de les suivre j mais cette histoire , toujours plus mystérieuse .à nos yeux , m’inquiétait et nous étions sans armes je revins dans la chaloupe, et lui lit suivre les pas du cher. Nous parvînmes enlin à une maison où on nous dit qu’il était ; nous débarquâmes. , dont l’air était respectable, vint à nous, et se jeta, dans nos bras en versant des larmes. Je lui donnai le bras , je trouvai le chef assis à l’ombre d’une maison, devant laquelle il y avait une vaste cour remplie d’insulaires!} je sabordai , il jeta ses bras autour .de mon cou et fondit en larmes tous les assistans pleurèrent aussi l’étonnement ne me permit pas de pleurer comme eux. Enfin après bien des questions, j’appris la cause de tant d'affliction et de tant d’effioij l’absence de nos bateaux qui étaient'à O-Taha, leur faisait craindre que les Anglais qui les montaient n’eussent désertés , et que je n’ejnplov^sse des moyens violens pour les recouvrer. Quand nous leur eûmes protesté que les chaloupes reviendraient^ ils recouvrèrent le calme et la gaieté , et ils convinrent que personne n’avait reçu de blessures ni d’offenses nous retournâmes à bord , on annonça par-tout que la paix était faite , et les Indiens se rendirent au vaisseau comme a l’ordinaire. Ce fut pendant cç tumulte, que l’orea Io i 3 .{ Second Voyage dispai'ut, effrayé peut-être tlu tumulte , ou entraîné par la maîtresse avec laquelle il s’était enyvré. Après avoir fait une bonne provision de rafraî- cliissemens , je me décidai à partir le lendemain, et j’en informai O-Reo , qui vint me voir encore avec son fils et quelques amis , suivi de plusieurs pirogues chargées de cochons et de fruits ; les Indiens nous disaient Je suis votre ami , prenez mon cochon et donnez-moi une hache mais nos ponts en étaient remplis ; cette isle nous en avait fourni quatre cents, dont quelques-uns pesaient cent livres et davantage, d’autres quarante à soixante livres. Le chef ne nous quitta que lorsque nous lûmes sous voile , qu’a- près m’avoir embrassé , et demandé dans quel temps je reviendrais ces bons insulaires nous virent partir en versant des larmes , plusieurs Anglais les remarquèrent avec insensibilité c’est l’effet de notre éducation si vantée. A la place de i’Otahitien qui nous avait quitté, nous acceptâmes l’offre d’un insulaire qui voulut nous suivre, il n'était pas le seul celui-ci , âgé de dix-sept à dix-huit ans , s’appelait Edidée , et était né dans Baiahola la peinture de*la rigueur de notre climat , des travaux et des dangers auxquels nous allions être exposés , de nos mauvais alimens , ne purent le détourner de sa résolution. Nous partîmes , et dès que nous fûmes dehors du havre , nous apperçûines une pirogue qui nous suivait je l’attendis elle nous apportait de la part d’O-Reô des fruits grillés et de Jacques Cook. i35 des racines. Après avoir reconnu son honnêteté par des présens, je cinglai à l’ouest avec l’Aventure , pour entrer dans le parallèle des isles de Middelbonrg et d’Amsterdam , pour y touclier si je le jugeais convenable , avant de me rendre de nouveau à la Nouvelle-Zélande. Toutes les nuits je mis en panne , pour ne point laisser échapper de terres. Nous étions bien portans et pleins de courage ; il n’y avait point de scorbutiques sur nos vaisseaux ; nos provisions f’ra ches nous promettaient la santé pour long - temps nous tuâmes et salâmes les animaux malades , afin de conserver leur chair plus saine et plus succulente que celle que nous avions apportée d’Angleterre. Edidée fut très-malade du mal de mer. Cependant à la vue de Balabola , il eut assez de force pour nous dire qu’il y était né , et qu’il était parent de son roi,qui était alors dans l’isle de Mow- rua , que nous vîmes l’après-midi elle est composée d’une montagne conique , et dont les productions sont les mêmes que celles de ses voisines. Edidée se rétablit le lendemain , et mangea un morceau de chair de poisson crud qu’il trempait dans l’eau de mer ; mais auparavant il en offrit un morceau à sa divinité , en prononçant une espèce de prière ce qui annonce que ses compatriotes ont des principes de religion. - Le 20 septembre, à dix heures du matirf on vit la terre du haut des mâts ; nous l’approchâmes ; elle était composée de trois ou quatre petits islots réunis par des brisans ; ils ont une I 4 j 36 Second Voyage l'onne triangulaire' et six lieues de circuit ; ils sont couverts de bois, la cote est sablonneuse , revêtue çà et là de verdure rien n’y annonçait des habitans ; je lui ai donné le nom d’Hervey, et ne voulant pas perdre du temps, je poursuivis ma route le 2,5., nous eûmes consumé nos fruits ; il fallut recourir au biscuit ; mais il nous restait encore du porc Irais. Nous vîmes divers oiseaux, parmi lesquels en .était un qu’on ne rencontre guères que près des côtes ; ce qui nous lit conjecturer que nous avions passé près d’une grande terre. Le i5 octobre , nous rimes l’isle Mid- delbourg et d’autres petites répandues à quelque distance. Nous n’apperçiimes en rasant la première aucun bon mouillage , et nous cinglâmes vers Amsterdam que nous avions en vue ; mais l'eûmes-nous fait que nous découvrîmes sur Middelbourg un lieu propre à aborder ; nous y courûmes. Nous appellerions des plaines au pied des collines, et des plantations de jeunes bananiers le jour ne faisait que poindre et nous voyions-plusieurs feux biiiier entre les bois bientôt nous distinguâmes des hommes sur la côte , ils lancèrent leurs pirogues à la mer et rainèrent vers nous. L’un d’eux, vint nous pré-' ßentermme racine de poivrier., et après avoir touché, soir nez avec cette racine en signe d’amitié , 4 .ib S’assit en silence sur le pont. Je lui oiiris uu clou ; il en parut satisfait il était nud jusqu’à; la ceinture de-là , une étoile semblable a celle de Tari , brune et collée, lui pendait jusqu’aux genoux sa taille était moyenne , soir T e Jacques Cook. 187 teint châtain, ses traits réguliers et doux sa barbe était coupée , ses cheveux noirs , Irisés en petites boucles et biùlés à la pointe ; sur ses bras étaient des taches circulaires , formées de cercles concentriques de points tatoués ; d’autres piqûres noires étaient dispersées sur son corps un petit cylindre était suspendu à chacun des trous de son oreille ; sa main gauche manquait du petit doigt. De nouvelles pirogues s’avancèrent , quelques Indiens montèrent à bord , touchèrent nos nez , et par leur confiance en nous , nous en donnèrent pour eux. Je résolus de relâcher parmi eux ; ie trouvai un mouillage et jetai l’ancre nous lûmes bientôt environnés de vendeurs d’étoffes et de clous , etc. ; ils faisaient beaucoup de bruit leur langage n’est pas désagréable ; mais il a un ton chantant. Je sis présent à un chef d’une hache, et de clous de fiche qui 1e rendirent content ; son maintien était très- libre et très-déterminé il admirait nos étoffes et nos toiles nos manières Rattachèrent à nous, et il nous suivit lorsque nous débarquâmes dans une crique formée par des rochers oui la mettaient à l’abri de la houle on nous reçut avec des acclamations les insulaires étaient sans armes , et ils nous serraient de si près que nous avions de la peine à débarquer ils semblaient plus empressés à donner qu’à recevoir , car les plus éloignés nous jetaient leurs étoffés-, et se retiraient sans rien attendre; autour de nous , on en voyait qui nageaient en nous montrant des anneaux d’écaiile de tortue, des hameçons de ï38 Second Voyage nacre de perles qu’ils voulaient vendre. Le chef fit faire place, et les insulaires nous portèrent à terre sur leur dos; il nous mena dans son habitation à quatre cents pas de la mer, au fond d’une belle prairie , ayant à ses côtés des plantations qui annonçaient la fertilité et l’abondance l’intérieur était séparé par des cloisons d’osier et le plancher couvert de nattes le peuple nous entourait. Je fis jouer de la cornemuse j le chef fit chanter trois femmes ; leur chantest musical et harmonieux , plus savant que celui d’O-Taïti. Durant ce concert, un vent léger embauma l’air d’un parfum délicieux que r épandaient des espèces d’orangers à fleurs blanches , plantés derrière la maison. Bientôt on nous offrit du fruit de ces arbres. Nous allâmes dans une autre maison du chef, ombragée par des arbres fruitiers ; on nous y donna des bananes et des cocos ; ils mâchèrent de la racine de l’Eava, qu’ils mirent dans un grand vase de bois ; ils y jetèrent de l’eau, et la laissant reposer, ils la versèrent dans des feuilles vertes fabriquées en coupes, et nous en donnèrent à boire. J’en bus seul ; la même coupe ne sert qu’une fois. On ne peut recevoir d’une manière plus cordiale que elle de ces aimables insulaires ; ils étaient sans défiance , et tout en eux nous annonçait que nous étions les bien-venus. Nous nous promenâmes aussi dans la campagne , et nous nous séparâmes pour la mieux examiner la prairie était environnée d’une haie de roseaux dia- gonalement entrelacés et couverts de lianes en »i Jacques Cook. i31 L ï5o Second Voyage rien à tout ce que je pus dire , mais il conversa avec Attago , avec une vieille femme , et il riait en dépit de sa gravité stupide. Puis il se leva , et se retira. Nous allâmes dans un autre cercle , où était assis le vieux chef ou prêtre , nous avions tout donné à l’autre, et nous ne savions quel clon lui faire , lorsqu/en fouillant dans nos poches , nous trouvâmes encore de quoi satisfaire lui et ses amis. 11 avait un air de dignité naturelle , et se montrait grave sans imbécillité. Il lui arrivait souvent de se mettre tout-à-coup à prier; mais les assistons n’y faisaient point attention. Nous retournâmes à bord, accompagnés d’At- tago à qui je lis des présens , et qui me pressa beaucoup de revenir avec des marchandises ce bon insulaire nous fut très-utile , dans tous les momens du jour , à bord ou à terre , il était toujours prêt à nous rendre tous les services qui dépendaient de lui ; et il nous en coûtait peu pour récompenser sa fidélité. En levant l’un de nos rompit au milieu de sa longueur, parce qu’il avait été rongé par les rochers , et nous perdîmes l’ancre ; un second fut endommagé. Nous nous procurâmes dans cette isle cent quarante cochons, et autant d’ignames, de bananes , de cocos que nous en pûmes placer. Nous y trouvâmes des plantes nouvelles , des oiseaux inconnus, et une nouvelle écorce de jésuite ou cinchona aussi efficace que celle du Pérou. On y trouve la canne à sucre , et un fruit semblable au brugnon. Nous y laissâmes toutes de Jacques Cook. i5i les graines de nos jardins. On ne voit ni bourgs, ni villages dans les isles des Amis ; chaque maison a sa plantation qui l’entoure le plancher des maisons est un peu élevé , couvert de nattes épaisses et fortes d’autres les ferment du côté du vent, et le reste est ouvert tous les meubles consistent en des vases de bois , des coquilles de noix de cocos, des coussins en escabeaux à quatre pieds ; le vêtement et une natte y servent de lit. Les seuls quadrupèdes qu’on y voit , sont des cochons et de petits lézards ; la volaille y est excellente on y trouve des pigeons, des tourterelles, des parrots , des perroquets , des chouettes , des foulques au plumage bleu , différons petits oiseaux , et de grosses chauve-souris. Rien ne montre mieux l’industrie des habitans que leurs pirogues et leurs réseaux les premières sont faites de différentes pièces si bien unies ensemble par un bandage , qu’il est difficile d’en appercevoir les jointures les attaches sont en- dedans, retenues par des coches, ou derrière des bosses préparées dan 6 ce but sur les bords et aux extrémités des planches qui forment le bâtiment. Les hommes et les femmes y sont de la même taille que les Européens le teint de tous es d'une légère couleur de cuivre , ils ont des traits réguliers , et sont vifs , gais , animés 1 es femmes y sont babil lardes , joyeuses , libres et cependant modestes leurs cheveux sont noirs ils les portent courts ils se rasent ; et ont de belles dents jusques dans un âge avancé. Les hommes s’y IC 4 t52 Second V o y a c a tatouent lu milieu de la cuisse à la hauche les, femmes ne le sont que sur les bras et les doigts. Us sont nuds , et oints de la ceinture en haut une pièce de natte ou d’étoffepend. de la j usqu’aux genoux. Leurs orncniens sont des amulettes , des coquillages, des nacres de perles , des écailles de tortues, des colliers et des luacelets d os, des anneaux d’écaille très- bien.' '♦ Les lemines ont quelquefois un tablier fait de libres extérieures de la coque des noix de cocos , parsemé de morceaux d’étoiles, coupés en étoiles, en demi lunes, eu quarrés, garni de coquillage.'., et couvert de plumes rouges ils fabriquent des étoiles, comme à O-Taïti, moins fines, mais pins durables, et les teignent en differentes couleurs ; ils font des paniers , des nattes , et tous leurs ouvrages montrent qu’ils ont du goût pour le dessin. Les femmes chantent dans leurs moiuens ils ont deux instrmnens de musique nous avons parlé de l'un d'eux; l'autre est une grande flûte de bambous à quatre trous , dont ils jouent avec le nez leur tambour est un arbre creux , qui rend tm son sourd , moins musical que celai d'un tonneau vuide. Pour saluer , ils frottent leur nez ; pour remercier , iis mettent sur la tête ce qu’on leur donne j le plus grand nombre d’entre eux manquent d’un doigt , souvent de deux c’est une mutilation qu’ils se font à la mort de leurs pareris ; iis se brûlent près de l’os de la joue, ils Vy font des incisions , et sans doute par remède. On n’y voit ni malades , ni. boiteux , ni estropiés. Ils paraissent soumis à des chefs qui de Jacques Cook. ï53 reconnaissent un supérieur ils cultivent, et ne vivent que du produit de leur culture ; personne n’y manque de ce qui est nécessaire à la vie ; la joie est sur tous les visages , l’aisance est répandue dans toutes les classes du peuple - T ils vivent sous un climat sain , où il n’y a ni froid ni chaleur extrême ; la nature ne leur a refusa que de l’eau douce ; on n’y voit pas un ruisseau. Nous connaissons trop peu leur religion pour en parler. Comme nous allions mettre sous voile , nous reçûmes la visite de quatre hommes dans une pirogue , qui vinrent pour nous réjouir avec leur tambour nous récompensâmes leur intention , et primes cette occasion d’envoyer à notre ami Attago du froment , des pois et des fèves que j’avais oublié de lui donner. Nous cinglâmes ensuite vers le détroit de la Reine Charlotte pour y renouvelles notre provision de bois et d’eau, et tenter de nouvelles découvertes au midi et à l'orient. Le 8 octobre, nous découvrîmes l'isle JPils- tart , plus remarquable par-sa hauteur que par sou circuit elle n’est formée que par deux hautes montagnes que sépare une vallée profonde l’oiseau nommé paille en queue par les Français , pilstaert par les Hollandais , lui a fait donner son nom ; nous n’y abordâmes pas. Bientôt nous quittâmes la Zone Torride , et des troupes d’oiseaux de mer nous suivirent nous vîmes aussi pendant la nuit des méduses que nous reconnûmes à leur lueurphosphorique elles étaient 154 Second 'Voyage si lumineuses, que le fond de la mer semblait contenir des étoiles plus brillantes que le firmament. Le 21 , nous découvrîmes les côtes de la Nouvelle-Zélande ; je désirais communiquer avec les habitans situés vers le nord de cette double isle et leur donner des cochons , des poules, des graines , des racines qu’ils n’avaient pas nous approchâmes de la côte autant que nous le pouvions sans danger elle est blanche , escarpée , et nous découvrîmes les huttes des naturèls placées sur le haut des rochers comme les nids des aigles ils ne paraissaient pas vouloir approcher de nous. Nous n’étions plus qu’à trois lieues de Elack-IIead, lorsque quelques pirogues se détachèrent du rivage dans l’une d’elles étaient deux Indiens qui nous parurent être des chefs nous leur donnâmes les animaux et les graines que nous désirions répandre dans ce pays ; mais ils leur liront bien moins de plaisir qu’un grand clou que je leur olfris en s’éloignant ils les regardèrent cependant avec plaisir , et s’ils en ont eu quelques soins, le pays s’en trouvera bientôt peuplé ; OEdidée leur en avait fait sentir le prix , et par reconnaissance , le Zélandais nous avait laissé sa hache de bataille dont la tête bien sculptée était ornée de plumes rouges et de poils blancs de chien. Nous continuâmes notre route au sud , nous eûmes des grains violons, et un temps obscur qui nous força de n'aller qu’avec nos basses voiles. Le ciel s’éclaircit le lendemain •et nous étions vis-à-vis le Cep T uni-An gain , oit de Jacques Cook. i55 le calrne nous retint ; il fut suivi d'un orage qui nous obligea de plier nos voiles , nous décou- vrionsla pointe septentrionale d’Ealieinomauwée; le calme ne nous permit pas de le dépasser , et l’orage qui s'éleva de nouveau plus furieux qu’il n’avait été encore , nous mit en danger. Il fallait nous soutenir contre cet orage et des vagues aussi élevées que les montagnes. Nous fûmes battus de cette tempête pendant deux jours. Une côte remplie de hautes montagnes ne nous protégeait pas contre les vagues qui se prolongeaient au loin , et que les rafales dispersaient en vapeurs qui obscurcissaient la surface de la mer ; le soleil donnant sur cette écume blanche éblouissait nos yeux. Nous roulions çà et là à la merci des flots ; les lames inondaient notre vaisseau , leur clioc l’ébranlait , et relâchait les manœuvres ; tout y était en confusion •• dans l’un de ces roulis , une caisse d’armes fut arrachée de sa place et vint donner sur le grillage du plat bord où un volontaire aurait été écrasé , s’il ne s’était placé dans l’angle qu’elle fit avec le bord du vaisseau. L’aspect de l’océan était alors superbe et terrible tantôt au sommet d’une grosse vague , nous contemplions une vaste étendue sillonnée par un nombre infini de profonds canaux d’autres fois la vague se brisait sur nous et nous plongeait *dans une vallée d’où nous voyions une nouvelle montagne s’élever à nos côtés , et de sa tête écumeuse et chancelante menacer de nous engloutir. La nuit amena de nouvelles horreurs ; l’eau remplissait les lits , et 156 Second Voyage le rugissement des vagues , le craquement des couples et le roulis , les imprécations des matelots nous privaient du repos ; à minuit le vent diminua , le calme renaquit, et nous revînmes vers la terre dont la tempête nous avait écartés les oiseaux nous environnaient, et nous vîmes une albatrosse sans doute fatiguée par l’orage, dormir tranquillement sur l'eau. Nous limes de nouveaux efforts pour atteindre 1 e Cap Pal- liser et gagner le détroit. Nous profitions de tous les momens , de tous les vents pour nous en approcher ; cependant après trois jours de tentatives nous en étions encore à trois lieues ; mais bientôt un grand vent nous força de gouverner au sud-ouest , et nous sépara de l’Aventure que le jour ne nous montra plus près de nous. Nous continuâmes notre route au couchant; le vent devint enfin plus favorable , et j’aurais suivi la cote de l’isie méridionale où un abri paraissait s’offrir, si nous n’avions perdu l’Aventure que nous devions retrouver dans le détroit de la Reine Charlotte. Ün nous approchant de la terre, nous vîmes de la fumée en divers endroits, signe certain qu’elle était habitée ; nous trouvâmes fond à une lieue du rivage ; cependant nous cinglâmes àt l’est pour découvrir l’Aventure avant le jour nous ne la vîmes point et revirâmes de bord. Le 3i , à midi, les montagnes de neige nous restaient à douze ou quatorze lieues des vents violons qui séparaient desinstans de calme nous tourmentèrent; nous entrâmes dans le détroit; de Jacqsss Cook. i 5 y puis nous en fûmes repoussés dans cette agitation je découvris un nouveau passage , et je résolus de le gagner ; le flot nous aida et nous limes voile dans la baie le long du rivage occidental ; mais le vent et le jussant commençant à nous traverser a-la-l'ois, nous jetâmes l’ancre. Les environs de cette baie sont des montagnes noirâtres et pelées, d’une grande, élévation, s'avançant en longues pointes vers la mer. Ce misérable pays était habité , trois pirogues s’approchèrent de nous ; trois ou quatre des Iii- xliens qui les montaient, vinrent à bord leurs vêtemens étaient sales ; la fumée et l’ordure rendaient leur teint de couleur d’un jaune noir; ils exhalaient l’odeur du poisson pourri qu’ils mangent, et de l’huile rance dont ils soignent; ils regardèrent avec indifférence deux poules et deux coqs que je leur donnai, des clous leur firent plaisir. Nous sortîmes de la baie et limes route dans le détroit le vent s’y renforça .et mit en pièces nos voiles j mais le lendemain , la brise du nord-ouest nous poussa dans Y anse du vaisseau d’où nous étions partis cinq mois auparavant , et où nous ne trouvâmes point l’Aventure. Notre premier soin fut de racommoder nos voiles ; nous nous en occupions lorsque les habitait s nous visitèrent j’en reconnus plusieurs, et nous renouvelâmes connaissance avec plaisir. Nous descendîmes les futailles , nous lesraccom- modâmes et les remplîmes ; on calfata les côtés et les ponts du vaisseau, on coupa du bois , ou. j58 Second Voyage établit ne forge, on fit le commerce ; on pêcha, on chassa tout fut en mouvement dans ce lieu sauvage ane horde de Zélandais s'établit autour de nous pour profiter les premiers des avantages de notre commerce, et peut-être pour nous voler. Parmi eux était un pêcheur que nous avions vu chef d'une troupe de guerriers. Un temps agréable et chaud nous permit de faire des i echerches sur les oiseaux dont nous découvrîmes des espèces nouvelles. En visitant toutes nos provisions , nous vîmes que la plus grande parue de notre pain était gâtées nous la remimes au four. Nous revimes les porcs que le capitaine Furneaux avait laissé à ces insulaires; mais en les tenant séparés , ils empêchent la propagation de l’espèce il leur est cependant facile de le prévoir deux chèvres que nous y avions déposées , y avaient été tuées ; nos plantes seules avaient prospéré, parce qu’elles avaient été négligées , les pois cependant et les fèves paraissaient avoir été détruits par les rats. L’hiver semble être doux dans cette partie de la Nouvelle Zélande les arbres et les arbrisseaux commençaient à reverdir ; le lin y était en fleur nous y cmédîmes du céleri et du cochléaria, et revînmes h bord. Nous donnâmes aux insulaires un verrat, une jeune truie, deux coqs, et deux poules; mais ces dons n’otèrent pas aux Zélandais l'envie de nous voler l’un de leurs chefs qui semblait vouloir réprimer le vol avec sévérité , me lira adroitement un mouchoir de la poche et le mit de Jacques Cook. i5 9 dans son sein ; quand je lui redemandai , il le rendit en riant , de sorte que nous restâmes amis. Une autre troupe de Zélandais vint s’établir près de nous , nous vendit beaucoup de poissons , nous vola six futailles et s’enfuit la première troupe s’enfuit avec elle dans la crainte que nous ne les punissions du vol des autres ils nous laissèrent le verrat que je leur avais donné et quelques-uns de leurs chiens. Mais ils revinrent deux jours après nous vendre du poisson. L’Aventure ne revenait point, et le vent qui soufflait nous ôtait l’espérance de le revoir. Le temps était inconstant et orageux ; des rafales , des averses descendaient avec impétuosité des montagnes , l’air devenait froid , les plantes languissaient, les oiseaux fuyaient ; ce temps produit par les montagnes hautes et glacées dura jusqu’au douze novembre , où. il devint plus doux , et nous pûmes nous répandre au dehors. Nos naturalistes firent une excursion vers Y anse de l’Indien qu’ils trouvèrent inhabitée ; un sentier taillé par les Zélandais pour cueillir les racines de fougère qui leur servent d’alimens, et qui croissent abondamment sur le sommet d’une montagne escarpée, qui sépare cette anse de celle du cormoran , les conduisit jusqu’à ce sommet formé d’une argile talqueuse blanche , grisâtre , tachée d'un jaune rouge , qui exposée au soleil se dissout en lames , de ce sommet la vue est très-belle sur le détroit ; la pente méridionale est chargée de forêts , ailleurs végétaient les mêmes J 6c» Second Voyage plantes qu’on trouve clans les vallées de la liais Duski, ce qui prouve la différence du climat de ces deux lieux. Les montagnes couvertes de neige s’y élèvent très-haut , et leur perspective a quelque chose de sauvage et d’effrayant. Nous allâmes ensuite à Long-Island où nous découvrîmes de nouvelles plantes , de nouveaux oiseaux les bois y retentissaient du bruit des pe- terels cachés dans des trous sous terre, qui croassaient comme des grenouilles et criaient comme des poules. Les Zélandais s'occupaient du commerce dont la principale brancha était un talc verd peu estimé , mais dont nos matelots étaient avides , ils ne dédaignaient pas non plus les Zé- landaises notre contre-maître s'y était marié à la manière du pays avec l’une d’elles dont les traits étaient assez réguliers, et qui avait quelque chose de doux et de tendre dans les yeux il allait la voir à terre , il la régalait de biscuit gâté qu’elle aimait beaucoup, et elle lui fut d’une fidélité à toute épreuve. OEdidéo se livrait aussi à tous les mouveineus de la nature , et s’apperce- vant que l’existence des Zélandais était misérable , il en eut pitié il leur distribuait des racines d’ignames , et m’accompagnait toujours quand j’allais planter ou semer un terrein près de ce havre. Le i/j, nous observâmes l’émersion d’un des satellites de Jupiter pour fixer la longitude du détroit puis nous montâmes sur les monts de sa partie orientale pour tâcher de découvrir l’Aventure , et nous nous fatiguâmes en. vain j je commençai à craindra de de Jacques Cook. i 6 i de ne plus revoir ce vaisseau ; s’il eut été dans notre voisinage , il eut au moins répondu aux signaux , s’il n’avait pu se rendre au rendez- vous. Nous étions des pêclieurs moins expérimentés que les naturels ; cependant après avoir acheté de leurs filets , nous pêchâmes avec plus de succès ils sont faits des feuilles fendues, seches et battues du lin dont nous avons parlé , plante utile qui manque à l’Europe préparé en Angleterre , il a presque égalé le lustre de la soie ; il croit partout, et n’exige presque aucune culture. Déjà , nous nous préparions au départ, ne pouvant nous résoudre à attendre l’Aventure au- delà du terme que nous avions fixé. Des Indiens que nous n’avions point vus encore nous apportèrent divers articles curieux qu’ils échangèrent contre des étoffes d'Otaïd. Pour peupler cette contrée d’animaux utiles , j’y laissai deux verrats et deux truies, deux coqs et deux poules dans un bois au fond de la baie, avec assez de nourriture pour une douzaine de jours je laissai encore des poules et des coqs dans un bois voisin de l’anse du vaisseau; j’aurais laissé deux chevres, si Je bouc n’avait été attaqué peu après notre arrivée d’une maladie qui approchait de la rage , et que nous crûmes lui avoir été occasionnée par la piquure des orties qui sont abondantes dans le lieu où nous débarquâmes , et il s’était noyé dans un de ses accès. Il serait malheureux que tous ces soins fussent sans succès. Tome II. L l 6 z Second Voyage Les Indiens se montrèrent un jour mieux parés qu’à l’ordinaire leurs cheveux étaient attachés au haut de la tête , leurs joues étaient peintes en rouge , et ils nous vendirent beaucoup de vêtemens et d’armes, dépouilles d’ennemis qu’ils avaient été combattre , et qu’ils avaient vaincus. Le soir, quelques officiers qui les visitèrent darus leurs maisons , y virent des os humains , dont la chair avait été ôtée récemment c’était sans doute les restes des hommes qu'ils avaient tués dans le combat. On abattit enfin les tentes le 22 novembre ; tout fut rapporté à bord avant départir, on découvrit dans une case tout ce que les Indiens avaient reçu de nous et plusieurs de leurs meubles bientôt ils vinrent tout emporter; mais il leur manqua quelque chose , et se plaignirent qu’on les avait volés quoiqu’ils sussent des voleurs eux-mêmes , je punis celui qu’ils accusèrent; carie fondement de la confiance est dans la justice. Le calme ne permettant pas de sortir de l’anse encore , on profita de cet intervalle pour connaître les espèces de fougères dont les racines cuites sont leur principal aliment ; ils virent de plus ce qu’ils ne cherchaient point à savoir, un exemple de la férocité des mœurs des Zélandais un fils jeter une pierre à la tête de sa mère , qui ne lui accordait pas promptement ce qu’il demandait, et le père battre sa femme qui voulait punir son fils. C’est ainsi que le sexe le plus faible est toujours maltraité chez les nations sauvages. Quelques-uns de nos officiers , descendus pour de Jacques Cook. i63 s’amuser avec les habitans , virent sur la plage? la tête et les entrailles d’un jeune homme tué depuis peu, et son cœur enlilé à un bâton , arbore sur une de leurs pirogues l'un d’eux acheta cette tête ; sa vue me frappa d’horreur des Indiens en mangèrent des morceaux grillés avec voracité. OEdidée en parut métamorphosé en une statue cpui peignait l’effroi, puis il fondit en larmes, et fit les plus violens reproches aux insulaires il parut d’après mes informations que le jeune homme était mort dans le combat ; et qu’ils ne l’avaient pas fait prisonnier pour le tuer de retour chez eux. Cette tête a été portée en Angleterre , et déposée dans le cabinet de Mr. John U miter, membre de la société royale Il n’y aurait qu’un moyen de corriger les Zé- landais de cette coutume barbare , il serait de les réunir sous un même gouvernement, de leur donner le goût du commerce , de multiplier leurs productions , et les animaux qui fournissent une viande succulente il semble que la vengeance ait été le principe de ces festins horri- ribles. Ce qui diminue l’horreur qu’inspirent de tels peuples , c’est qu’ils ne mangent que leurs ennemis tués dans la bataille. En général , on ne remarque chez eux aucune cérémonie qui ait le moindre rapport avec la religion. Ils portent bien sur la poitrine une espèce d’amulette de pierre verte , de la grosseur de deux écus , sculptée en figure humaine -, mais ils ne la vénèrent pas ils n’ont ni prêtres, ni L a i 64 Second Voyage jongleurs d’aucune espèce ; aussi sont-ils peu superstitieux. Ils parent leur cou de plusieurs rangées de dents humaines qui sont des trophés de leur valeur ; leur largue a assez d’affinité avec celle des isles de la Société , pour qu’OEdidée fut en état de converser avec eux, après un peu d’exercice et d’habitude. Le , nous quittâmes la grève où les naturels accoururent , et ayant trouvé un tas de biscuit gâté que nous abandonnions , ils se précipitèrent dessus et le dévorèrent, quoiqu’ils eussent abondamment du poisson Irais nos cochons avaient cependant refusé de le manger; mais les alimens pourris semblent plaire aux peuples sauvages. Nous avançâmes peu , et bientôt nous lûmes obligés de jeter l’ancre entre l’isle Longue et celle de Motuara de là on envoya cueillir quelques choux dans nos jardins. Enfin le vents’étantlevé,nousparvinmesàsortirdudétroit. Nous n’avions point de malades ; les végétaux fournis par nos jardins , le cresson , le céleri , le poisson frais avaient maintenu notre santé. Nous n’espérions pas retrouver l’Avanture ; cependant nous laissâmes des instructions relatives à cet objet au fond de l’anse nous les mimes dans une bouteille que nous couvrîmes de terre au pied d’un arbre. Je fis encore quelques recherches avant de quitter la côte pour le retrouver , tirant des coups de canon toutes les demi-heures ; mais tout fut inutile. Nous remarquâmes que la terre entre les caps Téerawhitte et Palliser est extrêmement stérile. Les deux baies qui sont de Jacques Cook. i 65 entr’eux, sont séparées par une pointe très-élevée. Le fond de Lune d’elles conviendrait pour un établissement Européen , parce qu’il a des des terres qu’on peut cultiver et défendre , une quantité prodigieuse de bois , peu d’iiabitans , et selon toute apparence une rivière le lin y serait un objet de commerce considérable. En m’éloignant de ces lieux, je ne pensai plus à revoir l’Aventure dans tout le reste du voyage, car je n’avais fixé aucun rendez-vous après la Nouvelle-Zélande , et j’étais résolu à reconnaître pleinement les parties australes de la mer pacifique ; mon équipage cingla du côté du pôle austral avec autant de courage que si une flotte eût marché de conserve avec nous. Nous commencions cependant notre course avec quelque désavantage la fatigue avait un peu épuisé nos corps , nous n’avions point d’animaux vivans , et les provisions choisies commençaient à nous manquer. L’imagination n’embellissait point cette campagne de ses riantes chimères nous n’espérions pas de nouvelles terres , et nous ne devions atttendre que des brumes, des gelées, de la monotonie , des jeûnes mais l’espoir d’achever le tour du monde près du pôle austral, animait notre courage. Nous cinglâmes au sud, un peu à l’est avec un vent favorable , accompagnés de pingoins à bec rouge qui nous abandonnèrent bientôt ; le 6 nous étions aux antipodes de nos amis de Londres , et par conséquent à la plus grande distance possible d’eux leur souvenir nous arra- L 3 766 Second Voyage cha un soupir ; l’idée que nous étions les premiers Européens qui fussions parvenus à ce point, re pouvait éloigner quelques pensées tristes. Dès que nous lûmes au-delà du parallele le plus méridional de la Nouvelle Zélande , nous atteignîmes une grosse houle qui venait d’entre le midi et le couchant ; et comme nous n’avions point eu de vent dans cette direction , j’en conclus qu 'il ne pouvait y avoir de terre au midi de ces deux grandes isles , à moins qu’elle ne lût très- éloignée. Sous le degré de latitude , nous ne trouvions point encore de glace; l’année précédente nous en avions trouvé près du 5 i ; peut- être un Inver plus doux , et des vents qui la chassèrent devant nous, furent les causes de cette différence. La première isle de glace ne frappa nos regards qu’au-delà du 62. Nous vîmes un peterel antarctique , des peterels bleus , des al- batrosses grisses , des pintades. Nous marchions à l’est depuis le ii ; une brume épaisse nous environnait, il tombait quelquefois de la grêle, et OEdidee était étonné de voir ces petites pierres blanches , inconnues dans son pays , tomber de l'air et se fondre dans ses mains la neige l’étonnait plus encore ; il l’appelait la pluie blanche mais il le fut davantage lorsqu’il vit une immense plaine de glace il crut d’abord voir la terre; il ne cessa de le croire que lorsqu’on en eut taille de grandes plaques que l’on faisait fondre. Le nombre des ides de glace s’augmentaient au point que je me hâtai d’en sortir, en me dirigeant vers le nord ; mais là même nous y eq. t>e Jacques Cook. 167 trouvâmes encore nous leur échappâmes cependant , mais non sans avoir éprouvé des secousses violentes des morceaux que nous ne pouvions éviter. Souvent enveloppés dans un brouillard épais , nous étions sur le point de nous briser contre l’une , parce que nous avions voulu éviter l'autre. Je n'avais point de probabilité de trouver la terre au sud , et je continuai ma route au nord. Chaque jour en danger de périr , l’habitude nous faisait dormir tranquilles , comme si les flots , les vents , les rochers de glace ne pouvaient nous faire de mal le froid était humide et désagréable ; il fit périr nos colombes , nos pigeons , les oiseaux chantans que nous avions pris à la Nouvelle-Zélande. Nous nous occupions quelquefois à faire des provisions de glace qui ajoutaient à notre eau douce une partie était formée de neige , remplie de porcs, et imbibée d’eau salée ; mais en la laissant à l’air quelque temps, la saumure se dissipait. Nous forçâmes ensuite de voile vers l’est sous le 64 degré 48 minutes , poussés par un vent de nord très-froid, couverts de brume et de neige qui décoraient nos agrets de glaçons 5 ils en. étaient quelquefois si chargés , que nous avions peine à les mouvoir ; nos voiles ressemblaient à des planches de bois. Le 20 décembre , nous repassâmes le pôle antarctique, marchant au sud. est, ayant devant nous une multitude d’isles de glace , qui formaient des pyramides élevées de deux ou trois cents pieds, et dont les bords étaient très-escarpés et presque perpendiculaires. L 4 i 68 Second Voyage Des rafsales mirent en pièces notre perroquet d’artimon ; nous étions revenus alors à la plus haute latitude où nous fussions jamais parvenus estait sous le 67 degré 3 i minutes. La glace couvrait la mer dans toute l’étendue du sud à l’est, et nous fermait le passage , mais le temps étant modéré et la mer tranquille , nous pûmes l’éviter en nous dirigeant à l’ouest le froid devenait insupovtable ; mais comme il était possible qu’il y eut au nord une grande terre dans l’espace de 24 degrés de latitude , que nous n’avions point reconnus , j’y dirigeai notre coursej nous primes un peterel antarctique ces oiseaux sont de la grandeur d’un gros pigeon , les plumes de la tête , du dos , de la partie supérieure des aîles sont d’un brun léger, le ventre et le dessous des ailes blancs ; les plumes de la queue blanches aussi, mais brunes à la peinte. Ils ont plus de plumes dans les latitudes avancées, la nature les avait mieux munis contre le froid que l’art ne le pouvait faire pour nous aussi plusieurs se plaignaient de rhumatismes , de maux de tête , de catharres , de glandes enflées. Nous passâmes le jour de Noël au milieu des glaces ; heureusement qu'il n’v avait point de nuit et que le Ciel était beau $ car la bruine aurait pu nous faire périr cette situation périlleuse n’empêcha pas les matelots de solemniser ce jour en s’enyvrant. Tant que nous lûmes sous la zone glaciale , ou eut à peine une nuit on écrivait encore un peu avant minuit à la lueur du soleil qui ne s’éfaçait qu’un instant. OEdidée de Jacques Cook. r6g étonné ne put en comprendre la cause ; il nous assura pie ses compatriotes ne voudraient jamais î’en croire. La mer couverte de plus de deux cents isles de glace , nous présentait l’image d’un monde fracassé. Nous étions sous le 68 clegre 1 5 minutes de latitude ; mais nous marchions au nord ; déjà nous nous appercevions de quelques symptômes de scorbut ceux qui en étaient attaqués , burent deux fois le jour du moût de bièrre frais et s’abstinrent de viandes salées. Le v 3o décembre , nous vîmes des baleines jouer autour du bâtiment, mais peu d’oiseaux. De petits plongeurs semblaient nous annoncer que nous n’étions pas éloignés d’une terre, parce que ces oiseaux ne se voyent pas à une grande distance des côtes nous vîmes aussi du goémon, mais il était vieux et gâté ; si le vent n’eut pas été directement contraire à mon dessein , j’aurais parcouru quinze ou vingt degrés de longitude plus au couchant, parce que une telle route n’eut plus permis de croire à l’existence d’une grande terre dans ces parages les houles qui en venaient jusqu’au 5i degré de latitude , nous font douter qu’il y en existe. L’espoir de retourner en Angleterre dans cette année, faisait supporter avec peine ces climats froids aux matelots ; mais quand il fut déterminé qu’ils ne reverraient pas leur patrie sitôt , ils se resignèrent à leur sort. En nous bornant à des espérances plus voisines, nous n’étions guere plus heureux, rien ne nous annonçait de nouvelles terres il fallut s’occuper d’événemens journaliers, quand les vues sur l’a- *70 Second Voyage venir nous manquèrent. Lorsqu’il faisait calme , nous allions à la chasse d'oiseaux marins -. souvent le vent s’élevait , et un jour une vague énorme frappa le vaisseau et inonda les ponts l’eau de la mer nous retombait sur la tête , et éteignait nos lumières tout était à flot dans quelques chambres ; notre situation était triste pour ceux qui se portaient bien ; elle était insupportable pour les malades. L’aspect de l’océan était épouvantable ; un silence allarm ant régnait parmi nous; le dégoût des viandes salées nous avait tous saisis 5 le biscuit était gâté, et on n’en avait pas suffisamment ; tout était uniforme et sombre autour de nous ; la glace , la brume , la surface émue de la mer formaient une scène lugubre que n'égayaient jamais les rayons du soleil. Nous vîmes encore des isles de glace, le 20 janvier; rien n’annonçait une terre au-delà du 6 a degré de latitude sous lequel nous étions ; nous marchâmes plus au midi encore par un temps assez, doux, que procurait un vent du nord qui semblait avoir chassé au loin les glaces devant nous. Enfin nous les revîmes et bientôt après nous coupâmes pour la troisième fois le cercle polaire antarctique. Nous crûmes voir une terre, nous cinglâmes sur elle c’était un brouillard , qui en se dissipant fit évanouir nos espérances. Parvenus au 69 degré 38 minutes de latitude , vers le 284 de longitude , nous rencontrâmes un banc de glaces flottantes où nous allâmes faire notre provision d’eau douce ; le brouillard suspendit notre course en la rendant 7 i B Tacquks Cook. 771 périlleuse ; le temps fut un jour assez doux et nous donna l’espérance d’avancer autant vers le pôle sud , que l’on était allé vers le pôle boréal. Le 3 o au matin , nous observâmes que les nuages au dessus de l’horizon , au sud , étaient d’une blancheur brillante ; présage d’une plaine de glace qui parut bientôt à nos yeux elle s’étendait du levant au couchant bien au-delà des li - mites de notre vue , et la moitié de l’horizon était éclairée par les rayons qu’elle réfléchissait à une grande hauteur. J’y comptai quatre-vingt dix-sept collines éloignées des bords , pii formaient comme une chaîne de montagnes s’élevant les unes sur les autres et se perdant dans les nuages ; le bord extérieur était composé de glaces flottantes ou brisées, empilées et serrées les unes contre les autres telles ne sont pas les glaces du Groenland , et je n’ai jamais ouï dire qu’il y en eût de pareilles nulle part on pouvait croire que cette glace s’étendait jusqu’au pôle , et que c’est de-là que viennent les glaces errantes qu’on trouve plus au nord; il est possible qu’il y ait des terres éternellement couvertes sous ces glaces ; mais elles peuvent peut-être se former sans terre. Cet obstacle nous força e Jacques Cook. 197 rimes O-Taïti le 21 ; nous découvrîmes la pointe Vénus et y tendîmes les malades se traînèrent sur le pont pour la voir j elle nous parut aussi charmante , que si nous l’avions vue pour la première fois. Elle était en effet plus belle alors que huit mois auparavant les forêts y étaient revêtues d’un nouveau feuillage ; les cantons inférieurs y étaient parés de verdure plus fraîche ; les plaines brillaient par l’éclat de leurs couleurs. Quand les insulaires nous eurent ap- perçus , ils lancèrent leurs pirogues pour nous apporter des fruits parmi eux étalent deux jeunes gens, qui se dépouillèrent de leurs vêternens pour en faire un présent à OEdidée , et celui-ci leur donna des plumes rouges. Quand j’eus mouillé dans la baie de Matawai, il descendit avec empressement , après avoir quitté ses vêternens Européens avec un plaisir qui marquait sa prédilection pour les usages et les mœurs de son pays , et nous ne devons pas nous en étonner ; retournèrent joyeusement dans leur affreux pays , après avoir joui des plaisirs de Londres. Eh qui ne désirerait la vie paisibledes haïtiens! OEdidée en fut fêté , considéré , recherché ; les plaisirs se renouvellaient, se variaient sans cesse pour lui. Les matelots recherchèrent ceux dont ils avaient été long-temps privés ; des femmes sans pudeur , de la dernière classe du peuple, ne manquèrent point de complaisance , il s’agissait de les dépouiller. Des fruits , des poissons ranimaient la santé langids- N 3 ïp8 Second Voyage santé de quelques-uns , et redonnaient de la joie à tous. Le roi Otoo et plusieurs antres chefs nous rendirent visite , et nous apportèrent une douzaine de gros cochons ; nous les accueillîmes le mieux qu’il nous lut possible ; ils dînèrent au vaisseau , et s’en retournèrent chargés de présens et contens de notre réception nous leur donnâmes sur-tout des plumes rouges , dont ils font un grand cas. C’est pour en obtenir encore que le roi nous lit une seconde visite ; que les principaux personnages de l’isle nous prodiguaient tout ce que l’isle produisait de plus utile. Ce fut un bonheur pour nous d’en avoir lait un amas, car nos marchandises avaient fort diminué , et il nous eut été difficile d’approvisionner le navire par des échanges avec elles. Un événement non s prouva l’utilité de la chaîne électrique. Il faisait des tonnerres violées , et je fis placer une chaîne de cuivre au grand mât à l’instant où on venait d’en jeter l’extrémité au-delà du plat-bord , un éclair terrible s’élança par-dessus le vaisseau , et nous vîmes la flamme s’écouler le long de la chaîne il fut suivi d’un coup do tonnerre épouvantable qui ébranla tout le bâtiment , sans nous causer le moindredom mage , au grand étonnement des Européen s et des haïtien s qui se trouvèrent à bord. Je fus étonné aussi de l'état d’opulence où se montrait l’isle on y construisait un grand nombre de grosses pirogues et de maisons de toute espèce ; ces maisons étaient spacieuses de gros îde Jacques Cooic. Ï99 cochons rodaient autour des cases ; on y voyait par-tout la prospérité d’un état naissant. Nous étions dans une si grande abondance de vivres , que nous fûmes obligés de construire une étable sur le rivage. Cette abondance me détermina à y faire un plus long séjour que je ne m’étais proposé d’abord , et d’y faire radouber le vaisseau ; j’y fis travailler tout de suite. Nous rendîmes la visite au roi en arrivant à sa demeure , nous vîmes plus de trois cents pirogues rangées en ordre, et le rivage couvert de guerriers cet armement subit nous fit faire bien des conjectures ; cependant nous débarquâmes au milieu d'une foule immense de naturels. Un oncle du roi vint à ma rencontre l'amiral Towha s’approcha aussi , et me menant par la main au milieu d’eux , ils me firent traverser la foule , qui se rangeait en deux haies et poussait des acclamations. Arrivé à la place de l’audience , on étendit une nate sur laquelle on me fit asseoir, et on alla chercher le roi je voulus aller au devant de lui ; mais Towha s’empara de moi, et me mena sur le bâtiment amiral entre deux lignes de guerriers qui écartaient les spectateurs ; cependant , comme je refusai de monter sur le bâtiment , Towha me quitta froidement j’ap- perçus Tonde du roi , et lui demandai des nouvelles de son neveu , il me dit qu’il s’était retiré dans le pays mcttava ou fâché , et il me conseilla de me retirer sur ma chaloupe ; nous suivîmes son conseil , et nous nous y rassemblâmes. Jetant alors les yeux sur cette flotte , nous vîmes N 4 200 ^ Second Voyage qu’elle consistait en cent soixante doubles pirogues , longues de quarante à cinquante pieds , bien éouipées , bien approvisionnées et bien armées. Les chefs étaient revêtus de leurs. vereinen s militaires , qui sont bigarrés , et consistent en trois grandes pièces d’étoffes trouées au milieu , et posées les unes sur les autres ; celle de dessous était blanche et la plus lar ge , la seconde ronge •- celle de dessus était brune et la plus courte ; leurs cuirasses étaient d’osier , couvertes de plumes et de dents de goulu. Quelques-uns de leurs casques avaient cinq pieds de haut; c’étuicritde longs bonnets cylindriques , dont le devant formait un fronteau long de quatre pieds, revêtu de plumes luisantes , bleues et vertes , et d’une jolie bordure de plumes blanches un nombre prodigieux de longues plumes d’oiseaux du tropique divergeaient de ses bords en rayons , semblables à l’auréole des anges et des saints. Les principaux commandons se distinguaient d’ailleurs par de longues queues rondes, composées de plumes vertes et jaunes qui pendaient sur leur dos. Towha en portait cinq, à l'extrémité desquelles flottaient des cordons de bourre de cocos , entremêlés de plumes rouges il n’avait point de casque, mais un turban qui allait bien à son visage il paraissait avoir soixante ans , était très-vigoureux , grand , et d’une physionomie noble et prévenante. Des pavillons , des banderolles décoraient les pirogues ; des massues , des piques , des pierres, composent leurs instrumens de guerre le bâti- de Jacques Cook. 20i ment amiral occupait le centre cent soixante- dix doubles pirogues plus petites portaient un pavillon , un mât et une voile. Cette Hotte n’était composée que des forces de deux cantons ; elle nous donna une grande idée de la population et des richesses de cette isle. Après l’avoir examinée , je désirois revoir l’amiral , m*is je le demandai en vain. L’oncle du roi me dit que son neveu étoit parti pour Matawai , et me conseilla de me rembarquer. Nous le fîmes , et conjecturâmes que Towha était un chef puissant et mécontent , qui se disposait à faire la guerre à son roi ; nous nous trompions , et bientôt nous apprîmes que la flotte faisait partie d’un armement qu’on destinait contre l’isle Eiméo dont le chef avait secoué le joug d'Otaïti. O - Too n’était point à Mata- wai , et nous retournâmes pour le voir dans sa demeure ; nous l’y trouvâmes , et sûmes qu’il avait évité de me voir, parce que quelques-uns de ses sujets ayant volé mes habits qu’011 lavait à terre , il avait craint que j’en exigeasse la restitution. Il me demanda plusieurs fois si j’étais fâché , et sur ce que je l’assurai que les voleurs pouvaient garder ce qu’ils avaient pris , il parut satisfait. Towha avait eu la meme raison pour s’éloigner. Ainsi une méprise m’empêcha d’examiner avec plus de soin les forces navales de l’isle. O-Too nous conduisit à ses habitations au travers d’une campagne qui ressemblait à un jardin , où çà et là les ruisseaux formaient des 202 Second Voyage nappes limpides. Nous causâmes , les femmes sur-tout montrèrent beaucoup de gaîté nous partagions leurs plaisrs , leur bonheur , et nous ne les quittâmes qu’après le coucher du soleil. Nous nous fîmes O-Too et moi des présens mutuels , et revînmes à bord. Le roi et Towha nous y rendirent visite le lendemain le dernier fut étonné de la grandeur du vaisseau qu’il n’a- voit jamais vu , il en examina toutes les parties , nous demanda des cables et des ancres. Ils dînèrent avec nous, et se montrèrent très-joyeux. O-Too montrait du respect pour Towha , et desiroit qu’on lui en témoignât , et cependant il paraissait le craindre. L’ardeur du peuple et des grands pour les plumes rouges procura aux matelots des plaisirs de leur goût, et à nous bien des présens ; ils nous donnèrent même en échange des habits singuliers qui doivent, par leur texture et la matière qui les forme , être d’un prix inestimable à leurs yeux ; ils servent à leurs cérémonies funéraires. Un matelot en a vendu un en Angleterre pour vingt-cinq gui- nées. Ces plumes faisaient une partie des richesses d’OEdidée , que les Otahitiens écoutaient avec avidité ils le suivaient en foule les vieillards lui témoignaient de l’estime , les chefs recherchaient sa compagnie. Souvent ils avaient peine à croire ce qu’il leur racontait de la pluie changée en pierres , des rochers blancs et des montagnes que nous convertissions en eau douce , et iis venaient nous demander s’il ne mentait point. Ils le croyaient plus volontiers , de Jacques Cook. ao3 lorsqu’il parlait Je mangeurs d’hommes de la nouvelle Zélande , quoiqu’ils en eussent horreur il paraît qu’ils ont connu cette barbare coutume autrefois. Un Otaïtien qui nous volait une futaille fut pris en flagrant délit. Je le fis lier à un poteau , malgré O-Too qui me priait de le relâcher ; je lui fis sentir que puisque je punissais ceux qui •les volaient, ceux qui nous volaient, devaient être aussi punis. Towha parut m’approuver , et harangua ses compatriotes pour leur faire sentir la justice de ce procédé. Le coupable reçut vingt coups de fouet , et tout le monde se retira. Towha nous fit ensuite diverses questions sur les loix de notre pays ; il admirait nos arts ; mais quand on lui eut dit que nous n’avions ni noix de cocos ni arbres à pain , il estima peu tout le reste. 11 nous donna à diner, et montra qu’il n’avait pas oublié nos usages depuis qu’il avait diné avec nous. Quand nous le quittâmes , il nous fit de tendres adieux , et promit de nous venir voir. Nous trouvâmes au vaisseau Mr. Förster et Sparmann qui revenaient des montagnes. Ils étaient parvenus à la seconde chaîne qui environne les plus élevées , après avoir traversé des vallées profondes iis y trouvèrent une famille aggrandissant sa cabane , et l’homme quitta l’ouvrage pour leur apprêter à souper. Ils allumèrent du feu , et veillèrent et dormirent tour à tour de-là ils voyaient la lumière dans le vaisseau , ils entendirent à minuit le son de la cio- 2o4 Second Voyage die qui réglait les quarts. La nuit était belle, fraîche et calme. A la pointe du jour , ils marchèrent vers le sommet des montagnes à une hauteur considérable, ils trouvèrent sur l’escarpement des flancs, des arbrisseaux et des bois épais, et voulant cueillir des plantes , ils tombèrent près de précipices épouvantables ; toute ïa chaîne était couverte de forets , où ils trouvèrent un grand nombre de plantes qu’ils n’avaient jamais vues. Ils parvinrent enfin au sommet de la montagne de-là ils découvrirent Hirnhaine qui est éloignée de quarante lieues, et les isles plus voisines , la plaine fertile qui était à leurs pieds, la vallée de JVIattavai où la rivière faisait d’innombrables détours. Le brouillard les força de descendre. Les collines supé; ieures sont composées d’une argiie très^compacte la végétation y est abondante, meme au sommet des montagnes on y chercha le bois odorant dont les insulaires parfument leur huile , mais sans le trouver. Le lendemain nous vîmes les équipages de dix pirogues exécuter une partie de leurs manœuvres. Dès qu’une d’elles touche la terre , ses rameurs sautent dehors et traînent le batiment à un endroit convenable , puis chacun d’eux s’en va chargé de sa pagaye tout se l'ait si promptement , qu’en cinq minutes on ne voit plus ni pirogues, ni guerriers, ni rameurs. Je vis des guerriers se deshabiller , et je ne pouvais concevoir comment en un jour de bataille ils pouvaient porter la quantité et la pesanteur des de Jacques Coole 2o5 étoffes qu’ils avaient sur eus. Une pièce d’une longueur immense .enveloppait leur tête en. forme de tu. ban ou' de chapeau ; plusieurs Pavaient garnie de branches sèches de petits arbrisseaux , couvertes de plumes blanches. Mr Förster le h!s et Sparmann remontèrent la vallée de Mattavai , et y virent par-tout de nouvelles plantations , fort étendues et en bon ordre, de nouvelles habitations, et en plusieurs endroits des habitans travaillant à des pirogues les ravages qu’avait laissés la guerre entre les deux péninsules , avaient disparu ; les insulaires étaient moins importuns pour demander ; ils s’efforcaient à l’envi à faire envers nous des actes de bienveillance et d’hospitalité. Ils arrivèrent dans la cabane de l’Indien qui les avait reçus avec tant de cordialité quelques mois auparavant , et lui promirent d’y revenir dîner. A un mille plus loin , la colline sur le côté oriental offrait une . coupe perpendiculaire de deux cents quarante pieds , d’où une cascade s’élançant au travers des arbrisseaux qui la couvraient au sommet, tombait dans la rivière , et animait ce paysage sauvage et pittoresque ce rocher était composé de colonnes d’un basalte noir et compacte dont les naturels font des outils ; elles étaient debout , parallèles , jointes l’une à l’autre, et d’un diamètredequinze à vingt pouces. Au-delà la vallée se resserre toujours davantage , et enfin ils furent forcés de s’arrêter, de revenir sur leurs pas à la demeure de leur 2o 6 Second Voyage Löte généreux , qu’ils récompensèrent de sa réception avec des plumes rouges et des outils de fer. Nous examinâmes notre biscuit ; il se trouva gâte encore il fallut en faire un nouveau triage, en perdre une grande quantité , nous réduire à la petite ration et encore avec de mauvais pain. Nous apprîmes alors qu’OEdidée s’était marié, et nous lûmes fâchés de n’avoir pas assisté à la cérémonie, pour faire des découvertes intéressantes sur les usages de ces insulaires. Il nous dit qu’il désirait s’établir à Otaïti, qu’on lui élirait des terres, une maison , des propriétés de toute espèce, qu’il était aggrégé à la famille d’un A-Rée respecté. Il renonçait donc au projet de revenir en Angleterre ; mais un antre jeune- lioinme désira beaucoup de prendre sa place , et je fus obligé de le refuser il me parut injuste de prendre à mon bord un habitant de ces isles , sous des conditions que je n’étais pas le maître de remplir j car je m’imposais l’obligation de leur rendre tout ce dont mon consentement les aurait privés. Nos savans firent une nouvelle course pour pénétrer au-delà du vallon où ils s’étaient arrêtés quelques jours auparavant ils gravirent la montagne de grand matin , mais n’allèrent pas au sommet ; ils cueillirent plusieurs nouvelles plantes dans les forêts, et leurs guides prirent des hirondelles de mer encore endormies dans les buissons c’est ainsi que l’oiseau du Tropique s’y vient reposer et y dépose toutes les années de Jacques Cook. 207 les longues plumes de sa queue. Ils revinrent dans le moment que toute la famille royale était sur le vaisseau. Elle nous apprit son histoire. Elle fut composée de trois frères dont l’aîné était l’époux d’Oberea et régna sur l’isle , mais fut détrôné par Wahéatua, roi de la petite péninsule , qui voulut qu'O-Too , fils de son frère Elappaï, lui succédât cette histoire explique comment Oberea étoit si puissante lorsque le capitaine Wallis aborda dans l’isle , et pourquoi elle était devenue pauvre et presque oubliée. Un accident troubla la bonne intelligence qui régnait entre nous etles insulaires ; une des sentinelles que nous avions à terre s'endormit , et un Otaïtien profita de l’occasion pour lui enlever son fusil. O-Too m'en fit donner la première nouvelle , en me priant de venir vers lui. J’y allai en débarquant, le sergent m’apprit ce qui s'était passé , les naturels étaient effrayés et la plupart en fuite. Je tâchai de calmer leurs craintes ; mais j’insistai sur la reddition du fusil. O-Too n’osa pas me voir ; il s’enfuit dans les montagnes, et je revins laissant l’oncle du roi et OEdidée chargés de lui dire que je n’étais point sache, et que je ne demandais que le fusil. Arrivé au vaisseau , je vis six pirogues que je résolus d'intercepter ; mais l'une d’elles nous ayant appris que le roi était dans nos tentes , nous les laissâmes libres pour nous approcher des tentes. Le roi n’y avait point paru ; c’était une ruse de ceux qui montaient les pirogues et qui alors s'efforcaient de s’éloigner 3 nous les poursuivîmes 2v8 Second Voyage et en primes cinq , sur l’une desquelles était un chef que je résolus de dépêcher à O-Too , pour qu’il en obtînt le fusil en échange des pirogues et des prisonniers ; mais il chercha des excuses pour s’en dispenser ; jene les aurais pas écoutées, si OEilidée n’était venu me dire que le voleur était de Tierrabnu et qu’il fallait leur prêter une chaloupe pour l’aller redemander à Wahéatua. Je relâchai alors deux pirogues , mais les trois autres étant à un chef de Tierrabou , je voulais les retenir ; quand on m’affirma que ce chef était innocent du vol qui s’était commis , je les relâchai encore , et je fis dire à O-Too que je ne ferais plus de recherches , puisque ses sujets ne le retenaient pas sur la brune , trois hommes qui avaient poursuivi le voleur, rapportèrent le fusil, je les récompensai et je cessai toutes poursuites tous les Otaïtiens prétendirent alors avoir tué le voleur ou l’avoir poursuivi , afin d’avoir part à la récompense. Cependant les échanges étaient interrompues et l’on n’apportait rien au marché. Je crus devoir chercher O-Too , et je partis avec quelques officiers, je trouvai le prince assis à l’ombre des arbres ; je le rassurai, et il rue demanda pourquoi j’avais tiré sur les pirogues c’est qu’elles appartenaient, à un chef de Tierrabou , lui dis-je , et que le voleur en dépendait je parus vouloir pousser plus loin ma vengeance contre lui ; et comme il n’aimait pas ses voisins , mes sentimens lui plurent et la tranquillité se rétablit. J’ai toujours mieux réussi avec eux par des voies honnêtes que par celles da ns Jacques Cook. acup de la rigueur, et j’évitais celles-ci si ’javais cessé de me comporter avec humanité à leur égard, j’aurais aigri leur caractère , et un usage trop fréquent de nos armes à feu aurait excité leur vengeance et diminué la terreur qu’elles leur inspiraient. Les réparations les plus essentielles du vaisseau étant finies , je résolus de quitter O-Taïti dans peu de jours. Oberea nous rendit visite ; elle fut suivie d’O-Too qui vint avec une nombreuse suite et beaucoup de provisions. Je fus plus libéral que jene l’avais été encore , parce -que je croyais voir ces bonnes gens pour la dernière fois je les réjouis avec des feux d’artifice qui leur persuadèrent que nous avions les feux et les étoiles à notre disposition. OEdidée souhaitait de rester dans cette isie , et je ne crus pas devoir l'encourager à venir en Angleterre , d’où, il n’y avajt pas d’apparence qu’il pût jamais revenir; mais je l’assurai que dans ce cas, je lui tiendrais lien de père; il m’embrassa, il pleura , désira conférer avec ses amis , et malgré les sollicitations de l’équipage qui l’aimait, il sortit et revint nous dire qu’il se décidait à rester dans l’isle. Mr. Förster l'engagea à nous accompagner jusqu’à Vlietéa. Divers chefs , parmi lesquels étaient Towha , vinrent nous visiter encore et nous apportèrent des fruits. Pour monter Towha dans le vaisseau , on laissa tomber un fauteuil soutenu par des cordes, et nous le tirâmes en liant , ce qui lui fit grand plaisir. Je lui fis des présens parmi les- Tome IL O 210 Secosd Voyace quels était un pavillon anglais dont je lui appris l’usage. Il était résolu , malgé sa maladie , de commander la flotte contre E-Iméo ; quoique infirme , il était gai , et ses sentixnens étaient élevés. Nous v mes une nouvelle flotte de quarante double» pirogues , approcher du bord , en pagayant, partagée en divisions , et formant une ligne qui ne se dérangea point chacune d’elles avait un conducteur qui , placé sur la plat reforme , annonçait par des paroles et des gestes, quand les matelots devaient pagayer à-la-fois, et quand l’un descôtés devaient s’arrêter la promptitude de leurs rnouvemens nous prouva leur habileté dans la manœuvre. Les soldats exercèrent devant nous , et livrèrent un combat singulier ; ils portaient et paraient fort adroitement leurs coups , armés de massues et de piques qu’ils lançaient comme des dards ils paraient les coups de massue par des sauts en l’air , ou en se détournant de côté leur pique servait à détourner avec adresse les coups de pique de leur ennemi. Nous vîmes sur le chantier d’O-Too deux pa-hies longues chacune de cent et huit pieds je donnai un pavillon pour l’une d’elles , et le roi lui donna le nom de Britannia. Ces flottes , ces guerriers , nous parurent ressembler beaucoup à la flotte des Grecs , allant attaquer Troye. Towha , le roi et son oncle nous firent des adieux très-touchans O-Too me pria de prendre avec moi un jeune homme qu’il voulait envoyer chercher des plumes rouges ; mais comme je ne me proposais point de retourner, je le refusai. de Jacques Cook. ai i Je lui dis que si jamais je revenais, je lui en apporterais y et cette promesse le satisfît. Il proposa à Mrs. Förster et Hodges de rester dans l’isle , et leur promettait de les faire chefs des plus riches cantonsils le refusèrent avec émotion. Un des aides du canonnier forma le projet d’y rester, et dès que nous eûmes déployé les voiles, il se jeta à l’eau ; mais on le découvrit bientôt, et un bateau alla s’en saisir , avant qu’il pût être bien loin encore. O-Too l’avait encouragé dans son dessein il espérait qu’un Européen lui serait d’un grand avantage et il avait raison l’aide- canonnier n’avait pas tort non plus , il n’avait ni parens , ni amis , ni presque de patrie , et ne pouvait espérer nulle part plus de bonheur que dans ces isles ; là , sous le plus beau climat de la terre , il allait jouir des aisances de 'la vie au milieu d’un peuple simple et bon , et achever ses jours dans la tranquillité et l’abondance , loin des travaux et des dangers. Quoique je ne pusse le condamner , la nécessité de conserver la discipline me le fit faire mettre aux fers pendant quinze jours. O-Too demeura dans sa pirogue jusqu’à ce qu’il nous vît cingler à pleines voiles vers l’isle Huaheine alors il pagaya vers la cote et il fut salué de trois coups de canon. J’aurais voulu m’instruire du gouvernement de cette isle , mais cela ne me fut pas possible il semble que ce soit une administration féodale ; le cites n’a rien qui le distingue de ses sujets ; il mettait même plus de simplicité dans ses actions qu’aucun autre O » 212 Second Votacs des E-Arées. En général les chefs sont plus aimés que craints. Leur religion ne nous est pas mieux connue. Il nous a semblé que dans certains cas , ils sacrifient aux dieux , et meme des hommes ; que le choix des victimes dépend du grand prêtre qui passe quelque temps retiré au fond de la maison du Dieu , puis vient annoncer au peuple qu’il vient de converser avec le grand-être, lequel lui a indiqué la victime c’est ordinairement un ennemi du prêtre , et on tue celui qu’il a désigné. Un vent frais nous éloignait de cette isle charmante , et nos regards y restaient attachés /lorsqu’ils se fixèrent sur une de ses plus belles femmes qui s’était embarquée avec nous pour retourner 4 Vlietéa sa patrie , qu’elle avait quittée avec un amant. O-Too avait défendu à aucune de ses sujettes de nous suivre ; elle s’était cachée d’abord , mais dès qu’elle fut en pleine mer , elle se montra. OEdidée et son frère, deux autres naturels de Bolabola nous suivirent aussi et leur compagnie égaya la conversation dès le matin nous découvrîmes Huaheine , nous jetâmes l’ancre dans le havre d’O-Wbarre , où le vieux chef O - Rée vint avec quelques-uns de ses sujets nous offrir un cochon et d’autres présens avec les cérémonies accoutumées. Je lui en fis à mon tour , et entr’autres un de plumes rouges , dont il prit deux ou trois dans sa main droite , et fit une prière à laquelle les spectateurs faisaient peu d’attention ; l’Otaïtienne descendit avec nous, de Jacques Cook. ai3 affublée de l’habit d’un de nos officiers et d na avec les hommes sans srupule. En parcourant la côte , nous parvînmes aux lagunes que la mer forme au nord du havre leurs bords marécageux sont remplis de plantes des Indes orientales qui croissent dans une vase visqueuse qui exhale une odeur fétide , laquelle en éloigne les habitans des troupes de canards voltigeaient sur si surface , la perspective de cette pièce d’eau est très-agréable elle est renfermée du côté de la mer par un banc de corail, étroit et couvert de sable , le long duquel s’élèvent de beaux cocotiers des habitans volèrent un de nos domestiques , et nous nous en plaignîmes au chef O-Rée ; il ne trouva point d’abord le vol ; je le vis ensuite dans son conseil où il lit une harangue , puis il m’assura que ni lui , ni les autres chefs n'y avaient eu part et que nous pouvions tirer sur les voleurs. Ce vieux chef était devenu indolent la liqueur énivrante dont il buvait avec excès, lui avait enflammé les yeux et maîgri le corps. On nous donna la représenta-»- tion d’une pièce dramatique c’était l'aventure de la jeune Otaïtienne qui s’était enfuie avec nous ; elle y était, s’y reconnut, et versa beaucoup de larmes. Dans cet intervalle quelques officiers couraient la campagne deux naturels portaient leurs sacs remplis de clous et de haches ils montrèrent des oiseaux aux officiers qui les tirèrent, et alors les naturels sachant qu’ils n’a- \ aient plus rien à craindre de leurs armes à feu, s’enfuirent et disparurent. On les trouva 0 3 zi/,. Second Voyage clans la suite , et ils -donnèrent des boucliers de guerre en place de ce qu'ils avaient pris. Nous reçûmes des visites de nos anciens amis et limes divc ses promenades , dans l'une nous gravîmes sur une colline plantée d arb. es à pain , de poivriers et de mu iers , d’ignames et d’eddoes le terrain était amélioré avec des coquilles et du corail brisés , des cembes de fougères et d’arbrisseaux. Les plumes ronges n’ont plus de valeur dans cette isle , où les naturels n’a vaut que le nécessaire , ne mettent point un prix ridicule à des objets de fantaisie. Une pluie subite nous força de nous réfugier dans une hutte , où une famille aimable nous offrit du fruit à pain et du poisson. Là , était une vieille femme d’un rang distingué , avec un domestique qui menait un cochon la bonne femme voulut nous le faire accepter et nous conduire à sa maison nous traversâmes la colline et descendîmes sur les bords de la mer , où nous vîmes une baie fermée d’un banc de corail, renfermant un islot qu'habitaient des troupes nombreuses de canards, de bécassines et de corlienx de-là nous parvînmes dans une belle vallée peuplée et cultivée où était l'habitation de notre bonne vieille nous y trouvâmes sa famille qui nous régala de volaille , de fruits à pain , et de noix de cocos , et lions renvoya ensuite dans sa pirogue, parce que le chemin par mer était beaucoup plus court. Je sus que nos chasseurs venaient d’être dépouillés je me rendis à terre et m’emparai par- de Jacques Cook; 2i5 siblement d’une grande maison, de tout ce qu’elle contenait et de deux chefs qui s’y trouvaient. Je restituai le tout, dès que j’eus appris ce qui s’était passé. Un officier qui avait tué des canards, avait forcé un insulaire de les aller chercher dans l’eau celui-ci pour se venger, y alla, mais traversant la lagune , il s’enfuit avec le gibier. L’Officier tira sur lui et le 'manqua j il allait recommencer , lorsque les insulaires se saisirent de son arme l’Anglais appella du secours , des Anglais tirèrent, les Indiens les frappèrent, puis quelques chefs appaisèrent le tout j mais ce tumulte laissa des impressions de crainte et de défiance- Le 21 mai , nous vîmes plus de soixante pirogues sous voiles qui allaient à Vlietéa c’étaient, des Earloys qui allaient visiter leurs confrères des isles voisines cette société ressemble aux francs-maçons ; elle a ses secrets, et secourt ses membres, quand ils sont dans le besoin. O-Rée me fit prier de descendre pour châtier des voleurs qui formaient un corps , dont le but était de nous détrousser par-tout où ils nous trouveraient. Je descendis avec quarante-huit hommes , pour ne pas encourager les brigands et les intimider sans me mettre dans le cas de les combattre , et nous marchâmes avec jusqu’à plus d’une lieue sans avoir vu d’ennemis , qui peut-être voulaient nous amener dans un lieu désavantageux pour nous attaquer avec succès y alors je m’arrêtai et revins sur mes pas. Les Indiens descendant des collines , cacliaient leurs 04 21 f S'E' CO KD VOYACE leurs armes dans les buissons , dès qu’ils nous Voyaient paraître ; et pour augmenter l'effroi que nous paraissions leur inspirer , je sistirerplush urs volées pour convaincre les naturels rpie nous pouvions faire un feu continuel. Cette ostentation eut son eilet ; les chefs s'empressèrent de nous faire des présens ; les autres amenèrent des rafraîchisse mens en grand nombre. Les premiers nous promirent de nous envoyer des provisions , ils le freut; mais elles consistaient pins en fruits qu’en cochons , et c’étaient ces derniers que nous désirions le plus. Nous quittâmes Huaheine le 24 mai , O-liée fut le dernier qui quitta le vaisseau en partant je lui dis que nous ne nous reverrions plus ; il me répondit en pleurant; Laissez venir vos enfans, ils seront bien reçus ». Le commerce que nous fîmes dans cette isle fut abondant en fruits , mais non en cochons nous avions peu d’outils et de meubles à leur donner en échange ; ce qui m’engagea à faire fabriquer des outils de rer et des clous , pour me procurer des rafraîcbissemens dans lesisles où. nous allions aborder. Nous arrivâmes bientôt à pleines voiles à Vlietéa , et pénétrâmes dans un canal sonné par deux chaînes de rocs de corail, contre lesquelles la mer brisait avec tant de violence , que des navigateurs peu exercés auraient pu en être effrayés nous nous fîmes remorquer jusque? près de la terre. Bientôt le chef O-Réo et d’autres insulaires nous vinrent offrir leurs présens, et j’allai le lendemain leur en laire à mon tour. de Jacques Cook. 217 En entrant dans sa maison , nous fûmes reçus par quatre ou cinq vieilles femmes qui pleuraient, se lamentaient et se coupaient la tête avec des dents de goulu ; le sang inondait leur visage et leurs épaules , et il fallut essuyer leurs embras- seinens. Cette cérémonie achevée, elles se lavèrent et revinrent aussi joyeuses que leurs compatriotes. O-Reo parut enchanté de notre retour , et la vue d’OEdidée donna de la confiance à tout le peuple. Le chef vint dîner avec nous ; puis nous allâmes nous promener le long de la crique où était le vaisseau. La côte était bordée de pirogues , les cabanes fourmillaient d’habitans qui se préparaient à faire de bons dîners sur des tas de provisions accumulées, /étaient des Ear- réoy qui voyageaient sur toutes les isles en se livrant aux plaisirs et à la débauche ; ils paraissaient tous des guerriers de profession , et des chefs ou des alliés aux chefs par tout ils trouvent des frères qui les accueillent, qui partagent leurs fêtes ; par - tout iis chantent et font des danses lascives peut-être en leur interdisant les en fans , a-t-on voulu diminuer le nombre des premières familles , pour que le peuple ne gémît pas un jour sous le joug de ces petits tyrans , si on les laissait pulluler en liberté ceux - ci passèrent plusieurs jours dans la joie , et nous invitèrent souvent à leurs festins. Mr. Förster , dans ses excursions de botanique j trouva l’hospitalité dans toutes les cabanes, et vit un cimetière de chiens, coutume singulière qui nous était inconnue , et qui pourrait bien 2i8 Second Voyage n'être que la fantaisie d’un particulier. Pour nous amuser, on joua une pièce qui avait pour titre l’enfant vient , parce que le dénouement était l'accouchement d’une femme en travail, dont l’enfant se mit à courir sur la scène , ayant un torchon de paille attaché à son nombril, et poursuivi par les danseuses qui essayaient de l’attraper; ce qui faisait rire toute l’assemblée. On avait comprimé et applati le nez de l’enfant ; c’est ce qui nous expliqua pourquoi tous les habitants ont tous le nez applati. Dans un de nos repas que partageait O-Reo, et où il but seul une bouteille de vin , il nous dit qu’il connaissait une isle que nous ignorions encore. Elle est, dit-il, à quelques journées de chemin , ses liabitans sont aussi hauts que votre grand mât, et aussi gros à la ceinture que la tête du cabestan. Ils sont bons , mais lorsqu’on les fâche , ils vous lancent dans la mer comme une petite pierre si vous les approchez , ils iront au-devant de vous et emporteront votre vaisseau à terre sur leurs épaules. » C’était un conte, fondé peut-être sur d’anciennes histoires. Nous visitâmes la côte au sud , où l’on trouv un pays fertile et des habitans hospitaliers nous parvînmes à une baie spacieuse qui renferme trois isles, et dont les bords sont remplis de canards. Nous allâmes sur l’un des islots , et il était couvert de cocotiers et d’arbrisseaux , et nous y trouvâmes une hutte et des filets , et point de coquillages que nous y cherchions. On nous vola des gouvernails , des grapins de Jacques Coor. 219 et des crocs ; et j’allai en informer le dies qui déjà en était instruit , et vint avec nous à la poursuite des larrons , jnsquà ce qn’on nous eut apporté tout ce qui nous avait été pris , excepte le gouvernail de fer de la pinasse. Je voulus aller plus avant, niais le peuple s’allarmait et le clief s’était échappé ; sans doute qu il n était pas le ma tre de se faire rendre ce que je cherchais. Je m’arrêtai et fis prier le chef de revenir ; il revint et m’offrit deux cochons , j / les acceptai, et ne demandai plus rien ils étaient l'é suivaient de ce que j’avais perdu la paix se lit ainsi. O P\.eo vint dîner avec nous , puis on nous donna la comédie qui n’était plus agréable pour nous , parce que les pièces se ressemblaient. OEdidée ne se plut pas autant dans sa patrie qu’à Otaïti. Ici, sa libéralité lui faisait des amis, là elle était un devoir ; plus il donnait, plus on lui demandait , et encore on l’accusait d’avarice. Il se dépouilla de tout sans les satisfaire j aussi désira-t-il retourner à Otaïti , et il serait même venu en Angleterre si j’avais pu lui donner l’espérance de revenir. J’allai nn jour visiter ce qu’il possédait dans cette isle ; nous trouvâmes qu’il n’y jouissait d’aucune autorité , quoique son frère y fût chef; celui-ci m’offrit deux cochons, et nous fîmes un festin de l’un d’eux, que nous finimes par de l’ean-de-vie , qui obligea bientôt les insulaires de se retirer pour dormir. Dans cet intervalle j’examinai le canton; il y avait peu de terrain , mais le lieu était agréable , et des maisons bien arrangées for- 22O Second Voyage maient un très-joli village ensuite nous primes le chemin du vaisseau en chemin nous apportâmes quatre figures de bois de deux pieds de long , arrangées sur une tablette, ayant une pièce d’étol’f’e autour des reins , et sur leurs tètes une espèce de turban garni de longues plumes de coq. On nous dit que c’étaient les dieux des serviteurs. En faut-il conclure qu'ils adoraient ces statues, et que les serviteurs n’ont pas le même Dieu que les maîtres ? Non , le fait est trop isolé , aucun autre ne s’y rapporte , et nous pouvions mal comprendre celui qui nous parla ; mais il est vrai que les ha bilans de cette isle sont plus superstitieux que ceux d’O-Taïti ; ils me montrèrent beaucoup de vénération pour les hérons et les pic-verds. Nous arrivâmes à bord que la chaleur était encore très-lorte, et nous revînmes à terre nous baigner dans une belle fontaine ombragée par des arbres odorans. Ce bain nous fut salutaire. Ces isles sont remplies de charmans réduits comme celui-ci ils embélissent la contrée , et contribuent à la santé des liabitans. Nous fîmes encore quelques excursions sur les collines elles ressemblent à celles d’O-Taïti, mais sont moins élevées nous y découvrîmes une vallée charmante , environnée d'une forêt d’arbres et d’arbustes , et arrosée par un joli ruisseau qui tombait en plusieurs cascades sur des rochers brisés et des précipices. Nous serions partis plutôt de celte isle , si l’en ne nous Qiit dit qu’on avait vu deux vais- de Jacques Cook. 221 seaux, Pim commandé parle capitaine Furneaux, l’autre par Mr. Banks cette nouvelle me surprit; bientôt elle me parut très-incertaine quelques insulaires l’affi niaient, un plus grand nombre la niaient ; nous sûmes enfin , ou crûmes savoir qu’elle était fausse. Peut-être deux vaisseaux Français commandés par Mr. de et qui navigèrent alors dans ces parages , furent la source de ce bruit. Nous nous préparâmes au départ, et alors les insulaires accoururent pour nous vendre des fruits et des cochons ; mais avant de lever l’ancre , nous eûmes occasion de connaître un homme instruit de la mythologie et de l’astronomie de ces pays il nous apprit bien des choses que nous ignorions ; mais sur lesquelles nous ne nous arrêterons point ici. C’est le 4 juin 1774» qne nous sortîmes du port d’Ulietea je reçus les derniers adieux , les derniers présens des chefs , qui tous me conjurèrent de venir les voir encore , et pleurèrent en nous voyant éloigner. O-Reo me demanda le nom de mon Moraï ; je ne sais s’il eut quelque autre raison pour me faire cette demande que celle de vouloir se souvenir de nous, lors même que nous ne serions plus. OEdidée së décida aussi à rester dans sa patrie ; mais la crainte de ne la revoir plus put seule le déterminer à nous quitter lorsque nous allions partir , il courait de chambre en chambre pour embrasser tout le monde ; son ame fut angoissée quand il se sépara de nous ; il regardait le vaisseau , il fondait en larmes, et enfin , il se cou- 222 SlCOND V O Y A G B cha de désespoir au fond de sa pirogue. 'Nous étions déjà en pleine mer que nous le vimes encore étendant ses bras vers nous. J’avais d’abord envie de visiter la fameuse Bo- labola ; mais ayant à bord des rafraîchissemens de toute espèce, je marchai à l’ouest et je fis mes derniers adieux à ces isles fortunées , et à ses ha- liitans hospitaliers. Notre séjour parmi eux avait dissipé toutes les maladies bilieuses et scorbutiques ; mais la moitié de notre équipage était attaquée du mal vénéiien , moins redoutable sous ce climat qu’en Europe et qui paraît y être naturel. Le 6 juin , nous découvrîmes la terre à onze heures du matin ce n’était ju’un récif à fleur d’eau , formant un cercle de quatre lieues de tour, composé de plusieurs langues de terres unies par des brisans , c’est l’isle Howe du capitaine Wallis , et peut-être la Mopeha où les lia- bitans d’Ulietea vont dans certaines saisons à la pêche de la morue ; rien n’y annonce des habi- tans différons poissons , différons oiseaux semblaient nous suivre. Le temps devint incertain , sombre, pluvieux jusqu’au 16 , où l’on découvrit une teire du haut des mâts , ù la pointe du jour c’était un grouppe de cinq ou six islots couverts de bois , liés ensemble par des bancs de sable et des brisans , renfermant un lac à son centre nous nous approchâmes du rivage sans trouver un lieu propre à l’ancrage , ni voir aucune trace d’habitans la côte en est poissonneuse et on y voit beaucoup d’oiseaux je lui donnai le nom de Palmerston. i>e Jacques Cook. 22Z Quatre jours après l’avoir quittée , nous revîmes la terre nous passâmes la nuit à la Cape et le lendemain nous en rangeâmes la côte occidentale une grève sablonneuse, étroite , s’étendait au pied des rocs escarpés qui la bordaient; elle semblait de niveau. Sa plus grande hauteur ne surpassait pas quarante pieds , son sommet était couvert de grands bois et d’arbrisseaux huit Indiens parurent sur le rivage ; ils étaient presque noirs ; quelque chose de blanc enveloppait leur tête et leurs reins ; ils étaient armés d’une pique et d’une massue. J’envoyai deux bateaux à terre , et les insulaires qui étaient sur les rochers se retirèrent dans les bois. Nous primes poste sur un roc élevé , et Mr. Förster et d ’autres se mirent àherboriser, c’étaient presque par-tout de petites plantes qui revêtaient ces rochers de corail. Plus loin il y avait tant d’arbres et de broussailles, que nous voyions à peine à vingt ou trente toises loin du lieu où nous étions. Je m’approchai du bois ; j’entendis les Indiens s’avancer, et je revins à mon premier poste , avertissant les Botanistes d’en faire autant. Nous y arrivions à peine que les Indiens parurent nous leur limes des signes d’amitié ; ils n’y répondirent que par des menaces , et l’un d’eux noirci jusqu’à la ceinture, la tête ornée de plumes vint nous braver de fort près un jeune homme qui était avec lui , lança une pierre qui atteignit l’un de nous au bras deux coups de mousquets tirés sans ordre les firent disparaître. Cependant ne voulant pas nous bazarder dans ces bois épais, 22^ Second Vo y a s e nous rentrâmes dans nos canots pour chercher un lieu plus favorable à une descente, mais nous n’v trouvâmes pas un mouillage, nous n’y découvrîmes pas un habitant; eniin nous vîmes une petite anse près de laquelle étaient quatre pirogues que nous voulûmes examiner elles avaient de forts balanciers , des nattes grossières , des lignes de pêche , des piques et des morceaux de bois qui semblaient avoir servi de flambeaux nous y déposâmes des présens ; mais tandis que je m’en occupais , on m’annonça que les Indiens approchaient et bientôt ils furent près d» nous ; tous nos efforts pour les amener à une conférence furent inutiles ils montrèrent la plus grande férocité ; ils lancèrent leurs javelines ; on lit feu sur eux d’un rocher où j’avais placé quelques hommes cette décharge dispersa les insulaires, et ils ne reparurent plus l’un d'eux se retira en poussant des cris douloureux qui annonçaient une blessure dangereuse. Nous ne pouvions rien as end re de ces insulaires ; la côte n'offrait aucun mouillage , et la terre que des rochers de corail couverts d’arbres et de broussailles ; il était inutile de s’y arrêter nous nous rembarquâmes donc et nommâmes cette nouvelle découverte Visio sauvage. Elle a onze lieues de tour , sa forme est circulaire, ses terres sont élevées, et la mer près du rivage est très- profonde la bordure de l’isle n’est formée que de rochers de corail remplis d’arbres et d’arbustes; on n’y voit pas un coin de terre; le battement des flots a creusé des cavernes curieuses dans de Jacques Cook. 2*5 dans les rocs qui la bordent les voûtes en sont soutenues par des colonnes de formes variées ; une de ces voûtes , en se détachant, avait produit par sa chûte une grande vallée au-dessous des rochers adjacens l’intérieur est sans doute moins stérile que la bordure ; cette ceinture de corail renferme peut être une plaine fertile qui fut jadis une lagune ses habitans ne paraissent pas nombreux ; ils sont agiles , dispos , d’une belle stature ; ils nfont de vêtemens qu’une ceinture ; quelques-uns d'eux avaient le visage , la poitrine et les crusses peints d’un bleu foncé. Le *4 , comme nous cherchions l’isle Rotterdam, , nous découvrîmes une suite d’isles que je voulus reconnaître ; une chaîne de brisans s’opposant à mon passage , je marchai au sud. Une pirogue vint à nous , quoique la terre la plus voisine fût éloignée de quatre lieues; mais voyant que le vaisseau allait plus vite qu’elle, elle vira de bord. Nous vîmes quatre isles liées par des brisans , puis d’autres encore , et Rotterdam ne paraissait point. Le calme vint avec la nuit et nous laissa en proie à une grosse lame qui venait du levant au matin nous crûmes voir un passage , et en nous approchant , nous découvrîmes plusieurs autres isles , et nous trouvâmes fond. Plus élevées que les bancs de corails, ces isles sont couvertes de bosquets et de touffes de bois entre lesquelles on voyait un grand nombre de maisons ; vers le midi, quelques pirogues s’avann cèrent hardiment aux côtés du vaisseau , et vin^ rent échanger des fruits et du poisson pour d» Tome U, P 226 Second Voyace petits clous et des grains de verre. Ils nous apprirent les noms de ces isles l’une qui a un rocher blanc perpendiculaire , dont des bois et des palmiers festonnent les bords , s’appelle Terre- fethéa la plus belle se nomme Tonoomea ; deux autres , la grande et la petite Mangonoë ; ils nous invitèrent à nous rendre dans la leur, nommée Cornango ; mais nous préférâmes d’aller à Rotterdam ou Anamocka dès que nous en approchâmes , une foule de pirogues s'en détachèrent pour nous apporter des cochons , des fruits et des racines; je mouillai sur la bande du nord où la côte s’élevait perpendiculairement de quinze à vingt pieds, ensuite elle paraissait platte et n’offrait qu’un seul mon drain la terre y était chargée de cocotiers. Un Indien commença par nous voler notre sonde ; il ne la rendit que lorsqu’il se sentit blessé avec du menu plomb , et se compatriotes le chassèrent ils nous vendirent des poules d’eau couleur de pourpre , des poissons , des racines nourrissantes. Nous allâmes chercher une aiguade et les insulaires nous montrèrent un étang d’eau saumâtre. Ils nous reçurent avec joie , et mon tour , je fis défendre à tous ceux qui avaient été attaqués depuis peu du mal vénérien , de descendre à terre , et d’admettre de femmes sur le vaisseau on nous apporta beaucoup de fruits, sur-tout des pimple- mouses et des ignames , moins de bananes et de cocos , et moins encore de fruits à pain , quoique l’isle fût riche en arbres qui les rapportent. L’intérieur du pays était très-attrayant et nous b iî Jacques Cook. 227 nous hâtâmes d’y pénétrer des plantes variées étaient répandues sur le terrain avec profusion , et des plantations de toute espèce lui donnaient l’apparence d’un jardin ; de petits mondrains environnés de haies et de buissons , de longues allées d’arbres élevés , qui , dans l’intervalle qui les séparait, laissaient appercevoir la riche verdure qui tapissait les champs ; des berceaux touffus d’arbres odorans , qui se prolongeaient sur nos têtes , formaient la plus riante perspective. Les maisons n’avaient que huit à neuf pieds de haut , mais elles étaient longues de trente , et larges de huit; les parois en étaient de roseaux, et leur toit de branchages se projetait au-delà des parois penchées de la maison une ouverture de deux pieds en quarré servait de porte l’intérieur est garni d’ignames sur lesquels on étend des nattes les habitans que nous rencontrions , nous saluaient avec des expressions qui annonçaient leur bon caractère et leurs dispositions amicales nous les voyions s’empresser d’aller cueillir au haut des plus grands arbres des fleurs que no s désirions ; iis nous allaient chercher des oiseaux au milieu des ondes ; ils nous offraient avec empressement les fruits qu’ils possédaient, et la plus faible marque de reconnaissance devenait précieuse pour eux. Nous vimes un lac long d’une lieue qui communiquait avec la mer , et renfermait trois petites isles ombragées par des arbres assis à l’ombre d’arbres élevés et d’arbustes épais , sur une éminence , nous jouîmes de la beauté de ce paysage réfléchi encore P 2 228 Second Voyage par les ondes. Peu d’isles présentent une plus grande variété de 6 tes dans un si petit espace nulle part nous n’avions trouvé autant de jolies fleurs ; leur doux parfum embaumait l’air, le lac était rempli de canards sauvages , les bois et les côtes abondaient en pigeons , perroquets , râles et autres petits oiseaux ; tout animait et embélis- sait cette scène. Nous revinmes à bord, nous trouvâmes la poupe chargée de piinplemouses et d’ignames 5 le chirurgien seul nous manquait il avait erré sans crainte avec son fusil dans l’isle il revenait avec onze canards et trouva les chaloupes parties environné d’insulaires, il se rendit comme il put sur la côte de roche , d’où nous pouvions l’appercevoir ; quelque temps après , il promit un clou au possesseur d’une pirogue , s’il voulait le conduire au vaisseau ; mais les insulaires lui ôtèrent son fusil , lui prirent ses canards et l’empêchèrent de partir ; effrayé , il revint sur le rocher, où les habitans le dépouillèrent en le menaçant il désespéra de sa vie , et chercha quelque arme pour se défendre ou se venger , il ne trouva qu’un mauvais étui de cure-dents, il l’ouvrit et le présenta avec assurance à ces brigands, qui voyant qu’il était creux, reculèrent de trois pas, tenant leurs piques levées sur lui brûlé du soleil, épuisé de fatigue , il allait succomber à son accablement, lorsqu’une femme jeune et belle , dont les longs cheveux flottaient en boucles sur le sein , s’avança hardiment au milieu de cette foule , annonçant la compassion et la bonté dans tous ses traits , et lui offrit des de Jacques Cook. 229 morceaux de pimplemouse pour le soutenir. Deux chaloupes arrivèrent, la foule se dispersa , 1 Indienne et son père restèrent seuls , et le chirurgien leur témoigna comme nous sa reconn aissan ce. Nous ne limes d’abord aucune démarché pour avoir le fusil , et cette indulgence les encouragea j ils nous apportèrent des provisions et nous firent diff’érens petits vols. J’envoyai un bateau pour faire de l’eau ; on eut de la peine arempl les futailles et à les charger. Pendant ce tra .u* les Indiens ôtèrent le fusil à nos lierU ^.vaîl, l’emportèrent ; ils enlevèrent de me -en an s et du tonnelier et tout ce qu’ils ’ ' lste ï es outils leur main , mais furtivemer -rcuvèrent sous J’arrivai avec un second ' ' lC e " sans violence, s’enfuirent. Dès que ’ oateau et les insulaires je résolus de le ? + . SUS , ee ^ s ’^ ait P ass ^ , .1 ^ a fa restitution je fis aps de canon du vaisseau, pour aver- tirer deux cor tir ceux dû . , . / r , w * fis descen ncms s l m etaient dispersésj je et ’e Voyage vaut du bateau , et ne souffrit pas qu’on passât cette ligne. Je le comblai de présens , j’en lis aux autres , et leur demandai par signes de l’eau fraîche j’espérais voir la source où ils la puiseraient j mais ils l’allèrent chercher dans une maison , et l’apportèrent dans un vase de bambou. Je demandai des rafraîchissemens j on m’apporta une igname et des noix de cocos. J’étais cependant inquiet de les voir armés de llèches , d’arcs, de dards , de massues , de piques , et par cette raison j’avais l'œil sur les actions et même sur les regards de leur chef. Je le vis m’exhorter par signes à mettre le bateau à sec sur le rivage , et balancer à recevoir les clous que je lui offrais. Je m'approchai alors du canot en leur faisant entendre que j’allais revenir ; mais ils ne voulaient pas que nous nous séparassions si vite - au moment où nous voulions monter à bord, ies uns essayèrent de porter le bateau sur le rivage , et les autres se jetèrent sur les rames pour les arracher aux matelots. Je leur présentai le bout de mon fusil , et ils lâchèrent prise } mais un instant après, ils recommencèrent à faire des efforts pour liAler notre bateau. Les signes et les menaces ne les contenant plus , je voulus tirer sur le chef qui dirigeait tous leurs mouvemens , mais l'amorce brûla sans que le coup partit , et alors ils firent pleuvoir sur nous une grêle de pierres , de dards et de flèches. Je fus dans la nécessité d’ordonner de tirer deux décharges suffirent à peine pour les chasser du rivage , et de derrière les arbres et les buissons ils con iîe Jacques Cook. 2/19 tinuèrent à nous jeter des pierres , et quelquefois ils s’avancaient pour nous lancer des dards quatre étaient restés sans mouvement sur le rivage , mais deux se ranimèrent et se traînèrent dans les buissons. Nous eûmes aussi deux blessés. Nous arrivâmes à bord , et alors je sis lever l’ancre pour mouiller plus près du rivage. Toute la côte occidentale était couverte de palmiers qui paraissaient différens des cocotiers. Dans ce moment des insulaires nous montrèrent deux rames que nous avions perdues dans le démêlé ; je regardai cet acte comme un signe heureux j cependant pour leur faire mieux sentir notre pouvoir, je fis tirer une pièce de quatre qui les fit cacher promptement et ils ne reparurent plus. J’avais à peine levé l’ancre qu’il s’éleva une brise du nord dont je résolus de profiter pour visiter l’isle plus au sud Les insulaires nous parurent différer des Mal- licolois ils ne parlent pas la même langue, ont la taille mieux proportionnée et les traits plus agréables ; leur teint est bronzé , leur visage peint en noir ou en rouge , leurs cheveux bouclés et un peu laineux les femmes sont laides , et ont une jupe de feuilles de palmier leurs maisons sont couvertes des feuilles de cet arbre. En arrivant sur la côte sud-est, je vis une belle baie profonde dont les rives sont basses , et le sol voisin revêtu de forêts touffues sa pente douce offre une grande étendue cultivée la péninsule, en forme de celle que je nommai cap des Traîtres , la sépare de celle où nous avions tenté de 2§r> Second Voyage débarquer ; mais cette baie n’était pas à l’abri des vents comme l’autre. Plus au sud-est paraissait une nouvelle isle que nous résolûmes de visiter on y voyait plusieurs feux, et l’un d’eux flamboyait comme la flamme d’un volcan. Nous fûmes près du rivage à une heure après minuit ; mais nous vîmes que nous avions doublé une isle basse sans nous en appercevoir , et une autre isle élevée se présenta vers le levant. Nous nous assurâmes alors que la flamme qui nous avait guidés durant la nuit, sortait en effet d’un volcan la colline d’où elle s’élance avait un cratère d’un rouge brun une colonne de fumée pareille à un grand arbre en jaillissait de temps en temps, et sa tête s’élargissait à mesure qu’elle montait ; un bruit pareil à celui du tonnerre l’accompagnait des colonnes d’une fumée tantôt blanche, tantôt d'un sale-gris un peu rouge , se suivaient de près. Par-tout ailleurs que sur le volcan , I’isle est bien boisée et couverte de verdure. Nous crû mes découvrir un port, et j'envoyai le sonder nous appercevions des hommes , des habitations, des pirogues , qui n’osèrent s’approcher de nos bateaux. On fit signal de bon mouillage , et il fallut y conduire le vaisseau à la remorque. Quelques insulaires s’approchèrent de nous à la nage , d’autres dans des pirogues ; mais ils se tinrent d’abord à la distance d’un jet de pierres ; puis ils devinrent plus hardis , et s’approchèrent pour faire des échanges l'un d’eux jeta sur le vaisseau des noix de cocos , et je lui donnai des étoffes et d’autres objets. Bientôt ils devinrent ii Jacques Cook. a5i insolens , et tentèrent d’enlever tont ce qn’ils pouvaient atteindre , les pavillons , les gonds du gouvernail , les bouées des coups de fusil tirés en l’air n’eurent aucun effet ; un coup de canon les effraya , les lit sauter dans la mer ; mais quand ils virent qu’il ne leur était point an n é de mal , ils revinrent nous braver des balles qu’on lit silfler à leurs oreilles les intimidèrent assez pour les faire retourner au rivage un vieillard qui n’avait point lui endura notre leu , et vint ensuite nous offrir son amitié et des noix de cocos il fit plusieurs voyages du rivage au vaisseau pour nous apporter des rafraîchissemens. J’allai le soir descendre à l’entrée de la baie. Les Indiens se rassemblèrent en deux corps , armés de massues, de dards , de lances , de frondes et de pierres , d'arcs et de flèches , mais ils ne s’opposèrent point à nous je leur fis des présens ; ils nous donnèrent des noix de cocos ; je demandai du bois , ils nous montrèrent des arbres , mais se tinrent toujours prêts à se défendre ou à attaquer , et ils semblaient vouloir faire ce dernier , lorsque nous revînmes à bord alors ils se retirèrent. Ces hommes étaient d’une stature moyenne , plus forts , mieux proportionnés que les Mallicolois ; ils portaient une corde sur le ventre qui ne les serrait pas avec force les femmes paraissaient moins laides que les leurs nous remarquâmes qu’ils exprimaient la même chose par deux termes dont l’un répondait au langage des isles des Amis, et nous en conclûmes qu’ils a5î S ï c O K B V O T A G B ont des voisins qui parlent cette langue. Ils nous apprirent que leur isle s'appelle Tamia. Le soir , nous vîmes briller la flamme du volcan , qui de cinq en cinq minutes faisait une explosion violente l’air était rempli de particules de fumée et de cendres qui nous af fectaient les yeux les aggrêts , toutes les parties du vaisseau furent couvertes de cendres noires ; elles couvraient aussi la côte. Ce volcan était à deux lieues de nous. * Nous avions besoin de bois et d’eau ; j’appro- cliai donc le vaisseau du rivage pour faciliter les travaux et protéger les travailleurs. La pointe orientale du havre est basse et platte ; elle s’élève ensuite, et présente une colline remplie de plantations , et longue d'une lieue ; à l’endroit où elle se termine, est une belle plaine revêtue de plantations, bordée de rangées de collines agréables au couchant , la plaine et la baie sont environnées d’une colline escarpée de mille pieds de haut. Tandis que nous approchions à la remorque , les insulaires arrivaient et se formaient en deux corps , armés comme le jour précédent. Le chef parut nous inviter à descendre une pirogue venait de teins à autre au vaisseau porter en présens des cocos et des bananes , et j'avais soin qu’on en fit à ceux qui la conduisaient. Le vieillard était parmi eux , je lui fis entendre qu'ils devaient poser les armes ; il jeta celles qui étaient dans sa pirogue ; je lui donnai une grande pièce d’étoffe rouge , et il porta ma requête aux au très avec lesquels il conféra Ion g-te ms. Dans ces en- V Tï Jacques Cook. a53 trefaites , une pirogue où étaient trois Indiens s'approcha du vaisseau l’un d’eux branlant sa massue d’un air insolent, en frappa les côtés du bâtiment, et commit divers actes de violence ; puis il offrit d’échanger ses armes , et on lui descendit avec une corde ce qu’il en demandait ; mais alors il se retira forçant de rames sans vouloir les livrer ; on lui tira un coup de fusil de chasse à dragées, puis quelques coups de mousqueton , dont il parut peu s’inquiéter ; tous se jetèrent dans l’eau , et se couvrirent de leur pirogue., nageant avec elle jusqu’au rivage les insulaires n’en devinrent que plus insol eus , et commencèrent à faire des cris et des huées, après avoir placé le vaisseau comme je le voulais, je m’embarquai avec les soldats de la marine et un détachement de matelots , et je ramai vers le rivage les deux corps avaient formé entr'eux un espace d’environ vingt toises dans lequel étaient placées des grappes de bananiers, une igname et deux ou trois racines plus près de la grève , ils avaient planté quatre roseaux le vieillard nous encourageait à nous avancer ; mais ce qui nous était arrivé dans l’autre isle , nous avait rendus plus prudens. Je fis signe aux deux divisions de nous laisser un plus grand espace , et à poser les armes ils ne nous écoutèrent pas j et le vieillard ne se fit pas mieux entendre ils se rapprochèrent encore davantage. Je voulais épargner le sang ; et pour y réussir , je crus devoir leur faire peur. Je fis tirer un coup de mousquet sur une des divisions formée d’environ sept cents hom- 254 Second Voyage mes ; ils surent allarmés , mais se remirent bientôt , nous menacèrent, et l’un deux nous montra son derrière en se frappant les fesses avec la mai> ; c'était un défi nous limes une décharge, et le vaisseau en fit une aussi le rivage fut bientôt balayé. Le vieillard ne s 'enfuit point, et je reconnus sa confiance par un présent. Les habita us revinrent pcu-à-peu ; quelques-uns sans armes , quelques - autres refusèrent de les poser que nous n’eussions quitté les nôtres nous restâmes donc armés nous leur dîmes de ne point passer des bornes que nous ti açâuies , et ils obéirent les présens que je leur fis ensuite ne parurent rien changer à leurs dispositions. Quelques- uns montèrent sur les cocotiers , et nous en donnèrent les noix sans rien exiger ; mais j'étais attentif à leur faire toujours accepter quelque chose en échange ils nous prièrent de ne plus tirer , et parurent craindre de toucher à ce qui nous appartenait je montrai à notre bon vieillard nommé Paowang , que nous avions besoin de bois il consentit à ce qu’on en coupât, mais nous pria de respecter les cocotiers quelques- uns d’entre nous voulurent herboriser dans le bois ; de-là ils apperçurent un grand nombre de naturels qui entretenaient une communication avec les deux détacheinens placés sur la grève ; ils s’arrêtèrent et revinrent sans avoir découvert que deux espèces nouvelles de plantes ; ils nous refusèrent toujours de nous vendre des armes ; mais ils n’entreprirent point de nous nuire, ni de nous tromper. Nous revînmes diner à bord, / de Jacques Cook. %55 et les Indiens se dispersèrent. Aucun ne me parut avoir été blessé par nos décharges. Noirs redescendîmes pour faire de l’eau, et nous primes en trois coups de filets plus de trois cents livres de poisson. Quelques insulaires se montrèrent assis à l’ombre de leurs palmiers ils ne vinrent point à nous , et nous visitâmes un peu le pays la plaine était remplie d’arbres et d’arbrisseaux, nous y trouvâmes encore quelques plantes nouvelles ; puis nous nous approchâmes des Indiens , et bientôt ils se rendirent près de nous sans armes, et causèrent comme ils le purent avec la plus grande cordialité. Nous revînmes à bord passer la nuit, pendant laquelle le volcan vomit des torrens de feu et de fumée , qui s’augmentèrent encore par la pluie qui survint la fumée qui s’échappait en gros tourbillons épais , était teinte de jaune , d’orange , de cramoisi et de pourpre , et elle se terminait en gris rougeâtre et brun ces couleurs se répandaient sur les champs et les forêts du pays. Le lendemain , les insulaires reparurent, mais en moindre nombre ; nous allâmes les joindre après déjeûné les vieillards sur-tout nous parurent disposés à être nos amis; les plus jeunes se montrèrent encore insolens Lun d’eux plus insolent que les autres , força un de mes lieute- nans de lui lâcher son fusil chargé à dragées , et cette correction les rendit plus circonspects. Nous retournâmes à bord , et ils se retirèrent. Le vieillard vint sur le vaisseau , en examina les différentes parties, puis regagna le rivage ; il nous 256 Second Voyage rapporta ensuite une hache que nos travailleurs avaient laissée clans le bois ils semblèrent nous demander la permission d'aller dormir , comme s'il eût été malhonnête dans leurs usages de laisser des étrangers sans leur l’aire compagnie. Nous retournâmes taire encore de l’eau et du bois ; les insulaires parurent réconciliés avec nous , et ils invitèrent quelques-uns de nos gens à venir dans leurs cabanes , à condition qu'ils y viendraient nuds comme eux Ils nous vendirent des cannes à sucre et des noix de cocos ils s'assirent sur les rochers près de nous , et l'uu d’eux qui en paraissait respecté , changea de nom avec M. Förster nous causâmes ainsi en trè -bonne intelligence , et apprîmes plusieurs mots de leur^Jangne. Ils nous donnèrent des feuilles de ligues enveloppées dans des feuilles de bananier et cuites à l’étuvée ; elles avaient un goût agréable les femmes , les en fans nous offrirent deux gros plantains ; mais telle était leur timidité , qu’en tournant sur eux nos regards, nous les faisions fuir ; quelques-unes cependant avaient le sourire sur la bouche. Elles et les hommes portaient des pendans d’oreilles -, celles qui étaient mariées avaient des chapeaux de natte. Ils ne prenaient ce que nous leur donnions que lorsque nous l’avions posé à terre. Nous revînmes le lendemain sur le rivage , et nous y trouvâmes les Tndiensqlii, quoiqu’armés , se montrèrent doux et honnêtes, .l'engageai un jeune homme à venir à bord avec moi ; je lui montrai les différentes parties du,vaisseau , mais rien de J acquis Cook. i5j rien n’arrêtait son attention il n’avait jamais vu de chèvres , ni de chiens , ni de chats, et il les prenait pour des cochons qu’il connaissait je lui donnai un chien et une chienne , il revint m’apporter un coq , une petite canne à sucre et des noix de cocos ; il ne voulut manger qu’un morceau de porc salé , mais il but un verre de vin. Ce jeune homme avait de beaux traits , de grands yeux très-vifs ainsi que ses compatriotes il n’avait pas la même facilité à prononcer que les Mallicolois. Nous fîmes quelques découvertes à terre ; telles étaient quelques nouvelles plantes et une source d’eau très-chaude. Nous apprîmes du jeune homme le nom des isles voisines celle où nous avions eu un différend avec les insulaires s’appelait Irromanga ; l’isle basse que nous avions passée sans nous en appercevoir Immer à l’orient de Tanna était celle à’Irronan , au sud celle d ' Anattom à table, il se montra décent ; mais un petit bâton qu’il portait dans ses cheveux huilés et peints, lui servait de fourchette. Dès que nous fûmes retournés à terre , il voulut avec quelques-uns de ses amis/ me mener vers leurs habitations ; mais des officiers qui vinrent me joindre , leur causèrent de l’ombrage, et nous retournâmes au rivage; ils voyaient avec inquiétude nos excursions dans la contrée. Notre ami Paowang nous apporta dans ce moment un présent de fruits porté par vingt hommes , quoique deux l’eussent aussi aisément fait que vingt; j’en payai les porteurs. Je me rapprochai du jeune homme qui paraissait hon- Tome II. R Second Votau» teux de ne m’avoir rien donné en retour de mes deux chiens; mailla nuit tombait, et bientôt nous nous séparâmes. Ces insulaires me donnèrent à entendre qu’ils mangeaient de la chair humaine; et ce n’est pas la nécessité qui les y contraint, car ils ont des poules , des cochons , des racines et des fruits en abondance il est vrai que nous ne leur en vîmes point manger ils pratiquent aussi la circoncision. ^ Une partie d’entre nous étaient parvenus dans les boccages qui bordent la colline située à l’orient ; ils étaient formés par des cocotiers, et plusieurs espèces de figuiers on y vit des hangars pour des pirogues , mais point d'habitations. Ils parvinrent dans un autre moment sur les collines , au travers de clarières enfermées de bois de tous côtés , et couvertes d'herbages du verd le plus brillant au - delà ils trouvèrent de vastes plantations de bananes, d’ignames, d'eddoès et de figuiers , enfermées par des murs hauts de deux pieds des naturels qui les avaient uivis, les menèrent sur une éminence d’où l’on voyait la mer et l’isle Annattom son sol est élevé et elle leur parut avoir huit à dix lieues de tour. Cette promenade ne fit qu’irriter notre curiosité nous pêchâmes au filet, et nous vîmes que les naturels ne savaient prendre le poisson qu’à coups de trait, lorqu’il s’élance an-dehors de l’eau ils témoignent leur admiration, leur dégoût ou leur désir par le même mot, mais prononcé avec lenteur ou avec vîteftSQ et souvent en faisant claquer leurs doigts. x>B Jacques Cook. »F9 M. Walles , suivi de deux ou trois personnes , pénétra dans la contrée jusqu’à un hameau isolé où il reçut beaucoup de civilité des habitans nos excursions ne parurent plus leur faire de la peine ; mais une imprudence de nos travailleurs faillit à rompre cette union naissante on leur jeta quelques pierres , ils répondirent par des coups de lusil , et la crainte s’empara pour un moment des insulaires ; mais nous employâmes tous nos soins pour la dissiper, et pour prévenir ces accidens. Ils se retirèrent cependant plus avant dans le pays, et il n’eu paraissait que très- peu sur la grève nous profitâmes de leur retraite pour visiter la plaine qui était derrière l’aiguade j on y trouva des étangs où ils avaient planté beau* coup d’eddoès des bocages de cocotiers , semés d’arbrisseaux , habités par difïërens oiseaux , Rur-tout par des attrapes-mouches, des bouvreuils t des perroquets ; on y vit des noyers qui fourmillaient de pigeons de diverse espèces deux naturels vinrent dire que l’un d’entre nous avait tué deux de ces pigeons ; ils nous le firent entendre dans une langue qui nous parut la même que celle des isles des Amis, parce qu’ils avaient observé que nous l’entendions mieux que la leur ils nous apprirent qu’on parlait cette langue à Irronam , à sept ou huit lieues au levant de Tanna. Nous fîmes encore une excursion , et nous pénétrâmes dans la plaine à une beue loin du bord nous rencontrâmes peu d’habitans, beaucoup d’oiseaux , quelques plantations de R a % 6 o Second Votac* nés et de cannes à sucre , mais nous ne vîmes point de maisons , et la plus grande partie du terrain était en friche à l’extrémité de la plaine, nous vîmes une vallée longue et spacieuse où nous entendions un cri confus d’hommes, de femmes et d’enfans ; mais elle était si couverte de bocages que nous ne pûmes voir ni habitans, ni cabanes. Le lendemain 11 Août , le volcan gronda d’une manière terrible ; il poussait jusqu’aux nues des torrens de feu et de fumée , et souvent des pierres d’une grosseur prodigieuse il éclairait encore les nuages , lorsque nous descendîmes sur la grève où nous trouvâmes peu d’habitans nous visitâmes la partie occidental» , et montâmes à travers les plus jolis bocages qui répandaient une odeur parfumée et rafraîchissante des fleurs les embellissaient ; les liserons enlacés jusqu’aux sommets des arbres les ornaient de guirlandes bleues et pourpres aucune plantation , aucun insulaire n'y frappa nos regards. Après différons détours , nous atteignîmes une clarière environnée des arbres les plus charmans de la forêt , mais où une vapeur de soufre s’élevait du terrain et rendait la chaleur plus incommode un nuage léger s’élevait sans cesse d’un petit monticule voisin , la terre y était si chaude que nous pouvions à peine y tenir le pied. Plus haut , nous découvrîmes deux nouveaux cantons d'où s’exhalaient des vapeurs soufrées , mais moins fortes ; le soufre y donnait à la terre une teinte verdâtre ; nous y recueillîmes de l’ocre rouge. Le volcan devint alors plus bruyant que ja- he Jacques Cook 261 mais , et la vapeur des lieux où nous étions devint aussi plus abondante. Plus haut encore , nous trouvâmes différentes plantations ; enfin nous parvînmes au sommet de la colline , et nous descendîmes de l’autre côté par un chemin étroit entre des haies de roseaux. Bientôt nous apper- cumes le volcan entre les arbres, il était encore à deux lieues de nous ; les masses de rochers qu'il lançait parmi des tourbillons de fumée , étaient aussi grosses que le corps de notre longue chaloupe nous voulions nous en approcher encore , lorsque nous entendîmes des indiens qui soufflaient dans de grandes conques dont ils se servent pour sonner le tocsin ; ces sons nous firent retourner sur nos pas. Quelques-uns des insulaires nous rencontrèrent , et parurent surpris de nous trouver si avant dans leurs retraites j nous les priâmes de nous apporter quelque chose à boire , mais ils s’en allèrent sans paraître faire attention à notre demande ; un quart-d’heure après des hommes , des femmes , des enfans nous apportèrent des cannes à sucre et des noix de cocos ; nous bûmes le suc de ces végétaux et fîmes des présens à ces hôtes hospitaliers qui nous quittèrent fort contens. Nous revînmes au rivage où les naturels avaient commencé à nous vendre des ignames, des bananes, des cocos et des cannes à »ucre , et nous espérions en obtenir davantage ils ne recevaient en échange que des morceaux de pierre néphrétique de la nouvelle Zélande , des nacres de perle , des écailles de IL 3 2Ö2 Second Voyage tortue à ce seul prix , ils consentirent à nous donner quelques-unes de leurs armes. Nous suivîmes ensuite la côte vers la point© orientale ; tandis que quelques Indiens nous parlaient , nous en vîmes un derrière un arbre qui tendait son arc pour nous lancer un trait dès qu’il vit qu’un fusil se dirigeait sur lui, il jeta ses armes dans le buisson , et *e traîna à quatre vers nous ; peut-être ne nous menaçait-il que par jeu. Comme nous allions traverser la pointe , les naturels se précipitèrent autmr de nous , et nous dirent par signes qu’on nous tuerait et nous mangerait ; comme nous paraissions ne pas les comprendre, ils nous montrèrent comment ils tuaient un homme , coupaient ses membres , séparaient la chair des os , puis mordirent leurs hras pour exprimer plus clairement ce qu’ils voulaient faire entendre. Alors nous tournâmes le dos à la pointe, et appiochâmes d’une hutte d’où plusieurs sortirent armés , et nous rebroussâmes encore. Ce qui excitait cependant notre curiosité , était un motif assez puissant. Tous les matins , à la pointe du jour , nous entendions de ce côté un chant soleinnel et lent, que nous croyions être un acte religieux, et les efforts des naturels pour nous en éloigner confirmaient nos soupçons. Nous montâmes sur une colline platte, peu éloignée de la pointe arrivés au sommet, nous nous trouvâmes dans une plantation spacieuse de bananiers, entremêlés d’arbres touffus et de cocotiers , séparés des autres par des haies de roseaux laies Indiens réitérèrent leurs v » J a c q u ï s Cook. a63 menaces et leurs démonstrations ; nous aurions été obligés de nous retirer , si Paowang ne nous avait rencontrés et conduits le long du bord de la colline où nous vîmes différentes espèces de figuiers qu’on y cultive pour leurs feuilles comme pour leurs fruits l’un donne une figue , dont la peau est laineuse, et dont la pulpe est cramoisie l’Yamboos ou Eugenia , fruit fondant et rafraîchissant , de la grosseur d’une poire, croît aussi en abondance sur de grands arbres nous y observâmes quelques choux palmistes. Plus loin était une savanne sur les bords de laquelle étaient trois habitations des arbres élevés , parés d’un riche feuillage , cachaient cette retraite dans un coin de la prairie , un immense liguer sauvage dont les branches s'étendaient à plus de cent pieds de tous côtés, faisait un effet pittoresque à son pied vigoureux était assise une famille, aatour d’un feu où elle rôtissait des bananes et des ignames elle s’enfuit à notre vue et revint à la voix de Paowang; mais les femmes et les filles ne nous regardèrent qu’au travers des buissons. Nous nous assîmes avec eux et partageâmes leurs provisions leurs cabanes n’étaient que de grands hangards ouverts de deux côtés et dont le toît aigu descend jusqu’à terre leur construction est très-simple ; des nattes , des cocos les couvrent ; on n’y voit ni meubles, ni ustensiles, le plancher est revêtu d’herbes sèches ; la fumée en noircit l’intérieur, et on y remarque plusieurs foyers et plusieurs treillis suspendus où ils conservent des noix de cocos 1\ 4 Second Voyage tous les présens que nous leur avions faits, toutes leurs richesses étaient étalées sur ies buissons ; elles y sont en sûreté , parce que les insulaires ont de la bonne foi aussi ne nous vola-t-oiyien tout le temps que nous fûmes à Tanna. Les naturels voyant que nous ne leur faisions point de mal , que nous ne leur prenions rien , se familiarisèrent avec nous; nous leur donnâmes des médailles , des rubans , des mouchoirs d’étoffe d’O-Taïti qui nous concilièrent leur affection nous apprîmes leurs noms , et ils étaient transportés de joie , quand nous les appelions. Nous les quittâmes en leur faisant de tendres adieux , ainsi qu’au bon vieillard qui nous donna des guides. Chemin faisant , nous leur dîmes que nous aimerions boire le jus des noix des cocotiers qui étaient sur la grève , et tout de suite , ils nous menèrent par un autre sentier vers des palmiers , où ils cueillirent des noix qu'ils nous offrirent avec bonté , et dont le jus était bien meilleur que celui des fruits des cocotiers qu'on trouvait près de la grève ceux-ci étaient abandonnés à eux-mêmes les premiers étaient euh tivésavec soin et de-là venait la différence. Nous retournâmes ensuite au rivage , et après avoir récompensé nos guides, nous revînmes coucher à bord. Le volcan attirait toujours notre attention agité de convulsions, il vomit tout le jour des tourbillons de cendres noires , qui examinées de près t furent reconnues pour des schorls en »e Jacques Cook. a65 forme d’aiguilles à demi-transparentes , tout le pays en était couvert, la végétation en était plus vigoureuse , et plusieurs plantes prennent à Tan- jia deux fois leur hauteur ordinaire, leurs feuilles sont plus larges, leurs fleurs plus grandes et leur parfum plus fort telles sont les produc ions de toutes les terres volcaniques. Nous résolûmes de visiter encore la solfaterra que nous avions déjà vue; nous y parvînmes bientôt et trouvâmes les insulaires qui nous avaient si bien traités le jour auparavant le thermomètre de Fahrenheit qui dans l’air libre se tenait à 80 degrés, monta rapidement au 170 quand nous en mimes la boule dans la terre, les naturels nous avertirent que si nous creusions la terre , elle s'enflammerait. Plus haut, nous trouvâmes d’autres endroits fumans là nous fûmes régalés encore par nos bonshôtes avec des cannes de sucre et des noix de cocos, puis nous montâmes plus haut, espérant de mieux voir ce qu’ils appelaient l’ Jssoor ; mais les Indiens , pour nous éloigner de leurs habitations , nous indiquèrent un sentier qui , contre notre attente, nous mena sur le rivage , près du lieu d’où nous étions partis. L’après - midi nous fîmes encore quelques excursions sur la colline platte , où nous vîmes de nouveau l’isle Annatom ; un insulaire tournant son doigt un peu au nord , nous dit qu’il y avait une autre isle nommée Eetonga ; ce qui nous confirma dans l’idée que ce peuple communique avec les isles des Amis car ce nom paraît être celui de Tonga-Taboo , que les voisins nomment aussi 266 Second Voyage Eetonga-Taboo , ou du moins celui de quelque isle située entre ce petit archipel et Tanna, qui en facilite la communication aux insulaires rions revînmes sur la baie , où nos matelots avaient pris deux cent» cinquante livres de poisson , plusieurs al Incores et des cavalhas d'une dimention prodigieuse on avait pris aussi la veille deux poissons de l’espèce de ceux qui eous avaient empoisonnés , mais ceux-ci ne firent point de mal à ceux qui en mangèrent; ce qui prouve que les premiers n’avaient été vénéneux que pour avoir mangé des herbes qui l’étaient. Les insulaires continuaient à nous vendre des ignames, mais ils ne recevaient en échange que de l’écaille de tortue dont nous n’avions pas fait des provisions , ne prévoyant pas qu’elles pussent jamais nous être utiles ; Paowang lui même n’admira rien de toutes les richesses que nous étalâmes à ses yeux il n’y eut qu’un clepsydre qui attira scs regards quelques instans. Nous allioiis k terre tous les matins pour faire des découvertes , et les naturels ne faisaient plus autant attention à nous. Nous observâmes un jour un habitant, coupant un arbre de la grosseur de la cuisse arec une hache de pierre entreprise assez laborieuse avec un tel Outil ; nous vîmes cette hache, elle était semblable à celles dont se servent les insulaires des isles de la Société et des Amis le tranchant était semblable à un basalte le Tannien en avait une autre à laquelle un coquillage brisé était attaché en or Jacques Cook. 167 forme de tranchant nous poursuivîmes notre chemin, suivis par de petits garçons, tuant quelques petits oisseaux , rassemblant de nouvelles plantes , parmi lesquelles il en était de très- odoriférantes on y remarqua le CaU/ppa dont les noix ont une amande excellente , double en grosseur de l’amande ordinaire les petits garçons les cassaient et nous présentaient l’amande eur des feuilles vertes ils étudiaient nos mou- vemens pour nous servir. Nous apperçûines près des huttes des volailles et des poissons bien nourris, des rats courant sur le chemin , et qui font beaucoup de dégâts dans les plantations de cannes à sucre. Nous apperçûmes des huttes de pêcheurs ; mais elles étaient sans filets, sans ha bilans , sans poissons ; il n’y avait que des dards. Quand nous voulûmes approcher de la pointe dont les insulaires nous avaient détournés peu auparavant, nous les vîmes de nouveau nous prier de ne pas aller plus loin , et nous répéter qu'ils mangeaient de la chair humaine. En retournant sur nos pas , nous leur fîmes beaucoup de plaisir ils nous conduisirent par un sentier nouveau au travers de fertiles plantations; les petits garçons couraient devant nous, lançant des pierres avec adresse , et un roseau verd comme un dard ; ils le lançaient avec tant de justesse et de force qu’ils frappaient le but, et que le roseau entrait d’un pouce dans le bois. Différons détours nous reconduisirent aux habitations , où les femmes grillaient des ignames et des eddoës sur un feu allumé au pied d’un arbre. 2 68 Second Voyage Nous nous assîmes et essayâmes de causer avec ces Indiens ; nous recueillîmes plusieurs mots de de leur langue , et nous satisfîmes leur curiosité sur nos habits, sur nos armes , etc. d'autres accoururent , et parurent charmés de nous voir converser familièrement autour d’eux ils nous prièrent de chanter, nous chantâmes les chansons les plus gaies leur plaisaient le plus , mais les tons suédois du Docteur Sparmann furent universellement applaudis nous les priâmes de chanter à leur tour , et l’un d’eux commença nn air très-simple, mais harmonieux, qui embrassait un plus grand nombre de notes que ceux d’Otaïti ou de Tonga-Taboo ; un second nous £t entendre un air plus sérieux c’était le ton de ce peuple , et rarement on le voyait rire ils nous montrèrent un instrument composé de huit roseaux dont la grosseur décroissait en proportion régulière et comprenait une octave ; dans ce moment , on nous offrit des fruits , ce qui détourna la conversation sur cet objet. De retour sur la grève , nous y trouvâmes plusieurs habitans rassemblés , et parmi eux des femmes qui portaient leurs enfans dans un sac de nattes sur le dos nous y vîmes un panier d“oranges vertes et nous fûmes charmés d’y trouver ce fruit. Une femme nous donna un pouding , dont la croûte était de bananes etd’ed- doës, et l'intérieur de feuilles d’oltra mêlées à des amandes de noix de cocos il était d’un excellent goût. Nous allâmes ensuite dans les huttes qui sont sur la colline platte j le père d’une de Jacques Cook; 269 de ces familles , homme d’un moyen âge et d’une figure intéressante . nous pria encore de chanter ; nous chantâmes , et nous lui limes sentir que la différence de nos airs venait de ce que nous étions de différons pays. Alors ils engagèrent un vieillard natif d’Irroinanga de nous amuser par ses chants il commença une chanson , pendant laquelle il fit différons gestes qui divertirent les spectateurs ; son chant était différent de celui des insulaires de Tanna, et n’était point désagréable, ni discordant. Après qu’il eut cessé de chanter , il nous parut qu’on lui parlait dans sa langue , et qu’il ne savait pas celle de Tanna ; peut-être avait-il apporté dans cette isle le bois dont ses habitans font leurs massues , car ils le tirent d’irromanga ce vieillard n'était point différent de ceux de Tanna ; il avait leur physionomie ; il s’habillait et s’ornait comme eux il était d’un caractère gai , et riait plus facilement que nos bons insulaires. Pendant qu’il chantait, les femmes sorties des cabanes avaient formé un petit groupe autour de nous plus petites que les hommes , elles portaient des jupons tissus d’herbes et de feuilles celles qui avaient fait des enfans , ne conservaient aucune des grâces de leur sexe , et leur jupon touchait à la cheville du pied les jeunes filles avaient des traits agréables , un sourire touchant, des formes sveltes , des bras d’une délicatesse particulière, le sein rond et plein elles n’étaient couvertes que jusqu’aux genpux. Leurs cheveux bouclés flottaient sur leurs épaules , ornés par une a 70 Second Vota feuille de banane qui relevait la noirceur de leur teint elles avaient des anneaux d’écaille» de tortues à leurs oreilles , et plus elles étaient vieilles , plus elles étaient chargées d’orne inens elles obéissaient au moindre signe des hommes , qui n’avaient pour elles aucun égard. Cependant les pères aiment leurs filles j ils les caressent, et ressentent vivement le plaisir qu’on leur fait. Nous restâmes avec ces insulaires jusqu’au coucher du soleil ; et pour nous amuser ils chantèrent, ils firent des tours d’adresse, ils lancèrent leurs traits en l’air ou contre un but, et parèrent le dard de leurs antagonistes avec leur massue. Avant notre départ, les femmes allumèrent des feux aux environs, et apprêtèrent leurs soupers les hommes accoururent pour s’y chauffer , comme si l’air frais du soir affectait vivement leurs corps nuds. Plusieurs avaient une tumeur sur la paupière supérieure, et nous l’attribuâmes à la fumée dans laquelle ils sont toujours assis. Pour nous qui avions des habits, nous errâmes dans des bois déserts jusqu’à la fin du crépuscule un nombre prodigieux de chauve - souris sortait de chaque buisson , mais nous essayâmes en vain d’en tuer, parce que nous ne les voyions que lorsque nous étions très-près. Le lendemain, nous partîmes pour reconnaître le volcan d’aussi près qu’il nous serait possible. Nous primes le chemin d’une des crevasses d’où s’exhalait la fumée en y arrivant j be Jacques Cook,' •xjt vous plaçâmes encore la boule du thermomètre dans la terre, et il monta au 210 e . degréj en l’ôtant, il descendit au 80 e . Cette solfaterre est élevée de quarante toises au - dessus du niveau de la mer; la terre était d’une odeur sulfureuse , la surface formait une légère croûte, sur laquelle on voyait du soufre et une substance vitriolique d’un goût d’alun autour croissaient des figuiers , qui étendant leurs branches semblaient se plaire dans leur situation. Nous continuâmes de monter par une route si couverte d’arbres sauvages , d’arbustes et de plantes, que les fruits à pain et les cocotiers se trouvaient en quelque manière étouffés de distance en distance on trouvait des maisons, des habi- tans, des terrems cultivés depuis plus ou moins de tems le défrichement doit y être pénible, par le défaut d’instrumens ils coupent les petites racines , et les brûlent en mettant le 'feu. aux petites branches le sol en quelques endroits est un riche terreau noirâtre, ailleurs c’est un composé de cendres du Volcan et de débris de végétaux nous rencontrâmes deux Indiens, dont l’un voulut nous écarter de notre route en nous en montrant une opposée , l’autre nous défendre l’entrée d’un chemin nous surmontâmes ces obstacles, et montant sur une colline élevée, nous vîmes plusieurs montagnes entre nous et le volcan ne pouvant trouver de guides, nous résolûmes de retourner sur le rivage. A peine, avions-nous, fait quelques pas que nous rencontrâmes une trentaine d’indiens , qu’on 272 SlCOND V O Y A G * avait probablement rassemblés pour nous empêcher de pénétrer dans la contrée les vieillards nous montrèrent des intentions pacifiques ; les jeunes-gens nous menacèrent, mais nous voyant revenir sur nos pas ils nous laissèrent le chemin libre , puis ils nous guidèrent et nous accompagnèrent , nous invitèrent à nous reposer, nous présentèrent des noix de cocos, des bananes, des cannes à sucre, et portèrent sur le rivage ce que nous ne pûmes manger. Ainsi ce peuple se montrait honnête et hospitalier quand nous n’excitions point sa jalousie. Nous sentions qu’il leur était difficile de voir sans inquiétude des éti angers descendre sur leurs côtes et pénétrer dans l’intérieur de leur pays ; nous n’aurions pu approcher du volcan sans verser du sang, nous aimâmes mieux y renoncer. Vers le soir nous fîmes un tour dans la contrée , de l’autre côté du havre nous arrivâmes à un village d’une vingtaine de maisons quelques-unes sont fermées aux deux bouts par une espèce de treillage on y voit aussi de petites cases construites dans le centre des plantations , et iis nous firent entendre que c’était là qu’ils déposaient leurs morts j’allai en visiter une j un treillage régnait tout autour, et l’entrée en était si étroite qu’un seul homme pouvait y entrer à-la-f'ois ; des nattes la bouchaient, et je voulais les écarter . mais mon conducteur m’en empêcha ; on y avait suspendu une corbeille nattée , dans laquelle était une igname grillée et des feuilles fraîchement cueillies ; j’y regardai malgré Bi Jacques Cook. 2^3 malgré la répugnance que témoignait mon compagnon il portait à son cou trois nœuds de cheverix attachés à un cordon une femme qui était présente en avait un pareil je voulus les acheter ; mais ils me firent entendre que c’étaient les cheveux d’un mort, et qu’ils ne pouvaient s’en défaire ainsi, ils se rapprochent par leurs coutumes des habitans d’Otaïti et de la Nouvelle Zélande. Nous trouvâmes près de leurs grandes maisons quatre tiges de cocotiers rangées en quarrés , à trois pieds environ l’un de l’antre ; c’était pour y faire sécher les noix de cocos dont ces maisons sont presque remplies,et qui s’y conservent parce que l’air y a un libre passage leurs habitations bien découvertes , sont toujours à ho m b rage de quelques grands arbres. Cette partie de l’isle est ouverte et très-bien cultivée les plantations étaient remplies de racines et de fruits. On cueillit dans cette course beaucoup de plantes des indes orientales non» y tuâmes un pigeon qui avait les côtés du bec couverts d’une substance rouge, et dans sa bouche et son gosier deux muscades avalées depuis peu , très-aromatiques encore , mais sans odeur nous demandâmes harbre qui produisait ce fruit , on nous montra un jeune arbre dont nous cueillîmes quelques feuilles; mais nous n’y trouvâmes point de fruits. Nous en étions à ces recherches , quand nous entendîmes des coups de fusil qui nous firent craindre quelque fâcheuse aventure nous nous y rendîmes en hâte 3 tout y était tran- Tome IL S 274 Second Voyage quille. Le soir , nous clescentlitnes sur la côte orientale pour reconnaître la position des isles Annatoin et Erronam ; mais notre gouvernail se rompit, et par une négligence inconcevable , nous n'en avions point de rechange à bord , ce que j’avais ignoré jusqu’alors je ne connaissais qu’un arbre qui pût nous servir, et j'envoyai des hommes pour l’abattre , mais bientôt on vint me dire que les Indiens et Paowang étaient mécon- tens j’y descendis , je parlai à Paowang , je lui donnai un chien et une pièce d’étoile ; je lui expliquai notre besoin il parut satisfait , ainsi que les Indiens qui étaient présens , et ils nous accordèrent ce que nous demandions. Je menai Paowang dîner avec nous; puis je retournai sur la côte pour recevoir un chef qu’on m’annonçait comme le roi de l’isle, et dont Paowang paraissait sa soucier peu. Je lis un présent à ce chef; sa vieillesse ne l’empècliait pas d’avoir de la gaîté et une physionomie ouverte ; tout ce qui pouvait le distinguer du peuple consistait dans l’espèce de ceinture qu’il portait autour des reins ; celles du peuple étaient d'un brun jaunâtre ; celle du chef était bigarrée de noir et de ronge , encore cette distinction pouvait venir du liazard ; son fils était déjà âgé de trente-cinq ou quarante ans. Les habitons s’étaient rassemblés en grand nombre sur le rivage quelques-uns lurent insolens, mais je crus devoir dissimuler, parce que nous allions partir. Dans une non 1 lie promenade , nous essayâmes de tuer de gros perroquets à plumage uoir d e Jacques Coq h. et jaune ; mais les feuilles des figuiers sur lesquels ils se juchaient, les mettaient à couvert de la dragée. Ces arbres sont élevés sur leurs énormes racines, le tronc qui ne commence qu’à dix ou douze pieds de la superficie de la terre , a souvent neuf pieds de diamètre ; il semble former plusieurs arbres qui ont crjà ensemble et s’élancent à quarante pieds de la terre , avant de se diviser en branches qui vont à la même hauteur et sans se partager, former la tête de l’arbre à cent- cinquante pieds d’élévation. En suivant la plains bordée d’arbrissearx remplis de liserons , nous rencontrions de teins en teins de vastes champs de grands roseaux sace'iarutn spontaneum qui croissaient sans culture ; plus haut sont des arbres où nous vîmes des perroquets sauvages et une colombe inconnue aux naturalistes. Nous parvînmes à un chemin creux où ries arbrisseaux et des palmiers formaient de jolis festons sur ses bords ; nous passâmes sous un grand figuier de l’espèce qu’on révère à Ceylan et dans le Mila- bai , sur lequel un nombre infini d’oiseauv très- petits voltigeaient et mangeaient le fruit des rameaux les pins élevés. En revenant, nous vîmes un Indien qui coupait des baguettes pour soutenir la tige des ignames ; et voyant qu’il avançait peu avec sa hache à tranchant de coquilles , nous lui en fîmes promptement un aba- tis avec une des nôtres ; les naturels admirèr rent cet instrument et nous auraient volontiers donné des armes en échange ; mais nous voulions 276 Second Voyage un cochon , et ils nous le refusèrent ; ils ne nous en vendirent aticun durant notre relâche. Sur le rivage je remarquai dans la foule le roi et son fils qui me parurent désirer de venir dîner avec nous je les pris dans ma chaloupe avec deux autres chels dont l’autorité ne s’étend pas seulement à faire monter un sujet sur un arbre. Je leur lis faire le tour du vaisseau qu’ils admirèrent ils mangèrent d’un puding , des bananes et des légumes , mais à peine ils voulurent toucher aux salaisons. Je les congédiai en donnant à chacun une hache , un grand clou et des médailles. Les naturels furent enchantés des égards que nous avions eus pour leurs chefs il y avait parmi eux des femmes qui nous vendirent des paniers d’yamboos , pour du jade et des grains de rassade ils nous saluaient avec respect, nous faisaient place dans les chemins , et quand ils savaient nos noms , ils nous nommaient avec un sourire de salutation. Nous allâmes visiter encore les sources chaudes ; nous trouvâmes qu’elles faisaient élever le thermomètre au 191 degré nous y jetâmes des poissons à coquille , et ils y furent cuits en deux ou trois minutes une pièce d’argent en sortit brillante après y être restée demi-heure 5 le sel de tartre n’y produisait aucun, effet visible des espèces de poissons longs de deux pouces y vivent ; leurs nageoires pectorales y font l’office de pieds ; leurs yeux sont placés près du sommet de la tête ; ils sont amphibies , du genre des bleinmies , et font des sauts de trois pieds. Dans d'autres expériences sur ces sources, de Jacques Cook. 277 au tems delà marée basse , qui pouvait y influer, nous trouvâmes que le thermomètre n’y montait plus qu’à 187 degrés nous le plongeâmes ensuite dans une source voisine , au pied dhm rocher perpendiculaire qui touche au solfaterra , et d’où l’eau sort en bouillonnant d’un sable noir et court dans la mer le mercure s’y éleva à L02 degrés et demi. Peut-être le volcan échauffe ces sources et les échauffe plus ou moins ; peut- être aussi la vapeur qui s’élève de la solfaterra , n’est elle que celle de cette eau. Tous les endroits où la terre est échauffée, sont élevés perpendiculairement de trois à quatre cents pieds au dessus de ces sources et sur la chaîne des collines où se trouve le volcan situé sur la. pente sud-est de la montagne il a autour de lui des montagnes plus élevées du double. Il nous a semblé que dans les teins humides , il éprouvait des secousses plus violentes. Le 19 , le tems n’étant point favorable pour mettre à la voile , je redescendis à terre au milieu d'une foule d’habitans. Je leur distribuai tout ce que j’avais sur moi , les matelots s’occupaient alors à mettre sur le bateau de gros troncs d’arbres. Quatre ou cinq Indiens s’avancèrent pour examiner où nous voulions les mener mais la sentinelle leur ordonna de se retirer au- delà des limites fixées , et bientôt, après le soldat lâcha son coup les naturels prirent la fuite ; j’accourus pour en retenir quelques-uns l’un d’eux avait été blessé , deux autres le portèrent près de l’eau pour laver sa plaie , puis l’crnpor- S 3 ar 8 Second Voyage tèrent. J’allai avec le chirurgien visiter le blessé la halle lui avait cassé le bras , et était entrée par les fausses côtes dont l’une était rompue ; ce malheur jeta les habitans clans la plus grande consternation, et ceux qui étaient restés sur le rivage coururent aux plantations , et en rapportèrent des noix de cocos qu’ils mirent à nos pieds. Tandis que noua déplorions cet accident, plusieurs d’entre nous se promenaient dans le pays , ils voyaient les naturels émonder les arbres ou creuser la taire avec une branche qui leur tenait lieu de bêche , ou planter des ignames, chantant avec une douce mélancolie ; ils admiraient les petits monticules et les vallées spacieuses qui les environnaient ils contemplaient avec ravissement la face sombre des terres préparées pour la culture , la verdure uniforme des prairies, les teintes différentes et la variété infinie des feuillages quelques arbres réfléchissaient mille rayons ont!ovans , tandis que d’autres formaient mille masses d'ombrages, en contraste avec des masses de flots, äe lumière qui couvraient tout le reste. Les nombreux tourbillons de fumée qui jaillissaient de chaque bocage , leur rappelaient l’idée de la vie domestique des habitans, les vastes champs de plantains leur présentaient celle de Pabondance dont ils jouissent et de leur bonheur. La richesse du soi' est si prodigieuse , que des palmiers couchés à terre , déracinés par les vents , avaient poussé de nouveaux branchages. Ils partaient pour se rendre à bord , lors- de Jacques Cook. 279 qu’ils rencontrèrent un Indien il s’ensuit à leur vue, et une femme qui n’avait pu le suivre, leur offrit d’une main tremblan te et avec une extrême frayeur, un panier rempli d’yamboos ; iis s’en étonnèrent d'autres insulaires qui se tenaient derrière des buissons , remuaient leurs mains vers la grève et leur firent signe de s’y rendre. En sortant du bois , ils en virent deux autres assis sur l’herbe , tenant un de leurs compatriotes mort dans leurs bras ils nous montrèrent une blessure qu'il avait au côté , et leur dirent avec des regards tondra ns Markom , il est tué. Instruit de ce qui était arrivé , ils furent étonnés de la modération des insulaires qui n’avaient pensé ni à se venger , ni même à leur témoigner du mécontentement. J’avais résolu de punir rigoureusement le soldat de marine qui avait transgressé mes ordres ; mais l’officier déclara qu’il avait donné des ordres par lesquels la moindre menace des insulaires devait être punie de mort. J’étais loin de les approuver ; mais ils justifiaient le soldat , et je ne pus faire justice. Nous partîmes dans la nuit , et au point du jour , on entendit dans le bois un bruit assez semblable à une psalmodie ; nous n’avons pu en connaître la cause , mais de l’opposition constantes des naturels au désir que nous avions témoigné d’y aller , on en avait conjecturé que c’était un lieu consacré au culte divin ; cependant cette raison ne me paraît pas concluante , car les insulaires témoignaient la même répugnance par-tout où ils ne nous avaient point vm encore S 4 x8o Second Voyage c’était un effet de leurs craintes , inspirées , peut-être, par les attaques subites de leurs voisins. II ne me paraît pas que ces insulaires soient soumis à une forme de gouvernement ceux qu’on y nomme des chefs , y sont peu considérés ; des vieillards, sans avoir ce titre , le sont autant qu’eux chaque famille , chaque village paraît indépendant, et dans le voisinage du port , le peuple n’obéissait à personne. Il ne semble pas qu’on puisse compter plus de vingt mille aines dans Tanna ; on y voit plus de forêts que de cantons cultivés l’excellence du sol y nuit à la culture ; elle y est moins nécessaire , elle y est plus pénible , parce que les productions qu’on demande à la terre , ont besoin d’être sans cesse défendues contre celles que la nature y produit sans cesse. Peut-être différentes nations ont peuplé cette isle , et que de là vient la diversité des langues qu’on y parle; car nous y en avons observé trois différentes. Nous ne connaissons rien de leur religion ; le chant solemuel dont nous avons parlé, est le seul acte qui puisse en faire soupçonner parmi eux nous ne leur avons vu faire d’ailleurs aucune cérémonie, ni rien qui annonçât de la superstition. Le havre où nous mouillâmes reçut le nom de port de la Résolution ; il est commode pour faire de l’eau et du bois. Nous fîmes voile vers le levant pendant la nuit elle matin , parle teins le plus serein ; nous ne découvrîmes aucune terre dans çette direction de Jacques Cook. 281 nous tournâmes donc au midi, sans découvrir non plus de terre la côte méridionale de Tanna nous parut très-escarpée , mais sans brisans ; la contrée y paraissait aussi fertile que dans le voisinage du port, et se montrait sous l’aspect le plus riant ; nous tournâmes au sud-est. Nous vîmes les hautes terres d’ , puis l’isle Sandwich ; nous en longeâmes la côte pour gagner la pointe de Mallicolo nous revîmes bientôt les isles Aoée , Paoom et Ambrym nous côtoyâmes Mallicolo dans cette côte opposée à celle que nous avions visitée ; l’ est basse , hachée de criques et de pointes , ou de petites isles. Les insulaires parurent en troupes sur plusieurs endroits de la plage , et quelques-uns seraient venus à nous dans leurs pirogues , si nous avions diminué de voiles nous arrivâmes le soir à l’extrémité septentrionale de l’isle , et dans ce moment nous en étions si près , que nous entendîmes les voix des habitans assemblés autour du feu. Dès que la lune put nous éclairer , nous portâmes au nord , et nous passâmes la nuit dans le détroit de Bougainville la côte de Mallicolo était par-tout couverte d’arbres vers le nord; un peu plus au couchant, elle est agréablement diversifiée par des plaines dont il en est de cultivées ce canton paraît être d’une grande fertilité et bien peuplé. La partie septentrionale du passage est formée par un amas d’isles petites , boisées , peu élevées ; la plus méridionale est la plus grande , elle a six ou sept lieues de tour, et nous la nommâmes St. 282 Second Voyage Barthélémy. De-là nous vimes mie terre s’étendre au levant nous y cinglâmes la côte était escarpée en quelques endroits , en d’autres on voyait des espaces couleur de craie un beau tems qui ne se démentit point , nous montra tout le charme de ces paysages ; il l’allait bien que quelque plaisir compensât le désagrément d’être réduits aux provisions du vaisseau , la plupart déjà gâtées. Nous découvrîmes une grande et profonde baie, qui nous parut être celle de St. Jacques et de St. Philippe , découverte par Qui- ros en 1606. Nous y entrâmes , et le calme nous y laissa en proie à de grosses laines qui nous jetaient sur la rive où les habitans étaient rassemblés en grand nombre ; deux pirogues s’en détachèrent , mais nous ne pûmes les engager à s’approcher de nous ; au contraire , saisis d’une terreur subite, ils ramèrent vers la terre ; ils 11'avaient pour vêtement qu’une ceinture à laquelle étaient attachées de larges feuilles qui les cou vient jusqu’aux genoux ; ils sont noirs et ont les cheveux cotonnés la terre, à plusieurs lieues dans l’intérieur des terres , s’élevait en collines médiocrement élevées , séparées par de larges vallées peuplées et fertiles. Une luise qui sùéleva nous poussa du côté opposé à celui où la lame nous jetait rions rasâmes la terre, et envoyâmes reconnaître la côte. Trois pirogues qui nous suivaient , s’approchèrent assefc pour recevoir ce que nous leur jetâmes avec une corde ; mais elles n’abordèrent poiptle côté du vaisseau les hommes qui les montaient, étaient mieux de Jacques Cook. 283 faits que ceux de Mallicolo , ils paraissaient être d’une autre nation ; ils n’en connaissaient point la langue , ni celle de Tanna. Quelques-uns avaient les cheveux longs , relevés sur le sommet de la tête et ornés de plumes leur parure consistait en bracelets et en colliers l’un d’eux avait une coquille blanche attachée sur le front ; d’autres étaient peints d'un fard noirâtre ; ils n’avaient d’armes que des dards et des harpons, avec lesquels ils dardent le poisson ils nous donnèrent le nom des isles voisines , mais ils ne nous dirent point celui de la leur nous lui avons conservé le nom de St. Esprit que lui donna Quiros ils se saisirent des clous avec empressement, et en reconnurent le présent par une plante de poivre , symbole de paix et d’amitié. Dès qu’ils virent nos bateaux, nous ne pûmes les retenir , ils s'éloignèrent. On découvrit au fond de la baie une jolie rivière dont les eaux étaient assez profondes pour que les bateaux pussent y entrer , mais on ne trouvait point de fond à quelque distance du bord. Je crus devoir sortir de la baie durant la nuit, la contrée fut illuminée de feux du r ivage au sommet des montagnes ; peut-être les liabitans brûlaient leurs terres pour faire de nouvelles plantations l’herbe et les autres plantes y croissent en abondance jusqu'au bord de Dean. Quiros avait raison d'exalter la beauté et. la fertilité de ce pays ; i! paraît en effet un des plus beaux du inonde comme c’est la plus grande terre que nous eussions encore décou- 284 Second Voyace verte, nous y aurions trouvé des richesses pour l'histoire naturelle , si nous avions pu y séjourner j mais l'étude de la nature n’était que l’objet secondaire de ce voyage. Cette baie a vingt lieues de côte ; elle est partout sans fond, excepté près du rivage qui est élevé ; mais la plaine ne forme qu'une lisière étroite au pied des montagnes , dont l’une s’élevant en amphithéâtre traverse toute la longueur de l’isle par-tout on trouva une végétation ani» mée les pentes des monts sont embélies de plantations , les vallées y sont arrosées par des ruisseaux qui les fertilisent le cocotier y domine sur tous les arbres. Le 28 et 29 Août, nous eûmes des vents faibles et variables nous profitâmes de toutes les occasions où l’horison était clair , pour découvrir s’il ne restait pas d’autres terres ; mais nous n’en viines plus il nous parut probable que la terre la plus voisine au nord, est l’isle de la Reine Charlotte découverte par Carteret, et elle en est à environ quatre-vingt-dix lieues. Nous nous éloignâmes de la côte en faisant voile au levant nous vîmes sur les côtés des montagnes des plantations d’arbres disposées en allées de jardin et entourées de palissades. Nous doubl âmes la pointe sud-ouest de l'isle , qui est basse et semble avoir des anses bordées par de petites isles , dont la chaîne s’étend derrière celle de St. Bartheleini. Comme la saison me rappelait au sud , je ne pus rester plus Ion g-tenus pour mieux connaître les isles de cet archipel, que je nommai les non- de Jacques Cook. 285 velles Hébrides elles s’étendent dans un espace de cent vingt-cinq lieues , presque du nord au sud, entre le 10 e . degré , 4 sec. » et i e 1 4 e * degré 29 min. de latitude méridionale, le 1 j 5 e . degré 48 min. , et le 172 e . degré 8 min. de longitude la plus septentrionale de ces isles fut nommée l y ic de l’Etoile par M. de Bougainville celle du St. Esprit en est la plus occidentale et la plus grande elle a vingt-deux lieues de long, douze de large , soixante de circuit. Nous ne répéterons point ce que nous avons dit des autres. Leurs productions naturelles sont seules dignes de l’attention des voyageurs ; leurs volcans , leurs végétaux , leurs habitans méritent des re- plus approfondies que nous n’avons pu les faire dans les quarante-six jours que nous employâmes à parcourir ces isles. Au lever du soleil , le 1 septembre , nous avions perdu toute terre de vue j nous nous préparions à traverser la mer du sud dans sa plus grande largeur 5 et quoique l’usage de la viande salée eût affaibli l’équipage , je ne me proposais de toucher à aucun endroit sur la route de nouvelles découvertes ne me le permirent pas , et ce fut un bonheur peut-être. Trois jours après nous vîmes une terre inconnue jusqu’alors , qui changea tout mon plan de navigation des ouvertures qu’on appercevait , nous liront douter si ce n’était point encore un amas d’isles des tourbillons de fumée nous annoncèrent que cette terre était habitée j nous crûmes même y voir un volcan j mais nous nous trompâmes nous nous 286 Second Voyace dirigeâmes d’abord entre le nord et le levants, et après nous être avancés l’espace de deux lieues , nous découvrîmes un passage qui avait l’apparence d’un bon canal ; je le fis sonder ; nous y entrâmes bientôt après , car nos bateaux y avaient trouvé quatorze à seize brasses d’eau nous nous assurâmes que les ouvertures qu'on avait cru voir , n’étaient qu’une terre basse , sans interruption , excepté vers l’extrémité occidentale où était une petite isle , nommée par les habitans Balabea nous vîmes deux pirogues dont les Indiens se montrèrent obligeait s le pays nous paraissait toujours plus stérile à mesure que nous approchions il était couvert d'une herbe sèche blanchâtre les arbres étaient clair-semés sur les collines, et ils ressemblaient à des saules au pied des collines était une bordure de terre , plaie , revêtue d’arbres , et de buissons verds et touffus, entre lesquels s’élevaient quelquefois des bananiers ou des cocotiers. Nous y voyions aussi des maisons semblables à des ruches d’abeilles , rondes ou coniques, ayant un trou pour entrer. Après avoir un peu suivi le banc qui borde la côte , nous jetâmes l’ancre , et bientôt nous fumes environnés d’indiens , la plupart sans armes , et remplissant seize à dix-liuit pirogues nous leur descendîmes quelqres bagatelles an bout d’une corde ; ils nous donnèrent en échange du poisson pourri deux montèrent à bord, et les autres les suivirent quelques-uns s’assirent à table avec nous ; ils mangèrent des ignames dont nous avions encore quelques- ïie Jacques Cook. 287 unes ; ils sont presque nuds ; ils examinèrent le vaisseau les chèvres , les codions , les chiens , les chats leur étaient si inconnus qu’ils n’avaient pas de termes pour les nommer ils faisaient un grand cas des clous et des étoffes rouges cette couleur leur plaisait ; leur langue 11’avait aucun rapport avec aucune des différentes langues que nous avions entendues dans la mer du sud ils étaient grands , bien proportionnés 5 ils avaient les traits intéressant, la barbe et les cheveux noirs, frisés, presque laineux leur .teint était un châtain foncé. h. ou s allâmes à terre ; nous débarquâmes sur une plage sablonneuse où les hahilans rassemblés nous reçurent avec joie et avec surprise je fis des dons à ceux que me présenta un insulaire qui s’était attaché à moi , c’étaient des vieillards on des hommes considérés ; il ne marqua aucun égard pour les femmes. Deux chefs firent faire .silence , et firent tour à tour une petite harangue à laquelle des vieillards répondaient en branlant la tête et par une espèce de murmure. Nous nous .mêlâmes ensuite dans la foule plusieurs affectés d’une espèce de lèpre, avaient des- jambes et des bras très-gros ils n’avaient pour vêtement qu’un cordon à leur ceinture et un. autre autour du cou un morceau d’écorce de figuier cache leurs pat ties naturelles quelques-un s avalent sur leur tête des chapeaux cylindriques , noirs , d’une natte très-grossière , ouverts au deux extrémités , ornés de plumes rouges autour , et de plumes noires de coq au sommet j leurs oreilles, 288 Second V O y A g * très-longues, sont fendues en deux , et ils y Suspendent des écailles de tortue. Nous demandâmes de l’eau , et mon nouvel ami s'embarquant avec nous , lit suivre la côte l’espace d’une petite lieue; elle était toute bordée de mangliers nous entrâmes dans une rivière large de trente à trente-six pieds, qui nous mena au pied d’un petit village près duquel on nous montra une source d’eau douce les environs étaient cultivés, plantés de cannes à sucre , de bananiers , d’ignames et d’autres racines , arrosés par de petits canaux conduits avec art depuis le ruisseau là étaient descocotiers à rameaux épais , mais peu chargés de fruits nous y entendîmes le chant yles coqs ; nous y vîmes bouillir des racines dans un grand vase de terre cuite; les femmes , les enfans venaient familièrement autour de nous sans montrer de défiance ni de mauvaise volonté la stature des femmes est moyenne , leurs formes étaient un peu grossières,* elles paraissaient robustes leur habillement les faisait paraître accroupies c'était un jupon court, ou une frange composée de filainens ou de cordelettes d’environ huit pouces de long, repliées plusieurs fois autour de la ceinture , placées les unes sur les autres en différentes rangées , qui les couvraient jusqu’à la moitié de la cuisse elles portaient comme les hommes des coquillages, des morceaux de jade et des pendans d’oreilles les huttes étaient coniques et de dix pieds de haut la charpente était de bâtons entrelacés comme des claies, et couverte de nattes et de paille bien arrangée; UE Jacques Cook. 289 arrangée ; il n’y avait de jour que par la porte haute de quatre pieds nous les trouvâmes remplies de fumée , sans doute pour en chasser les mousquites elles étaient entourées de cocotiers, de cannes à sucre , de bananes et d’eddoës que l’eau couvrait. Nous cueillimes une plante nouvelle sur les bords de la rivière vers les collines, le pays paraissait stéi ile et désert; ça et là on y remarquait des cantons cultivés. Nous revînmes à bord avant le coucher du soleil. Cette visite nous persuada que nous ne devions attendre aucun rafraîchissement de ce pays ; mais les habitans nous parurent d’un excellent caractère ils nous visitèrent le lendemain bientôt les ponts et toutes les parties du vaisseau en furent remplies; quelques-uns armés de massues et de dards les échangèrent contre des clous et des pièces d’étoffes un seul nous apporta quelques racines j’envoyai chercher une autre source d’eau douce , tandis que nous nous préparions à observer une éclipse de soleil nous réussîmes dans ces deux objets. Nous visitâmes encore la contrée; la plaine était revêtue d’une couche légère de sol végétal sur laquelle on avait répandu des coquillages et des coraux brisés pour la marner une colline que nous gravîmes , pré» senta deß rochers composés de gros morceaux de quartz et de mica il y croissait des herbes sèches, hautes, clair semées des arbres grands, noirs à la racine , blancs sur le tronc et les branches, avec des feuilles longues et étroites, étaient dispersés à soixante pieds lçs uns des autres ; c’était Tome IL T 2po Second Voyage le Mala-leucadendra cle Linnéus on n’y voyait point d’arbrisseaux nous distinguions de là une ligne d’arbres et d’arbustes touffus qui se prolongeaient du bord de la mer au pied des montagnes. Au bord du ruisseau où l’on remplissait nos futailles , nous vîmes un canton couvert de gramen , des plantes inconnues , une grande variété d’oiseaux de différentes classes et presque tous nouveaux; mais ce qui nous plut davantage fut la bonté des habitans ; leurs cabanes dispersées étaient sous l’ombre épaisse du figuier , d’où le ramage des oiseaux leur procurait des concerts cliarmans ces arbres ont des racines rondes qui s’enfoncent en terre à quinze ou vingt pieds de l’arbre qu’elles soutiennent en l’air , formant une ligne droite élastique , comme la corde tendue d’un arc. Nous apprîmes quelques mots de leur langue ; ils nous parurent doux , pacifiques , indolens, ne répondant que lorsqu’on les interroge. Les femmes étaient plus curieuses. Ils ne parurent ni fâchés, ni étonnés de ce que nous tuions des oiseaux en quelques endroits nous vîmes le Malaleuca en fleurs, mais alors son écorce lâche crevait et montrait les escarbots , les fourmis, les araignées , les lézards qui s’y étaient cachés. J'allai prendre une vue générale de la contrée ; des insulaires nous servirent de guides , et plusieurs autres nous accompagnèrent après avoir atteint le sommet de l’une des montagnes, nous vîmes la mer des deux côtés , ce qui nous de Jacques Coole. 59t montra que Pisle n’avait que dix lieues de large dans cette partie. Parmi ces montagnes, on voyait une grande vallée , où serpente une rivière dont les bords sont ornés de plantations et de villages du lieu où nous étions , la plaine qui s’étend jusqu’à notre mouillage , les sinuosités des eaux qui l’arrosent, les plantations, les hameaux, la variété des groupes dans les bois, les écueils qui bordent la côte , tout nous offrait un ensemble pittoresque ailleurs on ne voyait que tristesse et stérilité les montagnes ne sont que cl es masses de rochers dont plusieurs renferment des minéraux le peu de terre qui les couvre est sèche , brûlée, parsemée d’une herbe grossière ce pays ressemble enfin sous un grand nombre de points àla Nouvelle-Hollande. Nous descendîmes dans la plaine par un autre chemin , au travers de plantations dont la distribution annonçait du soin et du travail le rocher par-tout le même dans notre route, était un mélange de quaitz et de mica plus ou moins teint d’une couleur ochreuse plus nous approchions de la plaine , plus la hauteur des arbres augmentait. Sur une colline , nous vîmes des pieux enfoncés en terre, traversés par des branchages secs les insulaires nous dirent qu’ils y enterraient leurs morts , et que chaque pieu marquait le lieu où l’on en avait déposé un. Près de là, ils nous apportèrent des cannes à sucre pour nous rafraîchir, et nous n’en voyions aucune plantation auprès de nous. A midi , nous étions revenus de notre excursion. T a 2y2 Second Voyage Nous trouvâmes au vaisseau un grand nombre d’indiens qui L'examinaient et vendaient leurs armes et leurs ornemens l’un d’entr’eux avait six pieds cinq pouces , et portait sur sa tête un bonnet cylindrique qui Je rendait plus grand encore quelques-uns portaient jusqu’à dix-huit pendans d’oreille d’écaille de tortue, d’un pouce de diamètre ils nous vendirent une espèce de sifflet lait d’un morceau de bois brun poli, ayant la forme d’une cloche il avait deux trous près de la base et un troisième près de la corde qui le tenait suspendu ces trousse communiquaient, et en souillant dans l’un , il se formait une espèce de sifflement dans l'autre. Ils n’essayèrent jamais de nous voler aucune chose ; plusieurs vinrent à la nage de plus d’un mille, et fendaient les Ilots d’une main en élevant une pique, tandis que de l’autre ils tenaient un morceau d’étoffe brune. Nous descendîmes à terre , et trouvâmes une grande masse irrégulière de rocher , d’une pierre de corne , étincelante par-tout de grenats gros comme des épingles j ce qui nous persuada toujours mieux qu’il y avait des minéraux précieux dans cette isle. Après nous être enfoncés dans un bois épais, nous rencontrâmes de jeunes arbres à pain qui n’étaient pas assez gros pour porter du fruit, et qui semblaient venir sans culture on y trouva aussi une espèce de fleur de la passion, qu’on croyait n’être indigène que de l’Amérique. Nous découvrîmes trois huttes environnées de cocotiers à l’entrée de l’une d’elles était un de Jacques Cook. sy3 homme assis , tenant sur son sein une petite fille de huit à dix ans , dont il examinait la tête ; il avait à la main un morceau de quartz tranchant , dont il se servait pour couper les cheveux. Nous leur donnâmes des grains de verre noir, qui leur firent plaisir. Dans les deux autres réunies par des haies , étaient des femmes qui allumaient du feu sous un grand pot de terre, rempli d’herbes sèches et de feuilles vertes , dans lesquelles de petits ignames étaient enveloppés. Elles nous pressèrent de nous éloigner ; nous le limes, et revînmes un instant après leur offrir des grains de rassades qui leur firent grand plaisir ; mais elles nous prièrent encore de partir. Nous tuâmes différens oiseaux curieux dont l’isle est remplie , et reparûmes sur la grève , où des naturels nous portèrent sur leurs épaules dans la chaloupe, parce que l’eau était basse un morceau de l’étoffe d’Otaïti les récompensait nous y vîmes des femmes qui s’amusaient à appeler nos matelots derrière les buissons , puis les fuyaient avec tant d’agilité qu’ils ne pouvaient les atteindre; elles riaient de bon coeur toutes les fois qu’elles avaient ainsi déconcerté leurs adorateurs. Nous achetâmes un poisson harponné près de l’aiguade - ; il était d’une espèce nouvelle et ressemblait à ceux qu’on nomme Soleil, sa tête hideuse était grande et longue ne soupçonnant point qu’il fût venimeux , j’ordonnai qu’on l’apprêtât pour le soir ; mais on perdit du teins à le dessiner et à le décrire ; on ne put en cuire que T 3 294 Second Voyage leliiie ; Mr. Förster et inoi en goûtâmes , et vers le matin nous sentimes une grande faiblesse et de la défaillance j’avais perdu le sentiment du toucher ; un pot plein d'eau et une plume me paraissaient de même poids on nous lit prendre l’émétique , et la sueur nous soulagea un cochon qui en avait mangé les entrailles , fut trouvé mort. Les naturels nous parurent connaître sa qualité vénéneuse. Teo-Booma , un des chefs de cette isle, nous apporta un présent d’ignames et de cannes à sucre ; je lui offris deux jeunes chiens, l’un mâle , l’autre femelle , qui lui donnèrent une si grande joie , qu’il les conduisit tout de suite à son habitation. J’envoyai des bateaux pour dessiner la carte de la côte , et quelques hommes pour couper des balais. Près du rivage , on remarqua un Indien aussi blanc qu’un Européen ; mais il paraît vraisemblable que sa blancheur venait de quelque maladie nous en avons vu un autre blanc connue lui, les cheveux blonds , le visage couvert de rousseur il n’avait aucun symptôme de faiblesse , aucun défaut dans l’organe de la vue. Quelques-uns d’entre nous traversèrent une partie de la plaine absolument en friche, couverte d’herbes sèches et cl air-,semées ; un sentier les conduisit par un beau bois au pied de collines riches en nouvelles plantes, en oiseaux , en insectes la plaine , la colline étaient inhabitées au levant ils virent des maisons , près d’un marais , et quelques insulaires vinrent leur indiquer n e Jacques Cook. 295 où ils enfonceraient moins clans la vase les uns mangeaient des feuilles cuites à l'étuvée , d’autres suçaient l’écorce des Hibiscus iiliaceus , après l’avoir gtillée ; elle était insipide , dégoûtante , peu nourrissante ; le besoin seid peut la rendre utile le poisson supplée sans doute au défaut des végétaux de l’isle autour des cabanes roulaient des volailles apprivoisées , d’une grosse espèce et d’un plumage brillant quand ils passaient , les Indiens levaient les yeux , mais sans se déranger , sans lien dire les femmes étaient plus gaies ; elles traînaient avec elles leurs en fans sur leur dos dans un sac ils remarquèrent que les buissons près du rivage étaient plus remplis d’oiseaux que dans l'intérieur des terres , et c’est ce qui les y retint. Ils virent un mondrain enclos de pieux dans l’intérieur , il y avait d'autres pieux fichés en terre et garnis de gros coquillages c’était là que les insulaires enterraient leurs chefs. Ils s’arrêtèrent devant quelques huttes où des insulaires étaient assis sans aucune occupation les jeunes gens seuls se levèrent à leur approche quelques-uns leur dirent le nom de divers districts de l’isle plusieurs d’entr’eux avaient les jambes grosses , dures , écaillées , mais cette expansion démesurée de la jambe ne paraissait pas les gêner beaucoup ils y sentent rarement de la douleur cette maladie , qui est une espèce de lèpre , est une maladie particulière aux climats chauds et secs. Ils observèrent encore que les hommes n'ont point d’égards pour les femmes ; qu’elles se tiennent toujours éloi- T 4 2y6 Second Voyage guées d’enx , et paraissent craindre de les offenser , même par leurs regards et leurs gestes ; et que tandis que leurs maris s’occupaient à se reposer , elles traînaient sur leur dos des fagots de bois à brûler. Nos bateaux avaient été jusqu'à Balabea , et en revinrent peu instruits et très-fatigués les liabitans de celte isle leur avaient lait l’accueil le plus obligeant comme on y pressait trop nos matelots , ils tracèrent un cercle sur le sable , et défendirent aux Indiens de le passer ils se conformèrent à cet ordre; mais l'un d’eux qui avait des noix de cocos , pressé par les nôtres qui en voulaient acheter , fit un cercle , s’assit au centre, et leur défendit d'y entrer; ils lui obéirent à leur tour le pays était semblable à celui où nous étions , mais plus fertile et plus cultivé on y voyait plus de cocotiers les ha- bilans sont les mêmes , et leur caractère est aussi bon que ceux dont nous venons de parler ils parlèrent d'une grande terre qu'ils nommèrent jMingha , dont les liabitans sont guerriers et leurs ennemis ; ils montrèrent un tumulus sépulchral, où un de leurs chefs tué par des hommes de Mingha , était enseveli ils virent nos gens ronger un os de bœuf, et ils s’éloignèrent avec indignation, croyant qu’ils mangeaient de la chair humaine on ne put les détromper , parce qu’ils n’avaient jamais vu de quadrupèdes en vie. On y amassa une quantité prodigieuse de coquilages nouveaux et curieux , et plusieurs plantes inconnues encore. n e Jacques Cook. 297 Je voulus laisser un porc et une truie dans cette contrée ; mais celui à qui j’avais remis le chien et la chienne n’avait point reparu , et j'en cherchai en vain un autre à qui je pus les remettre. Appercevant l’Indien qui nous avait servi de guide sur la montagne , je lui Iis entendre que je voulais laisser les deux cochons sur le rivage, et je les fis sortir de la chaloupe puis je les présentai à un grave vieillard ; mais secouant la tête , il me fit signe , ainsi que tous les autres , de les reprendre dans le bateau , parce qu’il en était effrayé leur figure n’est pas en effet attrayante. Comme je persistais, ils parurent délibérer entr’eux , et ensuite ils me firent dire de les envoyer au chef nous nous y finies conduire, et nous le trouvâmes assis clans un cercle de huit ou dix personnes d'un âge mûr je fus introduit avec mes cochons , on me fit asseoir , et alors je leur vantai comme je pus l’excellence de mes quadrupèdes je m’efforçai de leur faire entendre combien la femelle leur donnerait de petits , qui venant eux-mêmes à multiplier, en produiraient un nombre considérable. J’en exagérais la valeur pour les engager à en prendre grand soin , et je crois avoir réussi on me présenta six ignames et je revins à bord. Je remarquai que le village voisin de l’anse où j’avais été conduit pour avoir de l’eau douce , était plus étendu que je ne l’avais d’abord cru le terrein cultivé aux environs est assez considérable ; la distribution en est régulière , il y a 2y8 Second V o y a g h diverses plantations arrosées avec industrie , les r habitans y plantent les racines d’eddoës de deux 1 manières l’une dans un terrein lxoi izontal qu’ils fl abaissent au-dessous du niveau , alin de pouvoir ai introduire sur les racines autant d’eau qu’il est a nécessaire l’autre sur des planches bombées, a larges de trois ou quatre pieds , hautes de deux, la et sur le sommet de laquelle ils font couler l’ean to dans une rigole étroite le même courant arrose ri plusieurs planches ces racines ne sont pas toutes o d’une même couleur , les unes ont meilleur goût dqûe'je rencontrais. Nous visitâmes nos jardins , lès'habitans les avaient négligés et ils étaient 'prèsque en friche quelques plantes cependant y périssaient avec vigueur. de Jacques Cook. 3op Aucun insulaire ne s’était montré encore , et pour les y inviter , nous allumâmes du leu ils ne vinrent cependant qu’un jour après deux pirogues ^avancèrent, puis se cachèrent nous allâmes à eux, ils s’enfuirent dans les bois deux insulair es seulement restèrent et nous reconnurent la joie alors lit place à la crainte ceux qui s'étalent cachés accoururent, vinrent frotter leur nez contre le nôtre , sautèrent et dansèrent autour de nous d’une manière extravagante , mais ne permirent point à leurs femmes de nous approcher. On leur fit des présens , ils donnèrent du poisson. Ils répondirent avec embarras à la question que nous leur finies sur la cause de leur fuite. Après avoir parlé de batailles et de morts , ils nous demandaient si nous étions lâchés, et ils paraissaient inquiets et désians leur crainte nous en donna sur le sort de l'Aventure ; mais nos recherches ne purent rien nous en apprendre. Cette petite troupe vint le lendemain échanger de beaux poissons contre des étoffes d’O- Taïti ils en firent autant dans les jours qui suivirent. Un jour ils dirent à nos travailleurs qu’un vaisseau pareil au nôtre s”était perdu dans le canal et brisé contre les rochers ; que des insulaires du bord oppose avaient été tués pour avoir volé leurs habits, mais qu’ils avaient enfin été les plus forts , avaient assommé les gens du vaisseau , et les avaient mangés ; iis ne s’accordaient point sur la date , mais sur les circonstances nos inquiétudes s’augmentèrent ; nous leur faisions à chaque instant de nouvelles questions , ils V 3 3 jo Second Voyage craignirentpeut-êtred’en trop dire , et résolurent de garder sur ce point le silence. Leur chef seul nous lit entendre que le vaisseau n’était point brisé nous avions désigné la figure du canal sur une grande feuille do papier , et fîmes entrer et sortir les deux vaisseaux faits en papier ; puis y faisant rentrer le nôtre seul, nous restâmes un instant immobiles mais le chef prenant le papier qui représentait l’Aventure, le fit entrer dans le lilivre , puis l’en fit ressortir. Lorsque Je voulus de nouveau questionner ceux qui avaient raconté le combat à nos gens , ils nièrent tout ce qu’ils avaient dit auparavant, et je ne sus plus ce que je devais croire. Dans nos parties de chasse, nous visitâmes les lieux où nous avions placé nos cochons et nos poules ; mais nous n’en apperçûmes pas la moindre trace nous en vimes un sur l’isle longue qui avait été donné aux insulaiies par le capitaine Furneaux et nous entendimes le grogne- mentd’un autre. Us ne les ont donc pas détruits, et l’on peut espérer que désormais on en trouvera dans celte contrée. Les Zélandais qui s’étaient établis près de nous, se retirèrent sans que nous en sussions la raison ; mais deux jours après nous reçûmes la visite d’autres insulaires venus de très loin , et qui avaient des pierres verleset du talc pour principales marchandises ; ils revinrent le lendemain sans avoir des richesses plus recherchées. Nous visitâmes l’anse de l’herbe où nous ne rencontrâmes aucun habitant; nous y tuâmes des oiseaux. A notre retour, nous vîmes de Jacques Cook. 3ii lin grand nombre de Zélandais aux environs du vaisseau ils nous vendirent du poisson , et avaient divers objets de curiosité ; mais je défendis le commerce avec eux , à moins qu’ils n’apportassent des rafraîchi ssemens il fallait tout le poids de l’autorité pour s’opposer à la manie des matelots pour rassembler des armes et des ustensiles du pays. En visitant l’anse à l’Indien , nous vimes une pauvre famille qui mangeait de mauvaise racines de fougère , faute d’alimens plusnourrissans. Les huttes de ces Zélandais renfermaient un feu dont la fumée les remplissait ; mais en se couchant par - terre ces bonnes gens en évitaient l’incommodité , c’était là le Palais recherché des matelots , des t officiers mêmes, peur y recevoir les caresses des sales Zé - landaises. Le 5 Novembre nos anciens amis revinrent , et nous apportèrent à propos une bonne provision de poissons. Rassurés sur nos beoins futurs, j’allai dans la chaloupe pour découvrir un passage au sud-est dont j’avais soupçonné l’existence ; les pêcheurs que nous rencontrâmes , nous assurèrent tous que ce passage n’existait pas; je suivis cependant mon chemin. D’autres plus éloignés nous dirent aussi que nous ne le trouverions pas dans la direction que nous prenions , qu’il était plus au levant et débouchait dans l’endroit même que j'avais soupçonné. Bientôt nous rencon trames un grand village dont une partie des habitans nous connaissaient et vinrent toucher nos nez à leur tête était un petit vieillard très-actif, qui V 4 3x a Seconu Voyage avait le visage tatoué par bandes ils paraissaient plus à leur aise que les familles dispersées autour de notre anse ; leur Eotement était neuf et propre, mais leur visage était couvert de suie et d’autres peintures nous y achetâmes beaucoup de poisson, des armes, des vêtemens. Voyant que la foule augmentait sans cesse , nous crûmes qu’il était prudent de la quitter. Nous étions en mer lorsqu'un de nous se ressouvint qu’il n’avait pas payé le poisson qu’il avait acheté. Je pris le seul clou qui nous restait , et le lançai Sur la grève , près du Zélandais que nous avions rappelé , et qui se croyant attaqué, nous jeta une pierre avec rox- deur elle ne blessa personne , et rappelant le Zélandais , nous lui limes voir le clou alors il rît de sa colère , et fut charmé de notre conduite à son égard. Plus de violence de notre part aurait fait naître des scènes sanglantes de ce qui- pro-quo. La population paraît considérable dans cette partie de contrée nous continuâmes notre route, et descendîmes un bras de mer , qui forme de belles anses sur ses rivages, et nous arrivâmes enfin à son embouchure dans le détroit un fort courant facilita notre navigation j il s’y serait opposé dans la marée montante. La nuit ne nous permit pas défaire des observations ; je négligeai même de visiter un heppa , bâti sur une hauteur , et où les habitans nous invitaient j et nous retournâmes an vaisseau à jeun , quoique nous dissions du poisson et des oiseaux. Nous y trouvâmes le chef de nos anciens amis , nommé ns Jacques Cook. 3i3 Pedero ou Peeteree , Qui me fit présent d’un des bâtons de commandement Que portent leurs chefs ; je reconnus son présent par un habit complet dont il fut très-glorieux. Le teint seid pouvait le faire distinguer d’un Européen ; il paraissait sentir le prix de nos arts , de nos manufactures, de nos connaissances, et cependant il refusa de nous suivre il préféra la vie misérable , mais libre de ses compatriotes , à tous les avantages dont nous aurions pu le faire jouir. Je lui demandai de nouveaux éclaircissemens sur le sort de l’Aventure , et il me fit entendre Que ce vaisseau y était venu peu après notre départ , y avait demeuré dix à vingt jours , et n’y avait point échoué cet éclaircissement calma nos craintes sans les dissiper entièrement. Pedero mangea de tous nos mets , et but plus de vin Que nous , sans en être affecté. A terre , nous l’en- tendlmes souvent chanter avec ses compagnons leur musique est plus variée que celle des isles de la Société et des Amis , et peut-être ce goût pour la musique est une preuve de leur sensibilité et de la bonté de leur cœur. Je fis conduire un verrat et une truie sur le rivage de l’anse , qui est derrière celle des Cannibales ; et tous les moyens que j’ai employés me font espérer que la race de ces animaux se multipliera enfin dans cette isle. Quoique nous n’eussions point vu les poules et les coqs que nous y avions déposés , je ne puis gu ères douter qu’elles n’y fussent encore ; car nous trouvâmes 3i 4 Second Voyage un œuf de poule tout récemment pondu dans les bois. Nous nous disposions au départ cette courte relâche nous avait fait découvrir dix ou douze espèces de plantes encore inconnues , et quatre ou cinq sortes d’oiseaux que nous n’avions point encore vus. Nous reinplimes des futailles de poissons qui s’y conservèrent très-bien , et beaucoup d’oiseaux. Les Indiens nous voyant partir, quittèrent aussi le pays pour regagner leur ancienne demeure avec les dons que nous leur avions faits , et qu’ils dispersaient bientôt autour d'eux pour acheter ou la paix , ou d’autres richesses qui leur plaisaient davantage. Nous pouvons assurer que ces peuples divisés , presque sans gouvernement et antropophages , connaissent cependant les sentiinens de bienfaisance et d’humanité. Avant de mettre à la voile , nous descendîmes encore à terre nous y vîmes une jeune fille chauffer des pierres , et les porter à une vieille qui les mit en monceau , les couvrit d’une poignée de céleri, puis d’une natte grossière , et elle se tapit elle-même par-dessus , ramassée comme un lièvre dans son gîte. Il nous parut que c’était un remède ; la vapeur du céleri peut en être un. Les poissons surent pour nous un excellent restaurant ; les plantes anti-scorbutiques , l’exercice , l’air vif, les beaux jours , raffermirent nos fibres relâchées par une longue campagne dans des climats chauds. Nous étions aussi sains, aussi forts que jamais. de Jacques Cook. 3i 5 Ce fut le 10 novembre, à la pointe du jour, que nous quittâmes ces lieux , poussés par un. vent du couchant je projetais de traverser l’Océan Pacifique, entre le 54 I e 55 e degrés de latitude , pour reconnaître les parages que nous n’avions pu examiner l’été précédent. Bientôt nous eûmes perdu de vue la Nouvelle Zélande ; les vents étaient constatas , nous savions, que nos longs travaux approchaient de leur fin , nous croyions déjà revoir l’Europe , et cette idée ajoutait à notre gaîté. Le 12 , on apperçut un poisson extraordinaire du genre des baleines j long de trnte-six pieds , sa tête était oblongue et écrasée, tracée par des sillons longitudinaux deux petites ouvertures en demi lune lui serraient d’yeux, et par-là il jetait de l’eau il était tout tacheté de blanc deux grandes nageoires sortaient de derrière la tête , mais il n’en avait aucune sur le dos ce poisson n’était point connu auparavant. Le 14, on s’apperçut d’une voie d’eau que nous avions faite dans le canal de la Reine Charlotte -, mais elle nous inquiéta peu , parce que l’eau ne montait que de cinq pouces en huit heures les vents d’ouest étaient très-violens , la mer était sillonnée d’énormes vagues , et le roulis du vaisseau nous paraissait très-désagréable ; il était de 3o à 38 degrés. Le ciel était souvent couvert ; des veaux marins , des pingoins, des goesmons se faisaient voir de tems en teins. Nous avancions avec rapidité, et dans un jour nous fi mes plus de soixante lieues ; aucune terre né 3 16 Se cond Voyage se montrait devant nous, et l’espérance d’en trouver s’évanouissait. Je résolus donc de me diriger vers l'entrée occidentale du détroit de Magellan , dans le dessein de suivre la côte méridionale de la Terre de Feu, jusqu’au détroit de Le Maire , parce qu’on ne la connaissait qu’impar- faitement. Le vent continua avec la môme force quelquefois il déchirait nos voiles , quelquefois il nous forçait à les ferler ; nos mâts se fendaient ; celui de perroquet s’abattit. Nous n’eûmos quelques heures de calme que le 1 décembre ; le vent, la pluie , la neige se succédèrent ensuite ; mais notre course en fut peu ralentie , et nous allions avec toutes les voiles que nous pouvions porter. Le 18 , nous découvrîmes la terre c’était la partie occidentale du détroit de Magellan. Cette traversée rapide nous fournit péu d’observations. Le poisson que nous avions salé , nous servit dans toute la route ; le saurkraut était aussi bon que jamais , mais la drêche avait perdu une partie de sa vertu , parce qu’on l’avait mise dans des tonneaux de bois verd. Nous longeâmes la côte cette partie de l'Amérique était d’un aspect triste ; elle semblait découpée en plusieurs petites islcs , qui, quoique peu hautes , étaient cependant très-noires et presqu'entièrement stériles. Par-derrièie , on voyait de hautes terres hachées et couvertes de neiges , presque jusqu’au bord de l’eau ; mais de grosses troupes de nigauds , des fauchets et autres oiseaux nous promettaient des rafraîchisseinens, si nous pouvions trouver un hâvre. D 2 Jacques Cook. 3i^ Nous dépassâmes une pointe de terre avancés qui présente une surface ronde , très-élevée et ressemblant à une isle ; nous lui donnâmes la nom de Cap Glocester près de lui la cote par à brisée par plusieurs goulets , ou composée d’isies la terre y est mon tueuse , rocailleuse , stérile , parsemée de touffes de bois , et de plaques de neiges. Plus loin est le cap Noir , rocher escarpé à la pointe d’une isle , détachée de la grande terre par un canal large d’une lieue près de lni sont deux islots de roc , puis la grande baie de Ste. Barbe , qui communique au détroit, selon Frezier , qui a bien décrit cette partie la pointe orientale de cette baie fut nommée Cap Désolation , parce qu’elle ost le commencement du pays le plus stérile et le plus affreux que j’aie jamais vu à quatre lieues plus au levant est un goulet profond , à l’entrée duquel sont plusieurs isles c’est à - peu - près ici qu’on place le détroit de Jdlouzell la terre y paraît par-tout hérissée de montagnes ét de rochers , sans la. moindre apparence de végétation. Des sommets escarpés y sont séparés par d’horribles précipices la nÿge couvrait les montagnes intérieures ; la côte y est semée de petites isles stériles. J’approchai d'un promontoire élevé qui semble se terminer en deux hautes tours , et en-dedans par un pain de sucre , ce qui lui fit,donner le nom d ^Cathédrale d’York des goulets se présentent ensuite , et des courans qui éloignent de la côte y annoncent des rivières ou des bras qui communiquent au détroit. Le tems était doux , quoiqu’aux environs du cap 3i8 S * C O V B Voyaob Horn ; au-delà nous vîmes les isles de St. ïlde* J fonse. Je voulus entrer dans l’un des ports c nombreux qui semblaient ouverts pour nous re- t ceroir , afin d’examiner la contrée , et de faire e du bois et de l’eau. J’approchai d'un canal séparé t en deux bras par une haute pointe de rocher ; p; j’entrai dans le bras oriental qui n’est point n embarrassé d'islots , et n’y trouvai point de fond b à cent soixante-dix brasses le calme survint ; je me fis touer par deux bateaux ; mais ils n’au- c raient pas suffi pour nous tirer de cette situation n désagréable , s’il ne s’était élevé une légère brise E Jacques Cook. 3ry partenait à la classe des oiseaux aquatiques qui marchent à gué , avait les pieds demi-palmés , et les yeux , ainsi que la base du bec , entourés de petites verrues ou glandes blanches ils exhalent une odeur qu’il est difficile de supporter. Les pingoins étaient de la grosseur d’une petite oie ; leur sommeil est si profond , que pour les réveiller , il faut les secouer à diverses reprises. Ils se défendirent avec courage et mordaient nos jambes ; quelques-uns que nous avions laissés pour morts , se relevaient et piétonnaient gravement derrière nous. Ces oiseaux , ces phoques sont là dans leur véritable climat ; ces derniers sont défendus contre la rigueur du froid par une grande quantité de graisse , et les premiers le sont par un plumage très-épais. Les jeunes oursins pouvaient seuls être mangés ; la chair des lionnes n’était pas mauvaise ; mais celle des lions ne servait que par l’huile que nous en tirions la fressure seule était mangeable. On revint me dire qu’on avait trouvé un bon port sur la côte , à trois lieues au couchant du cap St. Jean de petites isles remplies de lions de mer sont à son entrée , et il a une petite lieue de long, sur la moitié de large ; le fond y est de vase et de sable ; les côtes en sont couvertes de bois à brûler , et on y voit divers courans d’eau douce il y a un si grand nombre de mouettes qu’elles obscurcissent Pair ; elles jetent leur fiente comme pour se défendre j et en effet, sa puanteur est suffocante ; les oies, les canards, V 33o Second " Voyage de J. Cook. les chevaux coureurs y sont communs. Nous donnâmes à ce port le nom de Nouvel-dn. Dans de nouvelles excursions , nous primes de nouvelles espèces d’oiseaux parmi lesquels était un corlieu gris dont le cou était jaunâtre j et qui était un des plus beaux oiseaux que nous eussions encore vu. Bientôt après nous levâmes l’ancre pour nous diriger sur le cap St. Jean , rocher très-élevé , près duquel est un islot. A deux lieues au couchant de ce Cap est un canal qui semble un passage entre les mers opposées. Après l’avoir doublé , nous visitâmes la côte orientale ; mais des raff aies , des vents violens nous en éloignèrent , et croyant l’avoir assez bien reconnue pour ce qui intéresse la navigation ec la géographie , je m’en éloignai en gouvernant au sud-est. F J X IV F O X E II. y .£-* * ^ ’ - "/' 7 *- VOYAGES ÏÆ COOK iî t j a a s l J, i E Jacques Cook. 17 sur une de leurs pirogues. Après y avoir rempli dix pièces d’eau , il voulut se rendre dans le canal de la Reine Charlotte ; le vent ne le lui per-' mit nas forcé à demeurer , il raccommoda ses agrêts, fit du bois , et parvint enfin le 00 novembre 1770 à entrer dans le port où il ne nous trouva plus. Il se hâta de se réparer pour rejoindre le capitaine Cook qui ne devait pas être bien loin ; il fit le commerce avec les Zélandais , et le 17 décembre , il chargea Mr. Rowe , l’fm de ses officiers , d'aller avec le grand canot cueillir des plantes comestibles il devait revenir le soir , et ne parut point inquiet sur son sort, tantôt il supposait que la curiosité avait entraîné M. Rowe plus loin , tantôt que son canot avait été emporté à la dérive , où qu’il s’était brisé. Le lendemain , il envoya la chaloupe commandée par son lieutenant , M. Burney , pour les chercher il revint à onze heures du soir , et voici son récit u J'examinai soigneusement chaque anse qui se m trouvait sur ma route avec une lunette , et ne s, vis rien. Après-midi nous nous arrêtâmes sur -, la grève qui se prolongeait vers le haut de la -, baie orientale , pour faire cuire notre diiter -, là nous vîmes un Indien qui courait le long du -, rivage au fond de la baie ; nous y allâmes, tt -, y vîmes une bourgade Zélandaise des insu- -, laires descendirent sur les rochers pour nous » faire signe de nous en retourner ; mais n us 2, n’y fîmes point attention arrivés sur la grève r u nous y trouvâmes six grandes pirogues et beau- ?, coup d’habitans ; je descendis à terre avec six Tome III, B i8 Second Voyage » soldats de marine j’examinai les habitations, » et n’y trouvai rien qui put me donner du » soupçon des sentiers bien battus conduisaient >, à d’autres maisons dans les bois mais reçu 33 comme ami , rien ne m’excitait à faire de 33 nouvelles recherches. Revenu sur la grève, 3 , j'y trouvai un Indien avec un paquet de pi- 93 ques , et quelques-autres qui paraissaient ef- 3 s frayés. J’examinai les environs , je ne vis ni 33 chaloupe , ni pirogues , rien enfin qui pût 33 m’instruire j’y tirai des coups de fusil , on 33 n’y répondit pas je rangeai la côte , et arrivai 3» à une autre bourgade où je ne pus rien ap- 33 prendre de ce que je desirais savoir. Plus loin , 3 » près de l'anse de l’herbe , je vis une grande 33 double pirogue échouée , d’où deux hommes 33 s’enfuirent nous allâmes à terre , et là , nous 33 trouvâmes des débris du canot, des souliers et 3» un morceau de viande fraîche que je crus être 33 du chien nous ouvrîmes une vingtaine de 33 paniers placés sur la grève , fermés avec des 3 cordes les uns étaient remplis de chair rôtie , 33 d’autres de racines de fougères plus loin, nous 33 trouvâmes un plus grand nombre de souliers, 33 puis une main que nous reconnûmes être celle >3 de Thomas Hill, parce qu’elle avait les lettres 33 initiales de son nom tatoués à la manière d’O- 33 taïti. Nous étions occupés à fouiller avec un 33 coutelas un espace rond nouvellement cou- » vert de terre , lorsque j'apperçus beaucoup 33 de fumée s’élevant par-dessus la colline voi- 33 sine je fis rentrer mon monde à bord, et me de Jacques Cook. 39 » hâtai de continuer mes recherches avant la » nuit. » / » A l’ouverture d’une anse voisine de celle 33 de l’Anse , je vis des pirogues et un grand 33 nombre d’indiens qui, à notre approche , se 33 retirèrent sur une petite colline voisine de la 33 mer la haute terre avait un grand feu au 33 sommet, derrière les bois, et de-Ià , jusqu’à 33 la colline, tout était rempli d’indiens je tirai 33 un coup sur les pirogues où je craignais qu’il 31 n’y eut des hommes cadrés , parce qu’elles 33 étaient à flot ; il n’en sortit point les sauvages 33 nous invitaient à quer ; mais enfin voyant que nous ne pouvions - espérer que la triste satisfaction de tuer quel- -, ques hommes , j’y renonçai; d’ailleurs la pluie » avait mouillé nos provisions militaires , nos » provisions de bouche étaient consumées ; et nous avons déterminé de ne plus nous ar- » rêter cependant en passant entre deux isles rondes , nous avons cru entendre une voix » qui nous appellait , et suspendant nos rames , » nous avons prêté l’oreille , mais aucun bruit n^est venu les frapper. Telle est l’histoire de ce funeste événement. Quelques querelles , ou l’occasion favorable présentée aux Indiens , ou le mépris de nos armes à fen qu’il fallait charger de nouveau après avoir tiré , amenèrent le carnage et peut-être après cette victoire barbare , il y eut une assemblée générale sur le côté oriental du canal. Les vents nous forcèrent à demeurer encore quatre jours , et durant cet intervalle , le capitaine Furneaux iFspperçut aucun habitant en d’autres teins il n’avait jamais apperçu d'insulaires dans l’anse où M. Burney en avait vu 1000 ou 2000 rassemblés. Il sortit enfin du canal ; mais le vent le retint trois jours sur la côte le teins était froid ; le vaisseau était bas et chargé , la mer le couvrait de Jacques Cook. 21 sans cesse de ses ondes , et l'équipage était toujours dans l’humidité. Un vent plus favorable le mit en pleine mer ; dans un mois il fut à la hauteur du Cap Horn les provisions étaient gâtées , et il lui devînt nécessaire d’atteindre promptement le Cap de Bonne-Espérance, il y marcha en traversant un archipel mouvant d’isles de glace , sur-tout dans la parallèle où l'on place le Cap de la Circoncision qu’il cherchait à retrouver , mais qu’il n’apperçut point. Le 17 mars , il découvrit le Cap de Bonne-Espérance , il y mouilla , et s’y radouba. Après y avoir séjourné près d’un mois , il partit pour l'Angleterre* Lèverions à nous. Nous fûmes reçus du gouverneur et des habitans avec la plus grande politesse les Hollandais sont plus obligeans au Cap que par-tout ailleurs, et y sont toujours bien fournis de rafraichissemens tous les oLiciers s’établirent à terre, et nous, y jouîmes de quelques plaisirs qui nous délassèrent des fatigues de notre long voyage. Le temsy était d’une chaleur excessive , et ceux qui se livrèrent à leur voracité furent incommodés pendant tout le tems que nous y demeurâmes Il nous sembla voir cet établissement dans un état plus florissant que deux ans auparavant. Je m’y procurai d’abord du biscuit frais , de la viande fraîche , des légumes , du vin , qui redonnèrent bientôt des forces à l’équipage ; il n’y eut que trois malades qu’il fallut transporter à terre, il fallut encore renouveller presque tous nos mâts et nos ver- B 3 *2 Second V o y a o e , réparer nos voiles et nos agrêts , et cela n’est pas étonnant, puisque nous avions fait deux mille lieues toutes ces provisions navales me furent vendîtes à un prix exorbitant on v abuse un peu de la nécessité où l’on se trouve de les y acheter. Nous trouvâmes an Cap de Bonne-Espérance, l’Ajax commandée par M. Crozet , homme de talent, et qui possède du moins celui des découvertes. Il me montra celles qu’il avait faites dans la mer du Sud , et je fus étonné de n’avoir pu les retrouver, en suivant la même route. Il m’apprit aussi que M. de Surville ayant pris une cargaison dans les Iules Orientales , avait passé par les Philippines , et découvert des terres voisines de la Nouvelle-Brétagne auxquelles il donna son nom qu’il avait rencontré l’extrémité septentrionale de la Nouvelle Zélande , et relâché dans la Baie douteuse ; qu’il en était parti pour l'Amérique , et avait atteint Callao où il s’était noyé. Comme il passa entre la Nouvelle-Hollande et la Nouvelle - Callédonie , il détruisit la conjecture que j’avais formée , que des chaînes de roc s’étendaient de l’un de ces lieux à l’antre. Nous finies une excursion Falsebay la chaleur y avait desséché toutes les plantes quelques- unes cependant y étaient encore en fleur; les chemins y sont très-mauvais, formés de monceaux de sable et de monceaux de pierres; nous y vîmes des perd ix qu’on y apprivoise avec facilité le pays est presque désert , ses environs sont sauvages; de Jacques Cook. 2Z L’aspect des montagnes y est moins sombre ; elles sont embellies par une multitude de plantes et une grande variété d’oiseaux , et de nombreuses troupes d’antilopes , dont les unes habitent des rocs inaccessibles , et les autres se tiennent dans de petites broussailles semées dans les cantons unis. La baie de St. Simon est la partie du Fal- sebay où les vaisseaux sont le mieux a i abri des vents du nord-ouest qui y régnent pendant l’hiver on y peut avoir de l’eau et des provisions on y prend aussi de très-bons poissons. Nous vîmes au Cap un ourang-outangqui venait de Java il avait deux pieds six pouces de haut, et se tramait toujours à quatre , quoiqu’il put se tenir assis et marcher sur ses jambes de derière ses doigts des mains et des pieds étaient d’une longueur remarquable , ses pouées très-courts , son ventre proéminent et sa face hideuse son. nez ressemblait plus au nez d’un homme qu’à celui des autres singes. Pendant que nous étions dans le port , nous en vîmes sortir ou entrer plusieurs vaisseaux anglais , Suédois , Français , Danois , Espagnols ces derniers n’y relâchent que depuis peu. Mon vaisseau ayant été calfaté avec soin , nous retournâmes à bord , mais le docteur Sparmann resta au Cap, d’où il pénétra fort avant dans l’Afrique t nous nous en séparâmes avec regret. Nous mimes à la voile pour no as rendre à Ste. Hélène. Nous passâmes entre p'ïsle Robben et l’Afrique ; la première est un cri-ir sablonneux et stérile , où la Compagnie Ilollaiadaise relègue B 4 / 24 Second Voyage les coupables , et souvent les innocens qui lui l’ont ombrage. Quelques jours api ès , on trouva un homme cache dans la cal le où l’un des quar- tiei's-maîtres le nourrissait, en retranchant à ses propres besoins. C’était un Hanovrien enlevé de force , et qui n’avait trouvé que ce moyen d’échapper à un service auquel on l’avait condamné malgré lui ; quoi pie son action ne pût être blâmée , qu’on ne pût qu'estimer celui qui l’avait nourri , les loix obligèrent de donner à l’un et à l’autre douze coups de fouet. Cette punition n’influa point sur nos sentimens, et bientôt l’IIanovrien se fit aimer de tous par son zèle et son activité. Aidé de la montre de M. Kandail , j''avais entrepris une traversée directe à Sainte-Hélène , et je ne m’en repentis pas ; nous la découvrîmes le j 5 mai, et y jetâmes l’ancre le 1 6 ; j’y reçus tous les services que je pouvais désir er. La ville est enfermée par une montagne escarpée , plus brûlée , plus sauvage que l’isle de Pâques ; mais au fond de la vallée , on voit des collines revêtues de verdure on débarque sur des escaliers qui s’étendent jusqu’aux bords de la mer j il y a plusieurs portes à ponts-levis , et une batterie considérable qui fait face à l’esplanade ornée d’une belle promenade de bananiers. La maison du gouverneur est commode derrière est un jardin avec dein. Nous parcourûmes la ville de Fayal , ou villa de Horta elle est pavée de grandes pierres assez propres, parce cju’on y marche peu les maisons sont uniformes , ayant des balcons avancés et des toîts plats, elles ' sont garnies de jalousies sans fenêtres de verre ; derrière , les collines sont ornées de belles maisons , de jardins, de bocages, de diffërens bâtimens qui annoncent une grande population et l’abondance. Nous v vîmes la mère d’un des malheureux que les Zélandais avaient mangé en nous voyant , elle versa un torrent de larmes, et son de Jacques Cook. et son affliction était si profonde , si pathétique , si intéressante , qu’elle nous attendrit tous. Combien de mères déplorent ainsi la perte de leurs lils , et maudissent la folle activité des humains 1 Nous fîmes une promenade sur les collines les champs nous parurent bien cultivés et en bon état près des maisons , nous vîmes des champs de concombres , de gourdes , de melons ordinaires et de melons d’eau ; les vergers fournissent des citrons, des oranges , des prunes , des abricots, des figues , des poires et des pommes il y a peu de choux , les carottes y dégénèrent et blanchissent, on y plante beaucoup de patates qu’on vend ; l’oignon , l’ail sont les légumes favoris des habitans, les fraises y sont abondantes. Les chevaux y sont petits ; les mulets et les ânes y sont plus nombreux et plus utiles les chemins y sont bons, les chariots lourds, les roues pesantes et grossières, l’axe qui tourne avec elles est mal façonné. Les habitans ont des traits assez doux , leurs vêtemens sont agréables; les femmes se couvrent la tête d’un manteau qui ne laisse d’ouverture que pour les yeux. Dans les boccages , le myrte prospère au milieu des trembles , des bouleaux ou des hêtres qui ont .donné leur nom Portugais Payai à l’isle. Parmi les oiseaux , on remarque une prodigieuse quantité de cailles, de beccasses d’Amérique , une espèce de faucons que les Portugais nomment Açores , et de là est venu le nom générai de ces isles. On y recueille du lin qui est long Tome III. C 3 4 Second Voyage et de bonne qualité on en sait des toiles grossières. Un gouverneur et un évêque président sur toutes les isles Açores ce dernier a un revenu de vingt-sept mille livres. Chaque isle a un Capitan-Mor qui a l’inspection sur la poliae , la milice , les revenus du roi, et un juge assez occupé, parce que les habitans sont chicaneurs on appelé de son jugement au tribunal de 1er- cère , et de celui-ci à Lisbonne. Le dixième de toutes les productions y appartient au roi le monopole du tabac rapporte une somme considérable à la couronne. Disons un mot de chacune de ces isles. Cono est la plus petite et ne contient que six cents liabitans, occupés à la culture du bled, et à nourrir des cochons. Flores est plus grande , plus fertile , plus peuplée ; on y exporte annuellement six cents muits de bled , et beaucoup de lard. L’équipage d’un vaisseau Espagnol qui se brisa sur ses côtes , y répandit la maladie vénérienne , et tous les liabitans en sont infectés. Il semble que pour expier leur crime , les Espagnols aient voulu y bâtir une église qui est la plus belle des Açores. Payai est une des plus grandes de ce groupe du levant au couchant elle a neuf lieues ; du* nord au midi elle en a quatre. On y méprise les sciences. On y mit un impôt léger sur le vin , pour fournir à l’entretien de trois professeurs qu’on y voulait établir ; mais dès qu’on eut l’ar- de Jacques Cook. 35 gent il fut employé à d’autres objets il n’y a point d’éeoles publiques pour les enfans il y a aussi un impôt de deux pour cent sur toutes les exportations, dont le produit était destiné à l’entretien des fortifications ; il se perçoit, et les murs , les batteries tombent en ruines sans qu’on y fasse attention. Pico tire son nom d’une liante montagne souvent couverte de nuages ; c’est la plus grande , la plus peuplée des Açores on y compte trente mille habitans elle est couverte de vignes elle tire son bled de Fayal qui en reçoit le vin qu’elle consomme. La saison des vendanges n’y semble qu’une longue fête ; le vin en est verd , mais agréable ; il a du corps et le temps l’ameliore. St. George est petite, étroite , escarpée , très- élevée , habitée par cinq mille âmes qui cultivent le bled et la vigne. Graciosa a des pentes plus douces ; elle est pins petite et ne renferme que trois mille âmes le bled est sa principale richesse son vm est mauvais ces deux isles ont des pâturages , et on en exporte du fromage et du beurre. Tercere est la seconde de ces isles par la grandeur , et la première parce que le gouverneur général y réside on y compte vingt mille habitans le bled e t du vin sont ses principales productions. St. Michel est etendue , fertile , peuplée on y compte vingt-cinq mille habitans on n’vvoit pas de vignes , mais beaucoup de champs de bled C a 36 Second Voyage et de lin avec ce dernier on fabrique des toiles donton charge annuellement trois vaisseaux pour le Brésil. Sainte Marie est la plus orientale des Açores elle a des bois de construction , est riche en bled , fabrique de la poterie et nourrit cinq mille habitans. Revenons à Payai où l’on compte quinze mille aines la ville est défendue par deux châteaux et un rempart de pierre qui s’étend de l’un à l’autre ; ils n’ont d’autre effet que d’aggrandir la perspective de la ville elle n’a point de bastions particuliers qui soient remarquables ; mais elle a plusieurs couvons et 8 églises dont une fait partie du college qu’habitèrent les jésuites , il est placé sur une élévation dans la partie la plus agréable de la ville les autels sont de bois de cèdre qui répand son parfum dans l'église. Une colline qui est à trois lieues de la ville , renferme une profonde vallée circulaire de deux lieues de tour la pente de ses flancs est uniforme et revêtue d’herbes abondantes qui nourrissent des moutons presque sauvages ; on y voit un petit lac profond de quatre à cinq pieds , sur lequel nagent une multitude de canards. Ce lieu est appelé la Chaudière à cause de sa figure , et parait avoir été le cratère d’un volcan. Il y a d’autres volcans dans ces isles ; 011 y éprouve souvent aussi des tremblemsns de terre cependant l’air y est sain et tempéré , l’hiver y est doux , agité quelquefois de vents impétueux , troublé par des pluies fréquentes , mais il n’y gele point, et la de Jacques Cook. 3 7 neige ne se montre qu’au sommet du Pic r le printems , l’automne y sont délicieux ; une partie de l’été est très-agréable encore, pare qu’une jolie brise y vient rafraîchir l’air. On peut s’y procurer des légumes , des fruits, des boeufs, des cochons très-bons , des moutons petits et maigres , de la volaille ; mais excepté le vin , ces provisions ne se gardent pas longtemps en mer. Outre la rade où nous étions , il en est une autre appelée Porte-pierre , où deux vaisseaux peuvent être en sûreté. La latitude de Fayal est de 38 degrés, minutes ; sa longitude de 348 degrés 5 a minutes. Je quittai cette isle le 19 juillet, et cinglai vers l’Angleterre. Le 29 , nous découvrîmes Ply- mouth, le lendemain nous mouillâmes à Spi» thead , et je descendis à Portsmouth après une navigation de trois ans et dix-huit jours , pendant laquelle je ne perdis que quatre hommes , desquels un seul mourut de maladie. 38 Appendice sur ea vie APPENDICE SUR LA VIE DE JACQUES COOK. Les voyages qu’on vient de lire doivent avoir inspiré assez d’intérêt pour celui qui les dirigea, pour faire désirer de connaître sa naissance, ses premières aventures , les honneurs qu’il reçut, et un précis des derniers travaux par lesquels il a terminé sa carrière. Nous allons satisfaire le désir des lecteurs par un précis rapide de la vie de ce célèbre navigateur. Jacques Cook naquit à Marton , village de la province d’York , dans le comté de Durham , le 27 octobre 1728. Son père , sa mère étaient domestiques d’un fermier ; mais ces domestiques se distinguaient par leur honnêteté, leur sobriété, leur constance dans le travail. Ils eurent neuf enfans , et Cook fut élevé comme devait l’être le fils d’un valet de ferme, père d’une nombreuse famille la maîtresse d’école de son village lui apprit à lire il avait huit ans lorsque son père fut établi dans la ferme d’Airy-Hohne , dont le possesseur fit apprendre à écrire au jeune Jennny dans l’ecole d’Ayton. A peine entré dans sa treizième année , il de Jacques Cook. 3 des- temps ou montres marines, et des jeunes-gei s capables de faire des cartes , des plans et des D 2 5 % Appendice sur la vie de J. Cook. vues. Nous laisserons parler Jacques Cook en Fabrégeant ; les récits en sont plus intéressait- et souvent plus fidèles. 53 [en SEI TROISIEME VOYAGE DE JACQUES COOK. Ne ous mimes à la voile le 11 juillet 1776, avant la Découverte, et craignant de manquer de provisions fraîches , je résolus d’aborder à l’isle 1e- nerisse. Nous la découvrîmes le 3 i du même mois, et y jetâmes l’ancre le lendemain dans la rade de Sainte-Croix. J’achetai des graines , des bestiaux', et des provisions pour les nourrir tout y est moins cher qu’à Madere, et il est facile d’y charger et décharger par le moyen cl’un mole. Le Pic peut servir de méridien commun aux nations de l’Europe ; il est sous le 28-w- degré r8 minutes de latitude septentrionale, et sous le i6 tine dégré 3 o minutes 22 secondes , à l’ouest du méridien de Greenwich. Ce Pic n’a pas un aspect imposant, parce jqu’il n’est que la plus haute des montagnes qui l’entourent. Sa hauteur est encore incertaine Herberdeen la fixe à 1 5 , 3^6 milles anglais , et Mr. de Borda à 12,340 de ces mêmes pieds. Le sol descend de son sommet au bord de la mer vers Sainte-Croix , par des gradations quine sont point interrompues, par des coupures ou des précipices; au levant de Sainte-Croix l’isle paraît stérile; son sol brûlé produit beau- D 3 54 Troisième Voyage coup d’euforbe succulente; les collines voisines de la mer y offrent l'aspect d’une rangée de cônes la base du sol y semble être une pierre compacte , pesante et bleuâtre, mêlée de quel- quespai ticuiesbi illantes; le soleil brûle sasurlâce dans les par ties élevées et découvertes, la pluie en entra rie les parties calcinées, et l’ajoute à la terre cultivable. Sainte-Croix est une petite ville assez bien bâtie; ses églises sont modestes au dehors , décentes au dedans , les maisons en sont commodes; une belle colonne de marbre s’élève en face du môle; le gemeinem- des isles Canaries y réside , mais les riches habitent La nun a , où les principaux tribunaux sont établis cette dernière est grande, mais irrégulière, bâtie comme un village étendu , semée d’assez jolies maisons ; elle se dépi uple , et Sainte-Croix s’augmente à ses dépens. L’isJe nourrit peu de chevaux , mais plus de mules , et diverses espèces d’oiséaux et d’insectes connus en Lu ope;on y voit un arbrisseau qu’on croit être le même que celui qui donne le thé au Japon et à la Chine; une espèce de limon qui en i enferme un autre , et une sorte de raisin e\ celle ni pour la phtysie son commerce consiste principalement en vins , dont on exporte annuellement de ,nate à quinze mille pipes ; on y fait de l’eau de vie estimée , et un peu de soie elle ne produit pas assez de bled pour nourrir ses ha- bitans qui paraissent y être an nombre de cent mille atnes. Les Guanches, ouïes habitans ori- de Jacques Cook. 55 gïstaires de l’isle , se sont presque tous mêlés aux Espagnols j les hommes y sont de haute taille et d’une charpente solide ; leur teint est basané , celui des femmes l’est moins ; mais elles sont pâles. Cette isle n’a point éprouvé de tremblemens de terre , ni d’éruptions de volcan depuis celle de i3o4 j qui combla le port de Garrachia de laves , sur lesquelles on voit aujourd’hui des maisons. Nous partîmes de Teneriffa le 4 a °ût, et six jours après nous vîmes l’isle de Bonaviste, près de laquelle nous eûmes à craindre de donner contre un écueil ; le 12 nous vîmes celle de Mayo qui n’offre que des vallons, des collines d’une couleur brune et inanimée , où rien n’annonce de la végétation. Ea chaleur était étouffante lorsque nous traversâmes ces parages ; le ciel avait toujours cette blancheur terne qui semble tenir le milieu entre la brune et le nuage; en général, rarement jouit- on d’un ciel serein entre le Tropique , le soleil y est d’un aspect plus pâle que dans nos climats , effet d’une vapeur salutaire qui tempère l’ardeur de ses rayons. Cette chaleur ouvre les vaisseaux et propage les fievres , si l’on n’est pas actif pour les prévenir.. Nous vîmes S. Yago le lendemain , et ne nous y arrêtâmes pas. Je fis une expérience avec le thermomètre qui à la surface de la mer se tenait à soixante-dix-neuf dégrés, et descendit au soixante-six à la profondeur de soixante-dix brasses ; elle sembla aussi prouver que l’eau est plus salée à cette profondeur qu’à la surfaée. Nous. D 4 .56 Troisième Voyage approchâmes des côtes du Brésil , dont la longitude est mal déterminée encore; nous apperce- vioris divers oiseaux de mer, et nous primes un noddie cet oiseau est un peu plus gros que le merle ; il est noir , à d’exception du haut de sa tête qui est blanc; il semble avoir une chevelure poudrée les plumes blanches commencent à la racine du bec supérieur , se prolongent , et prennent une teinte brunâtre vers le milieu de la partie supérieure du col, où paraît la couleur noire qui le recouvre partout ailleurs; il a les pieds palmés , les cuisses noires , un long bec de la meme couleur , et semblable à celui du courlis. Un vent frais nous fit jeter l’ancre au Cap de Bonne - Espérance le 17 octobre, où j’attendis la Découverte qui ne nous avait pas joint encore, et qui n’arriva que le 20 novembre. Nous calfatâmes nos vaisseaux , nous limes provision, de biscuits , de moutons dont la queue est si grasse , qu’elle se vend autant que le corps entier d’un mouton d’une autre espèce; j’y ajoutai deux jeunes taureaux , deux genisses, deux chevaux entiers, deux juinens, des brebis , des chèvres, des lapins , et de la volaille. Nous fîmes peu d’observations nouvelles dans ce lieu la laine qu’on y recueille est mauvaise , on y manque de b as pour les manufactures , et la population ne -s’y entretient guères que par des esclaves; la police y est moins bonne que les Hollandais ne le disent. Le StcUenbosh qui est le meilleur établissement du Cap , n’est qu’un village d’une ti en- de T acquis Cook. 5j taine de maisons, situé au pied d’une chaîne de hautes montagnes ; de gros chênes y donnent de l’ombre , et em belassen t les déserts qui l’entourent 5 près de lui sont des vignes et des vergers ; l’air y est très-serein. Drackenstein , autre établissement , est situé à-peu-près de même ; on y voit plus de petits atbres et d’arbrisseaux. Près de là est un roc de granit différent de celui des montagnes voisines , ayant demi mille de tour et trois cents pieds de haut. On l’y appelé la Tour de Baby lotie , ou le diamant de la Perle. Après avoir donné mes instructions au capitaine Clerke , nous partîmes du Cap de Bonne- Espérance le l’décembre , et je cherchai encore les isles vues par MMrs. Marion et Crozet ; en chemin j’observai des flots d’une couleur rougeâtre 5 j’y fis puiser et trouvai l’eau remplie de petits animaux rouges qui avaient la forme des écrevisses ; des vagues très-hautes , un froid assez vif fatiguèrent nos bestiaux et en firent périr plusieurs , sur-tout des mâles ce fut le 12 , que je découvris les isles que je cherchais ; les navigateurs Français n’en avaient vu que quatre, elles sont au nombre de six ; la plus septentrionale qui a neuf lieues de tour , est sous le 46 e . dégré 40 minutes de latitude méridionale , sous le 38 e. degré 8 mimrtesEst de Greenwich ce qui revient au 55 e . dégré 36 minutes 5 secondes du méridien de l’isle de Fer. La plus grande de ces isles a quinze lieues de circonférence , c’est la plus méridionale. Je laissai aux quatre isles qui 58 Teoisieme Voyage avaientété découvertes par Mrs. MarionetCrozet, le nom de ces navigateurs , et donnai aux deux autres le nom du prince Edouard. Les montagnes de ces isles sont élevées , stériles , couvertes de neige ; au bas, il y a des arbres et des arbrisseaux ; ailleurs le sol paraît couvert d'une espèce de mousse et d’une herbe grossière , semblable à celle des isles Falkland. Je traversai un détroit formé par ces. isles, et cherchai la terre découverte par Kerguelen , située sur une ligne tirée du Cap de Bonne-Espérance à la Nouvelle-IIollande. Je découvris le 2 .f une terre ; c’était une isle fort haute et d’environ trois lieues de tour •, bientôt nous en viines plusieurs autres ; je voulus descendre dans l’une d’elles ; mais un ciel obscur , enveloppé de brouillards , rendait cette entreprise dangereuse ; nous pouvions heurter des écueils ; et les vagues agitées , le vent qui nous poussait sur le bord , ne nous auraien t plus permis d’en sortir ; la prudence m’obligea de m’éloigner. A peu de distance , j’en vis une nouvelle encore ; c’était un rocher élevé et circulaire qui paraît être l’isle appelée Rendez-vous , par Mr. Kerguelen 1 , et ne mérite ce nom que pour les oiseaux. Plus loin , je découvris une terre plus étendue 5 c’était celle que je cherchais nous cinglâmes vers un golfe qui semblait s’ouvrir de- j Ce capitaine Breton avait découvert aussi les isles précédentes; voyez ses Voyages. de Jacques Cook. 5g Tant nous ; mais bientôt je m’apperçus que je m’étais trompé , et je doublai un cap auquel ceux qui avaient déj à vu cette terre, donnèrent le nom de Cap Français, et derrière lequel je découvris un havre 5 le calme me força de jeter l’ancre à son entrée ; la sonde nous apprit qu’il était sûr et commode; et la chaloupe qui se rendit au bord, m’annonça qu’on y trouvait de l’eau douce , des veaux marins , des pingouins et d'autres oiseaux; mais qu’on n’y trouvaitpasde bois. J’entrai donc dans le liâvre, et descendis pour visiter le pays. Le rivage était couvert de pingoins , de veaux marins si peu sauvages que nous en tuâmes sans peine autant que nous le voulûmes , leur graisse nous servit comme l’huile à divers usages il fut facile encore d’y faire notre provision d’eau ; mais nous n’y trouvâmes pas un arbre , pas même un arbrisseau, et il y avait peu de gramens. De la mer, les collines paraissaient d’une verdure riante ; on espérait y faire une riche collection de plantes , et l’on n’y en trouva que d’une seule espèce. On découvrit une bouteille dans laquelle était une inscription latine qui m’apprit que ce port était bien celui où était descendu Mr. de Kerguelen. J’y en mis une à mon. tour, pour constater la visite que je venais d’y faire. Le havre où nous étions entrés est facile à reconnaître, par le rocher élevé et percé de part en part qui est à sa pointe méridionale, et par un roc énorme qui repose sur une colline près Troisième Voyage du fond , qui s’élève insensiblement , et forme on monticule sur lequel est un grand lac d’eau douce la plus grande largeur du havre est d'environ mille toises , sa moindre de quatre cents; sa prosondeurvarie, mais par-tout il offre un fond de sable noir, par-tout un vaisseau peut y être en sûreté. Je résolus de visiter cette terre avec exactitude ; j’en sortis par un temps serein , et nous avançant la sonde à la main , je trouvai un autre cap que je nommai Cumberland , devant lequel est une petite isle élevée, au sommet de laquelle était un rocher que sa figure me fit nommer la Guerite je passai entr’elle , d'autres isles et la terre , et vis une baie que j’appelai du nom du cap plus au midi , il en est une autre qui, décorée de rochers blancs dans sa profondeur, fut appelée Laie blanche par-tout le pays nous parut nud et stérile , et le rivage couvert d’oiseaux. Nous continuâmes notre route; mais bientôt nous apper- çumes que la mer était devant nous couverte de vastes lits d’algues; ces plantes croissent sur les rochers au fond de la mer , etil est toujours dangereux dépasser dessus l'espace qu’elles remplissent , sur-tout quand la tranquillité de l’eau ne fait point découvrir au loin les écueils ; j’enfilai les canaux tortueux que ces lits d'algues laissaient découverts, toujours précédé de la sonde qui ne cessa point de nous donner une profondeur de soixante brasses cette circonstance qui peut rassurer en d’autres cas , augmentait mes allarmes , parce qu’il était impossible d’éviter le de Jacques Cook. danger en jetant l’ancre. Enlîn , un grand rocher caché sous l’eau, suspendit notre course. La terre était bordée d’isles basses, de rochers et de bancs de plantes marines ; nous essayâmes d’y pénétrer ; mais ils augmentèrent encore notre embarras ; je voulus m’en délivrer en m’éloignant de la terre, et j’accrus encore le danger qui nous environnait. La nuit s’approchait, le ciel se couvrait d’épais brouillards, et je ne vis de ressource que dans quelque baie à couvert des vents. Heureusement nous en trouvâmes une , je me hâtai d’y entrer, et bientôt nous eûmes lieu de nous en féliciter. Un vent impétueux s’éleva, il agita la mer , et nous eut brisé sur des écueils, si nous y eussions été encore ; mais nous n’avions point à le craindre dans le port où nous étions à l’ancre, et il chassa les brouillards qui nous y aurait dérobé la vue du pays que nous voulions visiter et de la mer par laquelle nous voulions nous échapper. Nous parcourûmes le pays, il était stérile et désolé , et rien n’arrêta notre marche que les précipices formés par les cavernes des rochers ; je vis que je ne pouvais y laisser de quadrupèdes sans les y faire périr de faim. Ce lieu ne peut être habité que par les animaux qu’on y trouve, c’est-à- dire par les veaux marins , les canards, les nigauds , les pingouins je donnai à l’anse où nous étions le nom de ces derniers. Nous partimes le lendemain, et franchîmes plusieurs lits d’algues où l’on trouva souvent vingt-quatre brasses dp profondeur ; à trois ou t>a Troisième Voyage quatre lieues du rivage, nous trouvâmes la mer libre et profonde. Nous reprimes là notre route ; nous vîmes une terre élevée et unie , dominée par une colline en pain de sucre que je nommai Mont-Campbell , derrière lequel on découvrait de hautes montagnes dont les rocs stériles sont surchargés de neige , et séparées par des vallées, dont la pente n’est formée que par les débris des monts. Plus au levant, la terre basse se prolonge, et forme une pente que je nommai Digby } c’est la pointe la plus orien taie delà terre de Kerguelen je m’en approchai, mais ne pus y jeter l’ancre j le vent nous portait au-delà , le long de la côte qui tourne ici entre le couchant et le midi. A cinq lieues de la pointe Digby , j’en découvris une seconde, c’est la plus méridionale de cette terre basse, et je lui donnai le nom de Charlotte. Plus loin, le terrain devient montueux $ il nous offrit un canal profond, dont l’ouverture est embarrassée de petites isles, et qui en sépare une grande de la terre que nous venions de visiter. Je n'allai pas bien loin encore pour me persuader que la Terre de Kerguelen ne fait point partie d’un Continent, qu’elle n'est qu’une isle qui du sud au nord ne peut guères avoir plus de trente lieues , et environ deux cents lieues de tour. Cette isle est la plus stérile de celles qu’on a découvertes dans les mêmes latitudes ; une espèce de saxifrage qui croît en larges touffes sur les flancs des collines, en fait presque seule toute la verdure ; on n’y trouve à brûler qu’une espèce de Jacques Coole. 63 de tourbe qu’on n’a point essayée ; dans de certaines fondrières, on voit çàet là une plante qui ressemble à un petit chou en fleurs ; les siennes forment de longues têtes cylindriques ; elle a le goût âcre des anti-scorbutiques , et me parut une plante nouvelle; j’en aurais apporté delà graine, si elle eut été mûre au bord des ruisseaux on voit deux autres plantes, l’une semblable au cresson de jardin; l’autre est petite , et a un goût doux ; mêlée à l’autre , nous en finies de la salade ; çà et là on trouve quelques autres plantes , mais en général, on peut croire que la Flora de cette isle ne renferme pas au-delà de dix-huit plantes. Le seul quadrupède que nous y vîmes, est le veau marin , si on peut lui donner ce nom ; mais on y trouve plus d’oiseaux de mer le canard y a la grosseur d'une sarcelle , et fournit un bon mêts ; il se montre sur le flanc des collines ; le péterel damier , le bleu , le noir n’y sont pas en grand nombre ; le second semble se creuser des terriers , celui qu’on y voit plus communément est le grand péterel, qui a le plumage brun , le bec et les pieds verdâtres ; il y vit de phoques et d’oiseaux morts ; l’albatrosse grise , le grand al- batrosse qui est le plus commun, et un plus petit qui a la tête noire , se voyent aussi dans cette triste contrée ; mais moins fréquemment que les pingouins , dont le plus grand a la tête noire, la partie supérieure du corps d’un gris de plomb , l’inférieure d’un beau blanc, et les pieds noirs; deux larges bandes jaunes descendent des deux 64 Troisième Voyage côtés de la tête , le long du cou, et se rencontrent sur la poitrine ; son bec est long et rougeâtre il en est deux autres espèces bien moins grandes ; l’une a sur le haut de la tête une tache blanche , le dessus du corps est d’un gris noirâtre , le bec et les pieds sont d’un jaune pâle ; l’autre longue de deux pieds, large de vingt pouces , a le cou et le dessus du corps noirs, le reste est blanc; sa. tête est ornée d’une arc jaune qui finit de chaque côté par des plumes molles que l’oiseau redresse. Ce dernier ne semêlepoint avec les autres, On y a vu encore deux espèces de nigauds , la corbine d’eau , ou petit cormoran , et un autre, blancsousleventre, noir Sur le dos qui se retrouve à la Nouvelle Zélande, à la Terre de Feu, et à l’isle de Géorgie. Ces isles fournissent aussi des hirondelles de mer , des poules du port Egmont , et un oiseau de la grosseur du pigeon qui forme des volées nombreuses ; il est blanc ; son bec noir a la base recouverte d’un bourlet de corne , ses pieds sont blancs , et semblables à ceux du courlis. Le poisson n’est pas abondant sur les rivages , nous n’y vimes qu’une espèce inconnue de poissons de la laide d’une petite merluche il ale museau alon- gé , la tête armée de fortes épines , les rayons des nâgeoires de derrière longs et très-forts , le ventre gros ; son corps n’est pas couvert d’écail- les. Nous y vimes quelques moules , quelques lé- pas , quelques étoiles et anémones de mer. Cette terre , par les éboulemens dont elle offre les traces, paraît avoir essuyé des commotions »* Jacquss Cook. £ S lions violentes les débris des rocs y sont entassés çà et là , et les collines sont fendues et crevassées de gros torrens qui murmurent toujours , semblent annoncer que la pluie y est continuelle , et tout ce qui n’y est pas roc , y est marécageux on n'y voit point d'indices de métaux ; une pierre dure, d’un bleu foncé, mêlée de quartz et de mica , fait le fond des collines ; elle est mêlée d’une pierre cassante et brune , d'une autre qui est noire, d’un gris jaune ou couleur de pourpre , et de gros morceaux de quartz demi-transparens , formant des crystaux poliædres de forme pyramidale. Je partis de la Terre de Kerguelen pour me rendre à la Nouvelle Zélande , où je devais faire provision d’eau , de bois et de foin pour les bestiaux que je portais ; mais l’espace à parcourir était immense , et nos besoins commençaient à devenir pressans ; et je résolus de descenure à la terre de Van Diemen. Nous y vînmes au travers d'un air toujours obscur et chargé de brouillards ; le 24 décembre nous la découvrîmes , j’en suivis deux jours les rivages qui paraissaient y former de bons havres ; puis nous jetâmes l’ancre l’eau, le bois s’y offraient de toutes parts à nos yeux ; mais l’herbe y était rare et grossière. Tandis que nous faisions nos provisions , nous vîmes ar i- ver huit naturels du pays, qui montrèren t la pl us grande confiance ; ils étaient sans armes , absolument nuds , mais ils avaient le corps piqueté et paré de lignes droites ou courbes leur stature est moyenne, leur corps mince , leur peau est Tone 111. E 66 Troisième Voyage noire , leur chevelure noire et laineuse ; mais ils n’ont pas les lèvres grosses et le nez plat des nègres ; leur physionomie n’était pas désagréable , leurs yeux étaient beaux, leurs dents belles , mais sales; leur barbe et leurs cheveux étaient barbouillés d’une espèce d’onguent rouge ils reçurent nos présens avec indifférence , refusèrent de manger du pain , du poisson ; mais acceptèrent des oiseaux. L’un d'eux avait un bâton court à la main ; c’est un arme de trait qu’ils lancent avec assez de maladresse ; lTndien Ornai que nous ramenions dans son isle , voulut leur montrer que nos fusils portaient des coups plus sûrs; mais l'explosion leur causa tant d’effroi , qu’ils s’enfuirent dans leurs forêts , et ne reparurent que quelques jours après. Ils revinrent ensuite en plus grand nombre, et sans témoigner de crainte ; Tun d’eux était une espèce de bouffon défiguré par une bosse énorme le cou de la plupart était décoré de trois ou quatre cordes tirées de la fourrure de quelque animal ; une bande étroite de peau de kanguroo environnait la cheville du pied de quelques autres ; ils mettaient peu de prix aux outils de fer , mais un collier de grains de verre parut leur faire plaisir. Ils semblent n’avoir aucune idée de la pêche ; ils n’ont ni canots , ni pirogues il y a lieu de croire qu’ils vivent des coquillages dont les bords de la mer sont remplis leurs maisons sont ou des huttes formées avec des perches , et couvertes d’écorce ou de troncs d’arbres creusés par le temps , les insectes et le feu. Une peau de kanguroo flotte sur les épaules de Jacques Cook. 6/ et autour Je la ceinture des femmes ; eile est utile peut-être pour porter leurs en fan s , car elle ne s’étendait pas assez pour servir la pudeur leur peau noire était pi prêtée comme celle des hommes - plusieurs avaient la tête rasée , d’autres conservaient leurs cheveux d’un coté ; et quelques unes avaient une tonsure comme les prêtres catholiques les enfans nous parurent jolis , les vieilles femmes très-laides ; les galanteries de nos officiers déplurent aux maris, et furent rejettées avec dédain par les femmes ; ceiur-là leur ordonnèrent de se retirer, et elles obéirent, quoique avec répugnance. Je blâmai messieurs, parce qu’une telle conduite en nuisant à l’équipage , donne aux originaires une jalousie qui peut exposer la sûreté de tous. Cette terre reçut .son nom de la s man , qui la découvrit en 1642 . C'est la partie méridionale de la Nouvelle Hollande qui est la plus grande isle du monde connu le sol en est assez é'e. é , bien boisé ; il paraît avoir des rivières et beau cou 0 de ruisseaux 5 sa fertilité s’annonce par la verdure dont il est couvert. La Baie où nous nous trouvions est vaste et sûre , elle est poissonneuse; derrière elle est une plaine d’un sol jaunâtre , où est un lac d’eau salé , qui nourrit des tnites et des brèmes blanches ; par-tout ailleurs on ne voit qu’une vaste forêt d’arbres élevés, que les arbrisseaux et les débris d’arbres rendent presque impénétrable. En général, le pays est sec effort chaud; il paraît n’avoir point de minéraux, point de végétaux coinmestibles. L’espèce d/ar- E 2 68 Troisième Voyage bre qui peuple les forêts est fort haute , très- droite , n’ayant de branches qu’au sommet, l’écorce en est épaisse et blanche, le bois dur et pesant ; il en suinte une résine transparente et rougeâtre ; les feuilles longues , étroites , pointues , portent des grappes de petites fleurs blanches j des calices différons semblent devoir faire admettre deux espèces de cet arbre ses feuilles et son fruit ont un goût piquant et agréable, ils répandent une odeur aromatique. Il y a une autre espèce d’arbre , haut de dix pieds , très-bran chu, qui a des feuilles étroites et une large fleur jaune et cylindrique, composée d’une multitude de fdamens son fruit ressemble à la pomme de pin. Un arbrisseau qui a des rapports avec le myr- the, un glayeul, le jonc , la campanelle , le fenouil marin , l'oseille sauvage , la larme de Job, quelques espèces de fougères , de mousses , et quelques autres plantes particulières au pays, sont tout ce qu’on y trouve de végétaux. Le seul quadrupède qu’on y ait vu, est l’opossum, il a deux fois la grosseur d’un rat, est noirâtre dans la partie supérieure du corps, blanc dans l’inférieure ; l’extrémité de sa queue estblancheet sans poils ; il vit de baies qu’il cueille en s’accrochant aux branches des arbres lekanguroo l’habite aussi , il paraît n’y être pas rare, mais nous ne pûmes en voir. Il y a un grand nombre d’oiseaux, tels que des aigles bruns, des corneilles , des perroquets jaunes , de gros pigeons, une espèce de grives , un »s Jacques C oo *. 6y oiseau plus petit , qui a une longue queue, le cou et une partie de la tête couleur d’un bel azur , des goélands , des pies noires , un joli pluvier à liuppe noire , des canards , des nigauds. On trouve dans les bois des serpens noirâtres, un gros lézard, long de quinze pouces et de six de tour , nuancé de noir et de jaune , et un plus petit, couleur de rouille au-dessous, brun et doré au-dessus. Mais la mer y est plus riche que la terre ; là se trouve le poisson éléphant, des raies , des nourrices , des brèmes blanches , des sols, des carrelets , des tregla , des mulets tachetés, Yathere- rina hepsetus qui a une bande d’argent sur le côté , et d’autres encore qui offrent la plupart une nourriture saine et abondante. Les rochers y sont enrichis de coquillages, tels que l’étoile de mer, les lépas , l’éponge , la tête de méduse , le lièvre marin , etc. On y voit aussi un grand nombre d’insectes, des sauterelles , des papillons, des teignes nuancées de couleurs agréables ; il y a diverses espèces d’araignées ; la mouche scorpion y est rare ; les mous- quites et la grosse fourmi noire, y sont très-incommodes. Les habitans ressemblent à ceux des isles Tanna et Manicola , et paraissent être d’une même race avec eux ; leur prononciation est un peu rapide. Peut-être qu’avec des recherches plus approfondies et une plus grande connaissance des langues, on pourra prouver que toutes les peuplades répandues au levant de la Nouvelle- Hol E 3 7 Troisième Voyage lande à l'ide de Pâques, ont une souche commune. Le 3 o janvier J777 , à huit heures du matin , nousjmtimes de la Terre de Van-Diemen , après y avoir mis dans les forets un verrat et une truie un hon vent du couchant enflait nos voiles , mais bientôt il vint du midi, et amena une chaleur insupportable , bientôt il devint un ouragan ; nous le soutînmes en continuant notre route , et le 10 février , nous vîmes les cotes de la Nouvelle Zélande ; le lendemain, nous jetâmes l’ancre dans le canal de la Heine Charlotte nous y descendîmes , élevâmes nos observatoires , dressâmes nos tentes , et fîmes les provisions que cette terre peut fournir. Les habitans ne tardèrent pas à se montrer ; quelques-uns montèrent à bord , et nous connaissaient tous ; d'autres se refusèrent à nos invitations ; les présens , les démonstrations d’amitié ne purent les déterminer à venir sur les vaisseaux ; je périrais, et j’eus raison de le penser, qu’ils daignaient que je ne vinsse venger ceux qu’ils avaient tués dans mon dernier voyage Ohj aï qu’ils connaissaient, leur avait parlé de ccs meurtres , ils me connaissaient et sentirent que je ne devais pas les ignorer, ni en avoir perdu le souvenir je fis mes efforts pour les convaincre que je ne venais point pour les punir, et j’y réussis ; bientôt ils ne montrèrent ni crainte ni défiance. Je me bornai à ne pas exposer mes gens à leurs attaques , et à les défendre de leur perfidie. de Jacques Cook. y \ Des gardes veillèrent sur ceux qui coupaient le bois , qui remplissaient les futailles , qui réparaient les vaisseaux, qui faisaient des provisions pourlte bétail , comme sur ceux qui faisaient des observations astronomiques. Les familles Zélan- daises étaient accourues et s’établissaient autour de nous ; ils y construisirent des huttes avec une promptitude singulière au moment que leurs pirogues atteignent le rivage , les hommes s’élancent sur la terre arrachent'les plantes et les arbrisseaux du champ qu’ils ont choisi pour y élever leur village , et tiennent leurs armes toujours près d’eux et sous leur main ; une partie des femmes veillent sur les pirogues , d’autres sur leurs provisions et leurs meubles; quelques- unes préparent les alimens lés huttes s’élèvent et suffisent pour les mettre à couvert du vent et de la pluie elles sont séparées par des palissades et des barrières, et distinguent ainsi les tribus ou familles qui travaillent et vivent en commun. Ils pêchaient, et nous vendaient une partie de leurs poissons. Ces alimens frais , les végétaux et la bièrre de pin dissipèrent les symptômes de scorbut qui avaient commencé de se manifester. D’autres insulaires de l’intérieur du pays , vinrent nous rendre visite , et apportèrent à notre marché des outils , divers instrumens y du poisson et des femmes ces dernières ne furent pas recherchées , et ce fut un bonheur pour nous ; car cette sorte de commerce peut être utile à une colonie qui s’établit et qui veut s’étendre; mais » Troisième Votag* elle est toujours dangereuse et souvent funeste aux navigateurs. Parmi ces insulaires , je distinguai un chef nommé Kahoora ; c’était celui qui avait dirigé la troupe de guerriers qui avait massacre le détachement du capitaine Furneaux , et tué lui-même M. Rowe ses compatriotes le craignaient , mais ne l’aimaient pas ; plusieurs voulaient m’engagera lui donner la mort; mais si j’avais suivi les conseils de ces hommes toujours divisés , j’aurais exterminé leur race entière ; chaq ne peuplad e me priait d’ex te r mi n er sa voisine. Je trouvai des choux , des oignons , du pourpier , des radis , des patates et d’autres plantes que nous avions plantées dans notre dernier ▼oyage ; les patates étaient un peu soignées par les naturels du pays qui les aimaient , mais ils n’en ont point planté, et ils négligent toutes les autres plantes. Dans une de mes excursions, je voulus voir le lieu où nos malheureux compatriotes furent massacrés ; j’y rencontrai mon vieil ami Petlro , qui montra d’abord quelque crainte ; mais à qui mes présens la firent bientôt perdre. Je voulus savoir des particularités de cet événement malheureux , Ornai nous servit d’interprète , Pedro et ses compagnons répondirent avec franchise , comme des hommes qui ne craignent pas d'être punis d’un crime dont ils sont inno- cens ; car aucun d’eux n’avait eu part au combat. Ils nous dirent que des Zélandais avaient enlevé du pain et du poisson à nos gens , tandis qu’ils dînaient assis sur Pherbe , à deux cents pas de leur canot ; qu’ils frappèrent les voleurs, »e Jacques Cook. 7$ que la querelle s’animant, deux Zélandais furent tués , qu’avant que les Anglais eussent repris leurs armes , les Zélandais s’étaient précipités sur eux , et les avaient accablés par le nombre ce massacre ne fut point prémédité, et l’on convenait unanimement que Kahoora n'avait forme ce projet , qu’après avoir vu nos gens venger leurs pertes en-frappant ses compatriotes Pedro vint s’établir auprès de nous le vrai nom de ce chef est Matahouah. Deux ouragans vinrent nous tourmenter ; nous leur échappâmes avec peine , car ils sont ici très- violens et assez communs ; les vapeurs qui surchargent toujours les montagnes élevées qui dominent la plaine , augmentent l’impétuosité du vent , et le rendent aussi plus vUriable. Toutes nos provision étant laites , nous quittâmes ces lieux ; mais je ne pus encore sortir du détroit. Pedro et un chef d’une tribu que je n’avais point vu encore , vinrent nous dire adieu , ou plutôt demander des présens. Je donnai au premier une chèvre et un bouc , au second un verrat et une truie ils me promirent de ne pas les tuer ; mais je doutai de leur promesse ; ils avaient tué tous les animaux que nous y avions laissés dans notre dernier voyage , et il ne restait plus quhine truie , que Tiratou , un de leurs chefs, avait conservé avec des coqs et des poules ; on me dit cependant qu’il y avait encore de ces derniers dans les bois. J’avais d’abord eu le dessein de laisser à la Nouvelle Zélande , des chèvres , des cochons, 74 TROISIEME V O T A si E un taureau et deux genisses ; mais cette disposition insouciante des hahitans , pour tout ce qui pouvait leur être avantageux , rendait nécessaire de mettre ces animaux sous la protection d’un chef puissant , qui sentit lui-même l'utilité dont ces animaux pouvaient être au pavs. Mais je n’en trouvai pas , et tout ce que je pus faire , c’est de disperser dix ou douze cochons clans les bois , comme je l’ai fait à différentes époques, afin que ceux qui suivront mes traces en puissent trouver au moins dans l’état sauvage. Nous vînmes jeter d’ancre près de Motuara ; là , Kahoora vint me visiter avec toute sa famille; Omaï voulait que je le fisse tuer. On pend , chez vous, disoit-il , celui qui en tue un autre ; ce barbare en a tué dix , et vous ne voulez pas lui donner la mort , quoique ses com patio tes le désirent , et qu’elle soit juste. Kahoora fut effrayé ; il étendit les bras et baissa la tête il semblait attendre la mort, mais je le rassurai , et il me fit le récit de cette funeste aventure il ne différa de celui de Pedro , qu’en ce qu’il accusa un des matelots Anglais d’avoir nécessité les vols des Zélandais en refaisant de payer le prix d’une bâche de pierre vendue par un des siens. Kahoora était sans défense au milieu de nous ; il savait n’étre pas aimé des siens ; il savait peut • être qu’ils nous excitaient à lui donner la mort. Cependant dès que je lui eus dit que je ne voulais pas venger la mort des Anglais par la sienne, il montra une confiance qui l’honorait à mes yeux , et qui me flatta ; il desira qu’on fit son d e Jacques Cook. j5 portrait , et se tint assis et tranquille jusqu’à ce que M. Weber l’eut achevé. O inaï desirait emmener un Zélandais auxisles de la Société ; il inspira ce désir au jeune Ta- weiharooa , dont la inere respectée vint le voir pour la dernière fois ; elle le quitta en lui témoignant la plus grande tendresse , et lui promit qu’elle ne verserait plus de larmes 5 elle tint parole , et parut gaie le lendemain ; Taweiharooa emmena un petit garçon de neuf à dix ans pour lui servir de domestique ; ses païens le lui offrirent d^eux-mêmes , et le quittèrent avec indifférence après lui avoir ôté ses lia bits en vain je leur sis comprendre qu’ils ne reverraient plus leur enfant ; leur insouciance sur ce point me fit consentir au projet d’Omaï , car ces' deux Zélandais n’avaient rien à perdre en s’établissant dans les isles où nous allions. Ces Zélandais sont malheureux avec la faculté de ne pas l’être ; la crainte d’être massacrés , le désir delà vengeance les agitent sans cesse leurs ressentiinens sont implacables , leur triomphe est horrible ; l’ennemi vaincu est toujours tué et mangé ; aussi sont-ils toujours inquiets , toujours sur leur garde , pour n’être point surpris , et ce qui est plus singulier encore , pour n’être pas damnés ; car selon eux , l’homme dont Je corps est mangé par ses ennemis , doit être condamné à des feux éternels , tandis que son barbare vainqueur doit habiter avec les dieux. Il est vrai qu’ils ne mangent que leurs ennemis. Ils n’ont point de moraïs , les pratiques de re- y 6 Troisième Voyacb ligion ne les rasssemblent jamais ; mais ils ont des prêtres qui prient les dieux pour eux dans les affaires qu'ils entreprennent ; je conjecture qu’ils ont quelques idées superstitieuses siir les cheveux ; souvent j’en ai vu de suspendus à des branches d’arbres ; ceux qui voyagent chez eux , et ce sont ordinairement les marchands de talc verd , y sont reçus avec hospitalité ; les Zélan- dais prétendent que cette pierre fut d’abord un poisson , qui ayant été pris et traîné sur le rivage , prend la dureté et la couleur du talc ; le fait est qu’ils le retirent d’une grande mare ou lac. Un homme y prend deux ou trois femmes , s’il lui convient ou lui plait de le faire ; elles sont plus malheureuses que les hommes dont elles partagent le sort ; les filles qui ne se marient pas sont abandonnées à elles-mêmes. Les hommes sont contons de leur ignorance , et ne désirent point d’en sortir ; ils écoutent sans comprendre et sans se soucier de comprendre. Taweiharooa nous raconta dans la route , qu’avant l’arrivée de l’Endeavour , et par conséquent avant celle de Mrs. de Surville et Marion , un vaisseau avait abordé dans un port de la côte nord-ouest de Terra-Vitte , dont le capitakie leur donna un quadrupède , et y eut un fils qui vivait encore que ce vaisseau leur laissa une maladie que je reconnus être la vénérienne , qu’ils guérissent ou tempèrent aujourd'hui avec des bains de vapeur. Ce jeune homme nous dit encore qu’on trouvait dans le pays , des lézards de de Jacques Cook. 77 huit pieds de long, aussi gros que le corps d’un homme , et qu’ils se forment des terriers où on les étouffe. Les montagnes de la Nouvelle Zélande reposent sur des lits horisontaux ou obliques d’un grès jaunâtre et cassant, mêlé de quartz ; le sol est aussi jaunâtre , il ressemble à de la marne , et n’a guère s que deux pieds de profondeur ; il est très-fertile ; la végétation y montre toute sa force par les grand* arbres et la multitude d’arbrisseaux qu’on y trouve ; les orages, les pluies y durent peu ; l’été , l’hiver y sont modérés ; les arbres n’y perdent leurs feuilles que lorsqu’au printemps les nouvelles qui poussent détachent les anciennes. La culture y serait pénible , parce que la pente rapide des collines ni permettrait pas l’usage de la charrue. Il y a deux espèces de grands arbres sur les collines l’un a le port du sapin ; mais ses baies et ses feuilles ressemblentdavantage à celles de l’if ; c’est de celui-là que nous faisions de la bierre ; l’autre diffère peu de l’érable. Dans les petites plaines , on en trouve des espèces plus variées ; deux portent un fruit de la grosseur de nos pommes ; l’un est jaune, l'autre noir ; ni l’un ni l’autre ne sont agréables au goût j mais les Zélandais les mangent. On y trouve une espèce de philadelphus , dont les feuilles nous servaient de thé, et un arbre qui par ses feuilles rondes et tachetées exhale une odeur désagréable , et dont les fleurs ressemblent au myrthe. Le céleri y est abondant ; la plante que nous ap- 78 TrOISIEEME V O Y A O E pellions cochlcaria en dit'fèrc , et pour l’usage , il est bien prèle rallie au nôtre le liseron , la morelle , l’ortie , une vingtaine d’espèces de fougères , une véronicjue buissonneuse , les chardons , l’euphorbe , le lin , la panacée , une multitude d’autres plantes revêtent les plaines et les collines. 11 en est une qui produit un lin soyeux plus beau que celui d’Angleterre elle croit sur des bords de la mer , elle forme des touffes , ses feuilles ressemblent à celles du jonc , sa tige porte des fleurs jaunâtres remplacées par une longue cosse remplie de petites graines noires et lustrées on y trouve une espèce de poivre iong. Les oiseaux semblent aussi être particuliers au pays, quoiqu’on les range sous les dénominations connues tels sont de gros perroquets à têtes blanches ; des perroquets verds au front rouge $ de gros pigeons ramiers , bruns sur le dos , blancs sous le ventre, verds par tout le reste du corps, ayant le bec et les pieds rouges ; deux espèces de coucous , dont l’une est brune et tachetée de noir ; l’autre aussi petite qu’un moineau , est d’un verd éclatant dessus , ondoyé de verd , de brun et de blanc dessous ; le poy qui est noir avec des teintes verdâtres , se fait distinguer par une touffe de plumes blanches et bouclées qu’il porte sous la gorge ; une espèce plus petite qui a le dos et les ailes brunes , deux onies au- clessons de la racine du bec , et que nous appel-» lames petit oiseau à cordon , pour le distinguer d’une autre espèce qui ayant la grandeur du de Jacques Cook. yq pigeon ordinaire , a deux larges membranes jaunes et pourpres à la racine du bec , est d’un noir bleuâtre , et a un bec court , d’une sonne singulière ; les gros becs y ont le plumage brun , mais rouge sur la queue ; des pies de mer noires , à bec rouge , des nigauds huppés , couleur de plomb , mais tachetés de noir sur les ailes et les épaules , et d’un noir velouté, nuancé de verd sur le derrière du corps ; des goélands , des hérons , des raies , des alouettes , un petit oiseau verdâtre , qui est presque le seul qui anime les forets par ses chants , mais qui fait entendre le concert d’une centaine d’oiseaux , et que nous appelüons le moqueur ; et beaucoup d’autres espèces. La mer y nourrit des mulets , des poissons éléphaus , dés carrelets , des brèmes couleur d’argent qui ont une tache noire sous le cou , des congres , un poisson noirâtre qui ressemble à la brème , un autre de même couleur que nous ap- pellions le charbonnier , un autre qui est rougeâtre , paraît avoir un peu de barbe , et qu’on ne prend que la nuit ; des saumons, des raies , une espèce inconnue encore , qui a la forme du dauphin , est de couleur noire , a des mandibules fortes et osseuses , et des nageoires de derrière qui s’allongent beaucoup. On y voit un grand nombre de différent; coquillages , peu d’insectes , quelques papillons , de petites sauterelles , diverses araignées , de petites fourmis noires , beaucoup de mouches ; 80 Troisième Voyage celle de sable , aussi incommode que le mous- qui te, y est le seul animal malfaisant. Cette isle si étendue n’a de quadrupèdes qu’un petit nombre de rats , et une espèce de chiens- renards élevés dans la domesticité. Le règne minéral y est aussi pauvre. Les Zélandais n’ont pas les traits des nègres, ils n’en ont pas la chevelure ; mais leur nez est épatté vers la pointe ; leurs yeux sont grands et d’une extrême mobilité ; leur physionomie est ouverte et assurée, mais sérieuse dans l’âge mûr nous avons parlé de leurs habillemens, de leur parure , de leurs huttes, de leurs pirogues , de leurs armes , de leurs usages ils ont peu de cette sensibilité forte et délicate qui nous attache à nos en fans et à nos amis ; cependant quand il les voyent mourir, ils poussent des cris doulou* reux , se découpent le front et les joues avec des coquilles ou des pierres aiguës , mêlent leur sang à leurs larmes , et en font une espèce de simulacre qu’ils portent à leur cou; s’ils les revoyent après une longue absence , iis se découpent aussi le visage et poussent des cris frénétiques mais ces marques d’un attachement tendre deviennent une espèce de pratique habituelle que les enfans imitent de leurs parens, peut-être sans sentir bien vivement, ni la tendresse , ni la joie ou la douleur qu'il inspire. Nous nous éloignâmes de la Nouvelle-Zélande le 2 5 février ; dès que nous l’eûmes perdue de vue, le mal de mer inspira des idées tristes à nos deux jeunes Zélandais ; ils se repentirent d’être partis de Jacques Cook. 8r partis , ils versèrent des larmes, Us déplorèrent leur résolution en faisant l’éloge de leur pays; les consolations pie je leur donnai furent inutiles aussi long-temps que le mal de mer les tourmenta ; mais quand il les eut quitté , leurs lamentations devinrent moins fréquentes et enfin ils n’eu firent plus, parurent oublier la Nouvelle Zélande , et ne pensèrent qu'à nous qu’ils aimèrent comme leurs compatriotes. J'avais pris la route la plus courte pour me rendre à Otahiti ; durant cette navigation nous n’apperçûmes que quelques oiseaux du Tropique , et un gros tronc d'arbre garni de barnacles le 29 , la Découverte m'avertit par un signal qu’elle voyait une terre ; nous la vîmes aussi du haut des mâts , et nous rapprochâmes. Après avoir doublé une pointe de cette isle , je vis des hommes qui vinrent s’asseoir tranquillement sur la chaîne de rocs qui l’entoure ; quelques-uns nous suivirent le long du rivage en chantant en chœur nous étions assez près de la côte pour distinguer tous leurs mouvemens ; on en voyait sur la grève , armés de longues piques et de massues qu’ils brandissaient d’une manière menaçante disaient les uns, ou d’une manière amicale disaient les autres. La plupart n’avaient de vête- mens qu’une ceinture qui passait entre leurs cuisses ; quelques-uns portaient sur leurs épaules un manteau bariolé de couleurs différentes ; leur tête était enveloppée , ou d’une espèce de turban blanc, ou d’un chapeau de figure conique ; leur teint était basané, leur stature moyenne ; ils pa- Tome III, F 82 Troisième Voyage raissaient avoir de l’embonpoint et être robustes. Deux d’entr’eux s’approchèrent de nous dans une pirogue; mais ils semblaient nous craindre. O mai leur parla , et ils prirent de la confiance ; nous leur jetâmes des clous et des grains de verre liés à un morceau de bois ; mais ils parurent respecter notre présent et ne le délièrent point, peut-être r parce qu’ils l’avaient désiré pour leur Eatooa ou Dieu. Ornai leur demanda s’ils mangeaient leurs ennemis , et ils répondirent que non , en montrant de l’indignation et de l’horreur. l/un d’eux se nommait Mourooa et avait une cicatrice au front , qu’il nous dit avoir reçue dans un combat contre les habitans d’une isle située au nord-est. Leur chef'leur avaitrecoin- inandé la prudence, et ils balançèrent de monter sur le vaisseau dont ils avaient ordre de demander le nom du capitaine. On leur demanda le nom del’isle ; elle s’appelait Mangua. Mourooa était bien proportionné , sa physionomie était agréable , son caractère gai, son teint semblable à celui d’un Portugais , sa chevelure était longue , noire , nouée au sommet de la tête avec un morceau d’étoffe ; cette étoffe qui sert à leur ceinture est tirée du mûrier, un gramen en- trelassé lui formait une espèce de sandale ; sa barbe était longue ; il était tatoué comme ses compatriotes tous ont les lobes des oreilles percés; l’ouverture en est fort grande deux nacres de perles polies et une tresse de cheveux pendaient au cou de Mourooa nous ne vimes qu’une pirogue dans cette isle ; elle était étroite, bien de Jacques Cook. 83 faîte , longue de dix pieés ; l’avant en était couvert d’un bordage plat, l’arrière s’élevait de cinq pieds et finissait en fourche. Je descendis dans un canot pour arriver dans l’isle , et Monrooa vint m’y joindre sans crainte j il nous indiqua les deux endroits où nous pouvions aborder ; mais dans l’un et l’autre , je vis qu’on ne le pouvait sans danger, et je ne pus trouver de lieu pour y jeter l’ancre. Je renonçai donc à y débarquer , et je retournai au vaisseau , après avoir été un peu volé par quelques- uns de ces insulaires qui étaient venus vers nous à la nage. Mouiooa revint avec nous à bord , sans témoigner aucune crainte. Il témoigna peu de surprise en voyant nos quadrupèdes, peut-être il était trop inquiet pour lui-même pour s’étonner des objets qui frappaient pour la première fois ses regards il marqua même de l’effroi l orsqu’il vit le vaisseau s’éloigner de son isle il fut un peu rassuré lorsqu’il me vit mettre le canot en mer pour l’y reconduire ; en sortant de ma chambre, il faillit tomber sur une de nos clievrès, mais il surmonta son effroi pour regarder l’animal et demander à Ornai quel oiseau c’était. Il descendit dans le canot , et quand il fut près des rochers , il gigna le rivage en nageant ses compagnons l’entouraient encore , sans doute pour satisfaire leur curiosité, lorsque nous nous éloignâmes vers le nord. Ce fut avec regret que je renonçai à visiter eette isle j elle a cinq lieues de tour , son éleva- F 2 84 Troisième V o y a g * tion est médiocre, le sol en est uni; au centre elle a de petites collines la pente , de leur sommet à la 111er , est couverte de petits arbres épais et d’un verd foncé , qu’on crut être des rimas ; près du rivage on voit des dracaena , la côte est bordée d’arbres qui ressemblent à de grands saules toute l’isle est d’un aspect agréable , et la culture pourrait en faire un charmant asyle. Elle doit être fertile , car ses habitans sont nombreux et bien nourris; ils paraissent n’avoir aucun quadrupède ; mais la banane, le fruit à pain , le taro ne leur en laissent pas sentir le besoin nous vimes divers oiseaux marins errer sur ses côtes. Ses habitans sont d’une belle figure; leur peau est douce ; ils sont gais , et paraissent voluptueux ; leurs mœurs paraissent semblables à celles des Otahi- tiens leurs maisons situées dans des boccages , ressemblent à celles de ce peuple; ils saluent en touchant le nez de l’étranger avec le leur , et lui prennent la main qu'ils frottent sur leur nez et leur bouche elle est située sous le 21 e . dégré 5 j minutes de latitude méridionale, et le 201 e . de longitude à l’orient de Greenwich, ou 2i8 é . dégré 28 minutes de l'isle de Fer. Le lendemain , nous découvrîmes une nouvelle terre vers le nord ; cette isle nouvelle avait l’apparence de celle que nous venions de quitter ; près d’elle en était une plus petite que je laissai pour tenter d'aborder l'autre nos canots y allèrent chercher un mouillage; des pirogues s'approchèrent de nous,elles étaient longues, étroites, munies d’un balancier ; l'arrière en était élevé , de Jacques Cook. 85 l’avant se prolongeait sous la forme d’un manche de violon. Nous jetâmes aux insulaires des couteaux, des grains de verre et d’autres bagatelles, et ils nous donnèrent des cocos. Ils montèrent sans crainte sur nos vaisseaux. Une autre pirogue vint après que ceux-ci se surent retirés , m’apporter un présent de bananes ; je donnai à son conducteur une hache et un morceau d'étoffe rouge qui le rendirent fort content c’était le chef de l’isle qui me faisait ce présent. Une double pirogue montéededouze hommes, nous aborda ensuite ; ils chantaient en chœur, et quand ils eurent fini , ils montèrent sur le vaisseau , me demandèrent et m’offrirent un petit cochon , des cocos et une natte ; on leur fit voir le vaisseau , mais rien n'y attira leur attention ils eurent peur des chevaux et des vaches les moutons et les chèvres excédaient encore la mesure de leurs idées ; ils les croyaient des oiseaux, quoiqu’ils eussent des quadrupèdes; mais ils ne ressemblaient pas à ceux que nous avions. Ils auraient désiré des chiens , animaux qu’ils connaissent et ne possèdent pas ; nous ne pouvions les satisfaire. Ces insulaires ressemblaient à ceux que nous venions de quitter , et s'habillent de même ; leux- teint était plus noir ; mais leurs femmes étaient assez blanches; les oreilles de ces Indiens étaient percées , et non fendues ; leurs jambes sont piquetées , leurs pieds couverts d’une sandale faite de gramens. On ne put trouver de mouillage x l'isle est environnée d’un rocher de corail ; ces F 3 86 Troisième Voyage habitans paraissant être de bonnes gens , nous espé âmes qu’ils pourraient nous apporter de Therbe et des fruits de bananes pour nos bestiaux, et je résolus d’essayer de les y engager. De nouvelles pirogues nous apportèrent de nouveaux présens , car ils ignoraient Tusage des échanges ils me donnèrent un cochon , des bananes , des cocos pour obtenir un chien ; ilsne voulaient que cela. Ornaï eut la générosité de leur céder celui qu’il amenait de Londres , et les insulaires se retirèrent très-satisfaits. J’envoyai deux canots pour tenter d’exécuter ce que nous avions projeté; O mai accompagna mon lieutenant Gore, pour lui servir d’interprête. Je les suivis avec les vaisseaux; je vis nos canots attachés et vis-à-vis un nombre prodigieux dinsulaires ; j’en conclus que nos gens avaient débarqué dans l’isle , et m’approchai de la côte autant que les écueils me le permettaient , afin de pouvoir les secourir s’ils en avaient besoin ; mais la ceinture était un obstacle que nous ne pouvions franchir ; les insulaires me rassurèrent en venant sur mon vaisseau ; car s’ils avaient eu des desseins sinistres , ils ne seraient pas venus se livrer dans nos mains. En effet, je vis arriver nos canots un peu avant le coucher du soleil. Us nous racontèrent leurs aventures en voici le précis Dès que nous eûmes fixé nos canots , diient nos gens , les insulaires se jetèrent à la nage , et nous apportèrent des noix de cocos ; dès qu’ils surent que nous voulions débarquer , ils nous j>e Jacques Cook.. 87 envoyèrent deux pirogues où nous entrâmes sans armes pour leur inspirer plus de confiance ; les Indiens rassemblés sur le rivage nous reçurent tenant à la main des rameaux vereis , et nous saluèrent en frottant leur nez contre les nôtres ; on nous conduisit au travers de la foule , à une avenue de palmiers , au-delà de laquelle nous trouvâmes une troupe de guerriers rangés sur deux lignes, et tenant leurs massues sur leurs épaules ; nous marchâmes avec eux , et trouvâmes bientôt un chef assis par terre , les jambes croisées , s’éventant avec une feuille de palmier emmanchée, et coupée en triangle ; de ses oreilles sortaient en avant deux touffes de plumes rouges, qui paraissaient seuls le distinguer des autres insulaires 3 il était grave , on lui obéissait promptement , et on nous avertit que nous devions le saluer. Plus loin , nous trouvâmes un second chef, plus jeune que 1''autre , orné , occupé comme lui ; il était d’un embonpoint extraordinaire. Un troisième nous attendait à quelque distance , aussi corpulent que les deux autres et plus vieux ; il nous invita à nous asseoir, et nous nous hâtâmes de le faire , parce que nous étions las peu de temps après la foule s’écarta pour faire place à vingt jeunes femmes ornées de plumes rouges , qui dansèrent avec gravité , chantèrent en chœur , et ne firent point attention à nous , même lorsque nous les approchâmes tous leurs mouvemens étaient dirigés par un homme et par la musique ; elle ne changeaient point de place , remuaient les pieds , et agitaient I 4 88 Troisième Voyage les doigts avec une extrême légèreté ; elles frappaient de temps en temps des mains, elles avaient assez, d'embonpoint , leurs cheveux flottaient en boucles sur leur cou , leur teint était olivâtre ; leurs traits étaient mâles et leurs veux noirs dans tout ce qu’elles faisaient, on voyait beaucoup de douceur et de modestie ; leur taille était élégante , et une étoffe lustrée les ceignait et descendait jusqu’aux genoux. Elles dansaient encore lorsque nous entendîmes un bruit semblable à celui d’une troupe de chevaux qui ga- ïoppent c'était un combat simulé que les guerriers nous préparaient. Fatigués de la multitude qui nous pressait, nous fîmes des présens aux chefs rassemblés ; nous voulûmes dire pourquoi nous étions descendus sur l’isle ; mais on nous fit entendre que nous devions attendre au lendemain , et qu’on nous fournirait des provisions. Cependant ils nous entourèrent chacun en particulier et vuidèrent nos poches ; le chef les approuva cette cérémonie ne nous fit pas craindre pour nos jours , mais nous persuada qu'on voulait nous arrêter ils satisfirent nos besoins, et nous offrirent des cocos , du fruit à pain , et une espèce de pudding acide ; un des chefs nous éventa , nous fit un présent d’étoffes ; mais quand nous voulûmes nous rapprocher du rivage , nous fûmes arrêtés et ramenés au lieu que nous avions quitté. Oinaï était plus effrayé que nous , parce qu’il avait vu creuser et échauffer un four qui lui faisait soupçonner qu’on voulait nous rôtir et de Jacques Cook. 89 nous marger. Il le leur demanda, et surpris , ils demandèrent à leur tour si telle était notre coutume. Nous passâmes ainsi la plus grande partie du jour, quelquefois réunis, quelquefois séparés, toujours au milieu d’une foule nombreuse ils nous firent déshabiller , nous examinèrent , voulurent calmer nos inquiétudes en plantant des rameaux en terre devant nous , en nous faisant entendre que nous devions passer quelque temps avec eux , et manger un cochon qu’ils nous montrèrent près du four ; cette vue dissipa la frayeur d’Omaï , en lui montrant pourquoi on avait préparé ce lour qui l’avait si vivement inquiété. Le chef promit d’envoyer chercher du fourrage pour notre bétail, mais ses émissaires ne rapportèrent que quelques tiges de bananiers. L’un de nous vint sur le rivage et voulut gagner l’enceinte de rochers ; mais on l’y retint ; on lui fit quitter des morceaux de corail et des plantes qu’il avait ramassé , et Ornai lui en apprit la raison ; c’est que dans ces isles un étranger ne peut se permettre ces libertés , que lorsqu’il a été fêté pendant deux ou trois jours. Il fallut donc attendre d’avoir reçu des honnêtetés pour avoir le droit de se retirer. Le second chef s’assit sur une escabelle noirâtre et polie , fit faire un cercle à la multitude et nous fit asseoir auprès de lui on apporta d’abord des noix de cocos , des bananes cuites , puis on plaça auprès de chacun de nous un morceau de cochôn cuit au four 1 nous mangeâmes peu et sans » 90 Troisième Voyage appétit ; mais la nuit s’approchant , ou nous permit de nous retirer , et on voulut E Jacques -Cook. 129 armés de piques et de massues , qui chantaient constamment une petite phrase avec le ton de la détresse, et semblaient demander quelque chose ; ces chants durèrent une heure, pendant laquelle une multitude d’indiens vinrent déposer une igname placée au milieu d’une perche, aux pieds de ceux qui psalmodiaient si tristement. Puis le roi et le prince étant arrivés dans la prairie , chaque perche fut relevée , mise sur les épaules de deux hommes , et on forma de ces couples des compagnies ; un guerrrier se mit à la tête de chacune , d’autres se placèrent sur les côtés, et tous traversèrent le lieu de la scène d’un pas pressé la procession était terminée par un Indien portant sur une perche un pigeon vivant elle s’arrêta au cimetière placé sur la petite montagne, et on forma deux tas des ignames. Comme il nous sembla que notre présence les gênait , nous nous retirâmes ; et revînmes bientôt rejoindre le roi qui nous recommanda de ne pas laisser sortir nos marins de leur canot , de peur qu’ils ne sussent tués ; qu’il fallait nous retirer nous-mêmes, mais qu’il nous placerait dans un lieu d’où nous pourrions tous voir. J’essayai de m'approcher et de pénétrer au travers de la foule ; mais les cris des Indiens , leurs prières , des espions qui me suivaient par-tout, me firent rétrograder , et je me rendis à la plantation du roi. Nous y vimes défiler les couples d’indiens , chargés d’un bâton auquel était suspendues trois ou quatre baguettes elles représentaient les Tome III, I i3o Troisième Voyage ignames , et les couples qui les portaiant semblaient affaissés sous le poids. Le roi nous plaça derrière une pallissade voisine de la prairie , où tous les nrouvemens s’exécutaient ; plusieurs autres insulaires s’y trouvaient avec nous ; mais j’apperçus qu’on avait pris toutes les précautions possibles pour nous masquer la vue ; les pallissades étaient nouvelles et si hautes que le plu s grand homme n’aurait pas vu par-dessus ; nous trouvâmes le moyen d’éluder leurs efforts en y faisant des ouvertures avec nos couteaux. Dès là nous viines bien du mouvement ; on fit des discours , des femmes parurent sur la scène portant des pièces d’étoffes blanches étendues ; le roi , le prince allaient, venaient , s’asseyaient ; deux hommes avec des rameaux verts firent diverses cérémonies , et la grande procession défila encore , tandis que trois hommes prononçaient quelques phrases d’un ton languissant ; puis l’assemblée se dispersa. Nous soupâmes avec le roi qui s’enivra de notre vin et de notre eau de-vie ; tout le monde se coucha ; à deux heures du matin les Indiens se levèrent et se répandirent dans la campagne , Poulaho demeura, et une femme vint le macer ; il dormit jusqu'à onze heures entre les mains des femmes ; je fis au prince le présent d'un habit complet, dont il parut vain j nous dînâmes , et la œrémonie du jour précédent recommença bientôt. Résolu de chercher à découvrir le sens de ces cérémonies qui me semblaient figurées , je n’é- de Jacques Cook. i3i coûtai plus ceux qui voulaient m’arrêter ; malgré les insulaires , je m’avançai sur le lieu où tout s’exécutait $ je me donnai de la peine en vain ; des discours graves ou plaisans , beaucoup de inouvemens , d’agitations , de longues processions où les couples étaient fréquemment chargés d’une feuille de cocos , des hommes qui s’arrachent des poissons , des espèces de chants et de combats, c’est tout ce que je pus voir; mais c’était une énigme' pour moi , dont je ne pus saisir le mot, et peut-être n’en a-t-elle point. Je ne pus parvenir même à observer tout sans les imiter, sans me dépouiller jusqu’à la ceinture , et répandre mes cheveux flottans sur mes épaules. On appelle cette cérémonie natche ; il paraît que les ignames qu’on y porte sont consacrées à l’Otooa , ou à la divinité. On en devait célébrer une plus solemnelle , trois mois après, où devaient être étalés tous les tributs des islcs qui reconnaissaient Poulaho pour leur roi ; on y devait sacrifier des victimes humaines, choisies dans le bas peuple ; sacrifice barbare , qui contraste avec les mœurs de ce peuple humain je voulus leur en faire sentir l’atrocité , ils se bornèrent à me dire que tel était l’usage et que l’Otooa exterminerait le roi si l’on ne s’y conformait pas. Le te mus était devenu favorable , et je voulus partir, c’était le 10 juillet. Poulaho désirait que je demeurasse pour assister encore à une cérémonie funéraire , il promettait de m’accompa- I 2 l3a Troisième Voyage gner à Middelbourg , nommé Eooa par les ha- bitans ; mais je craignis de laisser échapper des rnomens précieux , et je mis à la voile, après avoir déposé dans l’isle les quadrupèdes dont j’à'i parlé , auxquels j’ajoutai un verrat et trois jeunes truies de race anglaise ; je donnai aussi à Feeuou deux lapins , l’un mâle et l’autre lèmelle je crois leur avoir lait un présent utile. La marée nous favorisa jusqu’au lieu où les flots opposés , réprimés d’abord dans des canots étroits , libres dans une espèce de lagune , viennent s’y réunir ; la profondeur de Cette lagune, les bas-fonds , les rochers qui en sont voisins , rendent ce passage dangereux, et après nous en être tirés , je vins jeter l’ancre sous la côte de Tongataboo le lendemain nous vînmes à Eooa ; j’y descendis pour chercher de l’eau douce, qui était la seule provision dont nous avions besoin ; j'eus même assez de peine à en trouver, mais elle était dans l’intérieur de l’isle, et plutôt que d’entreprendre un travail long et fatiguant , je me contentai de celle que j’avais. J’y déposai un,bélier et deux brebis que je confiai àToolà , mon ami en .1773 ; il n’y a pas de chiens dans cette isle , et les moutons s’y reproduiront en paix. On nous y vendit des ignames , mais peu de cochons. Eooa présente un aspect différent des isles que nous venions de parcourir ; leur surface applanie n’offre que des arbres à ceux qui les contemplent de la mer ; mais ici la terre s’élè\ e , elle de Jacques Cook, îgg présente un coup-d’œil étendu où l’on distingue des bocages à des distances irrégulières et séparés par de vertes prairies la côte en est bordée d’arbres et de cabanes qu’ils ombragent ; et les cocotiers y sont superbes. Nous allâmes dans un après-midi sur la partie la plus élevée de l’isle , au travers de vallées , de collines semées de rocs de corail caverneux, et d’une argile rougeâtre. Sur la hauteur est une plate-forme ronde , soutenue par un mur de corail qu'on y a porté à force de bras. Les insulaires s’y rassemblent pour boire la kava ; près de là est une source excellente , et plus bas un ruisseau qui parvient à la mer dans le temps des pluies. De là on jouit d’une perspective charmante , les plaines , les prairies ornées de touffes d’arbres, entremêlées de plantations , présentent un riche tableau , et j'espérai qu’il serait un jour plus animé par les troupeaux d’animaux que j’y aurai répandu ; je me flattai de n’avoir pas été , inutile au bonheur de ses habitans. On trouve ici une espèce d’Acrosticum , la Melastoma et la Fougère, arbre qui ne se trouve point plus près de la mer. Lorsque je fus de retour , j’appris que des insulaires avaient donné des coups de massue à l’un d'eritr’eux, qu'ils lui avaient ouvert le crâne et cassé une cuisse ce traitement barbare était la punition infligée à l’homme surpris en flagrant délit avec une femme d’une classe supérieure à la sienne ; la femme en est quitte pour de légers coups ds bâton. I 3 i3 4 Troisième Voyage Je semai clans cette isle des pommes de pîn , des graines de melons et d’autres végétaux ces soins ne seront pas sans fruit, si le passé est un gage de l’avenir car on in’y donna des turneps plante que j’y avais semée il y avait quatre ans. Toofa me fit un présent de fruits et d’ignames, et me donna le spectacle de divers combats au bâton , à la lutte , au pugilat ; et voulut m’offrir celui d’une danse de nuit ; mais elle fut trou Idée parles vols qu’on fit à un Anglais qu’on dépouilla; je m’emparai de deux pirogues et d’un gros cochon pour les forcer à la restitution ; et je réussis; mais les danseurs furent dispersés. Je pardonnai au coupable, je donnai des présens au chef , et je partis. A peine avions - nous déployé les voiles, qu’une pirogue à voile aborda dans Eooa , et qu’on m’envoya dire qu’elle apportait un ordre de Poulaho, pour qu’on me fournît des cochons ; mais je croyais avoir assez, de provisions , et j’étais en mer ; ce furent les raisons qui me déterminèrent à ne pas retourner sur mes pas. Je continuai donc ma route, et les insulaires,. après avoir continué les échanges aussi longtemps qu'ils le purent, s’en retournèrent dans leur isle. Nous nous éloignâmes avec regret ; car ces. isles nous avaient été utiles , et leur bon peuple nous avait intéressé ; nous y avions accru nos provisions , nos bestiaux avaient repris de la vigueur dans leurs pâturages , et nous avions. de Jacques Cook. iZ5 jeté des semences de nouvelles richesses, Peut- être le philosophe ne considérera pas sans plaisir et sans utilité les mœurs de ces hommes doux et bienfaisans. On peut y faire un commerce avantageux de denrées pour des clous , des haches , des limes , des étoffes rouges , des toiles blanches , des miroirs , des grains de verre bleus. Leurs ignames sont excellentes et se gardent bien sur la mer ; les autres denrées ne sont pas mauvaises. L’eau pure et douce y est rare ; mais on dit qu’il y a un beau ruisseau dans Kao. Tongataboo est comme le chef de cet Archipel assez vaste , car les habitans nous firent entendre qu’il renfermait i5o isles , dont i5 étaient élevées, et 35 d’une étendue assez considérable. Très - probalement les isles Williams de Tasrnan , les isles Keppel et Boscawen de "Wallis sont de ce nombre Poulaho me dit qu’un vaisseau avait envoyé un canot vers l’isle Neeooatabootaboo, voisine de celle de Kootahec , et qu’il y avait échangé une massue pour cinq clous ; ce vaisseau pouvait être le Dauphin , et ces isles celles que nous avons nommées plus haut l’isle Boscawen doit être Kootahee. Hamoa , Vavao et Feejee sont les plus considérables dont on nous ait parlé on les dit plus grandes que Tongataboo ; la seconde a de hautes montagnes , un ruisseau d’eau douce et un havre commode. Poulaho voulait m’y conduire ; mais je n’avais plus de temps à y perdre. Hamoa est la plus grande de toutes ; elle a des havres , de l’eau I 4 Z 36 Troisième V o y a g b douce , des productions variées ; c’est de ses liabitans que Tongataboo a pris ses chants, et ses danses ; on les y imite encore dans la construction des maisons. Feejeeestune terre élevée et fertile, riche en porcs, en chiens, en volaille, en racines et en fruits ; elle ne dépend pas de Poulaho quisles craint dans les guerres qu’il soutient souvent avec elle ; ses liabitans manient avec dextérité l’arc et la fronde ; ils mangent leurs ennemis vaincus, et ont plus de pénétrai ion et d’activité qu’eux ; ils font des massues et des piques sculptées avec adresse , des étoffes à compartimens, des nattes dont les couleurs sont mêlées avec goût, des pots de terre et d’autres meubles. On nous dit qu’une pirogue met trois jours à se rendre de Tongataboo à Feejee , et ces pirogues , par un vent modéré , font y milles dans une heure , et ne comptent par jour qu’un espace de temps de dix à douze heures on voit par-là que la distance entre ces deux isles est d’environ soixante et dix lieues. Tongataboo a le meilleur luivre de toutes les isles que je connais ; Annamoka a la meilleure eau ; la situation de cette dernière , au centre du grouppe , est la plus favorable au commerce. O mai semblait devoir nous aider à mieux connaître les mœurs , la religion , la politique du peuple qui les habite ; mais nous nous trompions dans nos questions, et il faisait lui-même cent méprises ; ses idées étaient trop bornées , si dif- féren tes des nôtres, et ses explications si confuses, qu’il nous embrouilla plus souvent qu’il ne nous de Jacques Cook. i37 instruisit. Les habitans eux-mêmes, ou ne faisaient pas attention à nos demandes , ou ne jugeaient pas à propos d’y répondre , et ce n’est qu’à force de persévérance que nous sommes parvenus à étendre nos idées au - delà de celles que nous avions acquises. Les habitans sont d’une stature moyenne , forts et bien faits ; ils ont les épaules larges ; ils sont musculeux -, plusieurs ont une belle figure , leurs traits sont variés ; 011 y voit des nez épatés et des nez aquilins , peu ont les lèvres épaisses , presque tous ont les veux beaux. La physionomie des femmes les fait quelquefois reconnaître, mais c’est sur-tout à la forme arrondie de leurs membres qu’on les distingue ; leur corps est si bien proportionné qu’il pourrait servir de modèle aux artistes ; elles ont les doigts petits , celles qui ne s'exposent pas au soleil,n’ont que le teint olivâtre. Les dartres paraissent être la maladie la plus commune de ce peuple ; elles y dégénèrent en ulcères , et quelques-uns en perdent le nez ; mais rarement les maladies les empêchent de sortir de chez eux , et ils ne connaissent point celles de l’indolence , et d’une manière de vivre contraire à la nature. Leur contenance est gracieuse et calme, leur démarche ferme , leur accueil ouvert, leur physionomie annonce la douceur et la bonté, uries à de la franchise et de la gaîté ; ils mettent la plus grande honnêteté , la plus grande confiance dans leur commerce. Ils volaient, mais 11e voyaient que nous, et c’est un peu notre faute, i38 Troisième Voyage puisque sous excitions vivement leur cupidité ; c’est la curiosité , c’est souvent un désir enfantin qui cherche à se satisfaire, qui se satisfait avec la plus grande dextérité. Mais je ne m’étendrai pas davantage sur leurs mœurs , j’en ai parlé ailleurs. Ajoutons seulement un mot, sur leurs femmes , sur leur religion et leur gouvernement. Leurs occupations ne sont pas pénibles et sont renfermées dans l’intérieur de leurs maisons ; c’est-là qu'elles fabriquent leurs étoffes , qu’elles font des peignes , de petits paniers ; qu’elles en- trelassent des grains de verre. Tous les autres travaux sont du ressort des hommes ; les deux sexes aiment l’oisiveté à se réunir ; les femmes y font des concerts de voix , les hommes en font avec une espèce de flûte ; elles sont très-fidèles à leurs époux , qui ne les estiment pas autant qu’elles devraient l’ètre. Nous ne pouvons dire s’ils ont des idées de religion ; la durée et l’universalité de leurs deuils pourraient faire penser qu’ils regardent la mort comme un grand mal, et ce qu’ils font pour l’éloigner semble le prouver mieux encore j’appris dans mon dernier voyage , qu’ils se coupent les petits doigts lorsqu'ils ont une maladie grave , et se croient en danger de mourir ; ils supposent que leur Dieu , touché de ce sacrifice , leur rendra la santé ; ils se les coupent avec une hache de pierre ; la dixième partie des habitait s est mutilée pour ce motif quelquefois même des gens du bas-peuple se coupent une des jointures du petit doigt, lorsque le chef dont ils dépendent de Jacques Cook. i3c> est malade est-ce par superstition ? est-ce afection , ou l’effet de la tyrannie qu’exercent les chefs ? Leurs cérémonies funèbres ou religieuses feraient croire qu’ils cherchent à mériter la faveur de la Divinité , et à mériter d'être heureux même après leur mort. Ils m’ont paru avoir peu d’idée des peines d’une autre vie , et cependant ils n’oublient rien de ce qui peut mériter la faveur de leur Dieu. Ils donnent le nom de Kallafoo- tonga à l’Etre - suprême ; ils croient qu’il est une femme , qu’elle réside au ciel et dirige le tonnerre , les vents et la pluie; que les récoltes sont mauvaises, parce qu’elle est lâchée ; qu’a- lors les hommes , les animaux souffrent et meurent; que l’ordre naturel ne se rétablit que lorsque sa colère est dissipée , et ils font tout pour l’appaiser. Ils admettent des divinités inférieures, un Toofooa-Boolootoo qui est Dieu des nuages et des brouillards ; un Talleteboo qui habite dans les çieux ; un Footasooa et une Fykaoa - Kajeea , mari et femme qui sont les visirs du grand Dieu. Toutes les isles ne paraissent pas avoir le même système religieux , ils ne donnent pas même un nom semblable à leur Divinité ainsi le Dieu suprême pour les habitans d'Happace est Alo-alo ; et il y a des isles qui adorent des divinités particulières ; toutes se font des idées absurdes sur la puissance et les attributs de ces Dieux. Les habitans de ces isles se font cependant des i4° Troisième Toyage idées assez justes de la spiritualité et de l’immortalité de l’ame ; ils lui donnent le nom de vie ou de principe vivant ; ils rappellent Olooa , ou être invisible ; ils disent qu’à la mort les aines de leurs chefs vont dans un endroit nommé Boolootoo , où elles rencontrent le dieu Gooleho ; que le pays de ce dieu est le rendez-vous général des morts, qu’il est situé au couchant de l-’eejee; qu'alors on n’est plus soumis à la mort, et qu’on y trouve tous les alimens qu'on aima autrefois les âmes des gens du peuple sont mangées par l’oiseau Loata qui voltige autour des cimetières. Ils n’adorent aucun objet visible , et n’offrent àdeurs dieux des cochons, deschiens, et les fruits que l'une manière iigurée cependant ils font à ces dieux des sacrifices humains. Leurs Moraîs ou Fiatookas , sont en même temps des temples et des cimetières. La subordination qui regne entr’enx ressemble au régime féodal de nos ancêtres. Le roi est le maître de la propriété de ses sujets, et cependant son pouvoir est limité ; les chefs traversent souvent les desseins de leur roi ; ils en paraissent indépendaris ; mais les biens et la vie du menu peuple sont à la merci de ces chefs. Tongataboo est divisée en grand nombre de districts ; un chef préside sur chacun d’eux et y rend Injustice ; il en lire des subsides ; le peuple les nomme seigneurs du soleil et du firmament ; la famille du roi prend le titre d’un de leurs dieux qui est son protecteur et fut peut-être de Jacques Cook. i^t lin de ses ancêtres. Le roi n'a point d'autre titre que celui de Tooee-Tonga. Tout , devant les chefs , prend l’air de la plus grande décence ; quand ils s’asseyent , leur suite s’assied aussi , en formant un cercle qui laisse unes-' pace libre entre eux et lui ; si un sujet veut lui parler , il s’assied à ses pieds , fait sa demande en peu de mots, et disparaît quand il a reçu la réponse. Mais si le roi parle à un de ses sujets , celui-ci répond du lieu où il se trouve , mais toujours assis être debout devant lui serait une grossièreté. Si un chef harangue, on l’écoute en silence ; s’il commande , on obéit avec joie. Le roi n’est pas le plus puissant par ses domaines, mais il l’emporte sur tous les chels par sa dignité ; il n’a point le corps piqueté , il n’est pas circoncis comme le peuple ; quand il se montre , tout s'asseye , tout doit être au niveau de ses pieds. S'il marche , il est souvent contraint de s’arrêter pour se laisser toucher les pieds , et il est des lieux où l'on ne se sert pas de quelque temps de la main qui a touché le pied royal; on ne le peut qu’après s’être lavé. Une femme impure cesse de l’être quand le roi lui a baisé les deux épaules ; si ce souverain entre dans la maison d’un de ses sujets, il ne peut plus l’habiter. Mais ces marques de respect ne sont pas toujours celles du pouvoir; Feenou qui était Généralissime , et en même temps chargé de punir les délits envers l’Etat, avait quelqu’inspection sur 1^2 Troisième Voya&e le roi ; Poulaho disait que s'il devenait un méchant homme , Feenou le tuerait. Peut-être que s'il s’écartait des loix et des coutumes du pays, les chefs le jugeraient et que Feenou ferait exécuter ia sentence. Quoique les isles soumises à Poulaho sont répandues au loin , il ne paraît pas qu'il s’y élè-œ jamais de révoltes, peut-être parce que tous les chefs résident à Tongataboo. Il y a diverses classes de chefs ; les plus puissans en ont sous eux qui sont pour ainsi dire , leurs vassaux. On dit qu’à la mort d’un insulaire, ses biens appartiennent au roi ; mais il les abandonne ordinairement au fils aîné du défunt. Le fils du roi hérite de son père , il ne devient pas roi en naissant comme à Otahiti. La famille du roi s’appelle Futtasaifies •, elle occupe le trône en ligne directe depuis fort longtemps ; elle régnait déjà quand Tasinan aborda dans ces isles ; on se souvient encore de son apparition avec ses deux vaisseaux. Il y a des femmes qui paraissent supérieures en dignité à Poulaho ; on leur donne le nom de Tarnmalla ; la femme devant laquelle ce roi ne vo il ut point manger et dont il toucha les pieds , était une de ces Taminaha ; elles étaient , nous dit-on , filles de la sœur aînée du père de Poulaho; l'âge ou le droit d’ainesse donneraient- ils seuls à ces femmmes le rang qu’elles tiennent? La langue du peuple de ces isles ressemble beaucoup à celle des peuples de la nouvelle Zélande , de Wateeoo , de Mangeea, et d’Otahiti. de Jacques Cook. i^3 Elle en diffère par la prononciation ; elle est assez harmonieuse pour être agréable dans la conversation , assez riche pour rendre toutes les idées de ceux qui la parlent ; ses élémens sonS peu nombreux ; les noms ne s’y déclinent pas , les verbes n'y ont pas de conjugaisons ; mais on y trouve les degrés de comparaisons dont se sert la langue latine. Nous quittâmes Eaoo le 17 juillet , et nous dirigeâmes vers le levant ; nous essuyâmes une tempête douze jours après notre départ, qui déchira nos voiles ; c’était durant la nuit, et plusieurs lumières qui passaient d'un lieu à l’autre sur la Découverte , me firent soupçonner qu’elle était plus endommagée encore que nous ; je sus le lendemain qu’elle avait perdu un de ses grands mâts; peu après on découvrit que son grand mât était fendu ; je le secourus et le mis en état de me suivre. Le 8 août nous découvrîmes la terre qui s’offrit d’abord comme des collines détachées ; nous nous en approchâmes ; mais nous la trouvâmes environnée de rochers de corail ; on en apperçut une autre que je négligeai ; je voyais des insulaires courir en différentes parties de la côte , ils lancèrent deux pirogues à la mer et je voulus les attendre. On voulut en vain persuader à ceux qu’elles renfermaient de monter sur le vaisseau ; ils nous montrèrent la côte où leurs compatriotes agitaient quelque chose de blanc, et je crus qu’ils m’invitaient à m’y rendre mais cette isle paraissait peu considérable, je n’avais rien à liji *44 Troisième Voyage demander , et je craignis de perdre' nn vent fa-> ver aide. Je m’en éloignai en cinglant vers le nord. Ses habitans la nomment Toobouai ; sa plus grande étendue n’excéde pas cinq ou six milles , mais elle a des hautes collines, dontjle pied forme une bordure étroite et plate; elles sont couvertes de verdure , excepté des rochers escarpés dont le sommet est couvert d’arbres. Les plantations sont "lus nombreuses dans les vallées , et la bordure est par-tout revêtue d’arbres vigoureux et hauts , parmi lesquels on distingue les cocotiers et les étoa. Cette isle nourrit des cochons , de la volaille, produit desf’ruitsetdes racines. Les habi- •tans parlent la langue cPOtahiti ; ceux que nous vîmes étaient forts et robustes ; leur teint est couleur de cuivre , et leur chevelure noire et lisse ; quelques-uns la portent nouée en touffes au dessus de la tête , d’autres la laissent flotter sur leurs épaules , leurs visages sont ronds et pleins , peu applatis ; leur physionomie annonce une sorte de férocité naturelle ; un pagne étroit qui enveloppait leurs reins et passait entre les cuisses, était tout leur vêtement ; plusieurs de ceux qui étaient sur la grève avaient un habit blanc qui leur couvrait tout le corps; des coquilles de perle suspendues sur leur poitrine , étaient leur seul ornement. L’un d’eux souilla constamment dans une conque à laquelle était fixée un roseau long de deux pieds ; d’abord il n’en tira qu’un ton , ensuite deux ou trois , et toujours avec la même force. Jamais je n’ai observé que çette conque annonçât \ de Jacques Cook. i ^5 annonçât la paix ; cependant ils n’étaient point armés. Leurs pirogues formaient une saillie en avant , et se relevaient sur l’arrière qui était sculpté par-tout; les côtésétaient sculptés dans le haut, incrustés de coquilles par-tout ailleurs ; chacune avait un balancier. Le lendemain du jour que je quittai cette isle, nous découvrîmes Maitea , et peu après Otahiti. Je cherchai à entrer dans la baie d ’Okeiteptka , mais le calme et les vents ne nous permirent pas d’y pénétrer des pirogues arrivèrent; mais ceux qui les montaient étant de la classe inférieure, Ornai y fit peu d’attention , comme eux ne parurent pas voir en lui un compatriote. Oolée , son beau-frère , vint après eux , et leur entrevue fut indifférente jusqu’au moment où il montra ses plumes rouges. Alors tout changea de face ; le beau-frère voulut changer de nom avec lui ; Ornai lui donna de ses plumes, et celui ci reconnut ce don par celui d’un cochon ; on vit trop évidemment que ce n’était pas Ornai , mais ses richesses qu’on aimait, et sans ses plumes, on n’aurait pas daigné lui offrir une noix de cocos; je m’étais attendu que son importance ne naîtrait que de ses trésors , et par eux il aurait pu se faire respecter , s’il eut consulté la prudence dans sa conduite. Il n’y eut d’entrevue sentimentale que celle avec sa soeur , et ensuite avec sa tante. J’appris là que deux vaisseaux avaient abordé dans cette isle , et y avaient débarqué des cochons , des chiens , des chèvres , un taureau ; que ces vaisseaux venaient du port Huma Lima Tome lll. K x46 Thoisiime Voyage sans doute , que ceux qui le montaient avaient construit une maison et avaient laissé quatre personnes dans l’isle , deux prêtres , un domestique , et un autre qu'ils nommaient Mateema , et avaient emmené quatre de leurs compatriotes ; qu’ils étaient revenus dix mois après , avaient repris leurs compatriotes , et débarqué deux Ota- liitiens qui seuls étaient encore vivans. Nos plumes rouges rendirent les échanges extrêmement actifs jonestimaitqu’ellesetles haches. Pendant que chacun s’occupait ainsi , je descendis à terre pour y voir la maison des Espagnols , et un homme qu’on disait être le dieu de Bola- bola ; ce dieu était un vieillard qui avait perdu l’usage de ses membres , et qu’on portait sur une civière ; on l’appelait Olla ou Orra ; de jeunes bananiers étaient placés devant lui ; mais jen'ap- perçus pas qu’on le respectât plus que les autres chefs. La maison Espagnole étaituebois, qui paraissaient avoir été apportés tous préparés; elle était diviséeendeux chambres, et près de la façade était une croix de bois , où ils avaient gravé le nom de Jésus et celui de leur roi ; j'y gravai aussi celui de George III , et la date des voyages que nous y avions faits. Près de-là était la tombe du commandant Espagnol mort dans l’isle , ils l’appelaient Oreede. Quels qu'aient été les motifs des Espagnols pour visiter cette isle , on doit dire qu’ils s’y sont fait estimer et respecter. J’appris qu’Oberea avait cessé de vivre. Je revins à bord où je voulais persuader à mon équipage de se priver de liqueurs fortes pendant de Jacques Cook. \%j le temps que nous serions dans l’isle ; je leur parlai du but de notre voyage , des récompenses qui attendaient nos succès , des travaux qui nous restaient à faire, du temps qu’ils exigeaient, de la nécessité d’économiser dans un climat chaud où l’on avait l’excellente liqueur du cocos, des liqueurs qui nous seraient nécessaires dans les climats froids où nous devions pénétrer il ne délibéra pas un instant , et approuva unanimement mon projet je ne lui en donnai plus que le samedi au soir pour boire à la santé de leurs amis d’Angleterre. J’allai ensuite visiter W aheiadooa , prince de la péninsule d’Otahiti ; on harangua, un orateur et Ornai firent aussi des discours, dont la partie la plus intéressante pour nous , fut celle qui nous apprit que les Espagnols avaient voulu leur persuader de ne plus nous recevoir ; mais que bien loin d’y souscrire , ils m’offraient et sa province et tout ce qu’elle renfermait. Waheiadooa vint ensuite m’embrasser , et changea de nom avec moi. Je le menai diner sur le vaisseau avec ses amis il me donnna dix ou douze cochons , des fruits et des étoffes ; et je tirai des feux d’artifice qui les amusèrent et les étonnèrent. Quelques-uns de nos gens virent dans leurs promenades un édifice qu’ils appelèrent une chapelle catholique ce nom éveilla ma curiosité, et j’allai la voir ; c’était un 'Toopapaoo , où l’on tenait solemnellement exposé le corps du prédécesseur du prince mort depuis vingt mois, il était très - propre , semblable à un pavillon , K a 1^8 Troisième V o y à & e couvert de nattes et d’étoffes de couleurs différentes ; on y apportait chaque jour des offrandes de fruits et de racines , déposées sur un autel placé en dehors de quelques palissades qu’on ne franchit pas; deux gardes veillaient nuit et jour sur cette espèce de temple , et le décoraient dans les soient nités. Lorsque je pris congé de Waheiadooa , un des enthousiastes fanatiques nommé Eatooas , vint se placer devant nous , enveloppé de feuilles de bananiers ; il parlait au prince d’une voix basse et criarde , et lui déconseillait de me suivre à Mataway , où il prédisait que je n’arriverais pas ce jour-là ; prédiction fondée sans doute sur le calme qui régnait alors , et qui fut cependant démentie par l’événement on méprisait cet homme, et cependant on le croyait inspiré. On dit que dans leurs accès , ces prophètes fous ne connaissent personne , donnent alors tout ce qu’ils possèdent ; que leur accès passé , ils redemandent ce qu’ils ont donné , comme ne se souvenant plus de ce qu’ils ont fait. J’arrivai à Mataway , et le roi Otoo m’y fit dire qu’il désirait beaucoup de me voir ; je m’y rendis avec O mai qui lui fit des présens , comme je lui en fis à mon tour ; il me donna beaucoup de provisions à son tour; Ornai ne fut recherché que par ses richesses , et l’imprudence de sa conduite lui en fit même perdre le prix il ne fréquenta que des vagabonds et des étrangers qui le dupaient , et perdit l’amitié d’Otoo et des autres chefs ; il eut bientôt été réduit à jîe Jacques Cook. 149 la misère et au mépris , si je n’étais intervenu à propos pour l’arrêter dans ses folles prodigalités. Je descendis à terre avec un paon et sa femelle , un coq et une poule d’inde , quatre oies dont une était mâle , un canard et quatre cannes ; je les donnai à Otoo ; elles couvaient déjà lorsque je quittai l’isle. Le taureau espagnol était superbe ; je lui envoyai nos trois vaches ; j’y fis conduire aussi le taureau , le cheval , la jument et les moutons que j’avais apportés j. j’eus du plaisir à leur faire ces dons ; ils m’avaient donné beaucoup de peine et d’embarras pour les conserver , et mon but rempli, je fus délivré d’un soin bien incommode. Je fis défricher aussi une pièce de terre où je plantai des légumes et des arbres fruitiers dont je crains avec raison que les liabitans ne prennent peu de soin ; les Espagnols avaient planté un sep de vigne qu’ils ont déjà coupé , parce qu’ayant cueilli du raisin mal mûr , iis en avaient conclu que c’était du poison ; nous le trouvâmes , le cultivâmes , et les instructions d’Omaï leur persuaderont peut-être de les conserver ; quand nous partîmes , les melons , les patates , des pommiers de pin donnaient déjà des espérances. Tous nos amis accoururent bientôt nous voir , et nous .fîmes des échanges sous le nom de présens mutuels ; j’y vis un de ceux que les Espagnols avaient conduit au Pérou ; il ne se distinguait de ses compatriotes que par quelques mots espagnols qu’il avait conservés ; OEdidée , dont K 3 i5o Troisième V a y a g * le véritable nom était Heete-Heete , accourut aussi vers nous, et nous lit entendre les mots anglais qu’il savait encore né à Bolabola, il était à Otahiti, amené par la curiosité on par l’amour qui leur lait souvent entreprendre des voyages il préférait la mode et la parure de ses compatriotes et ne mit pas un grand prix à l’habit complet que je lui remis. J’assistai à un conseil de guerre qui se tint pour décider s’il fallait faire la guerre on la paix avec Eimeo , cette isle de laquelle les Otahi liens étaient les ennemis déjà dans mon second voyagej chacun y appuya son opinion avec decence, et parla dans son rang sans s’interrompre ; le conseil devint ensuite orageux, il se calma ensuite ; ceux qui voulaient la guerre , l’emportèrent et me demandèrent mon secours ; mais je leur lis entendre que ne connaissant point leurs motifs pour porter la guerre à Eimeo , et les habitait s de cette isle ne m’ayant jamais offensé , je ne croyais être en droit de les traiter en ennemis. Ils parurent se rendre à mes raisons. Towha , amiral des Otahitiens , n’assista point à ce conseil, mais parut cependant en avoir dicté les délibérations y il voulait la guerre, et venait de tuer un homme pour l’offrir en sacrifice au dieu Eatooa et mériter d’en être assisté contre Eimeo. Je voulus assister à cette cérémonie barbare , et j’accompagnai Otoo qui devait y présider. Nous nous rendîmes au Moraï où quatre prê-r très et leurs assistaas nous attendaient y le çorps, »je Jacques Coq K. iSi de la victiine était dans une pirogue sur le rivage , et deux prêtres étaient assis auprès. Otoo se plaça à quelque distance des prêtres , nous nous tînmes près de lui, et le reste du peuple se tint plus éloigné. Alors commencèrent les cérémonies. Un des assistans des prêtres mit un jeune bananier devant le roi , un autre vint toucher le pied du prince avec une touffe de plumes rouges montées sur des fibres de cocos ; puis l’un des prêtres du Moraï lit une longue prière . et envoya de temps en temps des tiges de bananiers qu’on déposait sur la victime. Près de lui était un homme qui tenait le Maro royal , l’autre l’arche d’Eatooa ; la prière finit , et le» prêtres suivis de leurs acolytes vinrent sur le rivage , recommencèrent leurs prières , tandis qu’on ôtait un à un les tiges 'de bananiers de dessus l’homme mort, et on étendit ensuite celui-ci sur le sable , lçs pieds vers la mer ; les prêtres se placèrent autour, répétant quelques phrases ; on le découvrit, on le mit dans une direction parallèle à la côte ; les prêtres ayant à la main des plumes rouges recomencè-rent une prière , pendant laquelle on enleva quelques cheveux de la victime, et on lui arracha l’œil gauche ; on enveloppa le tout dans une feuille verte qu’on présenta à Otoo, qui la renvoya au prêtre avec d’autre plumes rouges. Dans ce moment un martin-pêcheur voltiga sur les arbres voisins et l’on fut enchanté de ce bon présage. Le corps fut porté quelque pas plus loin , et on le déposa sous un arbre , la tête tournée K 4 Troisième Voyage vers le Moraï où l’on plaça les paquets d’é- tofï’es , tandis qu'on plaçait les touffes de plumes rouges aux pieds de la victime. Les prêtres se rangèrent autour du corps , celui qui paraissait être leur chef parla un quart d’heure, en variant ses gestes et les inflexions de sa voix , s’adressant à la victime , semblait lui faire des reproches, et lui demander si l’on n’avait pas eu raison de le sacrifier il le priait ensuite comme pour s'engager à obtenir du Dieu la faveur qu’on désirait, de livrer Eimeo, son chef, ses cochons, ses femmes, tout ce qu’elle renfermait , dans les mains des Otahi- tiens c’était le but du sacrifice. Il chanta d’un ton plaintif pendant demi-heure, a compagne de quelques autres, puis l’un des prêtres arracha encore des cheveux de la victime, qu’il mit sur les étoffes ; le chef des prêtres chanta seul tenant en main des plumes qu’il donna à un second prêtre qui pria aussi , et posa les plumes, sur les étoffés. On porta ensuite le corps dans la partie la plus voisine du Moraï, ainsi que les étoffes et les plumes ; celles-ci sur les murs, du Moraï , celui - ci au - dessous ; les prêtres l’entourèrent, s’assirent, prièrent, tandis que leurs acolytes creusèrent un trou où ils jetèrent la victime qu’ils recouvrirent de terre et de pierres. Dans ce moment, un enfant jeta des cris ; c’était , disait-on , les cris du Dieu. On avait préparé un feu, on y passa par la flamme un chien auquel on venait de tordre le cou , ensuite on lui arracha les entrailles qiffos UE Jacques Cook. t53 y jeta ; on en rôtit encore le cœur , le foie et les rognons, on en barbouilla le corps avec son sang , et le tout fut placé devant les prêtres qui priaient autour du tombeau ; deux hommes alors frappaient du tambour avec force,, et un petit garçon fit entendre trois lois des cris perçans ; c’était pour inviter le Dieu à se régaler du mets qu’on lui offrait, et le tout fut déposé sur un échafaud ou wluitta , haut de six pieds , où étaient Ds restes empestés de quatre cochons déjà offerts précédemment à la Divinité 5 puis on se retira. Le lendemain les mêmes cérémonies recommencèrent ; on immola un cochon de lait ; on fit usage des bananiers,des plumes rouges ; on pria , on développa leMaro, longue ceinture ornée de plumes jaunes et rouges , symbole de la royauté; on apporta l’arche du dieu Ooro , tabernacle fait en pain de sucre , composé de fibres de cocos en- trelassées ; on sacrifia encore un cochon , on en remarqua les eut-ailles pour y chercher quelque indice heureux , et on les jeta dans le feu. Devant le Moraï sur terre , il y avait aussi des Marais de mer , élevés sur des pirogues, où l’on avait étalé des cocos, des bananes , des fruits à pain , du poisson. La victime m'avait paru un homme entre deux âges, de la classe inférieure; je ne pus savoir s’il avait commis quelque crime qui méritât la mort ; mais en général on dit que le choix tombe sur des criminels ou des vagabonds , et qu’ils ne sont avertis du choix S 54 Troisième Voyage qu’au moment où le coup fatal tombe sur eux. Lorsqu’un des principaux chefs juge qu’un sacrifice est nécessaire , il désigne l’infortuné , et détache quelques-uns de ses serviteurs qui l’assomment avec la massue ou des pierres ; le roi doit toujours être présent au sacrifice. Le Moraï où l’on fait le sacrifice est bien sûrement un temple et un cimetière ; c’est celui où l’on doit ensevelir le chef de l’isle entière , sa famille et les premiers chefs du pays. Il ne diffère guères des autres que par sa grandeur. La coutume barbare d’immoler des hommes est probablement répandue sur les isles de la mer Pacifique ; dans les Isles des Amis , on devait immoler dix victimes humaines dans la Natche solemnelle qu’on se proposait d’y célébrer. Les Otahidens paraissent n’immoler qu’un homme à la fois ; mais il semble que ces sacrifices reviennent souvent ; car je comptai quarante - neuf crânes exposés dans le Moraï , qui faisaient partie d’autant de victimes, et comme ils étaient fort peu altérés , il paraît qufils avaient été immolés dans des années peu éloignées. Cette cérémonie n’attire point l'attention des insulaires ; les prêtres mêmes causaient entr’eux de choses indifférentes. Lorsque je leur demandai le but de cette institution , ils me dirent que c’était l’usage de leurs pères , qu’il était agréable à leur Dieu , qui pendant la nuit , se nourrissait de Pâme ou de la partie immatérielle qui demeure autour du Moraï , jusqu’à ce que le corps soit détruit. Di Jacques Cook. i55 Il y a quelqu'apparence que ce peuple était cannibale , et que de-là vient la cérémonie d’arracher l’œil de la victime , et de le présenter au roi qui ouvre la bouche comme pour le manger ; ils appellent cette espèce d’emblème manger thomme ces hommes si humains ont cependant encore des coutumes bien barbares ; telle est celle de couper la mâchoire de leurs ennemis vaincus , et d’offVir les corps à leurs dieux ; et ce n’est pas seulement pour obtenir la victoire qu’ils immolent des hommes ; on en sacrifia deux peu de temps après pour solemniser la restitution des biens, faites aux partisans du roi détrôné qui fut l’époux d’Oberea. A mon retour de cette horrible cérémonie , je vis Towha qui me pressa de joindre mes forces aux siennes contre Eimeo ; je le refusai et lui déplus. Je l’indignai même lorsque je lui parlai avec horreur du sacrifice qu’on venait de faire , et que je lui prédis que loin de s’attirer la faveur des dieux , il attirerait sur lui leur haine et des malheurs. Ma prédiction n’était pas si hazardée qu’elle le semble ; j’avais lieu de douter du succès d’une guerre que plusieurs condamnaient , qu’un plus grand nombre voyait avec indifférence et lorsqu’Omaï lui dit qu’en Angleterre on punirait d’une mort violente celle qu’il aurait donnée au moindre de ses domestiques, Towha ne voulut plus rien écouter ; mais ses serviteurs prêtaient à ce discours une attention qui prouvait qu’ils étaient d’une opinion différente de leur maître. i 56 Troisième Voyage Revenus dans la maison d’Otoo , il nous donna des Heevas ou spectacles dans lesquels on frappe le tambour, tandis que des femmes font entendre les chants les plus doux ; les hommes y exécutent aussi des farces. O mai nous donna un diner somptueux où était un pudding préparé à la manière des insulaires , composé de morceaux râpés , cuits et pilés de fruits à pain, de bananes mûres, du tare , de noix du palmier et du pandanus ; ils y mêlèrent le jus des cocos et le firent cuire ; il était excellent. OEdidée nous donna aussi un repas , et Otoo des présens considérables portés par de jeunes filles enveloppées et grossies dans plusieurs pièces d’étoffes , et qui ont peine à respirer sous l'amas de ces habits ; ce qu’elles portaient sur leurs têtes et les étoffes qui les entouraient, surent déposés sur les vaisseaux. Je fis voir aux chefs des feux d’artifice qui d’abord les étonnèrent, puis mirent ensuite les plus courageux. Je vis un chef mort depuis quatre mois , dont le corps n’était point défiguré encore , et je m’informai de la méthode qu’on suivait pour les conserver ; je sus qu’on leur ôtait les entrailles et reinplissaitle ventre et l’estomac d’étoffes, qu’on frottait le corps d’huile de cocos et du suc d’une plante qui ne croît que dans les montagnes ; qu'on le lavait encore souvent avec l’eau de la mer. On laisse long-temps les corps des chefs exposés aux yeux de tous , et j’appris que le temps de les voir est d’autant moins fréquent, que Je moment où ils moururent s’éloigne, et qu’ensuite on les voit fort rarement. de Jacques Cook. î5? Un jour nous montâmes à cheval devant le roi pour lui faire connaître l’usage de ces animaux , les Otahitiens qui n’avaient jamais vu un tel spectacle , s’en émerveillaient comme s’ils eussent vu des centaures ils estimèrent beaucoup cet animal, et les nations chez lesquelles on s’en sert ; chaque jour quelques-uns de nos gens montaient le cheval et la jument, et hadmiration des insulaires se soutint toujours ; il est à croire qu’ils prendront soin de ces animaux. Nous devions de la reconnaissance à Otoo j il prenait grand soin qu’on ne nous vola point; il nous fournissait abondamment des provisions ; il nous procurait tous les plaisirs qui dépendaient de lui; je crus devoir la lui témoigner en le protégeant contre les menaces de Towlia, qui l’accusait de ne l’avoir pas soutenu dans la guerre qu’il faisait à Eimeo , et de l’avoir forcé par-là , à faire une trêve honteuse. J’annonçai que je le défendrais de toutes mes forces , et que je prendrais une vengeance effrayante de ceux qui oseraient l’attaquer , et Tovvha parut en effet avoir renoncé à ses projets. Je retirai de cette guerre d’Eimeo l’avantage de connaître leurs combats sur mer. Les pirogues avancent et reculent avec vivacité , et les guerriers placés sur la plate-forme brandissent leurs armes , font mille contorsions ; enfin, après s’être évitées avec dextérité , les pirogues s’abordent de l’avant, les guerriers combattent , les vaincus fuient ou se jettent à la mer quelquefois lorsqu’ils ont résolu de vaincre ou de î55 Troisième Voyagk mourir , ils attachent leurs pirogues , et combattent jusqu’à ce que tous les guerriers de l’une ou l'autre pirogue soient tués jamais il ne font de quartier, et s’ils font des prisonniers, c’est pour les immoler le lendemain. Je fus invité à une nouvelle cérémonie religieuse ; mais une sciatique ne me permit pas d’y aller. Otoo fut instruit de ma maladie , et la mère , les trois sœurs de ce bon prince , huit autres femmes, voulurent entreprendre de me guérir. Elles se rangèrent autour de moi, et se rai- ren t à me presser aveclesdeux mains delà tête aux pieds ; mais sur-tout dans la partie où je souffrais ; elles me pétrirent jusqu’à me faire Craquer les os , et me faire assez souffrir pour désirer qu’on suspendît. Cependant je me trouvais mieux, elles recommencèrent le soir, et je passai une bonne nuit. Deux fois encore elles fîi’ent ce remède et je fus guéri. Ils l’appelentla JR ornée $ ils le pratiquent dès qu’ils sont languissans et accablés , et les effets en sont toujours salutaires. Javais envoyé deux de mes officiers à la cérémonie dont jene pouvais être spectateur ; ce fut près d’un Mora'i qu’elle s'exécuta j des branches d’arbres différens furent apportées , les prêtres chantèrent d’un ton mélancolique, on découvrit le Maro , et on le ceignit à Otoo ; on prononça le nom d 'Heiva , et trois fois l’assemblée répondit Earee ; on répéta la même cérémonie devant le Moraï du roi, puis on se plaça avec ordre dans une vaste cabane, où Tondit différens »e Jacques GooL i 5 ÿ discours dans lesquels on promettait de île plus combattre , et de vivre en amis. Un insulaire ayant une fronde autour de ses reins, et une grosse pierre sur ses épaules , se promena dans le cercle que les autres formaient ; il répéta quelques mots d’un ton chantant, et jeta sa pierie , qui fut placée avec le bananier , mis aux. pieds du roi dans le Moraï. C’était probablement une confirmation du traité. Le bananier est d’un grand usage dans les cérémonies; les messagers que Tovvha envoyait au roi lorsqu’il faisait la guerre à Eimeo, tenaient toujours un bananier à la main qu’ils déposaient aux pieds d’Otoo ; dans une querelle violente , un bananier offert ramene le calme ; il semble être le rameau d’olivier pour les liabitans des Isles de la Société. Avant de partir, je visitai le bétail et la volaille que j’avais déposés dans l’isle; tous étaientenbon état ; deux des oies et des canards couvaient, la femelle du paon, la poule d’Inde n'avaient point encore pondu. Je repris quatre chèvres , parce que j'en voulais laisser deux à Ulietea , et deux autres dans quelqu’une des isles que je pourrais rencontrer. J’emmenai aussi Ornai à Huaheine où il devait s'établir ; il se serait ruiné si je l’avais laissé abandonné à son beau-frère , à sa sœur ; mais je pris son trésor sous ma garde , et ne permis point à ses parens fripons de 1 q suivre. Les vents me retinrent encore quelques jours à Otahiti, toujours environné de pirogues. Otop l 6 o Troisième Voyage vnilut m'en donner une qu’il avait fait construire exprès ; elle était décorée de sculptures et eut été un dort agréable pour mon roi ; mais je ne savais où la placer dans mon vaisseau, et je fus obligé de refuser un présent qu’il faisait avec plaisir. Nos amis nous virent partir avec douleur , et moi-même je ne m’en éloignais pas sans regret. Je n’espérais pas trouver ailleurs autant d’abondance ni de cordialité ; notre correspondance amicale ne fut pas troublée un seul instant. Les chefs trouvaient leur compte à réprimer les vols, mais ils ne le peuvent pas toujours, et quelquefois ils sont volés eux-mêmes. Un avantage dont nous jouissions et que n’avaient pas eu les navigateurs précédons , c’est que nous savions un peu la langue du pays, et qu’Omaï nous servait encore d’interprête. Cependant nous ne pûmes savoir l’époque précise de l'arrivée des Espagnols; les Otaliitiens ne peuvent se rappeler au juste tout ce qui s’est passé au-delà d’un an ; j'avais vu par l’inscription gravée sur la croix , que les Espagnols y avaient abordé en 1774; les cochons qu’ils y laissèrent avaient déjà perfectionné la race de ceux du pays , et ils étaient déjà nombreux lorsque nous arrivâmes ; leurs chiens ont été plutôt un présent funeste qu’utile ; mais les chèvres peuvent a jouter aux richesses des insulaires Le prêtre qui y demeura quelque temps , avait cherché à gagner leur amitié ; il avait étudié leur langue, et cherché à leur donner la plus liante idée de sa ration au détriment de la nôtre ; il leur dit que nous habitions une petite isle que ses n e Jacques Cook. 16t ses compatriotes avaient soumise, et qu’ils avaient détruit mon vaisseau je ne sais s’ils avaient eu dessein de s’y établir , et d’y faire adopter leur religion ; mais ils n’y ont pas fait un seul prosélyte , et le prêtre avec deux de ses compatriotes profitèrent d’une occasion favorable pour s’en, retourner , en annonçant qu’ils viendraient bientôt avec des maisons , des animaux , des hommes , des femmes pour s’y fixer près d’eux. Ce projet faisait plaisir à Otoo qui n’en prévoyait pas les suites ; mais heureusement Otaliiti n'offre pas des richesses bien tentatives , et sa situation ne la met pas sur la route du commerce ; et c’est ce qui me fait espérer qu’on ne troublera pas un jour la douce tranquililé de ses ha- bitans. Nous cinglâmes vers Eimeo ; j’allai cherches' et visiter un havre dans sa partie septentrionale, qu’Omaï qui nous avait devancé dans sa pirogue , nous avait indiqué, et j’y jetai l’ancre ; on appelle ce havre Taloo ; il se prolonge entre des collines dans un espace de deux milles ; il n’en est pas de plus sûr dans tout l’Océan Pacifique , et l’entrée comme la sortie en est également facile. Différens ruisseaux d’une eau pure s’y rendent ; ses bords sont hérissés de bois , et près de là est le havre Patowroah, plus étendu encore, mais dont l’entrée est plus étroite et plus diificile pour entrer ou sortir ; j’avais ignoré ces havres et je m’en étonnai un peu, puisque j’y avais envoyé un canot. Dès que nous y fûmes, la curiosité et ensuite Tome III. L i 6 z Troisième Voyage ]e désir de faire des échanges , amenèrent tin grand nombre d’insulaires sur nos vaisseaux ; le chef Maheine vint aussi nous visiter, et balança de le faire , parce que nous étions amis des Ota- Intiens; il me lit des présens et je lui en lis à mon tour c’était un homme de quarante à cinquante ans , déjà chauve, mais le cachant avec soin ; on me vola une chèvre qui fut menée chez lui, j’exigeai qu’il me la rendît, il parut ne s’y pas refuser , et en effet, il me la renvoya avec le voleur ; mais dans le meme moment on m’en escamotait une autre pour échapper à ma vengeance , tous s’enfuirent, et Maheine avec eux ; il était facile de voir qu’ils s’entendaient pour garder cette chèvre qui était pleine ; par la même raison je résolus de me la faire restituer ; et j’envoyai la chercher dans le lieu où l’on m'indiqua qu’on l’avait cachée ; mon détachement revint sans elle , les Indiens surent l’amuser sans le satisfaire. Je m’étais trop avancé pour pouvoir reculer sans faire croire qu’on me volait impunément. Je descendis à terre avec trente-cinq hommes , et envoyai trois canots qui devaient se réunir à nous vers la pointe occidentale de l’isle. Tous les Indiens s’enfuirent de devant nous , jusqu’au moment où je déclarai que je ne voulais tuer ni blesser personne; alors ils ne laissèrent plus leurs maisons désertes , ils continuèrent leurs travaux ordinaires ; tous me dirent que la chèvre était à Watea ; nous nous y rendimeK , et on. nous assura qu’on ne l’y avait pas vue ; j’assurai de Jacques Coole. t63 qu’elle y était, et que si on ne me la rendait pas , je brûlerais leurs maisons et leurs pirogues ; -ils persistèrent à dire qu’ils ne l’avaient pas. Alors je lis mettre le feu à quelques maisons et à deux ou trois pirogues ; je brûlai encore six de ces dernières en me rapprochant de mes canots. Les Indiens se rassemblèrent ; mais au lieu de nous résister comme on nous l’annonçait, ils vinffent en suppliant déposer des bananiers à mes pieds , et me conjurer d’épargner une pirogue que j’allais trouver. Je l’épargnai et nous revînmes dans nos vaisseaux ; mais on ne m’envoya point la chèvre. Je fis déclarer à Maheine que s’il persistait à garder la chèvre, je ne laisserais aucune pirogue dansl’isle, et porterais ma vengeance plus loin encore si l’on ne me la ramenait. J’en lis détruise dix ou douze , pour lui prouver que mes menaces n’étaient pas sans effet ; mais pendant cette dernière expédition on me ramena ma chèvre. C’était avec regret qu’après avoir refusé de me joindre aux ennemis de ce peuple , je me voyais forcé d’agir en ennemi moi-même ; notre correspondance se rétablit ; les Eimeens nous apportèrent encore des fruits , et il me fut doux de penser qu’ils sentaient leur tort, et que si je leur avais fait essuyer des pertes, c’était à eux qu’ils devaient s’en prendre. Je pris ensuite le chemin d’Huaheine j’avais trouvé à Eimeo du bois à brûler des cochons , des fruits les productions y sont les mêmes que .selles d’ les femmes v sont laides et petites La 1 64 Troisième Voyage son aspect offre des collines fort élevées et des vallées étendues qui sur leurs flancs descendent en pente douce ; elles sont couvertes d’arbres ; dans le fond , on n’y voit prospérer que la fougère ; la bordure plate dontl’isle est environnée , est escarpée à peu de distance de la mer , et présente un aspect très-pittoresque. Au bas le sol est compact et jaunâtre ; dans le baut, il est plus friable , et les rocs des collines sont bleuâtres , cassants , et mêlés de particules de mica. Deux gros rochers qui se trouvaient près du lieu où nous avions jeté l’ancre , étaient aux yeux des habitans des Eatooas , ou des dieux frère et sœur , arrivés d’Ulietea d’une manière surnaturelle. A peine eûmes-nous atteint le hâvred’Huaheine que les vaisseaux surent remplis d’insulaires ; on leur raconta , on exagéra même la vengeance que nous avions prise du 's ol qu’on nous avait fait , et ce récit inspira des craintes qui nous furent utiles ; les fils d’Orée me visitèrent ; mais leur père n’était plus roi, ou plutôt régent de l’isle , il n’y était plus même, il s’était retiré à Ulietea les autres chefs accoururent vers nous , et je résolus de profiter de cette circonstance pour établir Ornai , qui se conduisait avec prudence depuis qu’il était délivré des fripons qui l’obsédaient. Je rendis visite au nouveau chef Tairee-tereea j c’était un enfant de dix ans , je lui fis un présent, O mai lui en fit un aussi, ainsi qu’à l’Eatooa. Le concours du peuple était très-nombreux; en général , il nous parut plus robuste et moins ba- de Jacques Cook. ï 65 sanné que le peuple d’Otahiti ; il paraissait y avoir plus de riches ou de chefs , et presque tous avaient un embonpoint extraordinaire nous réglâmes le commerce entre les habitans et nous , et je parlai de rétablissement d’Omaï. Je dis tout ce qui pouvait l’honorer aux yeux de ses compatriotes , et tout ce que j’avais fait d’avantageux pour les Isles de la Société ; et pour prix de ces services , je demandai un terrain où mon ami pût élever une maison et cultiver les productions nécessaires à sa subsistance et à celle de ses domestiques. On me permit de lui donner ce que je voudrais ; cette permission était trop vague pour signifier quelque chose , et je demandai une réponse plus précise , et ils me cédèrent un terrain contigu à la maison où se tenait le conseil, dont l’étendue était de cent toises sur le havre, et qui de-là s’étendait jusque sur la colline voisine. Tous furent contenu; mes charpentiers y construisirent une petite maison où il pouvait renfermer ses trésors ; nous lui fîmes un jardin où nous plantâmes des shaddeks , des seps de vigne , des pommes de pin , des melons, et des graines de plusieurs espèces de végétaux ; et ces plantations étaient en pleine végétation lorsque je quittai l’isle. Omaï se repentait de sa prodigalité ; il trouva dans Huaheine un frère et une sœur qui ne le pillèrent pas , mais peu considérés pour le protéger 5 et j’eus lieu de craindre qu’on ne le dépouillât de ses biens lorsque nous l’aurions quitté ; il était le seul riche propriétaire de l’isle, il allait L 3 a 66 Troisième Voyagr exciter l’envie dans un lieu où l’on se livre aux premiers mouveinens sans être arrêté par des loix, par la religion , ou par des idées morales pour le mettre en sûreté , je lui conseillai de donner ne partie de ses richesses' à deux ou trois des principaux chefs , et de mon côté j’annonçai que si on lui faisait quelque injustice, et que je le trouvasse opprimé à mon retour, je prendrais une vengeance éclatante de Ceux qui l’auraient maltraité. Tandis que je veillais à la sûreté future d’Omuï, je cherchais à délivrer mon vaisseau des blattes qui l’infestaient, et à me faire rendre un sextant qu’un des insulaires nous avait pris ; je me saisis du voleur , et quand j’eus recouvert l’objet du vol, je le punis en lui faisant raser les cheveux et la barbe, et couper les oreilles. Cette punition rigoureuse ne fit que l’irriter, il voulut nous voler nos chèvres, il ravagea le jardin d’Omaï, il menaçait de brûler sa maison pour le mettre en sûreté , je l’emprisonnai encore, résolu de ne lui rendre la liberté que sur quelque isle écartée , et les chefs de l’isle m’applaudirent ; mais il s’échappa de nos mains et s’enfuit à ülietea. Parmi les trésors d’Omaï était une caisse de joujoux que la multitude étonnée contemplait avec une sorte d’admiration ; mais ses pots , ses assiettes, ses plats , ses chaudrons , ses bouteilles , ses verres , ses meubles en général attirèrent â peine ses regards Ornai même en sentit l'inutilité ; un cochon cuit au four de Jacques Cook. 167 valait mieux que bouilli ; une feuille de bananier valait un plat , et une noix de cocos un verre ; il troqua la plupart de ces objets contre des haches et des outils de fer ; il avait aussi des feux d’artifice dont il fit usage pour exciter, ou le plaisir ou la crainte de ses compatriotes. Je lui laissai le cheval, la jument , une chèvre pleine , une truie et deux cochons de race anglaise sa maison avait vingt- quatre pieds de long, dix-huit de large, et six de hauteur ; il fut décidé encore qu’il en bâtirait une plus grande à la mode du pays, qui s’étendrait sur celle que nous avions bâtie ; il avait quatre ou cinq hommes de la classe inférieure d’Otahiti ; il garda les deux Zélandais qui auraient préféré de demeurer avec nous ; son frère s’établit avec lui avec quelques- uns de ses parens ; il avait un mousquet, une hayon- nette , une giberne , un fusil de chasse , deux paires de pistolets , deux ou trois sabres ; il était en état de se défendre contre les voleurs, mais il me semblait qu’il eût pu être plus heureux sans ces armes, qui devenaient dangereuses Jans un homme dont je connaissais l’imprudence. Tout étant arrangé comme je le désirais, je sortis du havre ; les habitans nous firent leurs adieux mais Omaï demeura encore avec nous ; il ne nous quitta qu’après avoir embrassé tous les officiers avec assez de courage ; mais quand il s’approcha de moi, il ne put se contenir et versa un torrent de larmes ; j’étais sensible à son attachement 5 je regrettais presque qidon Xi ^ 1 68 Troisième Voyage l’eût conduit en Angleterre, où les douceurs d'une vie civilisée pouvaient l’avoir rendu insensible aux plaisirs de ses compatriotes ; il avait acquis des connaissances , niais elles n’y donnent aucun crédit dans les lieux de sa naissance il n’avait pas su jusqu’alors faire un bon usage de ses richesses $ il était entraîné par le désir de la vengeance contre les liabitans de Bolabola qui avaient dépouillé sa famille , et ces considérations me donnèrent de l’inquiétude sur sou sort. Sans doute, les navigateurs qui suivront mes traces , s’informeront avec intérêt de ce qu’est devenu le pauvre Omaï. Ses défauts se trouvaient contrebalancés par son extrême bonté , par la docilité de son caractère, par les sentiinens de reconnaissance qui l’animaient envers ceux qui l’avaient obligé ; il avait plus de pénétration que d’application, et ses connaissances étaient superficielles ; il observait peu , il n’avait point cherché à rapporter quelques arts utiles à ses compatriotes je crois qu’il cultivera les arbres fruitiers , les végétaux que nous avons plantés , et qu’il prendra soin des animaux que nous lui avons laissés. Nous continuâmes notre route pour Ulietea, où je voulais relâcher. Oreo nous vit approcher, et vint en pirogue avec son lils et son gendre; dès que nous fûmes dans le hâvre , les insulaires nous environnèrent pour échanger des cochons et des fruits , et par - tout nous nous trouvions dans l’abondance ; nous descendîmes, DE Jacques Cook. 169 dressâmes des tentes , un observatoire , visi- t âmes le vieux Oreo à qui je fis des présens mais tandis que nous étions occupés à ces paisibles observations , un de nos soldats déserta avec son fusil et son équipage. J’engageai le chef à faire des recherches pour le retrouver; elles furent inutiles, et je me mis moi-même à ses trousses j après une marche rapide, je trouvai mon déserteur entre deux femmes qui me demandèrent sa grâce en versant des larmes ; je leur parlai avec sévérité ainsi qu’au chef du canton , et je retournai au vaisseau avec mon déserteur que je punis légèrement, parce qu’il m’allégua des raisons qui allégeaient la gravité de sa faute. J’appris ici qn’Omaï vivait en paix avec ses compatriotes ; mais que sa chèvre était morte en. mettant bas ses petits ; il m’en demandait une autre avec deux haches. Je lui envoyai deux chevreaux , l’un mâle , l’autre femelle , avec deux haches, et j’espérai qu’il continuerait d’être tranquille et heureux. C’est à Ulietea que je donnai mes instructions au capitaine Clerke , parce que nous allions entreprendre un long voyage au travers de mers orageuses ; je convins du lieu où. nous aborderions , où nous nous attendrions. Nous réparâmes aussi nos vaisseaux ; mais une affaire plus inquiétante nous occupa davantage ; un pilotin et un matelot désertèrent , Mr. Clerke les poursuivit en vain , il revint sans eux. Cependant comme un grand nombre de 10s soldats et de nos matelots désiraient comme eux de s’établir dans lyo Troisième Voyage ces islcs fortunées, il devenait important de leur en ôter l’espérance en recouvrant ceux-ci ; j’allai donc moi-même avec le chef de l’isle à leur poursuite ; mais on me dit qu’ils s’étaient sauvés à Bolabola. J’employai un moyen violent pour .réussir ; le capitaine Clerke invita le fils, la fille et le gendre d/Oreo , et quand ils furent dans sa chambre, il les y lit enfermer $ Oreo voulut s’en plaindre à moi, et il apprit que je l’avais ordonné , il craignit pour lui-même ; je lui dis qu’il était libre et pouvait agir pour me faire rendre mes gens ; mais que s’ils ne revenaient pas, j’emmenais sa famille. Oreo et les insulaires déplorèrent la captivité de leurs compatriotes ; les femmes , par tendresse pour la fille tl’Oreo , se firent à la tête des blessures profondes. Le chef s’occupa' des moyens de recouvrer les deux fugitifs ; il écrivit à Opoony , roi de Bolabola, pour qu’il les fit arrêter s’ils y étaient encore, ou poursuivre s’ils n’y étaient plus. Cependant les Indiens méditaient un projet hardi $ ils voulaient s’emparer du capitaine Clerke et de moi ; j’allais tous les soirs me baigner dans une petite rivière voisine , presque toujours seul et sans armes ; ils se préparaient à m’y saisir; mais depuis la détention des enfans d’Oreo je m’étais abstenu de prendre des bains ; on environna le capitaine Clerke et le lieutenant Gore; le premier dissipa les insulaires avec son pistolet. Enfin on me ramena mes déserteurs ; ils avaient été arrêtés dans la petite isle de Toobarcc , où le vent les avait forcés de demeurer ; je relâchai de Jacques Cook. 171 alors tont de suite les enf'ans d’Oreo , et le calme fut rétabli. Je n’aurais pas peut-être employé des moyens si rigoureux si l'un de ces fugitifs n’avait pas été le neveu d’un de mes amis , officier comme moi dans la marine du roi. Notre commerce fut fort actif dans les derniers jours que nous demeurâmes àUlietea ; les habitons avaient oublié nos querelles en général , ils sont plus petits et ont le teint plus noir que ceux desisles voisines ; il sont plus adonnés encore au desordre des passions ; c’est qu’ils sont soumis à Bolabola , après avoir été le peuple le plus distingué de ces isles ; il semble meme que leur isle était le centre de l’administration. Le vieil Orée , autrefois chef d’Hualieine , vivait à Uiietea et me visita ; il était plus sain de corps que lorsqu’il était roi ; il était toujours riche , car il me fit des présens magnifiques , et avait toujours une nombreuse suite. Je résolus de me rendre à Bolabola, où je voulais acheter l’ancre perdue par Mr. de Bougainville , relevée par les Otahitiens qui en avaient fait un présent à Opoony ; je voulais m’en servir pour faire des outils de fer dont la provision avait beaucoup diminué. Oreo nous suivit dans cette isle avec plusieurs insulaires , et presque tous ces derniers nous auraient suivis , si nous l’avions voulu , jusqu’en Angleterre. Lèvent ne permit pas aux vaisseaux d’entrer dans le havre, et je me rendis dans l’isle avec des canots ; je vis Opoony environné d’une suite nombreuse , et lui offris l’échange de l’ancre contre une robe de a > *7 2 Troisième Voyage chambre de toile , des fichus de gaze , un miroir , six haches , des grains de verre et d’autres bagatelles $ mais il ne voulut pas les recevoir que je n’eusse vu l’ancre qui était gâtée en partie et moins grosse que je ne l’imaginais la délicatesse de ce procédé fit que je ne retranchai rien de ce que je lui avais offert. Le havre de cette isle est un des plus étendus que j’aie jamais vu, et l’isle n’a que huit lieues détour; la montagne qui s'élève au centre forme deux pics ; elle est stérile au levant, couverte d’arbres et d’arbrisseaux vers le couchant , la plaine qui l’environne est ombragée de cocotiers et d’arbres à pain la petitesse de cette isle , son rot, sa population n’annoncent point une puissance redoutable , et cependant elle a soumis Ulietea , isle qui a au moins une étendue double de celle-ci. Voici le précis de cette révolution. Ulietea et Otaha vécurent long-temps amies ; cependant Otaha eut la perfidie de se joindre à l’olabola pour attaquer Ulietea qui appela à son secours les habitans d’IIuaheine. Les bolaboliens avaient à leur tête une prophêtésse qui leur annonçait la victoire , et qui pour appuyer ses oracles , assura que si l'on envoyait un homme sur la mer , il verrait une pierre s’élever du fond. L’un d’eux s’y rendit, plongea pour voir la pierre, et fut rejeté brusquement à la surface avec une pierre à la main. La pierre fut consacrée à l’Eatooa , et l’escadre de Bolabola partit avec la certitude de la victoire 5 ils ne finiraient l de Jacques Cook. iy3 pas remportée , si dans la chaleur du combat, l’escadre d’Otaha n’avait pas paru pour se joindre à eux ; ils mirent leurs ennemis en fuite , envahirent Huaheine , s’en rendirent maîtres ; mais ne le furent pas long-temps; les fugitifs de cette isle y revinrent pendant la nuit , et mirent en fuite leurs vainqueurs. Otaha se brouilla avec son alliée , et celle-ci la subjugua ainsi qu’Ulie- tea, après cinq combats où les Bolaboliens remportèrent encore la victoire. Depuis ce temps ils régnent sur ces deux isles ; il y avait environ douze ans que cette guerre avait commencé , il y en avait dix environ qu’elle avait fini. Je sus de mon pilotin fugitif que l’animal que les Otahitiens avaient envoyé à Bolabola pour témoigner leur estime aux habitans de cette isle était un bélier, et j’y déposai une brebis pour •qu’ils pussent avoir des petits, ^abandonnai aussi dans Ulietea aux soins d’Oreo , un verrat, une truie et deux chèvres, pleines. Quand ces animaux y auront produit , les habitans de ces isles auront des moyens de subsistance de plus , et les navigateurs qui me suivront y trouveront plus de ressources que nous n’y en avons trouvé mais il faudra qu’ils aient sur-tout des haches à donner en échange , et du sel pour conserver les animaux qu’ils recevront. Peut-être ils auraient été plus heureux d’être ignorés de nous , s’ils doivent en être abandonnés ; ils vivaient dans une médiocrité douce et tranquille , et nous sommes venus leur donner des idées nouvelles et de nouveaux besoins qu’ils 1 y 4 Troisième Voyage ne pourront plus satisfaire. Si les Européens consultent les devoirs de l’humanité , il me semble qu’ils ont contracté celui de les visiter quelquefois , pour suppléer à leur défaut de moyens j nos haches, nos instruirions leur auront fait abandonner une industrie moins perfectionnée , mais qui leur a long-temps suffi ; une hache de pierre, un ciseau d’os ou de pierre y sont actuellement fort rares , et quand ils souffriront la disette de ceux que nous leur avons fourni, ils auront perdu l’art de fabriquer les leurs. On doit donc craindre de leur avoir préparé de longs malheurs en leur procurant des facilités momentanées ; on doit chercher à les en délivrer. Je corrigeai , ou fortifiai mes observations précédentes par de nouvelles , et je trouvai que la latitude de Matavai dans l’isle d’Otahifi était de 17 degrés 29 minutes 4 secondes , que la longitude était 210 degrés 22 minutes 28 secondes à l’orient de Greenwich, ou 227 degrés 5 o minutes 3 i secondes de l’isle de Fer; la marée s’y élève de 12 à 14 pieds. C’est la fertilité du sol qui dispense les habi- tans des soins de la culture. Les Otahitiens ne plantent point l’arbre à pain ; il pousse sur les racines des vieux , ils couvriraient la plaine si les habitans ne s’y préparaient des espaces ou pour leurs cabanes ou pour d’autres productions j le cocotier n’exige point de soins , le bananier en demande un peu davantage. Une des curiosités de l’isle est un lac a» sommet de l’une de ses plus hautes montagnes ; il b e Jacques Cook. xy 5 est d’une extrême profondeur , et renferme des anguilles d’une grandeur extraordinaire les insulaires y pêchent sur de petits radeaux formés par deux ou trois bananiers réunis. Les habitans de l’isle sont remarquables par la délicatesse de leurs proportions, par les agrémens de leur physionomie , et même par la blancheur relative de leur teint ils prennent soin d’augmenter celle-ci en se tenant pendant un certain temps dans leurs maisons , en se couvrant d'étoffes , en ne mangeant que du fruit à pain auquel ils attribuent la qualité de blanchir la peau ; ils doivent peut-être la santé dont ils jouissent à ce qu’ils tirent les neuf dixièmes de leur nourriture des végétaux, et sur-tout au Mahée , ou fruit à pain fermenté qui est la. base de leurs repas. La maladie vénérienne y est aujourd’hui la plus générale , et ils sont parvenus à l’affaiblir , non à la détruire. Ils ont les passions de la légèreté des enlans ; quelquefois cruels , inhumains envers leurs ennemis, ils n’ont qu'une tristesse passagère ; le chagrin ne sillonne point leur front, pas même au moment du combat , ni aux approches de la mort. Ils aiment passionnément les chansons, et le plaisir en est toujours l’objet quelquefois, ils célèbrent leurs victoires ou la paix dont ils jouissent; ils se plaisent i s'élancer à force de rames au-devant d'une houle qui les soulève et les porte rapidement sur le rivage. Leur langue est remplie de figures énergiques ; ainsi pour exprimer l’idée de la mort, ils disent que l’ame va dans la nuit ; ils îy 6 Troisième Voyage ont l’expression qu’on trouve dans les livres saints les entrailles sont émues de douleur ; elle admet les inversions , et a beaucoup de synonymes. Ils ont aussi une sorte de langue qu’on pourrait appeler plaintive et qui forme toujours des espèces de stances. Leurs connaissances en médecine sont plus bornées que celles qu’ils ont en chirurgie, parce qu’il leur arrive plus d’ac- cidens qu’ils n’ont de maladies ; ils environnent d’éclisses les os fracturés, et si unp partie de l’os est détachée , ils insèrent un morceau de bois taillé comme la partie de l’os qui manque, et bientôt la chair le recouvre. Malgré la fertilité de l’isle , on y éprouve quelquefois la famine ; est-elle la suite d’une saison dérangée , de la guerre , d’une population trop nombreuse ? c’est ce qu’on n’a pu déterminer. Ce fléau leur a donné l’habitude d’économiser dans les temps d’abondance , pour suppléer au temps de la disette. Quand il arrive , ils se nourrissent de\iipalarra , espèce de patates qui n’est bonne qu’avant sa maturité, de deux autres racines dont l’une est vénéneuse quand on ne la laisse pas macérer dans l’eau. Rarement les hommesdela classe inférieure mangent du cochon , et le chef seul peut en avoir tous les jours. Quelquefois le roi est obligé de défendre d’en tuer ; mais quand leur multiplication est rétablie , la défense est levée. Il défend aussi quelquefois de tuer de la volaille. Les Otahitiens font cinq repas par jour ; à deux, à huit, à onze heures le matin , à deux, et à cinq le soir les femmes y mangent seules et jamais ïE Jacques Cook. 177 jamais d’aucuns mets délicats ; il y a un poisson de l'espèce du thon , une sorte de bananes qu’elles ne touchent jamais , et rarement les femmes des chefs mangent du porc elles sont obligées de se découvrir ou de luire un détour pour éviter les Moraïs. Les filles vivent avec leurs amans sous les yeux de leur père auquel on a fait des présens si elles de viennent enceintes, l’amant peut l’abandonner, il peut tuer l’enfant ; mais s’il ne lui ôte pas la vie, il est censé marié. Il est commun de leur voir changer de femmes, et de les leur voir battre sans pitié ; ils pratiquent avec une sorte de solemnité la circoncision , et semblent ne s’y soumettre que par des raisons de propreté. Les prêtres seuls ont une connaissance un peu nette de leur système religieux ; ils admettent plusieurs dieux les isles voisines en ont toutes de diflérens , et chacune croit que le sien est le plus respectable quelquefois cependant ils en changent ainsi les habitans de la péninsule Tierraboo ont substitué Oraa ou 011a, dieu de Bolabola , anse dieux Opoona et Watootecree qu'ils adoraient auparavant. Ils les servent avec assiduité, chargent leurs autels d’animaux et de fruits, et ne font jamais un repas sans mettre à part un. morceau pour le dieu. Ils leur font des sacrifices humains assez fréquens, les honorent par des prières, et par des chants souvent répétés. Dans leurs malheurs ils font des présens à l'être malfaisant et invisible auquel ils les attribuent. Ils croient que l’âme voltige autour des lèvre Tonte lïl. M 178 Troisième Voyage du mourant , qu’elle monte ensuite vers dieu qui la mange , qui la rend, ensuite dans un lieu , où toutes réunies, elles vivent dans une nuit éternelle. L’aine d’un homme qui s’abstient des femmes pendant quelques mois avant de mourir, n’a pas besoin d’être mangée par dieu pour y arriver ; elle s’y rend en droiture là elles sont invulnérables, peu sujettes aux passions ; cependant les aines ennemies s’y battent quelquefois ; l’ame de l’époux s’y réunit à celle de son épouse, elles font des enfans semblables à elles. Ils croient que leurs dieux ont formé des esprits, qui quelquefois les mangent ; mais ils ont la faculté do se reproduire ; c’est au déclin de la lune que leur dieu est mangé , c’est lorsqu'elle est pleine qu’ils se reproduisent 1 . Les hommes qui se noient ont un paradis différent des autres ; ils trouvent dans le sein des flots un beau pays, des maisons et tout ce qui peut les rendre heureux tout a une aine à leurs yeux, les plantes, les pierres même , et leur sort est comme celui des hommes. Ils croient marcher sur une terre enchantée par leur dieu ; ils ne peuvent se toucher le pied contre une porte qu’ils n’attribuent le coup à l’Eatooa ; ils tremblent la nuit dans le voisinage d’un cimetière , croient aux songes , et que le rêveur est un prophète l’aspeot de la lune les dirige souvent dans leurs entreprises. 1 Le temps de ta reproduction et de la destruction de ces dieux explique , ce nous semble , la cause de cette o pinioji et ce qu'il faut entendre par elle. ïîe Jacques Cook. 179 Ils disent qu’avant toutes choses, existait une déesse qui ayant attaché une masse de terre à une corde, la lança autour d elle , et que ses morceaux répandus formèrent Otahiti et les isles voisines ; que leurs habitans viennent d’un homme et d’une femme qui s'établirent à ütahhi • que sans doute ils venaient de pays plus éloignés dont ils supposent l'existence. Ils connaissent aussi une création universelle, mais par des moyens qui supposent que la matière existait déjà ; ils disent que Tatooma , et Tapvppa , rochers mâle et femelle , formant le noyau du globe, produisirent Totorro , dont le cadavre se décomposa en terre. Une autre déesse épousa son fils Tierraa , à qui elle ordonna de créer de nouvelles terres, des animaux, des plantes. Un accident ayant détruit une espèce des arbres qu’il avait créés, les graines en surent portées dans la lune par des colombes ; et ils y forment aujourd’hui des bocages , qui nous semblent être des taches. Ils prétendent qu’il y eut autrefois dans l’isle deux Taheeai , ou Cannibales, venus onjne sait d’où ; ils sortaient des montagnes qu’ils habitaient pour aller à la chasse des hommes di-ut ils se nourrissaient. Deux frères résolurent d’en déliver le pays ; du haut d’un rocher voisin de leur cabane, ils invitèrent les Taheeai à un festin , où ayant fait chauffer des pierres , qu’ils leur firent entrer dans la bouche avec de l’eau, le bouillonnement et la vapeur les étouffèrent. Les libérateurs devinrent la tige M a i8o Troisième Voyage des rois Otaliitiens , et une femme qui habitait avec les monstres et ne vivait pas comme eux, devint une déesse ; elle avait deux dents d’une grosseur prodigieuse. Ces contes incohérens semblent prouver qu’il y eut des antropophages dans Otahiti , et il n’est pas même prouvé qu’il n’y en ait plus. Ornai nous a raconté qu’un homme de sa famille avait coupé un morceau de la cuisse d’un habitant de Bola- bola • et les victimes humaines qu’on y offre aux dieux semblent annoncer un reste de cette barbarie. Le roi est très - respecté ; il porte seul le maro, et seul possède une conque an son de laquelle tous les sujets lui apportent des comestibles de différente espèce ; on punit de mort celui qui se sert de son nom avec légèreté ; on confisque les terres de celui qui blâme son administration ; il n’entre jamais dans les maisons de ses sujets , et si quelque accident l’y force , on brûle la maison avec tout ce qu’elle renferme ; on porte jusqu’à la superstition les respects qu’on lui rend. Après lui viennent les chefs , puis les Ma- nohoone ou les vassaux , que suivent les Toutous ou esclaves ; chacune de ces classes ne peut se marier que dans son sein ; le Toutou qui est l’amant d’une femme d’un rang supérieur est mis à mort -, s’il est résulté des enf’ans de ce commerce, ils sont mis à mort. Si au contraire un vassal s’abaisse jusqu’à une femme Toutou, l’etiiaiit prend le rang de son père de Jacques Cook. ïSi qui est dégradé. Nous ne répéterons point ce qu’on a dit ailleurs du gouvernement. Le possesseur peut tuer le voleur qu’il surprend ; il n’est obligé qu’à en exposer les raisons •cette sévérité n’est exercée que sur celui qui cherche à ravir des choses précieuses , pour d’autres objets on ne le force qu’à la restitution ; un meurtre fait naître une guerre civile entre les familles , qui ne se termine que par la perte entière' des possessions de la famille vaincue. La mort d’un Toutou est rachetée par la cession de quelques cochons et de quelques plumes rouges. Le meurtre même d’un de ses enfans n’est qu’un délit léger. La petite isle de Mataia ou Ostiabrug dépend d’Otahiti ; ses habitans parlent un dialecte différent de leur métropole ; ils portent les cheveux longs , se parent de coquilles et de perles polies éblouissantes au soleil; et dans les combats, ils se servent d’une grande coquille comme d’un bouclier , d'une substance garnie de dents de requin pour se couvrir les bras, et d’une peau de poisson chagrinée pour défendre leur corps; On nous parla de diverses isles basses situées au nord-est d’Otahiti ; on nous en nomma huit; leurs habitans se rendent quelquefois à Otahiti ; ils ont le teint plus brun que les habitans de cette isle , la physionomie moins douce et le corps piqueté d’une manière différente. Ils ont clés coutumes assez singulières. En nous éloignant de Bolabola, nous cinglions vers le nord \ notre voyage qui durait M 3 i8 2 Troisième V o y a e b déjà depuis dix-sept mois , ne faisait en effet que commencer , et je fis faire l’inventaire de nos provisions pour en régler l’usage. Vers le 8 e . degré de latitude méridionale , nous commençâmes à voir différentes sortes d’oiseaux ; c’est dans ces parages que Mendana découvit en 3568., l’isle de Jésus ; nous ne la découvrîmes pas. Nous coupâmes l’Equateur sous leaio 0 . degré 43 minutes 3 secondes de longitude , et deux jours après nous découvrîmes une terre; c’était une isle base , formée d’une enceinte qui renfermait un lac d’eau de mer , la bordure stérile n’offrait que quelques touffes de cocotiers; je résolus d’y jeter l’ancre pour m’y procurer des tortues; car cette terre n’était point habitée et semblait devoir nous en fournir. Tandis que deux canots cherchaient un lieu de débarquement , deux autres pêchaient et nous rapportèrent deux cents livres de poisson ; je les y renvoyai, et je vins avec les vaisseaux devant une petite isle où je pus jeter l’ancre, et aux côtes de laquelle il y avait deux canaux pour pénétrer dans l’isle ; nous y entrâmes , nous y trouvâmes des toi tues, mais en moindre nombre que je n’espérais; on en trouva davantage le lendemain et les jours qui suivirent. J’avais débarqué dans l’isle avec Bayly pour y observer une éclipse de soleil tandis,que mes matelots étaient à la chasse des tortues , et quoique je connusse l'ineptie des matelots quand ils se trouvent sur terre , je n imaginais pas quTl s’en put égarer sur une bordure de terre assez DR Jacques Cook. i83 étroite où de petits arbrisseaux épars ne pouvaient cacher la vue des vaisseaux. Cependant tleux s'égarèrent et nous inquiétèrent pendant près de deux jours ; l’un revint et l’autre fut retrouvé ; mais ils avaient souffert une soif extrême , car il n’y a point d’eau douce dans cette îsle ; l’un deux s’était soulagé en suçant le sang d’une tortue. Je plantai sur cette terre déserte des noix de cocos et des ignames que j’avais sur le vaisseau en pleine végétation nous y semâmes aussi des melons , et y laissâmes dans une bouteille nos noms, celui de nos vaisseaux , et la date de notre séjour. Le sol de cette isle est en quelques endroits léger et noir , composé de débris de végétaux , de sable et de fiente d’oiseaux en d’autres lieux on ne voit que du corail et des coquilles brisées dont la mer est assez éloignée aujourd’hui , pour faire croire que cette terre s’accroît tous les jours ; il y a des étangs remplis par l’eau de la mer qui filtre au travers du sable, Rien n’y indique des traces de l’homme; et l’on ne sait comment il pourrait y étancher sa soif; aucun végétal ne pourrait y servir de pain. Il n’y avait qu'une trentaine de cocotiers peu fertiles , et le suc des noix y a le goût de sel on y trouve quelques arbrisseaux et deux ou trois plantes différentes on y vit aussi un side, ou une mauve de l’Inde, une espèce de pourpier, deux de gramens , et une plante semblable au Mesem- bryamthemum. Sous les arbres vivaient une multitude infinie d’hirondelles ou d’oiseaux d’œufs M 4 38 4 T R O I * T T. M F V O Y A O K d’une espère encore inconnue ; elles sont noires dans la partie supérieure du corps , dans l'inférieure, sur le Iront elles ont un arc blanc j les unes soignaient leurs petits , d’autres couvaient un cens bleuâtre , tacheté de noir et plus gros que celui d’un pigeon ; nous v vîmes d'autres oiseaux encore, tels que le noddie, un autre semblable au goéland , un troisième couleur de chocolat qui a le ventre blanc, la frégate , le courlis, la guignette , l’oiseau du tropique , et mi petit oisseau de terre qui ressemble à la fauvette d’hiver j de petits lézards , des crabes de terre , des rats sont encore les habit ans de cette isle. Nous y célébrâmes la fêle de Noël , et lui donnâmes ce nom 5 elle a 10 à lieues de circonférence et a la forme d’une lune décroissante , dont les extrémités sont l’une au nord , l'antre au sud elle est ceinte de rochers de corail , au dehors desquels est vers le couchant un banc do sable qui s’étend à un mille en mer la latitude de la petite isle où nous observâmes l'éclipse du soleil, est sous la latitude méridionale 1 dét*ré S minutes , sous la longitude 21 degrés 58 minutes. Nous nous en éloignâmes le 2 janvier, toujours environnés de diffërens oiseaux ; parvenu» entre le dixième et Je onzième parallèle , nous vîmes des tortues qui nous annoncèrent le voisinage d’une terre, mais nous n’en découvrîmes que quelques jours après , au lever de l’aurore ; ç’étaient den* isles élevées ; en nous approchant de Jacques Cook, i85 Je l'une d’elles nous en découvrîmes une troisième ; bientôt quelques pirogues se détachèrent de celle vers laquelle nous tendions ; nous les attendîmes et fûmes agréablement surpris de leur entendre parler la langue des isles de la Société. Nos invitations ne purent les déterminer à se rendre sur nos vaisseaux ; ils acceptèrent le don de quelques médailles de cuivre, et m’envoyèrent en retour quelques pièces de maquereaux ; je leur tendis encore de petits clous et des morceaux de fer qu’ils estimaient beaucoup , et ilsm’envoyèrentdespoissons etunepatate douce. Je ne voyais dans leurs pirogues que de larges citrouilles et une espèce de £let de pêche ils avaient la peau brune , leur taille était médiocre , ils paraissaient très-robustes ; leur physionomie était très-variée ; plusieurs ressemblaient aux Européens ; la plupart avaient les cheveux courts , d’autres les portaient flottans , quelques-uns les portaient en touffe au sommet de la tête ; ils étaient noirs , mais chargés d’une graisse rousse ; ils portaient leur barbe longue , n’avaient d’ornemens qu’une légère piqueture sur les mains et sur les aînés , et des morceaux d’étoffe d’un dessin bien singulier, qu’ils portaient autour des reins ils paraissaient d’un caractère doux , et n’avaient d’armes que des pierres qu’ils jetèrent quand ils virent que nous ne les attaquions pas. A mesure que nous avançâmes, d’autres pirogues nous apportèrent un grand nombre de cochons de lait rôtis, et de très-belles patates ; i8 6 Troisième Voyage nous donnions pour les premiers un clou de six sous sterlings ; et comme nos tortues allaient finir , ce secours nous remit dans l'abondance ; vous voyions, en suivant la côte , diverses bourgades dont les habitairs accouraient dans les lieux élevés , afin de mieux voir les vaisseaux , ou se réunissaient en foule sur le rivage; le centre de cette isle est hérissé de montagnes chargées de bois ; les arbres étaient répandus autour des villages près desquels on voyait des plantations de bananiers , de cannes à sucre et d’antres productions. Nous pûmes jeter l'ancre le lendemain , et les Jiabitans enhardis vinrent sur le vaisseau ; à sa vue , leur étonnneinent , leur admiration , se peignaient sur tous leurs traits; ils ne connaissaient aucune de nos marchandises; ils paraissaient avoir une idée du 1er , et lui donnaient tantôt le nom de Hamaiie , tantôt celui de Toë ; ils ne connaissaient point l’usage du couteau , ne firent aucun cas de nos grains de verre , ni même des miroirs , et admirèrent les assiettes de fayence, les tasses de porcelaine; ils étaient honnêtes, et nous demandaient oii ils devaient s’asseoir , s’ils pouvaient cracher snr le pont ; ils priaient ou chantaient avant de monter sur le vaisseau , et dès qu’ils y étaient , ils s'emparaient sans façon de ce qui paraissait leur convenir. Je ne voulais point que les équipages descendissent sur la terre , pour empêcher qu’ils ne .communiquassent la maladie vénérienne aux de Jacques Cook. 187 habitans ; par le même motif’, je ne voulus point recevoir de femmes sur nos vaisseaux ; plusieurs s’étaient présentées , et sans avoir de la délicatesse dans les traits , leur physionomie annonçait une franchise aimable; une pièce d’étoffe, qui, du milieu des reins leur descendait jusqu’à mi-cuisse, les distinguait seule des hommes; mes soins n’avaient pas réussi toujours , et quoique je misse à leur exécution toute la vigilance dont j’étais capable , je n’ose me promettre de les avoir pris avec succès ; tel que vous ne croyez pas infecté l’est souvent assez pour répandre la maladie il serait difficile au plus habile médecin de décider si celui qu’il traite est absolument guéri ; et tel qui est attaqué le cache avec soin par honte , et ne craint pas de la communiquer à d’autres avec une insensibilité qui étonne. J’avais jeté l’ancre près d’un lieu où on nous avait assuré qu’il y avait un étang d’eau douce ; je trouvai en effet un petit lac dans le fond d’une vallée basse ; à mon débarquement, les Indiens se prosternèrent la face contre terre , et j’eus de la peine à les faire relever ; j’ignorais qu’ils traitaient ainsi leurs premiers chefs ; j’ignorais encore qu’un détachement que j’avais envoyé , pressé par des hommes qui voulaient enlever ses fusils , avait été obligé de faire feu , qu’un des insulaires avait été tué et que tous avaient été frappés de terreur. J’excitais les échanges tandis que je m’occupais à notre provision d’eau ; les habitans , loin de s’y opposer , nous aidèrent. Je voulus visiter le pays ; je vins dans la partie i 88 T R o j s i F, m b Voyage orientale où , de nos vaiseaux, j’avais observé dans chaque village de certains obélisques blancs dont un m’avait parut haut de 5o pieds ; je vis que ces obélisques étaient placés dans des mordis qui olfraient'un terrain étendu , ceint d’un nur de pierre de quatre pieds de hauteur , pavé de cailloux mobiles , ombragé d’arbres divers , y ant à une de ses extrémités l’obélisque formé d’une espèce de treillage de bois, recouvert d’une étoffe mince, légère et grise , dont on voyait une grande quantité en divers endroits du inoraï. L'obélisque , ù la hauteur de cinq à six pieds , était chargé de bananiers et de fruits offerts à leur dieu 5 les autres parties du moraï ressemblaient à celles des cimetières d’Otahiti, il y avait un hangard ; à la face de l’entrée , étaient des figures de bois d’un seul morceau , liantes-de trois pieds , assez bien dessinées et sculptées; on les appelait Ealooa no Veheina ou figures de Déesses ; l’une portait sur sa tête un casque assez semblable à celui des anciens guerriers , l’autre un bonnet cylindrique ; elles étaient enveloppées d’étoffes ; à peu de distance d’elles on avait placé des offrandes de fougères. Là se voyaient les tombeaux des disférens chefs ; là était aussi l’autel où l’on sacrifie des animaux et môme des hommes aux dieux , car la ressemblance de leurs mœurs avec celles d'O- tahiti s’étend encore jusqu’à cette cérémonie barbare ; il paraît même qu’ils font de tels sacrifices à la mort de leurs chefs. Je fus frappé de douleur en apprenant que cç peuple si bon avait Di Jacques Cook, i8e Jacques Cook. tpi amené leurs femmes'qui dansèrent sur le pont d’une manière immodeste avant de nous quitter, ces insulaires nous demandèrent la permission de déposer sur le pont des touffes de leurs cheveux. Ils mangent leurs ennemis comme les habitans de l’isle que nous avons quittée, quoiqu’ils vivent dans la plus grande abondance ; ils nous vendirent aussi du sel. Les vagues obligèrent vingt de nos hommes à passer la nuit dans l’isle , et ce contre-temps malheureux occasionna sans doute des liaisons avec des femmes du pays, que j’avais désiré prévenir. Les insulaires bravèrent ces vagues pour nous apporter des provisions ; Lun d’eux avait la figure d’un lézard piqueté sur la poitrine ; d’autres y avaient des figures d’hommes grossièrement dessinées. Ils nous apprirent que leur isle était soumise à celle d’Atooi, nom de l’isle où nous avions abordé , et où régnaient plusieurs chefs. Je résolus de descendre dans cette isle, et j’y portai un bouc et deux chèvres, un verrat et une truie , des graines de melons , de citrouilles et d’oignons ; je les donnai à l’un des insulaires qui me parut respecté des autres ; et tandis que quelques-uns des matelots remplissaient leurs futailles à un ruisseau voisin, je pénétrai dans le pays ; il ine parut agreste , pierreux, mais couvert d’arbrisseaux et de plantes qui parfumaient l’air ; nulle part je n’eu avais respiré un aussi agréable. Nous y observâmes des marais salans peu abon- dans, et des puits d’eau les habitans se rassern- iy2 Troisième "V o y a o e Liaient autour de nous , il me parut qu’il n’y en avait pas plus de cinq cents dans l’isle entière. Nous eûmes occasion d’examiner l’intérieur des maisons, il nous parut décent et propre les hommes n’y mangent point avec leurs femmes ; celles-ci se réunissent pour faire leurs repas en commun. La noix huileuse du Dooe-dooe leur sert de flambeau durant la nuit ils cuisent les cochons dans des fours ; mais auparavant ils leur coupent l’épine du dos dans toute sa longueur les femmes y sont aussi »Taboo , car nous en vimes qui ne touchaient point aux ali mens , et qui les recevaient de leurs compagnes dans la bouche. Nous y remarquâmes encore quelques cérémonies mystérieuses dont nous ne pûmes deviner Lobjet ; par exemple une femme , après avoir noyé un cochon et avoir jeté un fagot sur son corps sans vie , frappa un homme avefc un bâton sur les épaules ; cet homme s’était assis devant elle pour recevoir cette espèce de discipline ils paraissaient aussi avoir une sorte de vénération pour les chouettes qui nous y parurent fort aprivoisées ; nous y remarquâmes encore que plusieurs s'étaient arrachés une dent, et nous avons dit ailleurs qu’ils témoignent du respect et de l’amitié en donnant une touffe de leurs cheveux. De petits accidens ne nous permirent pas de tirer de ces isles tous les avantages qua nous avions lieu d’en attendre ; et pressés de nous rendre en Amérique , nous nous en éloignâmes pour cingler de Jacques Cook. ipZ cingler vers le nord. Avant de nous en éloigner, donnons-en ici une idée générale. Elles sont disposées en groupes ; c’est un des archipels nombreux dont l’Océan pacifique est semé les isles solitaires cjuiies séparent sont clairsemées et en petit nombre. Cet archipel peut être plus étendu que nous ne le connaissons nous y avons découvert cinq isles ; TV o ako , Atooi , OneeheovJ , Oreehoua et Tahoora. La première est la plus orientale ; elle est habitée , ses terres sont hautes , c’est tout ce que nous en pouvons dire , n’ayant pu la visiter. Nous avons parlé de celle d’Oneeheow ; elle est située à 7 lieues au couchant d’Atooi et n’a que quinze lieues de tour , elle produit sur-tout des ignames; ses habitans tirent du sel de ses marais, et s’en servent pour conserver leurs poissons l’isle en général est basse , mais ses rivages sont escarpés dans la partie qui regarde Atooi, et vers le sud-est elle se termine en colline ronde. Oreehoua est située au nord d’Oneeheow, elle est petite et peu élevée Tahoora est petite comme cette dernière, mais le sol en est peu élevé , elle n’est habitée que par des oiseaux. Atooi est la plus considérable de toutes , elle peut avoir près de u5 lieues de tour , la rade où nous mouillâmes est assez sûre , le vent alisé y souffle obliquement ; il est facile d’y débarquer ; elle a de la bonne eau douce à peu de distance ; l’aspect de l’isle est different de toutes celles qne noirs avions vues jusqu'alors, tout y offre des pentes douces, le centre en est élevé sans y être TorrLe 111 . N Troisième Votace chargé de montagnes, les nuages y reposent souvent et doivent y fournir des sources de la partie boisée jusqu'à la mer, elle est revêtue d’herbe d'une excellente qualité, qui croît à la hauteur de deux pieds et quelquefois par toutes ; mais dans les lieux où on la trouve on ne voit pas un arbrisseau. Dans les vallées le sol paraît d’un noir brun , un peu friable ; mais dans les lieux élevés , il est d’un brun rougeâtre assez compacte ; dans celui- là le taro prospère , dans celui-ci on cultive les patates douces qui pèsent souvent de dix à quatorze livres. Le temps y fut variable durant notre séjour, et c’est cependant la saison où il devait être le plus fixe. La chaleur y est modérée ; les salaisons s’y conservent très-bien •, les rosées n'y sont pas abondantes, mais peut-être le sont-elles davantage dans les lieux ombragés d’arbres. Les rochers y sont d’une pierre pesante , d’un noir grisâtre, disposés comme les rayons d’un gâteau demiel, etparsemés de particules luisantes et de quelques taches couleur de rouille ; la profondeur de ces rochers est immense ; ils offrent des couches qui ne sont point adhérentes , et cependant n'ont point de corps intermédiaires nous y trouvâmes aussi le lapis-lydius ; et une pierre à aiguiser , couleur de crème, coupée de veines plus blanches ou noires; une ardoise fine et une grossière. Nous y vîmes aussi des hématites. On y recueille cinq ou six espèces de bananes, du fruit à pain , des noix de cocos, des ignames. de Jacques Cook. i95 et l’arum de Virginie on y voit l’étooa , la gardénia parfumée ou jasmin du cap , des dooe- dooe qui donnent des noix huileuses , lesquelles enfilées à des baguettes, y servent de chandelles; un sida ou mauve, la morinda citrifolia, une espèce de convolvulus , et une multitude de citrouilles qui y deviennent très-grosses et ont des formes variées. Sur le sable aride , croît une plante inconnue de la forme du chardon , et comme lui armée de piquans, mais qui porte une belle fleur semblable au pavot blanc celle- ci et une plus petite sont les seules plantes nouvelles qu’on y ait observées. Nous y avons vu voltiger des oiseaux de la grosseur du serein , et dont le plumage était d’un cramoisi foncé, une grosse espèce de chouette, des faucons ou milans bruns , un canard sauvage, le héron bleu , une espèce de corlieu; la multitude de plumes de couleurs variées qu’ont les insulaires , y annonce un grand nombre d’oiseaux que nous n’avons point vus. Ses rivages ne nourrissent pas une grande diversité de poissons ; mais on y trouve le petit maquereau, le mulet commun , et un autre de couleur de craie blanche , un petit poisson de rocher qui est brunâtre et tacheté de bleu, et trois ou quatre autres espèces ; les coquillages n’y offrent tien d’intéressant. Nous n’y avons vu d'animaux domestiques que des cochons , des chiens , de la volaille. On y remarque encore de petits lézards et des rats. N a ï 96 Trotsieme Voyage Les insulaires sont de taille moyenne; ils ne sont remarquables ni pat la beauté de leur forme, ni parla délicatesse de leurs traits; mais leur physionomie annonce la bonté, la franchise, plus que leur yeux ne promettent de la vivacité et de l’intelligence ; leur visage , et sur-tout celui des femmes , est rond , quelquefois allongé ; leur teint est brun de noix les deux sexes sont moins distingués ici par la taille, le teint et les traits que par-tout ailleurs ; peu sont difformes ; leur peau n’est ni douce ni luisante ; ils ont les dents bonnes , les cheveux lisses , noirs et peints il y avait plus de femmes que d’hommes remarquables par leur embonpoint. Ils nagent avec une vigueur , une légéreté extraordinaires ; des femmes chargées d’un nourrisson , y fendent les ondes agitées et traversent un espace de mer effrayant. Leur caractère est gai ; ils n’ont pas la légéreté inconstante des Otahitiens , ni la tranquille gravité des Tongataboens ; ils vivent entr’eux d’une manière très-sociable, les mères y prennent grand soin de leurs en fan s , et les hommes se plaisent à les aider en ce point ; leur intelligence se développait sur-tout en ce qu’ils paraissaient sentir toute la supériorité de nos arts sur les leurs. Peut-être cette isle renferme-t-elle trente mille âmes. Les deux sexes portent peu d’ornemens ; ils ne mettent rien aux oreilles qu’ils ne percent pas ; mais ils ont des colliers semblables à des cordons de chapeaux auxquels ils suspendent un morceau de Jacques Cook. 197 t!e bois, de pierre ou de coquillage , long d’environ deux pouces , et un hameçon large et poli dont la pointe est en dehors ; quelquefois ces colliers sont de coquillages , ou de guirlandes de fleurs de mauve qu’ils ont fait sécher. Les femmes ont des bracelets composés d’écailles et de morceaux d 'un bois noir incrusté d’ivoire , quelquefois ornés de dents de cochons. Des plumes de coq ou de l'oiseau du tropique ornent la tête des hommes 5 quelquefois ils y placent la queue d’un chien blanc montée sur une baguette. Les hommes sont ordinairement piquetés sur les mains ouïes bras , ou les aînés ; mais il en est un petit nombre dont tout le corps est bariolé de lignes et de figures diverses. Us paraissent vivre en bourgades dispersées, sans ordre et sans fortifications il y a des mai- sons'vastes et commodes ; d’autres sont de misérables chaumières ; leur forme est celle d’une meule de loin oblongue ,• elles sont clauses avec soin ; une herbe longue posée sur des perches menues disposées avec régularité , leur sert de couverture ; l’entrée en est si étroite qu’il faut se traîner à genoux pour y pénétrer ; un châssis de planche la cache ou la ferme ; c’est leur porte et leur fenêtre l’intérieur est propre ; le soi v est jonché d’herbes sèches, recouvertes de nattes qui leur servent de sièges et de lits ; sur une espèce de banc on trouve des vases d’eau faits avec de l’écorce de citrouille , des paniers remplis de fruits ou de racines , et quelques plats, quelques assiettes de bois. Ils sont riches en cochons , e» N 3- iy8 Troisikmk V o y a g * chiens et en poissons qu’ils savent conserver avee le sel ; ce sel dont ils font une grande consommation , est ronge par son mélange avec la vase sur laquelle il se dépose. Leurs amusemens paraissent assez variés ; leurs danses ressemblent à celles des isles où nous avions passé , mais ils les exécutent avec moins d’adresse leurs instruirions de musique sont grossiers j Pim est un cône renversé, creux en partie , composé de plantes grossières qui ressemblent au jonc , orné sur les bords et au sommet de belles plumes rouges; on y attache une petite citrouille vuidée dans laquelle on met quelque chose qui fait du bruit, et l’on secoue cet instrument, on le fait mouvoir avec vivacité cPun endroit à l’autre et de disse rens côtés en se frappant la poitrine de l’antre main. Un autre de ces instruinens est formé d’un vase de bois et de deux bâtons ; le musicien qui s’en sert tenait le plus long bâton comme nous tenons le violon; le plus court lui servait d’archet , et son pied frappait en meme temps sur le vase creux renversé parterre des femmes accompagnaient l’instrument d’un air assez agréable. Ils ont une espèce de jeu de boule ; ces boules ressemblent mieux un petit fromage à bords arrondis qu’à un globe ; elles sont de pierre ou d’une ardoise grossière, très-polies et luisantes ils ont encore des espèces de palets d’ardoise et s’en servent comme nous. Leurs ouvrages niéclianiques annoncent beaucoup d’adresse ; ils font leurs étoffes de mûriers de Jacques Cook. par les mêmes procédés que les Otahitiens; mais ils l’emportent sur ceux-ci par les couleurs et la variété des dessins on est étonné de la régularité de leurs ligures. Ils ont aussi des étoffes blanches , ou d’mie seule couleur ; ils savent les joindre par des coutures. Us fabriquent un grand nombre de nattes blanches très-fortes qui offrent beaucoup de raies rouges ou de losanges entre- lassés ; il en est de Unes , de grossières , d’unies et de fortes. Ils peignent b écorce des citrouilles qui leur servent de vases , quelquefois ils les vernissent. Le cordia ou étooa, leur fournit des vases et des jates de bois qui semblent être faits dans l’atelier d’un tourneur. Ils font encore des éventails de nattes ou d’osier qui ont des manches , et des cordelettes de cheveux ou de bourre de cocos. Ils ont une multitude d’espèces d’hameçons ; les uns sont d’os, d’autres de bois garnis d’os, beaucoup sont de nacre de perle, tous armés d’une ou de deux barbes. Nous en achetâmes un long de neuf pouces, fait sans doute d’un os de poisson ; un ouvrier d’Europe avec ses connaissances et le secours de ses instrumens, ne pourrait le faire plus poli, ni lui donner plus d’élégance c'est avec la pierre ponce qu’ils polissent les pierres ; leurs outils de pierre sont faits comme ceux d’Otahiti ; ils avaient deux morceaux de fer et en connaissaient l’usage ; mais cette connaissance répandue sur une isle où abordèrent les Européens , peut s’être propagée au loin ; car ils paraissaient n’avoir jamais vu de vaisseaux, Dans presque toutes les isles nom N 4 zoo Troisième Voyage velles que nous découvrîmes , ils avaient une idée au moins obscure de son usage; les voyages de leurs liabitans dans des islcs où on le connaissait, ou ceux des insulaires qui avaient commercé immédiatement ou par des intermédiaires avec les isles fréquentées par les Européens, ont sulïi pour en donner la connaissance et le désir. Les naufrages ont pu encore y porter des morceaux de fer. Leurs pirogues sont longues de pieds, larges de 18 pouces ; une pièce de bols , on un tronc, d’arbre un peu creuse en forme le fond ; les lianes sont formés de planches d’un pouce d 'épaisseur, ajustées et liées au fond d’une manière exacte; Lavant et l’arrière taillés en coins, sont un peu élevés ils en lient deux ensemble et leur donnent des balanciers d une forme et d'une disposition très-bien imaginées. Quelques-uns ont une voile triangulaire, légère , enverguée à un mat. Nous avons parlé des soins qu'ils prennent de la plantation du turo , et de leur disposition reguliere ; tels sont aussi leurs champs de bananes et de cannes à sucre ; les terrains lias sont entourés de fossés , les autres sont sans clôture ; les arbres à pain et les cocotiers n’y prospèrent pas , et les habitant pour cette raison , s'occupent d’autres végétaux qui demandent cependant pins desoins. L’isle pourrait être mieux cultivée et nourrir une population trois fois plus nombreuse. Plusieurs chefs résident à Atooi ; mais nous de Jacques Cook. 20 r n’en vîmes point ; peut-être ils étaient „abseits ou craignirent de se montrer. L’un d’eux; vint sur ja Découverte dans une douille pirogue ; les insulaires se prosternèrent dans celles qu'ils montaient ; mais lui sans faire attention à leurs hommages , à leurs pirogues , au danger auquel il les exposait , heurta , renversa celles qui se trouvèrent sur son passage et sembla iaire consister sa grandeur dans le mépris qu’il, montrait pour ses sujets. On le hissa sur le vaisseau j ses courtisans se rangèrent autour de lui en se tenant par la main , et ne permirent qu’au capitaine de l’approcher. Il était jeune et couvert d’étoffes de la tête aux pieds ; Clerke lui fit des présens, et il en reçut une jate de bois, soutenue par deux ligures d’hommes assez bien sculptées. On ne put le déterminer à se mouvoir ; on le reporta bientôt après dans sa pi- rogne et il gagna la côte. ha multitude d’armes qu’ont ces insulaires annoncent qu’ils lont on soutiennent souvent 1* guerre ; peut-être entre les divers districts dot l’isle , peut-être avec les liabitans des isies voisines , et ces guerres fréquentes paraissent être la cause de la faiblesse de leur population. Il* ont des piques ou lances qui sont d’un beau bois couleur de châtaigne , bien poli , et dont l’une des extrémités est applatie , et l’autre barbelée ; ils ont une espèce de poignard long d’environ un pied et demi, pointu , assujéti à la main avec un cordon , et don t ils se servent pour combattre corps à corps; ces poignards sont quelquefois ao2 Troisième Voyage doubles et ont le manche gu milieu. Ils ont des arcs et des traits , mais l’un et l’autre sont faibles $ ils ont encore une espèce de couteau dont ils frappent d’estoc et de taille ; il est de bois et long d’un pied, applati, arrondi aux coins, partout environné de dents de requins pointant en dehors ; un cordon passe au travers du manche troué , et s’entortille plusieurs fois autour du bras. Il nous parut qu’ils se servaient de la fronde. Ils enterrent ceux qui meurent de mort naturelle, comme ceux qu’on sacrifie aux dieux 3 mais leurs temples sont sales ; ils y offrent aussi des végétaux. Les prêtres ou Tahounas paraissent y être nombreux. La langue est la même qu’à Otahiti j ils en ont la prononciation douce , leurs chants ont les mêmes mesures, les mêmes cadences. Il paraît donc que les peuples decesislesontlamêineorigine; mais à une aussi grande distance, comment ont-ils pu venir de l’un de ces archipels à l’autre? c’est ce qu'on ne peut dire il est cependant certain que la même langue et par conséquent le même peuple, remplit des isles situées à 1660 lieues de distance du levant au couchant, et 1200 lieues du nord au midi. Je donnai à ce petit archipel le nom ù.'Isles de Sandwich ; outre les cinq que j’ai nommées , il en est une plus petite qui est basse et déserte, située près de Tahoora , et appelée Tammata- pappa. Leur situation les rendrait utiles à ceux qui se rendent de l’Amérique aux isles de l'Asie, ou de ces isles en Amérique 3 et si les Espagnols de Jacques Cook. ao 3 eussent eu l’esprit de découvertes , ils auraient fait depuis long-temps leurs voyages des Philippines au Pérou , et d’Acapulco à Manille avec bien plus de facilité et de sûreté. La longitude de la rade où nous entrâmes dans l’isle Atooi, est de 217 degrés 4 1 minutes 3 secondes. Sa latitude septentrionale de 21 degrés 56 minutes i5 secondes. Nous parvînmes le 12 février , sous le 3 o e degré de latitude; et quoique nous fussions dans le milieu de l’hiver , nous n’éprouvions qu’un peu de froid le matin et le soir ; plus au nord , la différence de température est plus grande. Treize jours après nous traversâmes Ja route du vaisseau de Manille ; nous approchions du continent de l’Amérique, et cependant nous n’en voyions aucun indice ; à peine avions-nous vu un oiseau depuis notre départ des isles Sandwich. Au-delà du 44 e degré , l’air était doux encore , et j’en étais étonné d’autant plus que nous étions voisins d’un continent d’une étendue immense où le froid est très-vif. Sans doute l’hiver de 1778 , fut très-doux dans ces climats. Pendant le calme que nous éprouvâmes le 2 mars , nous vimes diverses parties de la mer couvertes d’une glaire ou matière visqueuse, autour de laquelle nageaient des animalcules , dont quelques-unes étaient gélatineuses , presque globulaires et de la classe des Mollusca il en était une autre espèce plus petite, plus nombreuse , blanche et lustrée , qui, lorsqu’ils étaient en repos dans un verre d’eau salée , ressemblaient à des parcelles no 4 Troisième Voyage le feuilles d’argent. Ils nageaient avec la même facilité sur le dos , les côtés ou le ventre , et montraient alors les couleurs les plus brillantes des pierres précieuses ; quelquefois d’une transparence parfaite , quelquefois passant par différentes nuances du saphir pâle au violet foncé; et tes nuances étaient souvent mêlées de teintes éclatantes du rubis et de l’opale ; elles couvraient de lumière le vase et Veau au grand jour les couleurs étaient plus vives ; et quand les animalcules descendaient au fond, ils prenaient une teinte brunâtre. Si le vase était éclairé avec la chandelle, ils étaient d’un beau verd pâle parsemé de points lustrés ; daus l'obscurité , ils avaient la faible lueur d'un charbon qui s’éteint. Nous leur donnâmes le nom d’ Oniscus fuhren s ; sans doute ils contribuent au phénomène de la mer lumineuse. Le 7 mars, nous découvrîmes la côte de la nouvelle Albion ; nous en étions encore à 10 ou 12 lieues , eile se prolongeait du sud-est au nord-est ; nous étions sous le 44 e - deg. 33 ni. de latitude septentrionale ; sous le ada 0 . d. q ut. de longitude. La terre paraissait d'une hauteur médiocre , variée de collines et de vallées , et par-tout couverte de bais. J’v cherchai un port que le mauvais temps ne me permit pas d’y trouver ; des raffâles, de la pluie , de la grêle nous y assaillirent ; un ciel épais et noir nous environna, et je fus obligé de m’éloigner de la terre dans la crainte de m’aller briser contre clic. Nous nous en rapprochâmes ensuite ; elle de Jacques' Coo je. 20 5 était là e Jacques Cook. 321 l’arrachant, ménagent sans doute cette partie ; les vieillards ont une barbe épaisse sur le menton et même des moustaches ; leurs sourcils étroits sont peu fournis ; mais ils ont beaucoup de cheveux qui sont durs et forts , noirs et lisses , flottans sur leurs épaules. Ils ont le cou court , et rien d'agréable dans la forme du corps ; leurs grands pieds sont d’une vilaine forme , et les chevilles très-saillantes. Leur corps incrusté de peinture ne peut laisser deviner la couleur de leur teint ceux que nous engageâmes à se nettoyer avaient presque la blancheur de la peau des Européens 5 leurs enfans étaient blancs $ quelques-uns ont une teinte vermeille qui annonce la jeunesse , et rend leur physionomie assez agréable en général leur physionomie est uniforme et sans expression. Les femmes ont à-peu-près la même taille, le même teint, les mêmes traits que les hommes, et il n’est pas facile de les distinguer. L’habillement commun aux deux sexes consiste en un manteau de lin garni dans le haut d’une bande étroite de fourrure , et dans le bas de franges ou de glands ; il passe sous le bras gauche , est attaché sur le devant de l'épaule droite avec un cordon, et assujéti par un autre cordon sur le derrière ; les deux bras sont en liberté et il laisse le côté droit ouvert ; mais il est quelquefois ceint d’une bande de natta ou de poils ; par-dessus ce manteau qui descend jusqu’aux genoux , est un autre petit manteau de la même étoffe , garni de franges , qui a 3 a Troisième Voyage ressemble à un plat rond , ouvert au milieu , et au travers duquel on pourrait passer la tête; il repose sur les épaules et recouvre le bras jusqu'au coude , et le corps jusqu’à la cliûte des reins. Leur tête est couverte d’un chapeau fait en cône tronqué j d’une belle natte ; une lioupe arrondie Ou une tou le de glands de cuir le décore souvent au sommet ; souvent aussi les hommes ont une peau d’ours , de loup ou de loutre de mer dont les poils sont en dehors, attachée comme un manteau, quelquefois sur le devant du corps , quelquefois sur le derrière. Durant la pluie , ils se couvrent d’une natte grossière ; ils ont des vêtemens de poil et s’en servent peu ; leur vêtement est commode et ne manque pas d’élégance quand il est propre ; mais il l’est rarement ; leur corps est toujours barbouillé d’une graisse rance , et leur tête , comme leurs vêtemens , sont garnis de vermine. Quelquefois ils se peignent le visage de noir , de rouge et de blanc , et alors ils sont affreux à leurs oreilles percées sont suspendus des morceaux d’os, des plumes , de petits coquillages , des faisceaux de poilsou des morceaux de cuivre. Plusieurs ont la cloison du nez percée , et ils y suspendent les mêmes objets qu’aux oreilles ; leurs poignets sont garnis de bracelets Ou de grains blancs qu’ils tirent d’un coquillage , de petites lanières de cuir ornées de glands , ou d’un large bracelet d’une matière noire et luisante de la nature de la corne. La cheville de leur n e Jacques Cook. 22,3 pied, est souvent couverte de bandes de cuir et de nerfs d’animaux. Tel est leur vêtement et leur parure de tous les jours. Dans les visites de cérémonie , ou lorsqu’ils vont à la guerre , ils ont des peaux d’ours et de loup garnies de bandes de fourrure ou de lambeaux de l’étoffe de poil qu’ils fabriquent eux-mêmes ; et ils les portent séparément ou pardessus leurs autres habits ; dans le premier cas, leur tête est chargée de plumes grandes ou petites , couverte d’un cône d’osier ou d’écorce battue ; leur visage est barbouillé de couleurs mêlées à de la graisse ou du suif , et forment différentes figures. Quelquefois leur chevelure est divisée en paquets , liés par derrière es ornés de rameaux de cyprès. Ils ont un équipage plus bizarre encore ; ils se couvrent le visage d’une multitude de masques de bois sculptés , représentant des têtes d’hommes , d’aigles ou de briseurs d’os, de loups , de marsouins ou d’autres animaux , parsemés de mica, et les font dominer par des morceaux de sculpture taillés comme la proue d’une pirogue peinte. Ces déguisemens ridicules sont employés dans leurs fêtes , peut- être pout intimider l’ennemi dans les combats , et quelquefois pour aller à la chasse. Le seul habit qu’ils ne portent qu’à la guerre, est un manteau de cuir double et très-épais , qui nous parut la peau tannée d’un élan ou d’un buffle , qui couvre la poitrine et le cou , et s’étend jusqu’aux talons , orné de compartimens assez agréables , et assez fort pour résister aux Troisième Voyage traits et aux; piques c’est une cotte de maille co npletre. Quand ils vont se battre , ils portent encore un manteau de cuir revêtu de sabots de daim , suspendus à des lanières de cuir couvertes de plumes ; dès qu'ils se remuent , ce manteau fait un bruit presqu’égal à celui d’une multitude de clochettes. Dans leur ajustement ordinaire , ces sauvages n’ont point la physionomie féroce , et paraissent des hommes indolens et paisibles ; ils manquent également de vivacité et de réserve ; leurs discours ne sont composés que de phrases courtes ou de mots détachés , répétés avec énergie , toujours sur le même ton , joints à un seul geste qui consiste à jeter le corps en avant , tandis que les genoux se plient et que les bras pendent sur les côtés. Ces hommes cruels contre leurs ennemis, paraissaient avoir delà docilité , de la bonté , uns sorte de politesse naturelle les injures les mettent en fureur ; mais le calme suit promptement leur colère; ils ont la résolution de la vengeance, beaucoup d’incuriosité, beaucoup de paresse. Ils aiment la musique , et la leur est grave , mais touchante et leurs airs sont lents , mais les variations en sont nombreuses, elle est expressive , cadencée et d’un effet agréable. Ils forment des concerts , et un homme marque la mesure en frappant sur sa caisse. Un grelot, un petit sillet, sont leurs seuls instrnmens. Ils mettent de la loyauté dans le commerce et sont cependant fripons , ils ne dérobent que les objet* de Jacques Cook. h5 objets dont ils connaissent la valeur et l’usage; et comme ils n'estimaient que les métaux, nous pouvions laisser notre ligne à terre sans gardes. Les deux bourgades que nous visitâmes nous parurent renfermer chacune mille aines; les maisons y sont dispersées sur trois lignes, qui s’élèvent par degrés l’une au-dessus de l’autre ; les plus grandes sont sur le devant ; de grandes rues séparent les lignes , de petits sentiers mènent de la ligne de devant à celle de derrière ; mais la division de la bourgade comme celle de l’intérieur des maisons est fort irrégulière ces maisons sont formées de planches dont les bords portent sur le bord de la planche voisine , et sont attachées avec des bandes d’écorce de pin ; elles sont appuyées par de petits poteaux ou des perches et au-dedans par des poteaux plus gros posés en travers elles ont sept à huit pieds de hauteur , et les planches qui forment le toit peuvent s’écarter quand il fait beau temps et se réunir quand il fait la pluie ; il n’v a point de porte ; un espaça ouvert , haut de deux pieds , y sert d’entrée ; les fenêtres y sont aussi'de trous refermés par des nattes près des côtés est un petit banc de planches , haut de cinq à six pouces , large de cinq à six pieds, couvert de nattes, qui sert à la famille de sièges et de lits. On y voit encore des caisses, des boîtes de toutes dimensions, entassées les unes sur les autres où sont renfermés leurs habits, leurs fourrures , leurs masques ; quelques caisses ont des couvercles attachés avec des lanières de cuir, et un trou quarré par lequel ils Tome lll. P aa 6 Troisième Voyage entrent et sortent ce qu’ils désirent à côté sont des baquets ou seaux pour conserver l’eau ; des coupes et des jates de bois rondes, des augets de bois dans lesquels ils mangent, des paniers d’osier , des sacs de natte , etc. Sur la terre ou dans le haut de la cabane, on voit leurs filets jetés comme au hazard ; rien n’y est propre et rangé que le banc où ils couchent. Ces cabanes exhalent une puanteur insuporta- ble; ils y sèchent, ils y vuident leurs poissons, et leurs entrailles mêlées aux restes des repas offrent des tas d’ordures qui ne s’enlèvent jamais ; elles sont cependant ornées de statues , faites de blocs de troncs d’arbres sculptés grossièrement, offrant une figure d'homme et des bras peints; ils les appelaient du nom général Klumma ; ils en parlaient d’une manière mystérieuse, et nous crûmes qu’elles ont quelque rapport avec leur religion ; cependant ils en font peu de cas, et avec un peu de fer et de cuivré on pourrait acheter toutes ces espèces de dieux d’un village. Tes hommes y pêchent et chassent; les femmes renfermées dans les maisons, y fabriquent des vê- temens de laine ou de lin, y préparent le poisson qu’elles vont chercher sur le rivage où les hommes le déposent. Elles vont chercherdes moules etdes coquillages dans de petites pirogues qu’elles manœuvrent avec dextérité ; les hommes ne leur témoignent ni égards, ni tendresse les jeunes gens nous parurent les plus oisifs et les plus indolens ; ils se vautrent au soleil et se roulent dans le sable absolument nuds. Les filles cep en- de Jacques Cook. 2 ay dant s’y conduisent avec la plus grande décence. Nous ne pouvons donner de leurs mœurs qu’une idée imparfaite ; nous les vîmes trop peu chez eux; notre arrivée suspendit presque tous les travaux , et changea leur manière ordinaire de vivre. Il paraît qu’ils passent une partie de leur temps dans leurs pirogues pendant l’été ; ils y mangent, ils y couchent, ils s'y dépouillent de leurs habits et s’y vautrent au soleil leurs grandes pirogues sont assez grandes pour cela et fort sèches; ils y sont à l’ombre de leurs peaux beaucoup mieux que dans leurs maisons. Ils se nourrisent de végétaux et d’animaux ; mais beaucoup plus de ceux-ci. La mer leur fournit des poissons, des moules, des coquillages , des quadrupèdes marins ; ils mangent 1er sardines et des harengs dans leur état de fraîcheur , et en fument et sèchent une partie les harengs leur donnent des œufs ou laites qu’ils préparent d’une manière curieuse ils les saupoudrent de petites branches du pin de Canada , et d’une petite herbe qui croît sur les rochers submergés; et ils mangent le tout; cette espèce de kaviar se garde dans des paniers ; c’est leur pain d’hiver, et le goût n^en est pas désagréable ils en font aussi avec la laite de plus gros poissons; mais il est moins agréable ils découpent encore et sèchent des brèmes et des chimara, mais ne les fument pas. Ils grillent les grosses moules dans leurs coquilles , et les ensilent ensuite à de petites brochettes de bois suspendues dans leurs maisons, où ils vont les prendre quand le besoin P a 22Ü Troisième Voyage les y oblige. Le marsouin est l’animal dont ils se nourrissent le plus communément ; ils les découpent et en séclient les lambeaux ils en mettent aussi la viande fraîche avec de l’eau clans un baquet de bois , où ils jettent des pierres chaudes jusqu’à ce que la viande ait assez bouilli ils consomment encore une quantité considérable d’huile que leur fournissent les animaux marins. Les veaux marins, les loutres de mer et les baleines servent aussi à leur nourriture ; ils chassent peu ou tuent peu de quadrupèdes ; les tribus voisines paraissent leur fournir les peaux dont ils se servent ; les oiseaux leur donnent un aliment qui leur est plus commun j mais en général c’est de la mer qu’ils tirent leurs moyens de subsistance. Les branches du pin de Canada et l’herbe marine dont ils saupoudrent leur kaviar, sont leurs seuls végétaux d’hiver ; le printemps leur en prépare un plus grand nombre, telles que deux espèces de racines liliacées, douceâtres , inucilagineuses , qu’on mange crues et qu'ils nomment Makkate et Kooquoppa ; leur racine Aheita a presque la saveur de notre réglisse , celle de fougère et une petite racine douceâtre , insipide , servent encore à leurs alimens. Les diverses saisons en produisent sans doute d’autres que nous n’avons pu connaître j ils ont les fruits du bourdaine , du groseiller ; ils mangent même les feuilles du dernier et celles du lis ; ils ont des poireaux et des ails qu’ils ne mangent pas, parce qu’ils les trouvent trop de Jacques Cook. 229 âcres en général ils rôtissent et grillent leurs ali mens. La malpropreté de leurs repas répond à celle de leurs cabanes et de leurs personnes ; ils ne lavent jamais leurs ustensiles , et les restes dé- goûtans du dîner d’aujourd'hui se mêlent avec le diner du lendemain ; ils dépècent avec leurs dents et ne font usage de leurs couteaux que pour les grosses pièces ; ils mangent les racines sans les dégarnir du terreau qui les couvre , enfin ils ne paraissent pas croire qu'il y ait rien de sale. Ils ont des arcs , des traits , des frondes , des piques , des bâtons courts faits avec des os , et une petite hache ; la pique est armée d’une petite pointe d’os dentelée, quelquefois d’une pointe de fer ; leur hache est une pierre de huit pouces de long terminée en pointe , dont le manche ressemble à la tête de l’homme , garnie même de cheveux ; ils ont une autre arme de pierre , longue de neuf à douze pouces, qui a une pointe quarrée. Par la structure de leurs armes , ils paraissent se battre corps à corps. Ils se distinguent davantage par leurs manufactures ; iis tirent leurs étoffes des fibres de l'écorce du pin qu’ils rouissent et battent comme le chanvre ; ils ne les filent pas , mais les étendent sur un bâton , au bas duquel l’ouvrier est assis sur ses jarrets , les nouent d’un fil tressé à un intervalle d’un demi-pouce l’un de l’autre j des faisceaux qui demeurent entre les divers nœuds, remplissent les intervalles et rendent les P 3 o Troisième Voyage étoffes impénétrables à l’air ; leurs habits paraissent aussi tissus} les figures cpi’on y remarque ne permettent pas de croire qu’on les ait faites au métier. Leurs étoffes ont différons degrés de finesse , il en est qui sont plus douces et plus chaudes que nos plus belles couvertures de laine} ils y font entrer un petit poil ou duvet qu’ils paiaissent tirer du renard ou du lynx brun qu'ils mêlent avec les grands poils de la robe des animaux } les ligures en sont disposées avec goût et différemment colorées. Ils savent aussi peindre , et l’on voit sur leurs chapeaux toutes les opérations de leur pêche dessinées j nous avons vu deux figures peintes sur leurs meubles et leurs effets. La construction de leurs pirogues est fort simple ; un seul arbre creusé leur en donne une qui a 40 pieds de long, 7 de large , 3 de profondeur, et porte 20 hommes. Elles se rétrécissent insensiblement depuis le milieu , et se terminent en une ligne perpendiculaire dont celle d’avant est la plus étendue , la proue est plus élevée que les flancs } quelques-unes sont ornées de sculpture et de dents de veaux marins on n’y voit d’autres sièges que des bâtons arrondis , mis en travers } elles sont légères et voguent d’une manière assurée sans avoir besoin de balancier; les pagaies sont petites et larges de cinq pieds, mais finissent en pointe ; ils les manient avec la plus grande dextérité iis ne connaissent point encore l’usage des voiles. Leur attirail de pêche est composée de filets, » de ook. s3i de hameçons , de lignes et d’un instrument long de vingt pieds , large de quatre ou cinq pouces, dont les bords sont garnis de dents aigues d’environ deux pouces de saillie ; ils le plongent dans la ligne épaisse de l’armée des harengs qui se prennent dans les intervalles de ces dents. Leur liarpon est composé d’une pièce d’os qui présente deux barbes,dans lesquelles est fixé le tranchant ovale d’une large coquille de moule qui l’orme la pointe ; cet instrument est fixé à un bâton qui a une corde à son extrémité. Ils semblent prendre des quadrupèdes au filet et au piège toutes leurs cordes sont des lanières de peau , ou des nerfs dont il en est de très-longs ; la baleine leur fournit ceux-ci sans doute , ainsi qu’une partie des os dont ils se servent ; c’est à leurs outils de 1er qu’on doit attribuer la dextérité avec laquelle ils travaillent le bois , ils les emploient comme ciseau , et comme couteau. Une pierre est leur maillet, une peau de poisson leur polissoir. Ils ont de grands couteaux convexes dont le tranchant est en dehors ; cette forme semble annoncer qu’ils les fabriquent eux-mêmes. Une ardoise leur sert de meule pour les aiguiser - ils nomment le fer Seekemaile , c’est le nom qu’ils donnent à tous les métaux blancs. Les échanges , le commerce ne leur sont pas étrangers ; c’est un usage établi depuis long-temps parmi eux et qui leur plaît ils ne paraissent point tenir les métaux qu’ils possèdent des Européens même ; ils ne connaissaient pas des vaisseaux comme les nôtres , ni n’avaient vu des F 4 232 Troisième Voyage Européens ; l’explosion d’un fusil ne leur faisait aucune impression , mais quand ils virent qu’une balle avait percé une de leurs cuirasses formées de six peaux les unes sur les autres , ils furent fort émus, et la manière dont nous abattions un oiseau dans l’air , les frappait d’étonnement; Teilet de la poudre leur était absolumen t inconnu ; des Espagnols visitèrent ces côtes , mais n’abordèrent point à Nootka. Comme les ha bilans de ce pays font un usage habituel du fer , qu’ils s’en servent avec une dextérité qui ne s’acquiert que par le temps , on peut croire qu’ils le tirent .d’une source constante , mais je ne puis l’indiquer ; je ne pus savoir si c’était de la baye de Iludson , du Canada ou du Mexique ; peut-être vient-il de tous ces lieux , ainsi que l’étain , l’airain et l’argent que nous y avons trouvés. Ces peuplades ont des espèces de chefs nommés Acweek ; leur autorité ne s’étend pas loin, et je conjecturai qu’elle leur vient par héritage , parce qu’il en était de jeunes. A l’exception des espèces de statues qu'on trouve dans leursinaisons, rien chez ces hommes simples n’annonce un culte , une religion. Nous n’avons pas vu qu’on rendît des hommages à ces statues qui représentent peut-être des chefs de famille. L’idiome dont on se sert est dur , mais non guttural ; il est lent ; le même mot se termine de quatre à cinq manières différentes , il a peu de prepo- posi tiens et de conjonctions; sa conformité avec celui des Mexicains est assez frappante. de Jacques Cook. 233 Il y a entre ces isles et celles de l’Océan pacifique, des différences essentielles quant aux traits, aux usages , à la langue des habitans, et tout annonce qu’ils n’ont pas la même origine. La latitude de Nootska est de 49 degrés 36 minutes 6 secondes ; sa longitude de i5o degrés 4^ minutes 17 secondes ; la mer y monte de 8 pieds 9 pouces dans les pleines et les nouvelles lunes , pendant le jour, et de 10 pieds 9 pouces durant la nuit. C’était le soir du 26 Avril que nous partîmes de ce port ; la tempête dont les indices m’avaient fait balancer quelque temps , ne tarda pas à se déclarer. A peine fûmes-nous dans la mer libre , que des raffales , la pluie, le brouillard tombèrent sur nous , et le lendemain fut un véritable ouragan ; une voie d’eau vint nous tourmenter encore cependant le temps se calma un peu , le ciel s’éclaircit, et nous avançâmes vers le nord en nous rapprochant de la terre ; nous la vîmes , mais nous étions au-delà de l’endroit où l’on place le prétendu détroit de l’Anrirai de Fonte. J’en fus fâché , car sans croire à ce détroit , j’aurais voulu visiter ces côtes ; le temps était encore trop orageux pour qu’on n’eût pas à craindre d’en approcher de trop près , et je continuai mon chemin. La terre s’offrit encore à nos yeux vers le 55 e . dégré 20 minutes de latitude ; elle nous parut avoir des ports et des bayes , mais les bouffées de grêle , de pluie, de neige , ne nous permirent pas de les bien distinguer ; nous vîmes en- a34 Troisième Voyage suite de petites isles au-delà desquelles on apper- cevait la mer former un enfoncement vers le nord; entre cette baieetla mer était unemontagne arrondie et liante que je nommai Edgécumbe ; par-tout la terre était mon tueuse et fort élevée; les collines les plus basses , les bords de la mer se montraient seuls dépouillés de neige et couverts de bois. Plus loin nous vîmes une grande baye qui est protég e par des isles; nous l'ap-> pellâmes Baye des Isles ; elle se divise en plusieurs bras, et se trouve sous le 57 e . degré 20 minutes de latitude septentrionale. Nous donnâmes le nom de Canal de la Croix , à une large entrée que nous découvrîmes le lendemain ; et plus au midi une montagne que nous nommâmes Cap de Beau - Temps ; elle est la plus haute d’une longue chaîne qui s’étend parallèlement à la côte, la neige la couvrait de son sommet à la mer , au bord de laquelle on voyait des arbres qui semblaient sortir du sein des Ilots. Plus loin se découvrait une montagne qu 'on distingue à la distance de 40 lieues , et que je crus être le mont du navigateur Behring ; je lui en laissai le nom. Par-tout autour de nous on voyait des marsouins , des veaux marins , des baleines, une multitude de goélands , et des volées d’oiseaux qui avaient 111 cordon noir autour de la tête, une bande noire sur la queue et sur les aîles, dont le dessus du corps était bleuâtre, et le dessous blanc. Nous apperrûmes aussi un canard de couleur brune , ayant la tête et le cou noirs, ou d’un brun foncé. Je parvins à huit lieues bï Jacques Cook. »35 de l’entrée d’une baye en travers de laquelle il y avait une isle chargée de bois il me sembla que c’était celle où mouilla Behring , sous le 59°. degré 18 minutes de latitude , et je lui en donnai le nom. Près de là , cette longue chaîne de montagnes dont j’ai parlé, se trouve interrompue par une plaine de quelques lieues. Au- delà on n’apperçoit rien , et l’on est en doute, s’il s’y trouve de l’eau , ou un terrain uni la chaîne se relève ensuite , et montre des montagnes très-élevées ; elles se dirigent vers le couchant jusques vers le 2 , 34 e - degré 3 o minutes de longitude , où elles s’abaissent et s’entrecoupent. Le 10 mai , je découvris une isle près d’un cap auquel je donnai le nom de Suc kling ; de loin il paraît détaché de la terre ; à son côté septentrional est une baie étendue qui me parut à l’abri de tous les vents, et je résolus d’y jeter l’ancre; mais le vent était contraire , et je ne pus remplir mon but. Je descendis dans l’isle pour découvrir le pays ; les collines escarpées et hérissées de bois me firent encore abandonner mon entreprise. J’y laissai mon nom et celui des vaisseaux dans une bouteille , et donnai à l’isle le nom de mon ami le docteur Kaye. Elle air à 12 lieues de long , sur une ou une et demie de large. Sa pointe sud-est est sous le 59 e . degré 49 minutes de latitude , sous le e . degré 26 minutes de longitude ; cette pointe est un rocher nudet fort haut ; les côtes de l’isle vers la mer, présentent des rocs en pented'une pierre bleuâtre, et dans un état de décomposition ils sont inter- 236 Troisième Voyage rompus par de petites vallées d’où sortent des ruisseaux qui se précipitent avec impétuosité dans la mer, nourris sans doute par la fonte des neiges ; des pins ombragent ces vallées , et partout au-dessus des rochers l'isle offre une ceinture de bois , dont les arbres ont quatre à cinq pieds de tour sur environ cinquante de hauteur. Les pins du continent voisin ne paroissent pas plus gros , ni d’une autre espèce il me parut qu'il y avait quelques aulnes les terrains en pente étaient couverts d’un gazon qui ressemblait à la mousse ordinaire ; j’y apperçus aussi des groseillers , des aubépines , une violette à fleurs jaunes et quelques autres plantes ; une corneille, deux ou trois aigles voltigeaient au-dessus des bois ; une multitude d’oiseaux étaient posés sur les flots, tels que des briseurs d’os , des plongeons , des canards , des goélands , des nigauds et autres espèces ; parmi les plongeons , nous crûmes reconnaître le guillemot ordinaire , et parmi les canards , le canard de pierre décrit par Steiler. Les nigauds étaient très-grands, et peut- être c’était le cormoran d’eau. Là était aussi un oiseau solitaire , d'un blanc de neige , taché de noir sur les aîles ; un renard sortit du bois à l’endroit où nous débarquâmes; il était d’un jaune rougeâtre , et ne paraissait point nous craindre; nous y virnes aussi des veaux marins , mais nulle trace d’homme. Je donnai à la baie qu’elle couvre , le nom de Baie du Contrôleur ; et dépassant l’isle de Kaye, j’en découvris une nouvelle moins étendue le de Jacqiîis Cook. 23/ continent nous parut s’étendre du levant au couchant , et cette direction bien différente de celle que nous avions lieu d’attendre , nie lit espérer un passage j j’y dirigeai les vaisseaux , pour y trouver au moins un port où je pusse boucher ma voie d'eau , avant qu’un nouvel orage nous la rendit plus dangereuse. Je jetai l’ancre au- dessous d’un cap que j'avais nommé Hinching- broke ; je fis sonder et pêcher autour de nous au milieu des rochers s’élèvent des rocs entourés de la mer ; j’y envoyai faire la chasse aux oiseaux ; mais dès que nos gens s’en approchèrent, ils virent une vingtaine d’hommUs montés sur_ deux grosses pirogues , et ils revinrent au vaisseau ; les Américains les suivirent , se tinrent à quelque distance , poussèrent des cris , étendirent et rapprochèrent leurs bras , et entonnèrent une chanson semblable à celle de Nootka. L’un d’eux agitait en Fair un habit blanc , un autre se tenait dans sa pirogue absolument nud , debout et immobile , les bras étendus eu croix. Leurs pirogues étaient de lattes recouvertes de peaux ; nous employâmes les invitations les plus pressantes pour les déterminer à monter sur le vaisseau ; ils reçurent nos présens , et se retirèrent en nous faisant entendre qu’ils reviendraient le lendemain. La nuit fut impétueuse, et je mis à la voila dans le jour qui suivit , je cinglai vers le nord où j’entrevoyais une pointe de terre qui se trouva une isle située à deux milles du continent ; mais sur ce continent nous découvrîmes a38 Troisième Voyage tm hâvre vers lequel nous nous dirigeâmes , et où nous pûmes jeter l’ancre avant la nuit qui fut très-orageuse, ses Indiens du jour précédent avaient voulu nous suivre , et s’étaient vus obligés de s'en retourner ; nous en trouvâmes d’autres ici , qui se mirent dans des pirogues semblables à celles des Eskiinaux ; chacun d’eux tenait un bâton long de trois pieds où étaient attachées de grosses plumes ; ils les tournaient souvent vers nous , peut-être pour nous annoncer leur intention pacifique. Nous leur fîmes accueil ; ils accoururent en plus grand nombre , et se bazardèrent à monter à bord. Parmi eux , j’en distinguai un dont la figure était intéressante ; c’était le chef. Il était habillé de peau de loutre; un chapeau conique, orné de grains de verre bleu , ombrageait sa tète ; tous estimaient ces grains de quelque couleur qu’ils fussent , et se hâtaient d’olifrir ce qu’ils possédaient pour en obtenir. La fourrure qu’ils paraissaient priser au-dessus des autres, était celle de chat sauvage ou celle de martre. Ils désiraient aussi du 1er ; mais ils ne mettaient du prix qu’aux grands morceaux et nous en avions peu les pointes de leurs piques étaient ou de ce métal , ou de cuivre , ou d’os ; il fallut les surveiller tous avec attention pour qu’ils n’emportassent rien ; car ils se montrèrent d’adroits voleurs. Ils essayèrent d’emmener notre canot, même de force ; les uns présentaient leurs piques aux sentinelles , d’autres s’emparèrent de la corde qui l’attachait ai yaisseau , et d’autres T>E T acquis Cook, 209 encore faisaient leurs efforts pour l’éloigner de nous; mais ils le relâchèrent quand ils virent que nous étions résolus à le défendre ; ils en sortirent , et firent signe de mettre bas les armes , se montrant aussi tranquilles que s fils n’avaient rien fait qui fut blâmable. Ils avaient environné aussi la Découverte , et s’étaient imaginés qu’ils pourraient piller ce vaisseau en y entrant par les écoutilles ; ils y montèrent, firent signe à ceux qui se trouvaient là de se tenir à l’écart, et armés de couteaux , ils cherchèrent les objets qu’il leur convenait d’emporter. L’équipage prit l’alarme, et s’arma de coutelas ; à cet aspect, les Américains se retirèrent avec beaucoup de tranquillité et de sang froid. Ils vinrent ensuite de grand matin , comptant nous trouver endormis et nous voler à leur aise. Il y a toute apparence qu’ils ne connaissaient pas l’effet des armes à feu ; car ils auraient eu moins d’audace ; je fus assez heureux et assez obéi pour les laisser dans cette ignorance. Au milieu de l’orage qui ne discontinuait pas, je fis travailler à boucher la voie d’eau ; nos charpentiers s’en occupèrent tandis que nous remplissions nos futailles vuides ; enfin le temps s’éclaircit , et nous vitnes la terre tout autour de nous , dans un lieu où l’on n'a point à craindre les vagues ni les vents je visitai ce havre ; le sol est bas près de la côte, semé de bois çà et là, et chargé de neige les collines voisines étaient aussi boisées ; mais au-delà on voyait de hauts rochers pelés presque ensevelis sous la neige; 2^o Troisième Voyage le flot arrivait dans le port par la même entrée qui nous y avait conduit, et rien ne nous assurait qu’il y eut un passage pour traverser l’Amérique ; mais il n’était pas prouvé qu’il n'y en eût point. Je crus donc devoir en laire la recherche d'une manière exacte je suivis la côte aussi long-temps que les vents m’aidèrent ; je trouvai de mauvais fonds, des rocs submergés ; la côte enfin nous parut fermée. J’envoyai des canots pour visiter par-tout où il aurait été dangereux de pénétrer avec les vaisseaux ; ils ne découvrirent que des canaux qui formaient desisles, ou dont on croyait appercevoir le fond. Ce rapport me donna peu d’espoir , et le vent étant devenu favorable pour regagner la haute mer, nous remîmes à la voile ; je craignis de manquer la saison nouvelle pour visiter les parties du continent situées plus au nord , en m’obstinant à connaître des lieux où un passage était peu probable jcar on doit considérer que s’il y a un passage, il doit correspondre aux baies de Bassin ou de Hudson , et que nous en étions de Sio lieues plus au couchant. Nous sortîmes donc de l’enceinte de terres qui nous environnaient par tin canal, qui avec celui qui nous y avait amené , forme une isle longue de dix-huit lieues, et à laquelle nous donnâmes le nom de Montagu. Près de cette isle il y en avait un grand nombre dont la plupart sont basses, couvertes de bois et de verdure, ce qui nous les fit appeler Isles vertes. Nous traversâmes le canal , large de deux ou trois lieues, qu’elles forment avec l’isle Mon- tagu, de Jacques Cook. tagu , et nous nous trouvâmes dans la haute mer , d’où nous voyions la côte de l’Amérique s’étendre à perte de vue au coucliant. Cette entrée fut nommée celle du Prince Guillaume ; elle occupe au moins 36 lieues en étendue , sans y comprendre les branches qu’elle forme et que nous ne connaissons pas. Les habi- tans du continent ou des isles voisines , sont d’une taille ordinaire , et quelques-uns sont petits , leurs épaules sont quarrées, leur poitrine large , leur col épais et court, leur face applatie et large, leur tête fort grosse; leur nez offre une pointe pleine, arrondie , crochue, ou se retroussant en haut à son extrémité ; iis avaient les dents larges , blanches , égales, bien rangées; les cheveux noirs , épais , lisses et forts , peu de barbe, mais roide et hérissée ; les vieillards en avaient une large , épaisse et lisse. Leurs traits sont variés ; mais en général leur physionomie annonce la bonhommie, la vivacité, la franchise les traits de leurs femmes ont plus de délicatesse ; quelques-unes avaient le teint blanc sans aucun mélange de rouge ; la peau des hommes était basanée ; tous, femmes , hommes, enfans , s’habillent de la même manière. Ils ont une espèce de robe qui descend jusqu’à la cheville du pied , qui quelquefois n’atteint qu’au genou. La tête la traverse , et les manches descendent jusqu’au poignet. Elles sont composées de fourrures de loutres de mer , de renards gris, de ratons , de martres ou de veaux marins le poil est en dehors ; quelques-unes sont faites de Tome III. Q Troisième Voyage peaux d’oiseaux dont il ne reste que le duvet. La couture des peaux est ornée de franges de Landes de cuir étroites. Quelques-unes portent une espèce de chaperon ou de collet, quelques autres ont un capuchon , et plus communément un chapeau. Quand il pleut, ils couvrent leur robe d’une autre , faite de boyaux de baleine ou de quelque autre gros animal, disposés avec tant d'adresse qu’ils ressemblent à une feuille de batteur d’or. Cette seconde robe serre le col , les manches en sont attachées avec une corde autour du poignet, et lorsqu’ils sont assis dans leurs canots de peaux, ses pans sont relevés au-dessus du trou dans lequel ils sont assis ; en sorte que leurs pirogues ne peuvent recevoir l’eau de la nier , et que leur corps est au sec au milieu de la pluie qui ne peut pénétrer leurs habits, qu’il faut cependant toujours tenir humides pourq u’ils ne se fendent pas. En général , ils ne se couvrent ni les pieds ni les jambes; mais quelques-uns portent des espèces de bas de peau qui remontent jusqu'au milieu do la cuisse ; presque tous ont des mitaines de peaux Tours ; ceux qui couvraient leur tête, la chargeaient d’un chapeau de paille ou de bois en forme de cône tronqué, qui ressemblait à une tête de veau marin les hommes portent leurs cheveux longs , les femmes les portent dans tout» leur longueur les deux sexes ont les oreilles percées de plusieurs trous dans le haut et en bas , et ils y suspendent de petits paquets de coquillages tubuleux ils ont aussi la cloison du nez DE J A 1 Q B HS COOK. 243 traversée de tuyaux de plumes ou de parties de coquillages ensilés à un cordon. Quelques-uns ont la lèvre inférieure coupée dans la direction de la bouclie au - dessous de sa partie renflée on fait cette incision aux enfans quand ils testent encore, et elle devient assez considérable pour que la langue la traverse celui de nos matelots qui le premier vit un des hommes ornés de cette manière , assurait qu’il avait deux bouches , et en effet on Taurait cru ils y insèrent un coquillage plat dont le bord extérieur est découpé , et offre l’apparence d’une rangée de dents. Quelques autres ont cette lèvre inférieure percée de plusieurs trous , où ils insèrent des coquillages en forme de clous dont les pointes se présentent en-dehors. Tels sont les ornemens delà fabrique du pays on y voit aussi beaucoup de grains de verre fondus en Europe , et la plupart d’un bleu pâle qu’ils suspendent à leurs oreilles , à leur chapeau , ou aux pointes de bijoux insérés dans leur lèvre inférieure. Ils portent des bracelets de grains , de coquillages , de colifichets faits avec de l’ambre. Ils aiment tant à se parer , qu’un de ceux qui ont la lèvre entr’ouverte par - dessous, y avait fait entrer des clous que nous lui avions donnés, et un autre gros bouton de cuivre. Ees hommes s’enduisent le visage d’un rouge éclatant et d’une couleur noire , ou hleue , ou couleur de plomb ; les femmes se barbouillent le menton d’une substance noire , qui se termine en pointe sur les joues ; ils ne se peignent point le Q » 344 Troisième Voyage corps, peut-être parce que les couleurs sont rares. Je n’ai jamais vu de sauvages se donner autant de peine pour se défigurer. Ils ont deux espèces de canots, l'un est grand , fait de pièces flexibles de bois entrelassées , et recouvertes de peaux ; l’arrière ressemble un peu à la tête d’une baleine l’autre est petit et semblable à celui des Eskimaux ; c’est, en quelque manière , une outre de peau à laquelle ils donnent cette forme commode, et où ils sont comme enfermés jusqu’à la ceinture ils ont aussi les mêmes armes que le peuple dont nous venons de parler ; leur cotte de maille est faite de lattes légères si bien jointes par des nerfs d’animaux, si flexibles et si serrées , que les dards ne la pénètrent point et qu’elle ne nuise point au mouvement , mais elle ne couvre que la poitrine , l’estomac et le ventre. Nous ne vîmes aucune de leurs habitations dans les environs des lieux où nous nous réfugiâmes mais ils nous apportèrent dans leurs pirogues des pièces de leur ménage, comme des plats de bois de forme ronde et ovale ; d’autres étaient cylindriques et profonds ; des lanières de cuir en attachaient les flancs au fond qui les supportaient ; quelques-uns ressemblaient à nos beurrières ; ils étaient d’un seul morceau de bois, ou d’une substance de la nature de la corne, et proprement sculptés. Ils font de petits sacs quar- rés avec les mêmes boyaux dont ils se font des robes pour la pluie, et y insèrent des plumes rouges ils y renferment de très-beaux nerfs et de Jacques Cook. s.^5 des paquets de petites cordes tressées avec adresse ils font des paniers marquetés et d’un tissu si serré quùrn y peut mettre de l’eau , des modèles en bois de leurs canots , et de petites images de bois rembourrées ou couvertes de fourrure, ornées de petites plumes , ayant la têie chevelue et longue de quatre à cinq pouces ; peut-être elles servent de jouets à leurs enfans , ou représen-t tent leurs amis morts. Ils ont beaucoup d’ins- trumens composés de deux ou trois cerceaux , auxquels se terminent des barres en croix où sont suspendus des coquillages en les secouant ils font un bruit dont ils composent leur musique. Je ne leur ai vu d’outils qu’une hache de pierre de la forme des isles de la mer du Sud ils ont des couteaux de fer , les uns droits , les autres courbes ; il en est qui sont en forme de dague , presque triangulaire, qu’ils portent suspendus au cou dans une gaine de peau tout ce qu’ils fabriquent est fait comme s’ils avaient les outils les plus ingénieux, et un artiste Européen ne pourrait rien faire de plus parfait. Quand on réfléchit à la manière de vivre de ces sauvages , à leur climat rigoureux, et à la grossièreté de leurs outils , on est tenté de les mettre au-dessus de toute nation pour l’esprit d’invention et d’adresse. Ils mangent du poisson sec, de la chair bouillie, ou rôtie, des racines de fougère de la grande espèce , cuites au four , et la partie intérieure de l’écorce du pin ; ils conservent de la neige dans des vases pour la boire. Ils mangent avec dé- Q'à 2^6 Troisième Voyage cence et propreté, se tiennent de même, ne s'enduisent ni de graisse ni de saletés , et nettoient avec soin leurs vases et leurs canots leur langue offre des difficultés par la diversité de signification qu’ils donnent an même mot. Nous ne connaissons les animaux du pays que par leur fourrure ; nous y remarquâmes celles du veau marin , du renard , du chat blanchâtre ou lynx , de la petite hermine , de l’ours, de la martre , du raton , de la loutre de mer ; ils ont plus de ces trois derniers que des autres ; celles qu’ils tirent du veau marin les surpassaient tontes eu finesse les loutres y sont moins belles qu’à Nootka ; celle des veaux matins est blanche , quelquefois tachetée de noir ; celle d’ours est couleur de suie. Nous vîmes ici celles de l’ours blanc et d’une espèce de loup qui avait des couleurs très- brillantes j la plus belle fourrure est celle d’un animal long de dix ponces, qefi a le dessus du dos brun ou couleur de rouille , les flancs d’un cendré bleuâtre et la queue bordée de poils blanchâtres; il paraît être de l'espèce de l’écureuil ou du hamster, ou de la marmotte de Casan ; ces fourrures y sont très-communes ; ils n’ont point de celles du renne ni du daim. L'aigle à fête blanche , l'alcyon orné de couleurs très - brillantes , le colibri, le plmier, la gélinotle à longue queue , la bécassine , sont les oiseaux que nous y observâmes ; les oiseaux aquatiques étaient des oies , une petite espèce de canard d’un noir foncé , à queue courte, à de Jacques Cook. 2/sv pieds rouges , ayant sur le front une tache blanchâtre , et une autre espèce plus grande ; des pies de mer à bec rouge ; tous étaient très-sauvages. On y voit un plongeon qui a le bec court, noir et comprimé , la tête et la partie supérieure dhm brun noir , et le reste d’un brun foncé , ondoyé d’un noir mat , excepté le des^ sus qui est noirâtre et semé de points blancs. On y remarqua un petit oiseau de terre de l’espèce du pinçon, de la grosseur du bruant, ayant une couleur brune obscure , une queue rougeâtre, avec une large tache jaune au sommet de la tête. Il y a quelques poissons , quelques coquillages , mais peu variés. Les habitans n’ont de métaux que le cuivre et le fer ; ils en forment les pointes de la plupart de leurs traits et de leurs lances. Ils ont un ochre rouge friable et onctueux , un minerai de fer dont la couleur approche du cinabre , du fard bleu et brillant, et du plomb noir ; mais ils ne les ont qrden petite quantité. Sans doute ils ont reçu leurs grains de verre et le fer des tribus qui communiquent avec la baie de Hudson ou les lacs du Canada, ou peut-être des Russes ils ont beaucoup; de cuivre et ils semblent le trouver chez eux. Je cinglai vers le sud-ouest et passâmes devant un promontoire auquel je donnai le nom d’Elizabeth au-delà nous ne voyions point de terre et nous croyions avoir atteint l'extrémité occidentale du nouveau monde 5 mais cetts erreur Q 4 2^8 Troisième V o y a s s fut bientôt dissipée , et nous déconvrimes de nouvelles côtes su couchant, qui semblaient se prolonger au midi ; on y voyait une chaîne de montagnes couvertes de neige. Une des pointes qu’elles sonnaient nous parut être le cap ïlermogènes de Lei hin g ; mais son voyage est si abrégé , sa carte si peu exacte , qu’on ne peut reconnaître les lieux on il a touché que par conjecture. Le cap fait partie d’une isle séparée de la côte par un canal large d’une lieue ; il en est de même du cap qui tient à des groupes d’isles que je nommai Jslcs stériles un courant m’empêcha de traverser entr’elles et la côle plus loin je vis un promontoire très - élevé dont le sommet formait deux montagnes qui se montraient au - dessus des nuages ; je l’appellai Cap JDouglass de ce cap au nord , nous vîmes de nouvelles côtes qui nous punirent séparées du continent par un canal qui se dirigeait plus au couchant. Ce canal on golfe nourrit notre espoir d’y trouver un passage ; mais nous vîmes bientôt que ces isles stériles étaient des montagnes réunies par un terrain bas ; la neige les couvrait jusqu’au rivage j cependant à quelque distance nous apperçûmes encore une entrée d’où la marée amenait des algues marines et des bois flottans ; nous y pénétrâmes avec le flux , et ne découvrîmes encore aucun obstacle , aucune terre devant nous ; les terres au couchant et au levant nous montraient des chaînes de montagnes les unes derrière les autres , et quelques colonnes de fumée qui on- de Jacques Cook. doyaient dans l’air ; nous continuâmes notre route aidé dn flux ; mais jetant l’ancre quand il nous abandonnait. Deux pirogues vinrent vers nous portant chacune un homme ; ils s’approchèrent de nous en hésitant ; ils nous haranguèrent en tendant la main , et nous montrant la côte comme pour nous inviter à y descendre ; ils acceptèrent nos présens , et paroissaient être le même peuple que celui de l’entrée du Prince Guillaume ils nous quittèrent lorsque nous mimes à la voile. Le reflux avait ici une rapidité effrayante ; les eaux avaient toujours les mêmes degrés de salure; mais en nous avançant plus loin , elles devinrent plus douces , et tout nous annonça que nom remontions une rivière; je résolus de la remonter plus haut encore une grande pirogue chargée d’hommes, de femmes, d’enfans , et plusieurs petites vinrent nous rendre visite; ils nous donnèrent une fourrure en échange des bagatelles qu’ils reçurent de nous ; nous en achetâmes des habits , quelques dards , et un peu de saumon et des plies , qui furent payés avec de nos vieux vêtemens , des grains de verre et des morceaux de fer ; ils ont des couteaux de ce métal et des grains de verre bleu de ciel auxquels ils mettaient du prix, mais demandaient avec plus d’instance de gros morceaux de fer. Ils ont la même langue que Je peuple que nous verrons de décrire. Nous eûmes un temps couvert qui dans des intervalles nous laissa voir d’un côté des terres basses, des bancs de sable que je voulus examiner,et / eSo Troisième Voyage j’y envoyai deux canots nous étions dans uno grande rivière ; l’eau en était douce jusqu’à la profondeur d’un pied ; elle était vaseuse , elle chai iait des arbres , des ordures de toute espè- pcce ; les côtes s’étaient abaissées , et nous ne pouvions douter que nous n’étions plus sur la mer. Ides canots confirmèrent cette opinion ; ils la,remontèrent trois lieues plus loin , la trouvèrent par-tou t navigable pour les gros vaisseaux, mais se rétrécissant jusqu’à n’avoir plus qu’une lieue de largeur. Nôsgens descendirent dans une ide couverte d’arbrisseaux , parmi lesquels était îe groseillev le sol était une argile mêlée de sable à trois lieues de là , la rivière paraissait en recevoir une autre qui venait du nord-est les côtes étaient basses , et les montagnes semblaient se rapprocher sans jamais se réunir. Ce rapport m’enleva toute espérance de trouver là un passage ; mais je voulus examiner un bras qui s’enfonçait vers le levant , et j’y envoyai mon lieutenant King avec deux canots il ne vit que des terrains bas que nous avions pris pour des isles , et une grande baie. Il nous parut que le fleuve était navigable fort loin , et que les rivières qu’il reçoit peuvent faciliter les communications avec une grande partie du continent. On a depuis appellé ce fleuve la rivière de Cook. Si ce grand fleuve devient utile , je regretterai moins le temps que je perdis à m’en assurer ; mais cette perte de temps était grande pour le but que nous avions , parce que l’été s’avançait de Jacques Cook. 2 5i et que nous étions bien loin encore des parages on nous devions parvenir. L’Amérique nous parut alors s’étendre au couchant bien pins loin que nous ne le pensions , et cette conjecture qui devenait plus que probable, nous ôtait presque l’espoir de trouver une coiumunicaûon avec la baie de Bassin ou celle de Hudson. J’envoyai encore mon lieutenant pour examiner les terrains bas qui se trouvent au sud-est de la rivière et en prendre possession au nom de l’Angleterre ; tandis qu’il exécutait cette commission , je descendis la rivière , et jetai l’ancre quand le flux nous devint contraire. King nous y rejoignit il avait trouvé des Américains désarmés qui deman dèrent énergiquement qu’il quittât son fusil ; il le fit , descendit et trouva des hommes gais et sociables un chien tué d’un coup de fusil les étonna beaucoup. Le terrain lui parut maigre , léger et noir ; il était couvert d’arbres , tels que des pins, des aulnes , des bouleaux , des saules ; et d’arbrisseaux , tels que des rosiers et des groseillers ; mais pas une seule plante en fleur. Nous continuâmes à descendre , et des sauvages vinrent vers les vaisseaux , et nous vendirent leurs habits , du saumon , de la plie , des peaux de lapins blancs , de renards rougeâtres et quelques-unes de loutres. Le fer était ce qu’ils recherchaient le plus ; la cloison de leur nez est plus chargée d’ornemens que celle du peuple de l’entrée du Prince Guillaume ; mais ils avaient moins de bouches doubles ; leurs / 2^2 Troisième V o y a * vêteinens , leurs carquois avaient aussi plus de broderies blanches et rouges. Un peu plus loin , mon vaisseau s'engrava dans un banc de sable presqu’au milieu de la rivière , où. l’àgitation causée par le choc de ses eaux et de celles du flux , paraît la plus forte. Dès que nous eûmes échoué , je fis jeter l'ancre à la Découverte , et j’attendis le flux pour me relever. Il revint et le vaisseau fut dégagé sans avoir reçu de dommage nous continuâmes notre route , après avoir acheté quelques quintaux de poissons des Américains. Le soir les nuages s’élevèrent , et nous découvrîmes un volcan, parmi les montagnes qui se voyaient au couchant il était sur le flanc voisin de la rivière et près du sommet ; il ne vomissait alors qu’une fumée blanche. Nous revîmes encore des sauvages leurs piques ressemblaient à nos hallebardes , et les pointes en sont souvent de cuivre. On pourrait établir avec eux un commerce avantageux de fourrures ; mais les Russes sont les peuples les plus voisins et peuvent seuls profiter de cet avantage les loutres de mer sont les plus précieuses ; toutes étaient taillées en liabitset fort mal-propres. Nous nous trouvâmes enfin en pleine mer ; nous revîmes le cap 8 l’isle dont il fait partie est dénuée de bois , on y voyait peu de neige ; elle semblait couverte d’une mousse qui lui donnait une couleur jaunâtre. Nous traversâmes l’embouchure delà baie que je nommai de la Pentecôte au levant, les terres qui la de Jacques Cook. 253 Forment me parurent une partie du continent; au couchant elle a de petites isles ; près de la mer la terre était nue ; mais les montagnes étaient toutes blanches. Le ciel se couvrit, et pendant trois jours nous ne pûmes découvrir la côte dont nous suivions la direction. Quand le temps s’éclaircit, je vis une pointe Hue je nommai La côte offre plusieurs petites baies, de hautes collines , des vallées profondes ; elles paraissaient stériles et brunâtres. Une pointe que je nommai à deux têtes , de sa forme , se distinguait du reste, elle rassemblait à une isle ; c’est peut-être une péninsule plus loin nous découvrîmes une isle à laquelle je donnai le nom de Trinité ; elle a six lieues du levant au couchant ; ses extrémités sont élevées, son centre est bas ; peut-être elle est partagée en deux par un détroit nous marchâmes vers elle pour passer dans le canal, large d’environ trois lieues , qu’elle forme avec le continent ; mais la nuit et la crainte d’une brume épaisse suspendirent et détournèrent notre course ; je pris le large , le vent augmenta , le brouillard nous cacha la terre , et nous restâmes exposés aux vagues et aux vents , près d’une côte inconnue. Lorsque nous pûmes voir la terre , nous nous en trouvâmes environnés. Nous nous approchâmes de celle qui semblait nous fermer le passage au midi ; c’était une isle de neuf lieues de tour ; c'est probablement celle que Behring nomma la Nébuleuse , et je lui en donnai aussi le nom. La côte sur le continent est rompue, et plust Troisième Voyage escarpée qu’aucune des autres côtes de l’Amérique que nous ayions rencontrées ; peut-être est- elle bordée de petites isles ; par-tout elle annonçait la stérilité. Nous tuâmes là un bel oiseau de l'espèce dupingoin, moins gros que le canard, de cou mur noire , excepté sur le devant de la tête qui est blanc il a une jolie crête d’un blanc jaunâtre qui se replie en arrière comme la corne d'un bélier; son bec et ses pieds sont rouges , il semble que çe soit Valca monochroa de Steiler nous en avions vu d’autres d'espèces variées , et chaque jour nous appercevions quelques baleines ou des veaux marins , ou quelqu’autre cé- tacée. Je découvris de nouvelles isles et cinglai vers le détroit qu’elles formaient avec le continent la plus septentrionale nous parut être l’isle de Kodiakde Sthælin , et je crois que les autres sont les isles Shumagindu navigateur Russe Behring d’autres isles forment avec elles un archipel assez nombreux ces isles sont en général hérissées de rochers et de monticules on y trouve des baies et des anses bien fermées , des ruisseaux d’eaux douces ; mais elles sont sans arbres et sans arbrisseaux ; la plupart étaient encore couvertes de neige , ainsi que le continent. Nous étions alors dans le milieu de Juin , sousleiJo. degré 18 minutes de latitude, et 217 e . degré 43 in. de longitude. Peu après , la Découverte fit des signaux ; et craignant quhl ne lui fût arrivé quelque malheur , j’y envoyai promptement un canot de Jacques Cook. 2 55 qui revint m’apprendre que des pirogues s'en étaient approchées , qu’il y avait parmi ceux qui les montaient , un homme qui avait ôté son chapeau , fait la révérence , et des signes qui annonçaient un Européen , et qu’a près avoir remis une boëte , il avait disparu avec les pirogues ; cette boëte renfermait un billet écrit dans une langue que nous n’entendions pas et peut-être en langue russe ; mais nous y remarquâmes en tête la date de 1778 , et ailleurs celle de 1776. Tout ce que nous y pûmes apprendre fut que nous trouverions bientôt peut-être quelques négocians Russes qui nous auraient précédés dans ces lieux encore inconnus pour nous. Je supposai que le billet renfermait des avis pour des négocians Russes , et qu'on nous avait cru de cette nation ; je continuai ma route sans m’arrêter à éclaircir ce fait indifférent à l'objet de notre voyage. Nous évitâmes des brisa ns , vîmes une isle que nous nommâmes Halïbut ou de la plie , des montagnes qui s’élancaient au-dessus des nuages , et parmi elles un volcan qui vomissait dévastés colonnes d’une lumée noire 5 sa figure est un cône parfait dont le volcan est la cime j elle était ceinte de nuages qui , joints aux colonnes déployées par le vent , présentaient un coup d’œil extraordinaire ; le vent jetait la fumée d'un côté dans la partie basse ; mais plus haut il la poussait du côté contraire. Nous primes là quelques plies dont quelques unes pesaient un, quintal ; rafraîchissement qui nous yenait fort 2 56 TnoisiEME Voyage à propos peu après nous vîmes approcher ne pirogue , et dans elle un homme qui portait des culottes de drap verd , et sous sa souquenillc de hoyaux , une jaquette de laine noire il nous salua à l'Européenne , et nous vendit une peau de renard gris avec des harpons dont la pointe était d’os et proprement travaillée sa pirogue, sa figure , ressemblaient celles que nous avions vu précédemment ; son corps n’était point peint; sa lèvre était trouée dans une direction oblique , niais sans ornemens ; il ne comprit point ce que nous essayions de lui faire entendre , et nous ne le comprimes pas mieux. Nous revîmes la côte après que les brouillards se lurent éclaircis ; nous distinguâmes encore le volcan ; de nouvelles isles se présentèrent devant nous ; elles étaient fort hautes , et en nous en approchant davantage, nous en découvrîmes un plus grand nombre ; un ciel couvert et le bruit des brisans peu éloignés , nous firent ici jeter l'ancre , et par-là j’évitai un grand danger ; deux gros rochers environnés d’écueils étaient près de nous , et quand nous pûmes voir à quelque distance , je me trouvai près d’une isle dans rm bon port , auquel j’étais parvenu au travers des brisans , entre lesquels je n’aurais point osé passer par un temps serein. Je fis visiter l’isle ; elle était couverte d’herbe, et il en était de semblables au pourpier ; on n’y ttouva pas même un arbrisseau ; j’enfilai un canal où nous avions la terre de tous côtés celle qui était au midi offrait une chaîne de montagnes ; nous V be Jacques Cook. 267 nous reconnûmes qu’elle ne formait qu'une isle déjà connue des Russes sous le nom d’Oono- iashka. Nous y vîmes des liabitans qui traî - naient après eux deux baleines qu’ils venaient de tuer ; quelques autres vinrent échanger des bagatelles avec nous et. parurent avoir vu des vaisseaux comme les nôtres ; ils avaient même une teinte de politesse que n’ont pas les sauvages. Nous marchions entre des jsles , et je cherchai un canal pour regagner la haute mer, nous entrâmes dans un détroit qui parut nous y conduire; mais la marée nous força d’y jeter l’ancre. Des naturels vinrent à nous , et achetèrent du tabac ; l’un d’eux renversa sa pirogue , et nous le tirâmes de la mer ; il ne montra point de crainte sur le vaisseau il portait une robe de larges boyaux d’un animal marin , et par dessous un vêtement de peaux d’oiseau avec leurs plumes qui posaient sur la chair; son chapeau était orné de grains de verre ; il quitta ses habits mouillés et se revêtit avec aisance ; son maintien annonçait qu’il cpn- * naissait les Européens et une partie de leurs usages ses compatriotes paraissaient admirer nos vaisseaux. Je reçus encore là une lettre dans une langue qu’aucun de nous ne pouvait entendre ; je la rendis au porteur avec des présens , et il me fit plusieurs révérences profondes. Le vent contraire et d’épais brouillards nous retinrent ici quelques jours , et me permirent de faire quelques observations sur le pays et ses ha-, bitans ; le hâvreoù je me trouvais est appelé par Tome 111. R a 58 Troisième Voyage les naturels Samganoodlui , il est sur la rive septentrionale d’Oonalashka , sous le 53 e deg. 55 min. de latitude et le 211 e deg. de longitude ; des isles le mettent à l’abri de tous les vents d’abord large , il se rétrécit ensuite vers son fond on y peut faire de l’eau mais il n’y a point de bois. Devant ce port, était Pisle Oonella qui a sept lieues de tour ; au nord-est de celle-ci est celle d’Acootan , bien plus grande qu’elle, et où nous voyions de hautes montagnes couvertes de neige. Nous nous revimes bientôt dans la pleine mer; la côte d’Amérique tournait entre le nord et l'orient , et je suivis cette direction ; mais bientôt nous découvrîmes une terre au sud-est ; je continuai cependant de cingler vers le nord la côte était bordée de terrains bas où l'on distinguait des coupures qui forment peut-être l’entrée de quelques vallées la terre y était dépouillée de bois , mais revêtue de gazon ; derrière, les montagnes étaient resplendissantes de neige nous suivions toujours la même direction ; cependant nous nous "apperçûmes que la profondeur de l’eau diminuait sans cesse ; nous espérions que la côte tournerait bientôt plus à l’orient et que nous avions trouvé un passage ; mais au-delà d’une pointe qui nous avait caché la terre, nous vîmes une rivière , et au-delà par-tout des terrains bas ; et notre espérance s’évanouit encore. L’entrée du fleuve a un mille de largeur, les eaux en sont décolorées comme sur les bas-fonds, il paraît qu’elle serpente dans des terrains unis et bas, et qu’elle nourrit beaucoup de saumons ; de Jacques Cook. rjq nous lui donnâmes le nom de rivière de Bristol. Je tournai mes voiles vers le couchant ; des has-l’onds nous ohlitèrentderevenir plusaunord. Le ii juillet nous entendîmes le tonnerre ; c’était la première fois qu’il se faisait appercevoir sur ces côtes. Plus loin nous vîmes une isle à 7 milles du continent ; la forme lui fit donner le nom d’isle Rotule. Les mêmes objets s’offraient y. nous ; des bas-fonds, une côte nue, des havres, des montagnes blanches dans le lointain , puis des brouillards qui nous dérobaient la vue de tout ce qui nous environnait ; nous primes des morues et des poissons plats. J’envoyai le lieutenant Williamson examiner le pays qui de nos vaisseaux nous paraissait stérile ; il gravit sur une colline et vit que la côte se dirigeait vers le nord ; il prit possession du pays , et n’y apperçut ni arbres ni arbrisseaux 5 des collines pelées, des terrains bas et revêtus de verdure s’offrirent partout à ses regards ; il n’y vit d’animaux qu’une daine, son faon, et le cadavre d’un cheval marin étendu sur le sable. Nous étions environnés de bas-fonds , et nous tentâmes vainement d’en sortir vers le nord ; je fis sonder autour de nous , et ce fut inutilement encore ; j’aurais pu réussir peut-être en cherchant encore plus long-temps ; mais la saison nous pressait et je préférai de retourner sur nos pas ; je revins donc au midi , ayant devant nos vaisseaux des canots pour sonder. Tandis que nous avions jeté l’ancre pour ne pas échouer , des Américains vinrent nous voir, et ils nous. R a a6o Troisième Voyase fourrures , des traits , des dards , des vases de bois 5 ils étaient moins propres, moins bien habillés que les derniers que nous avions vus ; ils ne connaissaient pas l’usage du tabac et n’avaient entr’eux tous qu’un morceau de fer adapté à un manche de bois ; ils nous en demandèrent de pareils leurs cheveux étaient rasés ; mais ils en conservaient deux toutes qui pendaient par derrière ou surle côté;sur leur tête était un capuchon de fourrure et un bonnet qui nous parut de bois ; leur ceinture assez propre était chargée d’une garniture flottante qui passait entre les cuisses leurs pirogues sont de peaux comme celles que nous avons décrites; mais celles-ci étaient plus larges , et le trou dans lequel ils s’asseyent plus grand. Le retour de nos canots les lit fuir. Dégagés des bancs de sable , nous nous dirigeâmes plus au couchant; et peu de jours après nous virnes des isles autour de nous ; elles faisaient sans doute partie de l’archipel du nord ; nous cinglâmes alors au nord. C’est dans cette route que je perdis notre chirurgien Anderson , jeune homme plein de sentiment , d’esprit et de connaissances; il m'avait été utile , et me l’aurait été encore si la consomption 11e nous l’eût enlevé. Je donnai son nom à une isle que nous- découvriines peu de temps après qu’il eut expiré. . Nous vîmes une terre devant nous , et nous portâmes sur elle ; elle paraissait basse près de là mer , avait uns teinte verdâtre , paraissait dé- m Jacques Cook. 26 t nuée de bois , et se perdait à nos yeux en des hautes collines. Nous la crûmes une partie du continent, et nous vinmes jeter l’ancre entre elle et une isle qui en était voisine celle-ci a quatre lieues de tour et offre des rocs détachés couverts de mousses et de végétaux ; nous y trouvâmes du pourpier , des pois , de l’angelique et d’autres plantes,et nous enfimesdela soupe. Nous y vîmes un renard, des pluviers , divers petis oiseaux , des cabanes en ruine construites sous terre en partie, un sentier qui la traversait , et Un traîneau sur le rivage ; je lui donnai le nom d’isle du Traîneau. Celui-ci était semblable à ceux du Kamtchatka, avait dix pieds de long, vingt pouces de large , était garni de ridelles dans le haut, d’os par le bas ; ses diverses parties étaient jointes avec art avec des chevilles et des lanières de baleine. Il paraît que cette isle est visitée par les peuples du continent ; mais nous en ignorons le motif. Nous nous éloignâmes lentement de cette isle, avec un vent faible et un temps chargé ; il s’éclaircit ensuite et nous montra une terre haute qui paraissait détachée de celle où nous étions ; après l’avoir suivie quelque temps , je me convainquis qu’elle formait une côte continue avec celle que nous venions de parcourir , et je me dirigeai plus au couchant ; mais après avoir marché quelque temps au travers des brouillards et de la pluie; je me trouvai encore environné de terre ; des isles nous fermaient la vue de la mer une terre élevée se prolongeait au nord-ouest je la nomis ci 262 Troisième- V o'y a g e mai cap du JPrince de Galles ; elle est remarquable parce qu’elle est l'extrémité la plus occidentale de l’Amérique connue , sous le 65 0 . degré 46 minutes de latitude et le 209 e . degré 17111. de longitude. La terre nous parut habitée ; il nous semblait y voir des huttes et des espèces d’échafauds. En nous approchant de plus près d’une isle voisine , nous la trouvâmes coupée par un canal assez large ; petites islesne nous pouvant donner un abri , nous cinglâmes vers aine terre que nous avions apperçue au couchant ; nous y trouvâmes une baie où nous jetâmes l’ancre. C’était sur une partie de la côte d’Asie. Bientôt nous apperçùmes un village et des iiommessur la côte, à qui la vue 4 Troisiemb Vota! ou de chien , ou de veaux marins bien apprêtées. Nous y achetâmes des capuchons de peaux de chiens assez grands pour couvrir la tête et les épaules ils n’avaient point de barbe ; leurs cheveux noirs étaient rasés les couteaux et le tabac sont les objets de commerce qu’ils estimaient le plus. Ils ont des habitations d’hiver et d’été ; les premières ressemblent à une voûte dont le plancher est un peu au-dessous du sol j elles sont ovales , longues de vingt pieds , hautes de douze ; la charpente en est faite de bois et de cotes de baleines disposées et liées d’une manière judicieuse ; sur cette charpente est une couverture d’herbe grossière , recouverte de terre ; tout est soutenu par un mur de trois à quatre pieds de hauteur l’entrée est près du sommet du toit, une espèce de chaussée élevée y conduit un. cellier est au bas, recouvert par un plancher. A l’extrémité est une chambre voûtée qui paraît être le magasin il communique à la cabane par un passage obscur et reçoit l’air par un trou dans le toit le dessus es surmonté d’une espèce de guérite construite avec les ossemens d’un gros poisson. Les cabanes d’été sont circulaires , assez étendues , pointues au sommet des perches légères , des os couverts de peaux d’animaux marins en composent toute la structure les possesseurs couchent autour sur des lits de peaux de daims sèches et propres. Autour de ces habitations sont des échafaudages où ils paraissent l'aire sécher de Jacques Cook. a 65 leur poisson ou des peaux ; ils sont tous composés d’os ; les chiens attaqueraient ces peaux si on ne les mettait hors de la portée ; ces animaux semblent être de l’espèce du renard, plus gros et de couleurs différentes ; leurs poils sont longs et soyeux , semblables à une laine fine. Il nous parut qu’ils des attachaient à leurs traîneaux durant l’hiver peut-être aussi qu’ils les mangent. Leurs canots ressemblent à ceux de la côte opposée ; ils s’en servent pour la pêche, et la multitude d’os de gros poissons ou d’antres animaux marins qu’on trouve autour de leur bourgade , font penser qu’ils tirent de la mer leur principale nourriture ; et en effet le pays est stérile ; on n’y voit pas même un arbrisseau. Je croirais qu’il fait partie de l’isle AJaschka ; mais la forme des côtes , la position du rivage opposé, la longitude nous obligeaient de penser que c’était ici le pays des Tshutski , ou l’extrémité orientale de l’Asie. Nous retournâmes au vaisseau le lendemain sa position était sous le 66 e . degré 5 minutes de latitude , et le 2,08 e . degré 47 minutes de longitude , à 7 lieues des côtes de l’Asie et de l’Amérique nous nous approchâmes de celle-ci, et trouvâmes bientôt des bas-fonds. Un bon vent et notre direction au couchant nous en sortirent. Nous revînmes sur la côte qui formait un cap auquel je donnai le nom de Mulgrave le terrain y était bas et l’on n’y voyait ni neige, ni bois. Nous rencontrâmes dans notre route des T J O I S 1IMÏ V OTAGE chevaux marins et des volées d’oiseaux , dont les uns ressemblaient à des alouettes de sable , les autres à des fauvettes d’hiver. Le 17 juillet , nous apperçûmes dans l’ho- rison , un peu avant midi , une clarté pareille à celle de la réverbération de la glace ; nous n’y pensâmes point ; cependant l’âpreté de l’air et l’obscurité du ciel nous annonçaient un changement brusque depuis deux jours ; nous étions sous le 70 e . degré 4 1 minutes. Une heure après nous vimes une large plaine de glace ; elle était impénétrable nous y trouvâmes une foule de chevaux marins. Forcés de tourner au couchant, nous y trouvâmes la glace se présentant comme un mur de dix à douze pieds de hauteur ; sa surface était raboteuse et renfermait des marais d’eau. Nous étions entre la côte et la glace qui s’avançait sur nous ; nous avions à craindre ou d’être pris sur des bas-fonds , ou d’être renfermés parce mur impénétrable qui s’approchait; notre position devenait â chaque instant plus critique , et nous nous hâtâmes de tourner vers le sud ; nous revînmes ensuite sur des glaces flottantes autour de nous , mais au travers desquelles nous ne pouvions espérer de nous ouvrir un passage. Elles portaient un nombre prodigieux de chevaux marins ; et comme nous manquions de provisions fraîches , nous allâmes à la chasse de ces animaux. C’est uil aliment peu recherché ; mais les viandes salées nous dégoûtaient, et leur chair nous parut préférable à elles. Nous en primes neuf; leur graisse approche de la saveur delà he Jacques Cook. %6j moële ; mais elle devient bientôt rance si on ne la sale pas leur cliair est grossière et noire, elle a un goût fort ; mais le cœur est presqu’aussi bon que celui du bœuf. Leur graisse donne encore de l’huile pour les lampes ; leurs peaux nous servirent pour garnir nos cordages et nos poulies j leurs dents n’avaient pas six pouces de longueur. Lorsqu'ils se sont rassemblés sur la glace au nombre de plusieurs centaines , ils s’y roulent pêle- mêle comme les porcs dans un bourbier ; leur voix est éclatante , et avertit de l’approcbe des glaces quelques-uns qui faisaient sentinelle , réveillaient à notre approche leurs compagnons endormis ; bientôt la troupe était réveillée et fuyait dans la mer en désordre. Ils ne nous parurent pas redoutables ils sont plus effrayait s par leur aspect que par leur fureur dès qu’on les couchait en joue , ils plongeaient ; les fe-* melles défendent leurs petits dans l’eau ou sur la glace avec un courage intrépide ; et quand la mère est tuée , on est sûr de prendre les petits qui ne l’abandonnent pas. On ne sait ce qui a fait donner le nom de cheval marin à cet animal Pennant lui donne celui f'Valrus arctique , les Russes celui de Morse , on le connaît dans le golfe de sous celui de Vache marine ; il n’a aucun trait de ressemblance avec le cheval, il n’en a que par le museau avec la vache ; il ressemble au veau marin , mais est beaucoup plus gros. L’un d’eux qui n’était pas des plus grands , avait neuf pieds quatre pouces de la tête à la queue , cinq pieds a .68 Troisième V o y a g 2 de l’épaule à la terre , sept pieds dix pouces ds circonférence vers l’épaule ; il pesait 854 livres, sans y comprendre la tête , la peau , ni les entrailles ; sa tête seule pesait 41 livres et demie , et sa peau 20 5 . Je ne sais de quoi se nourrissent ces animaux. Avant que nous eussions vu de la glace , on avait remarqué des troupes de canards qui volaient au midi ; une espèce était grande et brune, dans une autre le mâle était noir et blanc , et la femelle brune. Il semble qu’ils annonçassent une terre au nord où ces oiseaux se rendent pour la couvée , et d’où ils revenaient pour chercher un climat plus chaud. Nous nous trouvâmes environnés par la glace après avoir embarqué nos chevaux marins il ne nous restait qu’une ouverture au sud , et nous en profitâmes pour nous dégager de ce voisinage dangereux 5 mais ayant voulu ensuite nous diriger au couchant, nous retrouvâmes notre vaste plaine de glace dont nous suivîmes quelquetemps les bords , puis nous rebroussâmes jusque sous le 69 e . degré de latitude près de la cote d’Amérique , où nous avions trouvé une iner libre peu de jours auparavant mais alors la grande plaine de glace n’en était qu’à quelque distance. La partie de la côte que nous voyions était élevée ; par-tout ailleurs nous l’avons trouvée basse ; ici je donnai le nom de Cap làburne à la pointe qui s’offrit à moi ; elle était haute , tachetée-de neige et dénuée de bois. Les vagues avaient brisé une partie de la plaine de de Jacques Cook. 269 glace, et les débris en flottaient autour de nous; il fallait nous en dégager encore pour en éviter le choc dangereux. Nous cessâmes de nous rapprocher du nord ; l’air était âpre et dur , tantôt chargé , tantôt donnant des éclaircies; quelquefois nous avions des bordées de neige , quelquefois de la pluie neigeuse. Mais bientôt nous retrouvâmes une glace épaiâse et compacte que nous ne pouvions franchir que près de la côte , et j’y dirigeai mon vaisseau ; j’y fus encore entouré d'une glace flottante ; la mer n’offrait d’espace libre qu’au levant, et nous y marchâmes. J’examinai cette glace qui présentait une barrière impénétrable aux vaisseaux ; elle était partout pure et transparente , excepté dans le haut où elle était poreuse et paraissait formée de neige gelée ; elle s’était formée dans la mer ; rien n'y annonçait qu’elle sortît d’une rivière il est probable quelle est le résultat de plusieurs années d’hiver ; son épaisseur était considérable; la partie qui était dans l’eau avait 3o pieds , l’été n’en pouvait fondre la dixième partie, car le soleil avait déployé sur elle toute l’ardeur de ses rayons ; les vents doux , ou les vagues excitées par ces vents , contribuent plus que le soleil à la fondre , parce qu’il est souvent environné de brouillards ; quelquefois les vagues y forment des vallées profondes où un vaisseau pourrait passer; et j’eus lieu de croire qu’une saison orageuse en pouvait détruire plus que n’en forment plusieurs hivers. Un brouillard épais m’obligea de cesser moa S7° Troisième Voyage examen des glaces , et notre chasse des chevaux marins. Nous louvoyâmes au travers de ces glaces ilottantes ; la grande plaine se montrait au nord, une terre étendue au couchant ; nous nous approchâmes de celle-ci ; les bas-fonds nous arrêtèrent ; mais nous vîmes clairement cette partie de la côte d’Asie elle ressemblait ici à celle d’Amérique ; le terrain en était bas près de la mer, il s’élevait ensuite et formait des montagnes une pointe remplie de rochers se présentait, et je la nommai Cap Nord ; elle est sous le 68 e . deg. 56 min. de latitude , le 198 e . deg. 21 min. de longitude. Je voulais passer au-delà , et le tentai en vain , il fallut reprendre le large j le temps des gelées approchait , nous étions à la fin du mois d’Août et je crus devoir renoncer pour cette année à de nouvelles tentatives pour trouver un passage dans la mer Atlantique. Je pensai à l’emploi de mon hiver , et d'abord à làire des provisions d’eau et de bois dont nous commencions à manquer. Je suivis dans mon retour la côte d’Asie , presque toujours enveloppé de brouillards épais qui m’obligeaient de marcher avec la plus grande précaution les sondes seules nous conduisaient. A midi nous découvrîmes la côte , elle étais basse, et s’élevait ensuite la neige la couvrait des collines jusqu’à la 111er la partie orientale nous parut une isle c’en est une en effet qui a quatre à cinq milles de tour, est d’une hauteur moyenne et à trois lieues du continent ; son rivage est escarpé et rempli de rochers ; je liii donnai be. Jacques Cook. ZyL le nom d "Isle Bumey. L’intérieur du continent est ixérissé de hautes collines , la côte forme des pointes de rochers réunies par un rivage bas , où rien n'annonçait un port je continuai ma route et découvris le cap oriental d’Asie. Il me fut alors bien démontré que c’était là le pays cle Tschutsky , le Tschukowkoi-Noss , le même cap que Behring nomma Serdze Kamen , hérissé de différens rocs dont l’un, est fort escarpé et se présente en lace de la mer. Nous en revîmes les habitans , nous distinguâmes leurs habitations semblables à de petits mon drains le cap forme une péninsule d’une longueur considérable , jointe au continent par un isthme fort bas et ce semble fort étroit ; il est sous le 66 e . degré 6 minutes de latitude , éloigné de treize lieues du cap du Prince de Galles sur la côte de l’Amérique. Les collines y sont arides et pelées, les vallées y ont une teinte verdâtre ; mais on. n’y voit point d’arbres. Ses habitans ne sont point soumis encore à la Russie , mais commercent avec elle. Behring donna le nom de Baie de St. Laurent à celle que forme ce cap elle a peu à craindre des vents , mais j’ignore si elle est accessible aux vaisseaux. Nous crûmes voir un rocher dans son voisinage ; c’était une baleine que les habitans venaient de tuer et qu’ils amenaient au rivage en se cachant derrière elle ils nous craignaient à tort ; nous continuâmes notre chemin, toujours à la vue d'un pays inégal et nud , semé d’habitations et d’échafaudages que leur blancheur 2?r Troisième Votaiu rendait visibles an loin. Behring paraît avoir fort bien dessiné cette côte ; il en a déterminé les latitudes et les longitudes avec plus d’exactitude qu’un ne devait l’espérer de sa méthode. Je ne pouvais concilier mes observations avec la carte de Staelin , qu'en supposant que la terre que j’avais prise pour le continent d’Amérique était une partie de l’isle Alaschka , et que j’avais manqué le canal qui les sépare. Je voulus m'assurer de ce point avant l’hiver , afin d’avoir un objet unique dans mes recherches dans l’été suivant ; d’ailleurs Staelin dit qu’on y trouve beaucoup de bois et j’en avais besoin. Je cinglai donc vers la côte d’Amérique ; nous la découvrîmes près de l’isle du Traîneau ; et si je m’étais trompé , l’isle Alaschka devait être la terre que je voyais. Je cherchai donc le canal qui la sépare du continent ; deux pirogues s’approchèrent de nous dans cette route ; mais nous invitâmes en vain ceux qui les montaient à nous aborder , et nous continuâmes d’avancer. Le lendemain nous apperçûmes deux terres que nous crûmes être des isles ; la côte revêtue de bois , nous dirait une perspective agréable ; au- delà on voyait une terre plus haute et fort éloignée , que nous estimâmes devoir être le continent ; je cherchai donc le détroit qu’il forme avec les isles j'envoyai des canots, je sis sonder j bientôt le fond nous manqua , et nous revînmes sur nos pas ; puis nous nous rapprochâmes de la terre le jour suivant. J’y débarquai pour y chercher de l’eau et du bois ; le sol paraît de Jacques Cook. L?3 paraît y reposer sur un roc composé de couches perpendiculaires , d’un bleu fonce , mêle de quartz et de mica ; une bordure de terre y était couverte de hauts gramens ; nous y trouvâmes de l’Angelica le terrain s’élève ensuite ; au sommet est une bruyère , plus loin le pays est parsemé de petits spruces , de bouleaux et de saules ; on y distingue les pas des renards et des daims ; on y trouve de l’eau douce et du bois flotté. Je revins au vaisseau pour l’y conduire et je jetai Fancre à l’extrémité méridionale de l’une des isles ; mais le lendemain nous reconnûmes qu’elle était liée au continent par une terre basse. Nous y vîmes des habitans ; l’un d’eux vint à nous dans un petit canot ; il reçut avec plaisir un couteau et des grains de verre. Je lui demandai des alimens , et il nous quitta , rama près de la côte , trouva un de ses compagnons qui avait deux saumons secs , et revint avec ces poissons, mais ne voulut les donner qu’à moi qui lui avait parlé. D’autres vinrent ensuite échanger leur poisson sec contre des bagatelles; ils préféraient les couteaux , mais ne rejetaient point le tabac. Je tentai vainement d’aller plus avant dans la baie , le peu de profondeur de l’eau ne nous le permit pas , et je me borna! à envoyer chercher du bois flotté avec nos bateaux. Ils en trouvèrent ; mais il y avait peu d’eau douce ; je les envoyai sur la côte opposée, et en attendant je louvoyai et jetai l’ancre. Cette rade est très-ouverte , par conséquent Tome 111. S 374 Troisième Voyagb peu sûre ; je ne crus pas devoir y rester longtemps ; nous nous bornâmes à enlever le bois que les* flots avaient jeté sur le rivage; c’était du sapin je descendis encore à terre, je n’y vis que peu de plantes qui portaient des baies mûres ; telle était la camarigne ou l’empetrum ; il y avait beaucoup de bouleaux , de saules , des aulnes , mais je n’y trouvai de vrais arbres que le spruce. Une des familles du pays s’offrit à nous; c’était le mari, la femme , un enfant, le grand- père qui était perclus de tous ses membres le mari était presque aveugle ; il avait les yeux couverts d'une taie épaisse et blanche , et la femme pria le lieutenant King de souffler et de cracher sur ses yeux. On acheta tout le poisson qu’ils avaient ; c’étaient de beaux saumons , de la truite et des mulets. Leurs lèvres inférieures étaient percées , ils avaient un teint cuivreux, les cheveux noirs , les dents noires aussi, et limées jusqu'au niveau des gencives. Ils estimaient beaucoup le 1er, et avec quatre couteaux de fer , nous eûmes quatre quintaux de poissons. J’offris des grains de verre à l’enfant qui était une fille , sur quoi la mère fondit en larmes , le père pleura , le vieillard pleura aussi, et la fille imita les autres. Nous les quittâmes après nous être pourvus de bois et avoir embarqué douze futailles d’eau. Nous redescendîmes le lendemain pour couper des balais et des branches de spruces dont je voulais faire de la bière ; et continuant notre route , nous cherchâmes à découvrir si la côte ns Jacques Cook. ay5 était partie .ct’une isle ou du continent ; le peu de fond uï’obligea d’envoyer des canots pour s’en assurer ; le lieutenant King les commandait pendant qu’ils s’occupaient de cet objet, je vins jeter l'ancre dans une baie située à côté d’un cas, auquel j’avais donné le nom de Dambigh les habitans se rendirent près de nous sur des pirogi es , et échangèrent leur poisson sec contre des quincailleries. D’autres arrivèrent le lendemain ; mais ceux-ci paraissaient n’être que des curieux , ils s’approchèrent des vaisseaux et se mirent à chanter , tandis que l’un d’eux frappait sur une espèce de tambour , et qu’un autre faisait mille mouvemens divers de ses mains et de son corps. Il ne nous sembla point qu 'il y eût rien de sauvage dans cette musique et ces gestes. La taille , les traits de ces hommes étaient les mêmes que ceux des Américains que nous avions vus ; comme eux , leur vêtement était composé de peaux de daims , et il avait la même forme ; comme eux , ils se percent la lèvre inférieure et y mettent des ornemens. Leurs habitations n’ol’- fraient qu’un toit en pente fait avec des morceaux de bois , recouverts de terre et de gra- mens ; le plancher est aussi de morceaux de bois j près de la porte est un trou qui donne passage à la fumée qui s'élève du foyer qui est derrière. Nous allumes ensuite chercher de petits fruits qu’on trouve sur cette terre , tels que les groseilles , des vaciets et antres semblables , par-tout la terre m’y parut couver t e de végétaux ; on y voyait beaucoup d’oies et d’outardes ; mais elles S A æ . j6 Troisième Voyaos ne se laissent pas approcher ; les bécassines et deux espèces de perdrix voltigeaientendiflérentes parties de la côtej des mosquites infestaient les bois cette péninsule paraît avoir été une isle dans les temps anciens ; un banc de sable y repousse les vagues et paraît y avoir été accumulé par elles. King revint avec de nouvelles raisons , pour nous persuader que cette côte n’était point une isle ; il avait débarqué, et gravi sux deux hauteurs d'où il avait vu par-tout les côtes réunies , et apperçu un grand nombre de vallées étendues au fond desquelles roulaient des rivières ; ces vallées étaient couvertes de bois , et formées par des collines d’une hauteur moyenne et descendant en pentes douces l’une d’elles paraissait avoir une rivière considérable qui a son embouchure au fond de la baie où nous nous trouvions. Plus on s’avança dans le pays et plus on trouva de gros arbres. Nous donnâmes à la vaste baie où nous nous trouvions le nom de Norton , parent de M. Un g , et orateur de la chambre des communes ; elle ne renferme pas un bon liâvre -, mais nous y eûmes toujours le plus beau temps ; celui où nous étions était sous la latitude de 64 deg. 3 i min. et la longitude de 214 deg. 4 1 min. Nous étions bien assurés alors que la carte de Staelin était défectueuse et que son isle Alaschka n’existait pas ; nous pûmes donc penser à gagner un lieu où l'hiver ne fût point à redouter , où nous pussions faire des provisions , où nos équi- i> e Jacques Cook. 377 pages pussent se reposer et reprendre des forces nouvelles pour supporter les travaux de la campagne prochaine le havre de et Paul dans le Kamtchatka ne me parut pas propre à remplir mon but ; d’ailleurs, je ne pouvais me résoudre à rester six ou sept mois dans l’inaction, et je n'aurais pu faire de découvertes utiles si j’avais passé l’hiver dans ces climats septentrionaux. Les isles Sandwich étaient les terres qui nous promettaient le plus d’avantages et le plus d’agréinens , et je résolus de m’y rendre , en suivant la côte de l’Amérique pour la reconnaître toujours davantage ; je voulais y chercher un havre, ou gagner celui de Samganoodha , lieu fixé pour notre rendez-vous en cas de séparation. Nous partîmes dans ce dessein le 17 septembre , et suivant la côte, nous découvrîmes une isle le lendemain , et j’essayai de passer entre elle et le continent ; mais le peu de profondeur que la mer y avait , m’obligea de passer en dehors. Je donnai le nom de Stuart à cette isle qui a six ou sept lieues de circonférence ; elle a quelques collines ; mais en général elle est basse ainsi que la côte du continent qui lui est opposée ; on ne voyait dkirbres ni sur celui-ci ni sur l’isle ; cependant leurs rivages étaient remplis de bois flotté. Plusieurs habitans s’y montrèrent et semblèrent nous inviter à y descendre. Dès que nous fûmes au dehors de l’isle , je me dirigeai sur la pointe la plus méridionale que nous eussions [en vue dans le continent ; les 8 3 278 Troisième Votas* bas-fonds que nous y trouvâmes lui fi' eut donner le nom de cap des Bas-Fonds. Je m’en éloignai pour chercher des eaux plus profondes la cote depuis le cap jusqu’à plus de 70 lieues de là ne m’est point connue , et il est vraisemblable qu’elle n'est accessible nulle part qu’à des chaloupes , ou à de très petits vaisseaux. Du haut des mâts la terre nous parut bordée de bancs de sable.; l’eau en était décolorée et beaucoup moins salée que dans aucun des endroits où nous avions jeté l’ancre ; il est naturel d’en conclure qu’une grande rivière vient se rendre à la mer dans cette partie de la côte d’Amérique. Nous vîmes à côté de nous une isle à laquelle je donnai le nom de Clerke ; elle me parut assez considérable ; j’y découvris quatre collines qui de loin semblaient séparées de la mer ; mais qui étaient unies par un sol bas et uni. Ihès de sa pointe orientale, il en était une plus petite qui semblait habitée aussi bien qu’elle. Je ne pus y trouver de ports , et je m’en éloignai ; le temps était mauvais, il tombait de la pluie et de la neige. Dans le canal qui sépare les deux confinons , le ciel fut toujours obscur ; mais dans la ' baie ou entrée de Norton , nous eûmes toujours un temps serein. Cette différence n’est-elle point l’elfet des montagnes situées au nord qui attirent les vapeurs , et les empêchent de s’étendre plus loin P Une terre que je voyais entre le couchant et le sud , me parut d’abord un groupe d’isles ; en de Jacçpïs Cook. 2/9 nous en approchant davantage , nous nous convainquîmes qu’elle n’en formait qu’une qui a 10 lieues d’étendue ; elle est étroite , sur-tout dans les parties basses qui réunissent les collines ; les Russes ne la connaissent pas , et je lui donnai le nom de mon lieutenant Gore. Elle m’a paru stérile et inhabitée ; nous y vîmes peu d’oiseaux ; quelques loutres de mer s’y montrèrent ; plus loin est une isle encore qui présente plusieurs rochers en forme de tours , et je lui donnai le nom à'isle des Tours. Fatigué de chercher un havre dans un lieu oh l’on place un archipel nombreux qui me parut imaginaire , je résolus de me rendre immédiatement à celui de Samganoodha; une voie d’eau qui se fit alors à mon vaisseau me confirma dans ma résolution. Enfin , le 2 octobre, nous découvrîmes l’isle Oonalashka d’abord nous eûmes de la peine à la reconnaître , parce que le temps était obscur et que nous ne l’avions point vue dans l’aspect sous lequel elle se présentait ; mais quand nous eûmes observé la latitude, il ne nous resta plus de doute. Il m’importait peu de gagner la baie où nous avions déjà été ; tous les ports me convenaient, pourvu qu’ils fussent sûrs et commodes j’entrai donc dans un havre qui est à 10 milles au couchant de Samganoodha et que les habitans appellent Egoochashac ; mais la mer y était si profonde que je me hâtai d’en sortir. Ses habitans sont nombreux ; ils nous apportèrent du poisson sec que nous payâmes avec du tabac; mais nous avions peu de cette monnaie. S 4 a8o Troisiimi Vota* Nos matelots, très-peu prévoyans, Pavaient prodiguée , et prodiguèrent encore le petit reste qu’ils en possédaient. Nous lûmes donc obligés de venir jeter l’ancre dans le havre de Samganoodha , et là nous réparâmes notre vaisseau pour y dissiper les germes de scorbut qui s'étaient manifestés dans nos équipages , nous joignîmes les baies que produit ce pays à la bière de Spruce chaque matin un tiers de l'équipage partait pour cueillir ces baies; un autre tiers sortait quand celui-ci était rentré, et ces soins eurent le succès que nous en attendions. Les habitans nous apportèrent beaucoup de poisson. L’une des espèces de ce poisson fut appellée nez crochu , à cause de la forme de sa tête ; sa chair n’était pas bien bonne. Nous péchâmes nous-mêmes et pi hues à la seine une quantiié considérable de truites saumonées et une plie de deux cents cinquante livres. Nous employâmes encore l’hameçon et la ligne, qui chaque matin me rapportaient une dixaine de plies qui suffisaient pour nourrir tout l’équipage ; les plies étaient excellentes, et le plus grand nombre les préféraient à la truite saumonée. La pêche nous fournit aussi quelques provisions de réserve j et ce lut une épaigne sur nos vivres. Un des habitans d’Oonalashka on Unalashka me fit un présent singulier pour le lieu où nous nous trouvions • ce fut un pain de seigle , ou plutôt un pâté qui avait la forme d’un pain et dont 1 intérieur était garni de saumon cet de Jacques Cook. 28 t homme , nommé Derramoushk , lit un présent semblable au capitaine Clerke , et y joignit une lettre pour chacun , écrite dans une langue que personne parmi nous ne pouvait entendre. Nous supposâmes que les Russes étaient nos voisins et nous faisaient ces présens ; nous leur envoyâmes par le même commissionnaire des bouteilles de rum , de vin et de porter. C’était le présent le plus agréable que nous pussions leur ot ir , et un caporal de nos troupes de manne accompagna le commissionnaire , pour voir s’il y avait en effet des Russes , et leur dire que nous étions des Anglais , des alliés de leur nation. Notre caporal revint deux jours après avec trois Russes , commerçans en fourrures , qui résidaient à Egoochashac , où ils avaient une maison , des magasins , et un navire de trente tonneaux. Ils étaient fort intelligens ; mais nous ne pûmes nous entendre qu’avec peine parce que nous n’avions point d’interprêtes; ils connaissaient les tentatives faims pour arriver dans la mer glaciale , et les tenes découvertes par Berhing, Tscherikolf, et Spangenberg ne leur étaient pas étrangères ; mais ils paraissaient ne connaître que le nom de Synd ou Syndo , le dernier de leurs voyageurs ; ils ignoraient les terres décrites dans la carte de Staelin , et firent comprendre même qu’ils les avaient inutilement cherchées toute la côte que nous avions parcourue leur parut inconnue ; 1 un d’eux avait été un des compagnons de Berhing, pour lequel a8a Troisième Voyage tous montraient la plus grande vénération. Les Russes doivent leur riche commerce de fourrures au second voyage de ce navigateur dont les malheurs sont devenus utiles à sa nation ses compagnons rapportèrent del’isle où il est mort, des échantillons de riches fourrures , sans lesquels ils auraient abandonné le fruit de leurs découvertes en Amérique. Le gouvernement fixa ses regards sur cet objet , et il encouragea les négocians qui voulurent y faire des entreprises. Les Russes me quittèrent fort satisfaits , et promirent de revenir et de m’apporter une carte des isles situées entre Oonalashka et le Kamtchatka. Trois jours après, nous vîmes arriver le chef de cet établissement russe , appelé Erasirn Gre-> gorioffSin Ismyloff- Il était suivi de trente personnes , chacune dans sa pirogue. Il se fit élever une tente et sa suite s’en construisit pour elle-même avec ses pirogues , ses pagaies et de l’herbe ; iis nous invita dans sa tente, et nous y fit servir du saumon sec et des baies nous l’invitâmes à notre tour , et notre repas fut plus abondant. Il me parut avoir de l'esprit ; mais malheureusement nous ne pouvions nous faire entendre que par des signes et des figures. Il ne m’apportait pas la carte promise ; mais il me la promit encore et tint sa parole. Il connaissait très - bien les découvertes de ses compatriotes , m’indiqua les erreurs de nos cartes modernes , me dit qu’il avait été du voyage de Synd, qu’il ne s’était point élevé plus au nord que le n b Jacques Cook. s 83 pays des Tschutski , et qu’il était descendu clans une i , 1 e que je présume être celle de . lerke. Lui et ceux qui l’accompagnaient, affirmèrent qu’ils ne connaissaient point la côte de l’Amérique située plus au nord, et lui donnèrent le nom d’ Il nous fit entendre que les Russes avaient tenté plusieurs fois de s’établir dans la partie du continent voisin d’Oonalashka ; mais qu’ils avaient toujours été repoussés par une nation féroce , qui avait tué leurs chefs et blessé plusieurs de ceux qui nous parlaient. Il nous donna d’autres détails encore il nous dit que les Russes étaient allé en 1768 avec des traîneaux à trois grandes isles, situées dans l’Océan glacial , à l’embouchure de Kovyma qu’il avait éié lui - même le 12 mai 1771 , de Bolcherelzk à une des isles Kurdes nommée Mareekan, dans laquelle est un havre où les Russes se sont établis ; que de là il s’était rendu au Japon ; que les habitans de cet empire , ayant reconnu qu’ils étaient chrétiens, l’avertirent de mettre à la voile , mais qu’il n’en fut point maltraité, De là , il se rendit à Canton , d’où il passa en France , et regagna Pétersbourg par terre. Je ne pus découvrir ce qu'était devenu le bâtiment sur lequel il s’était d’abord embarqué , ni quel avait été le but du voyage. Il m’offrit le lendemain une peau de loutre qu’il estimait beaucoup et que par cette raison je refusai ; je me contentai de son poisson sec , et de plusieurs paniers d’une racine du Kamt- j»84 .Troisième Vota* chatka nommée saranna i. I] nous quitta, revint, nous apporta des cartes et nous permit de les copier elles m’ont fourni les observa* rions que je vais exposer. Ces cartes me parurent authentiques. La première comprenait la mer de Penshinck, la côte de Tartarie , les isles Kurilés, la péninsule de Kamtchatka dont la côte orientale n’offre que deux havres , celui d’Awatska, et l’embouchure de l’Olutora située au fond du golfe de ce nom il n’y en a point sur sa côte occidentale ; il n’y a que ceux d’Oochotsk et d’Yamsk dans la partie occidentale de la mer de Penshinck jusqu’au fleuve Amur , et l’on ne trouve que celui dont Isinyloff nous avait parlé dans les isles Kuriles. La seconde carte plus intéressante pour nous, indiquait toutes les découvertes des Russes sur les côtes d’Amérique ; elles se réduisent à peu de chose ; mais différaient de celles qui sont marquées dans la carte de Muller. On y voyait diverses isles entre le Kamtchatka et l’Amérique ; mais on nous avertit qu’elles étaient mal déterminées ; et qu’un tiers de celles de la carte de Muller n’existaient pas , ainsi que les isles Macaire, , , , l’isle de la Séduction et quelques autres il est difficile de croire que cet auteur les ait i Elle est nommée ilium. HLamtokatiense ßore airo rubentc , par Gmellin et Steiler. n b Jacques Ç o o k. 2§5 adoptées sans garant je le retranchai cependant de ma carte , et j’y iis les corrections qu'on me dit être nécessaires. Il y avait une erreur de 8 degrés de longitude sur la carte d’Isinyîoff entre Awatska et le havre de Samganoodha , erreur qui doit influer sur la carte entière. J’indiquerai les isles qui se trouvent entre le Kamtchatka et le lieu où nous étions. Celle de Behring est la plus voisine de cette péninsule , puis on voit l’isle de Maidno-OstroffovL l’isle de Cuivre , après laquelle on trouve Atakou qui me paraît la même que Behring nomma Jean , et n’a près d’elle que des islots. Plus loin est un petit archipel composé de six isles dont les plus considérables sont Atglika et Amluk ; chacune d’elles offre un bon port. Le reste est incertain, et ce que nous venons d’en dire n'est peut-être pas exempt d’erreur. Il y avait plus d’exactitude dans le groupe d’isles dont l’Oo- nalashka est une des principales , et la seule qui ait un bon port. On peut étendre ce petit archipel jusqu’aux isles de la Plye un canal étroit, accessible seulement aux canots , et qui communique avec la baie de Bristol, fait une isle de es que nous avions cru un continent ; cette isle est nommée Ooneemak. Il paraît que les Russes n’ont pas fait des découvertes au-delà de ce point Ismyloff nous apprit que la principale des isles Schumagin se nommait Kodiak ; il nous indiqua de même les noms que donnent les naturels aux isles que nous avions découvertes. Voilà tout ee que non» ,86 Troisième Voyac* avons pu apprendre des Russes sur la géographie de ces contrées. Ismyloff nous quitta peu de jours après ; je lui donnai une lettre pour remettre au Kamtchatka et la faire parvenir aux lords de l’amirauté , avec une carte de nos découvertes ; cet homme avait des talens au-dessus de sa place , et je lui donnai un octant d'Halley , instrument qu'il n’avait jamais vu , mais dont il trouva facilement les usages. Un de ses compatriotes, nous rendit visite encore , et nous indiqua les espèces de vivres que nous pourrions trouver dans le havre de Pierre et Paul ; je vis qu’ils y seraient rares et chers 36 livres de Heur de farine devaient nous revenir 4 i5 francs et les daims à la même somme. Ces instructions nous devenaient utiles pour la suite de notre voyage. Nous visitâmes l’établissement des Russes il consiste en une maison et deux magasins ; des Kaintchadales , des naturels du pays leur servaient de domestiques; d’autres insulaires indé- pendans vivaient dans le même lieu ; ceux qui appartenaient aux Russes étaient tous des hommes ; on les enlève ou les acheté quand ils sont jeunes. Tous occupent la même habitation ; les Russes sont logés à l’extrémité supérieure , les Kamtchadales au milieu , les naturels du pays à l’extrémité inférieure ils se nourrissent de poissons , de racines , de baies ; mais les inêts des Russes sont mieux apprêtés ; ils savent rendre très-bonne la chair de baleine , et font un pud- be Jacques Cook. 287 ding avec le Kaviar du saumon broyé et frit qui leur tient lieu de pain. Le pain ordinaire est une friandise l’eau et le jus de quelques baies leur servent de boisson. L’isle les leur fournit , ainsi que leurs vêtemens de peaux. Leur habit de dessus descend jusqu’aux genoux ; ils les mettent sur une ou deux vestes ; ils ont des culottes , un bonnet fourré , une paire de bottes dont la semelle et le pied sont de cuir de Russie, et les jambes d’un boyau très-fort. Les deux chefs portent un habit de Calico ; ils avaient comme les autres une chemise de soie , seules parties de leur vêtement qui n’eussent pas été faites dans le pays. Il y a encore des Russes sur les isles principales situées entre Oonalashka et le Kamtchatka , tous occupés du commerce des fourrures , celles du castor et de la loutre de mer sont les plus recherchées. Je ne m’informai pas de l’époque de leur établissement en ce lieu ; mais la date en paraît récente. Chaque marchand y demeure environ cinq ans , puis est relevé par un autre. Venons aux habitans du pays ce sont les hommes les plus paisibles , les moins malfaisans que nous eussions connus ; leur honnêteté pourrait servir de modèle ; mais elle est due peut- être à l’esclavage où les Russes les ont réduits ; ceux-ci ont employé la rigueur pour y établir le bon ordre , ou l’ordre convenable à leurs intérêts ; mais cette sévérité a au-moins établi la paix entre ces peuplades. Dans chaque isle les s83 Troisième Vôtas* babitans ont des chefs qui jouissent sans trouble de ce qu’ils possèdent ; il est vraisemblable qu’ils payent des tributs. Ces hommes sont de petite taille, ont de l’embonpoint et de bélles proportions , le cou un peu court , le \Lage joullu et basané, la barbe peu fournie, les \eux noirs, les cheveux noirs et li ses qui llottent par derrière les femmes les relèvent en touffes la forme des habits est la même pour les deux sexes ; mais ceux des femmes sont de veaux de mer, ceux des hommes de robes d’oiseaux , sur lesquels est une jaquette de boyaux impénétrables à la pluie ; ils portent un chypeau de bois, de forme ovale , relevé en pointe sur le devant, et peint en vert ou en d’autres couleurs; la coëffe en est garnie de longues soies d’un animal de mer, auxquelles pendent des grains de verre. Les femmes se font des pi* qnetures légères sur le visage , se percent la lèvre inférieure j tous les hommes ont des pendans d’oreille. Ils se nourrissent des productions de la mer, d’oiseaux , de racines , de baies , même de goës- mon ils conservent une partie de ces alimens pour l’hiver ; ils font quelquefois bouillir ou griller leurs vivres , ou dans un chaudron de cuivre ou sur une pierre plate garnie d’argille sur les bords. Le chef mangea devant moi du poisson cru , placé sur des herbes qui lui servaient d’assieite ; ses domestiques lui coupaient des tranches qu’il avalait avec sensualité , et il laissa les restes à ses gens. Comme de Jacques Cook. 289 Comme ils ne se peignent point le corps , ces insulaires sont moins sales que ceux de Nootka mais leurs cabanes sont fort mal propres. Pour les élever, ils creusent un espace de 4° à 5o pieds de long, de 16 à 20 pieds de large , et forment sur cette excavation un toit avec le bois que la mer amène sur leurs côtes, le recouvrent d’herbe et de terre , y font à chaque extrémité deux ouvertures quarrées pour recevoir le jour , et pour entrer ou sortir au moyen’d’un pieu entaillé qui leur sert d'échelle. Plusieurs familles s’y logent ensemble , séparées par des branches de bois ; elles y couchent et y travaillent dans une espèce de fossé couvert de nattes qui entourent la maison. C’est la seule partie de la maison qui soit un peu propre , et c’est autour d’elle qu’ils placent leurs habits, leurs nattes , leurs fourrures , qui sont leurs seules richesses. Ils ont des jattes, des cuillères , des seaux, des pots à boire , des paniers , quelquefois un chaudron. Ces meubles sont bien faits, cependant ils semblent n’avoir que des couteaux et des haches assez informes. Ils ont peu de fer, et paraissent n’en pas désirer davantage ; ils ne nous demandèrent que des aiguilles ; celles dont ils se servent sont d’os , et avec des nerfs, ils en, font des broderies curieuses. Presque tous fument, et ce luxe semble les dépouiller et les réduire à la pauvreté. Les femmes sont les tailleurs, les cordonniers, les constructeurs et les couvreurs de canot r les hommes en fabriquent la charpente, et font des r £ome 111. T »yo Tkoisiemi VorASB paniers d’herbes jolis et solides. Une pierre creusée dans laquelle ils placent de l’huile et de l’herbe sèche , leur tient lieu de lampe, de poêle et d’âtre. Pour faire du feu, ils frottent une pierre de souffre , et la frappent avec une autre j ou ils roulent fortement un bâton épointé dans le creux d’une planche , et au bout de quelques minutes ils ont du feu. Ils semblent n’avoir aucune arme offensive ou défensive , sans doute parce que les Russes les ont désarmés ; peut - être ils leur ont interdit encore de grandes pirogues ; car ici on n’en trouve point ; et nous n’avons vu nulle part des canots aussi petits que ceux dont ils se servent la construction en est à-peu-près la même que celle des canots , dont nous avons parlé. L’insulaire assis dans le trou de sa pirogue couverte de peaux , peut la serrer, comme une bourse autour de son corps ; il ferme de tous côtés l’accès à l’eau ; et une éponge lui sert à enlever celle qui peut s’y introduire une pagaie double qu’il tient par le milieu et dont il frappe l’eau d’un mouvement vif et régulier, d’abord d’un côté, ensuite de l’autre , lui sert à la guider avec vitesse où il lui plaît, et en ligne droite. Leur attirail de pêche et de chasse est toujours dans leur pirogue , assujéti par des bandes de cuir j leurs instrumens semblables à ceux des Groënlandais, sont tous de bois ou d’os ; la pointe de leurs dards n’a qu’un pouce de long ces dards sont d’une construction singulière et qui annonce beaucoup d’adresse. Ils harponnent DK Jacques Cook. ryr le poisson sur la mer ou dans les rivières ; ils se servent aussi d’hameçons et de lignes , de filets et de verveux ces hameçons sont laits avec des os, et ces lignes avec des nerfs. On trouve ici la baleine , le dauphin , le marsouin , l’épée de mer, la plie , la morue , le saumon , la truite , la sole , des poissons plats , et plusieurs espèces de petits poissons la plie et le saumon y sont des plus communs ; ce sont eux qui nourrissent presque seuls les habitans , et avec les mornes , ce sont les seuls qu’ils conservent pour l’hiver. Au nord du 60 e . deg. les baleines sont nombreuses et les petits poissons rares ; c’est le contraire au midi. Les veaux de mer et tous les animaux de la famille des phoques sont moins communs ici que dans les autres mers, parce que toutes les isles et le continent qu’elles bordent sont habitées, et que les peuplades qui s’y sont établies , les chassent pour s’en nourrir ou s’en faire des vêtemens autour des glaces fixes ou mouvantes , on trouve une grande quantité de chevaux marins , et c’est aussi dans ces parages qu’on trouve la loutre de mer. Nous y apperçumes encore un cétacée qui soufflait comme la baleine et avait la tête du dauphin ; il était blanc, tacheté de brun , et plus grand que le veau marin ; c’était sans doute le manati, ou la vache marine. Les oiseaux de mer n’y sont ni aussi nombreux , ni aussi variés que dans les parties septentrionales de l’océan Atlantique ; mais il ea est, ce me semble , qu’on ne voit pas ailleurs. T a ,y2 Troisième Voyagb Tel est Y A Ica monochra de Steiler que j’ai déjà décrit ; tel est une espèce de canard noir et blanc qui me parut n’être pas le même que Krashen- nikoff appelle canard de pierre on peut voir dans cet auteur et dans le voyage au Groenland de Martin , la description des autres oiseaux de ces mers. On n’y voit point de pingouins , et peu d’albatrosses , peut-être parce que le climat ne leur convient pas. Nous n’y trouvâmes qu’un petit nombre d’oiseaux de terre on en tua un près de l’entrée de Norton , qu’on m’a dit être le jaseur qu’on voit quelquefois en Angleterre. En général l’espèce des oiseaux qu’on y voit est peu variée , peu multipliée ; ce sont la plupart des pics , des bouvreuils, des pinsons jaunes et des mésanges. Il en peut exister un plus grand nombre ; mais nous ne pénétrâmes pas assez avant dans le pays pour avoir pu le connaître , et pour en décrire les productions avec quelque détail. Il y a peu d’insectes , et les mousquites seuls y sont nombreux ; le lézard est le seul reptile que nous y vîmes. On n’y voit point de daims ; les insulaires n’ont rendu aucun animal domestique ; ils n’ont pas même des chiens. Le renard , la belette furent les seuls quadrupèdes qui s’offrirent à nos regards mais on nous dit qu’il y avait des lièvres et des marmottes. La mer et les rivières fournissent tous les alimens des habitait s ; elles leur fournissent aussi les bois de Construction j car on ne voit pas un arbre sur les isles , ni même sur les côtes de cette parti ni Jacques Cook. ry3 de l’Amérique. Je n’en pus découvrir la raison. Si les graines des plantes sont transportées par les vents d’un bout du monde à l’autre , comme on nous l’assure ; s’ils les répandent sur les isles perdues dans le sein de l’Océan , pourquoi n’en ont-ils point transporté ici, ni sur les isles voisines ? la terre y paraît fertile et semble n’attendre que des semences pour donner abondamment de nouvelles productions. Peut-être la nature a refusé à ce sol la puissance de produire des arbres, si l’art n’en vient aider la végétation. Les bois qui flottent sur ces rivages viennent de l’intérieur de l’Amérique sans doute, ils sont déracinés par les torrens et amenés par les fleuves ; peut - être aussi la mer et les vents en amènent des cotes boisées qui sont plus au midi. Oonalashka offre une grande variété de plantes , et la plupart étaient en fleur dans le mois de juin ; plusieurs d'entr'elles étaient les mêmes qu’en Europe, plusieurs se retrouvent en différentes parties de l’Amérique, et sur-tout à Terre- Neuve ; quelques-uness’envoient au Kamtchatka. Telle est la saranne , racine de la famille du lys, qui est de la grosseur de la racine de l’ail , ronde, composée d’un grand nombre de cayeux ; ses graines ressemblent au gruau. Lorsqu’elle est bouillie , elle a la saveur du salep ; son goût n’est point désagréable, et nous sûmes en faire un bon mêts ; mais elle paraît y être assez rare. Les habitons mangent encore d’autres racines , et des végétaux telle est la tige d’une plante qui T 3 a p4 Troisième V o y a g * ressemble à l’ Angelica , des mûres de diverses espèces, les baies du vaciet, etc. Ils ont deux espèces de mûres qu’on ne connaît pas en Europe; il nous parut que l’une d’elles était très-astringente et qu’on en pourrait tirer de l’eau-de-vie. Ou en voulut conserver , mais elles fermentèrent et devinrent aussi fortes que si on les avait laissées tremper dans des liqueurs. Ils pourraient faire usage du pourpier sauvage , d’une espèce de pois , de cochlearia , du cresson , etc, ; mais ils négligent ces plantes. Nous les trouvâmes bonnes à la soupe, et en salade. Le terrain y est cultivable , on pourrait y nourrir des bestiaux ; et les Russes, comme les babitans , se contentent des dons volontaires de la nature. Les babitans ont du souffre natif; mais je n’ai pu apprendre d’où ils le tirent; nous y vimes de l'oclire , une pierre qui donne une couleur pourpre, une autre qui donne un beau verd cette dernière est peut-être encore inconnue dans son état naturel elle est d’un gris verdâtre , grossière et pesante; l'huile la dissout aisément ; elle perd toutes ses propriétés dans l’eau. Cette pierre est rare à Oonalashka ; mais on assure qu’elle est plus abondante à Onimak. Les babitans ensevelissent leurs morts au sommet des collines, et ils élèvent un petit mondrain sur le tombeau. Je fis un jour une promenade dans l’intérieur de l’isle et vis plusieurs de ces cimetières. L’un d'eux était sur le chemin qui mène du havre au village ; il offrait un tas de pierres auquel les passans ne manquaient pas 35 e Jacques Cook. ap 5 d’en, ajouter une. Je ne sais quelles idées ils se font de la divinité, de l’état des âmes après la mort, de la religion en un mot ; j’ignore aussi leurs amuseinens. Ils sont entr’eux d’une gaîté et d’une affection remarquables ; ils se conduisirent envers nous avec beaucoup de civilité. Les Russes nous assurèrent qu’ils n’avaient jamais eu de commerce avec les femmes du pays, parce qu’elles ne sont pas chrétiennes nos gens ne furent pas si scrupuleux , et quelques-uns d’eux eurent lieu de s’en repentir ; car la maladie vénérienne y est connue j ces insulaires sont de plus sujets au cancer, ou à une maladie qui lui ressemble; ils la cachent, mais il était difficile qu’on ne s’en apperçût pas. La vie n’y est pas longue; je n’y ai vu personne dont les traits annonçassent plus de 60 ans, peu d’entr’eux paraissaient en avoir cinquante leurs travaux pénibles abrègent sans doute leurs jours. Aux ressemblances qu’ils ont avec les Groën- landais et les Esquimaux , dans leur figure , leurs vêtemen s , leurs armes , leurs pirogues , il faut ajouter celle de leur langue l’analogie en est frappante ; elle me semble suffisante pour m’autoriser à dire que toutes ces peuplades sont de la même race ; et cette observation fait penser qu’il existe au nord une communication entre la partie occidentale de l’Amérique et la partie orientale ; communication qui peut être fermée aux vaisseaux par les glaces et par d’autres obstacles. Nous sortîmes du hâvre de Samganoodha le T 4 ac>6 Troisième V o y a e * 26 octobre , et je cinglai vers le couchant mon projet était de passer quelques mois de l’hyver dans les isles Sandwich si nous y trouvions les rafraîchissentens nécessaires , et de me rendre ensuite au Kamtchatka vers le milieu de Mai c’est ces deux endroits que je désignai au capitaine Clerke en cas de séparation. Peu après notre départ, nous fûmes balotéspar une tempête qui amena des torrens de pluie , de grêle et de neige ; elle cessa , elle revint, elle durait encore lorsque je découvris une terre. Je conjecturai que cette isle était celle d ’Amoghta $ mais n’osant ni m’en approcher , ni en suivre les cotes par un vent aussi impétueux, je cherchai à m’en écarter. Nous voyions toujours les côtes d 'Oonalashka , lorsque nous fûmes frappés de l’aspect d’un rocher qui s'élevait de la mer et près duquel nous avions passé durant la nuit. On croyait voir une tour assise sur la mer qui se brisait autour de lui. Nous tendions vers le détroit qui sépare Oonalashka d’Oonella, où nous passâmes la nuit. Le lendemain une tempête plus violente s’éleva encore ; nous luttions contre elle avec vigueur , lorsque nous entendîmes la Découverte tirer plusieurs coups de canon ; je n’en pus deviner la raison , et j’y répondis sans l’attendre nous la perdîmes de vue bientôt après, et elle nenous rejoignit que le lendemain vers le milieu du jour. Ce fut alors que j’appris que la tempête avait fait tomber sa grande voile , dont la chute en avait tué un homme et blessé trois ou BS Jacques Cook. 297 quatre autres ; ses autres voiles, ses agrêts avaient été endommagés , et c’était pour me demander des secours , ou du moins pour suspendre ma course , qu’il avait tiré le canon. Le 7 novembre , au matin, nous découvrîmes un nigaud ou un cormoran , oiseau qui , très- rarement s'éloigne de la terre, et j’espérai en découvrir bientôt une je n’en apperçus point j pendant deux jours que le temps fut beau , que le vent fut modéré , tous ceux qui savaient manier l’aiguille furent occupés à réparer les voiles et les canots. Nous vîmes peu après un dauphin et un oiseau du tropique bientôt le vent se renforça , son impétuosité nous força de baisser nos voiles dont l’une fut mise en pièces ; c'était là les indices du vent alisé qui souffla deux jours après avec constance. Le 26 novembre, nous découvrîmes au point du jour une colline qui s’étendait vers le midi. Nous l’approchâmes elle présentait à nos yeux une colline élevée , en forme de selle , dont le sommet se montrait au-dessus des nuages. Le terrain s’abaissait doucement depuis cette colline, et se terminait à un roc escarpé où. la mer se brisait avec fureur. Je suivis les côtes du couchant, où nous ne tardâmes pas de voir accourir des hommes en différentes parties du rivage ; bientôt nous découvrîmes des plantations et des maisons répandues sur un sol boisé bien arrosé , car nous distinguions des ruisseaux qui venaient se rendre à la mer. Il nous importait d’y trouver des vivres ; mais ry8 Troisième Voyage en laissant faire le commerce à tout le monde, je n’en aurais pas obtenu, ou j’en aurais obtenu bien peu. Je le défendis donc à tous , excepté à ceux qui seraient nommés par le capitaine Clerke ou par moi , et j’enjoignis à ceux-ci de 'acheter que des provisions de garde , ou des rafraîchissemens nécessaires. Je pris aussi des précautions pour qu’on n’y répandît pas la maladie vénérienne ; mais je ne tardai pas à m’ap- percevoir que ces insulaires la connaissaient et en étaient déjà attaqués. Des pirogues s’approchèrent de nous , et nous crûmes devoir les attendre ; les insulaires qu’elles portaient montèrent sur le vaisseau sans crainte ils étaient de la même race que ceux des autres isles Sandwich , et il nous sembla qu’ils n’ignoraient pas que nous avions abordé dans ces isles ; peut-être ne devaient-ils la maladie vénérienne cpr’à la communication qu’ils avaient eue avec les isles où nous avions touché , et qui les avaient infectés de la maladie que nous y avions laissée. lis nous apportèrent beaucoup de sèches , des fruits , des racines ; ils nous promirent des cochons et de la volaille. Le ciel devenu serein au couchant , nous fit appercevoir que la côte la plus occidentale que nous découvrions , formait une isle séparée de celle qui était vis-à-vis de nous. Nous espérions recevoir de nombreuses visites au matin ; mais ce ne fut que dans le milieu du jour que nous viines accourir une multitude de pirogues ; les habitans nous appor- D » JicçDis Cook. taient du fruit à pain , des patates , du tare», quelques bananes , quelques cochons de lait , qu’ils échangèrent contre des clous et des outils de fer. A quatre heures du soir , voyant qu'ils ne nous apportaient plus rien , je mis à la voile et voulus passer au-delà de la pointe orientale de l’isle ; là, de nouvelles pirogues vinrent vers nous l’une d’elles portait un chef nommé Terretoboo , et il me fit présent de quelques cochons de lait ; nous achetâmes des fruits des autres insulaires. Nous apprîmes que cette isle s’appellait Mowée ; peu de momens après nous en découvrîmes une autre qu’on nommait Oirhihée. Je m’en approchai , et les habiians de la première noûs quittèient. Aumatin,nousétions voisins de celled’Owhibée, et notre étonnement fut extrême de voir les sommets de ses monts couverts de neige. Ces montagnes ne paraissaient pas d’une hauteur extraordinaire, et cependant la neige nous en parut profonde et ancienne. Ses habitans parurent ; ils montrèrent de la circonspection , de la timidité ; mais nous leur inspirâmes de la confiance , et ils montèrent sur nos vaisseaux $ ils retournèrent dans leur isle , et leurs discours encouragèrent leurs compatriotes à venir faire le commerce avec nous , et nous fîmes par nos échanges avec eux une provision assez abondante de cochons de lait , de fruits et de racines sur le soir , nous déployâmes nos voiles pour nous trouver le lendemain de l’autre côté de l’isle. Pendant cette nuit, c’était celle du 4 décembre, 3oo Troisième Vota&k nous observâmes nne éclipse de lune qui déter- mina plus exactement la longitude où nous nous trouvions. Nous nous trouvâmes assez près du rivage pour faire des échanges avec les insulaires; mais ils ajoutèrent peu aux provisions que nous avions déjà faites ; le lendemain nous en achetâmes ssez pour nous nourrir pendant cinq jours. Là nous fîmes une forte décoction des cannes à sucre que je m’étais procurées , ce qui nous procura une bière agréable et saine j’en voulus faire pour l’équipage ; mais nos matelots refusèrent de s’en servir ; leurs préjugés la leur présentaient comme une liqueur mal saine , et les préjugés sont presqu’invincibles parmi les gens de mer. Comme le scorbut n’était pas bien à craindre dans un temps où nous avions beaucoup d'aiimens frais , et que je ne cherchais qu’à épargner nos liqueurs sortes pour en avoir suffisamment dans les climats froids , je ne me servis ni ries autorité, ni de laraison pour vaincre leur répugnance ; mais je retranchai les liqueurs fortes , et je me bornai avec mes officiers à faire usage de la bière de cannes à sucre à laquelle je mêlais un peu d’houblon. Les mêmes préjugés s’opposent toujours à l’introduction des boissons, des alimens nouveaux , quelque salutaire qu’en soit l’usage; toujours les matelots les trouvent mal sains ; c’est ainsi que je trouvai de l'opposition à introduire la bière de spruce, à la soupe tirée des tablettes de bouillon portatives, au Sauerkraut ; c’étaient, disaient-ils, des ali- » e Jacques Cook. 3si mens qu’il ne convenait pas d’ofïrir à des hommes ; je parvins cependant à en introduire l’usage et à les conserver malgré eux ; car c’est à ces alimens qu’ils dédaignaient que je dus d’avoir pu préserver mes équipages des maladies cruelles qui, jusqu’alors , avaient rendu si meurtriers les voyages de long cours. Nous lûmes pendant quelques jours balottés par les vents autour de cette isle dont je voulais connaître l’étendue ; le calme succéda et nous laissa le jouet d’une houle très - forte qui nous entraînait vers la terre , où nous voyions briller plusieurs lumières au travers de la pluie et des tonnerres qu’il fit pendant la nuit. Vers les trois heures du matin , un vent léger s’éleva, et servit à nous éloigner d’une côte que nous ne connaissions pas , et bordée de rocs où la mer brisait avec un fracas terrible. Le jour nous montra combien nous avions été voisins du naufrage ; alors même nous n’étions pas encore en sûreté , et il nous fallut travailler long-temps pour parvenir à une distance du rivage suffisante pour nous rassurer une partie de nos voiles abattues ou déchirées rendaient notre situai ion plus alarmante ; mais avec de l’activité et des efforts, nous parvînmes à réparer tous les dommages , et nous mettre en sûreté. Dès que le jour eût dissipé une partie de nos craintes , nous vîmes flotter un pavillon blanc sur le rivage ; c’était sans doute un signal de paix et d'amitié que nous donnaient les insulaires. Nous n’en pûmes profiter ce jour-là , ni le jour Z->r Troisième Voyage suivant; mais nous nous rapprochâmes ensuite , et les insulaires nous apportèrent des cochons de lait et des bananes ces dernières nous firent g’ and plaisir ; car nous avions manqué de végétaux depuis plusieurs jours ; le lendemain ils nous en apportèrent davantage encore , et nous trouvant assez bien pourvus de vivres, je fis voile vers le nord. Jamais je n’avais rencontré encore de peuple aussi libre dans son maintien , aussi rempli de confiance que celui-ci. Ils envoyaient dans les vaisseaux ce qu’ils voulaient vendre , montaient ensuite à bord , et faisaient leur marché sur le gaillard; cette confiance annonçait des hommes exacts et fidèles dans le commerce ; car s’ils n’eussent pas eu de la bonne-foi entr'eux , ils n’auraient pas été disposés à croire à la bonne- foi des étrangers. Je n’avais encore eu en effet aucun exemple de friponnerie de ce peuple , ni aucun de mauvaise foi. Il entendait fort bien le commerce et semblait deviner pourquoi nous suivions les côtes de l’isle ; et plutôt que de baisser 1 p*rix de leurs marchandises, ils préféraient de les emporter à terre. Il y a dans cette isle une montagne pointue , qui était couverte de neiges ; il me parut même qu’il venait d’y en tomber de nouvelles , et qu’elles s’étaient étendues plus bas sur la croupe de la colline cette neige n’empêche pas que l’isle ne soit très-abondante en provisions de tout genre ; nous y achetâmes même une oie à peu-près de la grosseur du canard de Moscovie ; de Jacques Cook. 3 o 3 elle avait le plumage d’un gris sombre, le bec les jambes noires. Nous avions acheté tout ce que nos besoins nous rendaient nécessaires , et je pensai à m’éloigner dès que je serais parvenu à faire le tour de l’isle ; je m’écartai du rivage sans faire aucun signal à la Découverte, croyant qu’elle verrait bien la route que je prenais ; mais elle ne s’en, apperçut pas , et nous la perdîmes de vue. Je réussis cependant à faire le tour de l’isle ; mais non à recouvrer encore la Découverte. Je crus devoir l’attendre , et je me tins à cinq ou dix lieues de terre pour mieux la découvrir ; je n’y réussis pas encore. Je me rapprochai pour mieux faire le commerce avec les habitans ; mais le temps nous contraria, Quelquefois une forte pluie nous obligeait à cseser les échanges, ou une houle menaçante nous forçait à nous éloigner du rivage ; des nuages succédaient rapidement à un temps serein , et un vent impétueux à un. calme parfait. Le 5 janvier 1779 , nous franchîmes la pointe méridionale de l’isle , et là nous vîmes un village très-populeux ; ses habitans nous amenèrent des cochons, et des femmes qui sans doute cherchaient à se prostituer à nos matelots ; je voulus les empêcher de monter sur les vaisseaux et ne pus y réussir. J’avais acheté des habitans du très-bon sel, et je m’en servis pour conserver une partie des porcs que l’isle nous fournit. Mais cette partie de l’isle est assez pauvre ; elle paraît peu propre à la culture ; et je crus y appercevoir 3 o 4 Troisième Voyage des traces des dévastations causées par un volcan aucune montagne brûlante ne frappa nos regards dans cette isle , et cependant il était difficile d’en méconnaître les effets. Je fis chercher de Feau douce dans cette partie de fisse , et un lieu propre à débarquer ; on n’en trouva point ; à une petite distance du rivage on ne trouvait point de fond; on ne voyait dans les champs voisins que des scories , des cendres, entremêlées de. quelques plantes ^pii s’élevaient sur ce sol désolé ; on n’y pouvait trouver de l’eau douce que dans des creux de rocher où la pluie y en avait déposé ; mais dans la plupart le réjaillissement des eaux de la mer y avait mêlé celle-ci. Cependant si ce jour ne nous off rit point ce que je cherchais , il nous donna un plus grand plaisir encore z il nous réjoignit à la Découverte elle avait suivi les cotes en différentes directions , s’était écartée et rapprochée de l’isle sans nous appercevoir ; ce ne fut que lorsqu’elle eût passé la pointe méridionale , qu’elle nous apperçut et qu’elle vint à toutes voiles pour nous rejoindre elle avait reçu sur son bord un des insulaires qui s’y était retiré volontairement, et qui ne voulut jamais redescendre à terre. Nous continuâmes encore quelques jours à suivre les côtes ; nous marchions lentement durant le jour, nous louvoyions pendant la nuit, et cherchions toujours de l’œil un lieu où nous pussions débarquer et faire notre provision d’eau. En parcourant ces parages , toujours occupés à des échanges avec les insulaires, je veillais avec de Jacques Cook. 3o5 avec soin pour que les femmes ne restassent point sur les vaisseaux ; il en vint deux une nuit et je préférai de me rapprocher de la côte pour les i envoyer , au danger de les y laisser passer avec nous jusqu’au lendemain. Nous pûmes nous appercevoir qu’il y avait des parties de l’isle qui étaient stériles et pauvres ; les canots qui en partaient n’étaient fournis que de maigres provisions. Le jour nous avancions, et souvent pendant la nuit , les courans nous ramenaient aux lieux d’où nous étions partis on ne nous apportait plus de végétaux ; c’était cependant ce que nous désirions le plus; nous fumes quelquefois obligés de faire usage de nos provisions de iner sans doute les liabitans nous avaient déjà vendu tout ce qui ne leur était pas absolument nécessaire. Quelquefois nous étions dans la disette , quelquefois dans l’abondance. Un jour nous vîmes plus de mille pirogues autour de nous , presque toutes étaient fournies de cochons et d'autres productions de l’isle. Les liabitans nous montraient toujours la plus grande confiance, et parmi tant d’hommes nous n’en vimes pas un seul qui eût des armes ils nous prouvaient ainsi que la curiosité et le désir de faire des échanges étaient le seul motif qui les conduisaient. Parmi cette foule , il y en eut quelques-uns qui montrèrent des dispositions pour nous enlever ce qui leur convenait. L’un d’eux nous emporta le! gouvernail d’un des canots nous nous en apperçûmes qu’il était à quelque distance, Tome III. V 3o 6 Troisième Votagb s'efforçant de gagner le rivage ; je voulus les intimider et leur faire voir qu’ils ne pourraient échapper à nos armes ; je sis tirer deux ou trois fusils et quelques pierriers , mais de manière qu’ils ne tuassent personne. Mais comme ils n’entendirent que du bruit sans voir personne qui fût blessé, la foule témoigna plus de surprise que de crainte. J’avais découvert une baie , et j’envoyai des hommes pour la visiter. Ils revinrent m’apprendre qu’il y avait un endroit commode pour jeter l’ancre , et auprès de l’eau douce où il était facile de remplir nos futailles. Je résolus d’y Conduire les vaisseaux , de les y réparer , et d’y rassembler par des échanges autant de vivres qu’il nous serait possible. Je pris ma route vers la baie, mais la nuit vint avant que nous pussions l'atteindre plusieurs insulaires restèrent avec nous , et parmi eux il y eut des frippons ; pour les empêcher d’exercer leurs talons avec autant de facilité , je résolus de n’en plus garder sur le vaisseau qu’en fort petit nombre. Ce ne fut que dans le milieu du jour suivant que nous pûmes jeter l’ancre dans la baie qu» les habitans appelaient Karakakooa. Les vais eaux étaient remplis d’insulaires et environnés de pirogues. Je n’avais jamais vu encore dans le cours de mes voyages , une foule si nombreuse rassemblée en troupe autour de nous , et on eût pris les groupes qu'ils formaient pour des radeaux de poissons. La singularité du de Jacques Cook. B07 Spectacle nous frappa , et ne nous permit pas cle regretter devoir éclioué dans nos tentatives , et de ne n’avoir pas encore trouvé un passage dans le nord ; car si elles avaient réussi , nous n’aurions pu découvrir cete Lie , nouvelle découverte qui me parut devoir être une de plus importantes qu’aient fait encore les Européens, dans la vaste étendue de l’Océan Pacifique. C’est ici que ßnit le journal du capitaine Cook j ce qui suit est tiré des journaux du capitaine Kingp et de l’histoire de Jacques Cook pat le docteur Kipis. La baie de Karakooa est située sur la côte occidentale de l’isie Owh'yhée , dans un district appelé Akona elle a un mille de profondeur et est formée par deux pointes basses , éloignées l’une de l’autre d’environ une lieue et demie. Sur l’une de ces pointes est le village Kowrowa $ au fond de la baie , près d’un bocage de cocotiers élevés, est une bourgade peuplée et plus étendue , nommée Kakoova ces deux bourgades sont séparées par une haute montagne inaccessible du côté de la mer. Au midi, le sol est inégal ; mais à un mille de là il s’élève , rst semé de champs clos et cuîlivés, de bocages de cocotiers, entre lesquaL »ont 'es habitations dtS insulaires. Le rivage est bordé Comme d’une ceinture de corail noir , et les vents en rendent l’abord dangereux ce n’est que vers la bour- V 2 . 3o8 Troisième Voyage gade de Kakoova que le rivage est dégagé de cette ceinture on n’y voit qu’une belle grève de sable à l’une des extrémités de laquelle est un moraï, près de l’autre un petit puits d’eau douce. Dès que les habitans se surent appcrçus que nous étions dans la baie , et que nous voulions y descendre , ils se rassemblèrent en plus grand nombre encore , témoignèrent leur joie par des chants et des cris , et firent toutes sortes de gestes bisarres et extravagans ; les hommes couvrirent nos vaisseaux , des femmes , des enfans qui n’avaient point de pirogues , accoururent à la nage ; et plusieurs ne pouvant trouver place sur les navires, demeurèrent tout le jour au milieu des vagues. Parmi les chefs qui nous visitèrent alors , était unjjeune homme nommé Pareea, dont l’autorité était fort respectée il nous dit qu’il avait des relations in times avec le roi de l'isle , qui était alors occupé à la guerre dans l’isle Mowée, et devait revenir en peu de jours. Quelques présens l’attachèrent à nous , le firent veiller sur les entreprises de ses compatriotes , écarter le trop grand nombre qui surchargeait nos vaisseaux , et tenir les pirogues à quelque distance. Ces chefs paraissaient exercer une autorité despotique sur le peuple ; on les voyait donner des ordres , et on les exécutait avec promptitude s’ils voulaient éloigner ceux qui remplissaient nos vaisseaux , les insulaires , à leur premier mot, se lançaient dans la mer - un seul de Jacques Coole? 3oy parut vouloir résister ; mais un chef nommé Taneena le prit par le bras et le précipita clans les flots. Ce dernier chef était un des plus beaux hommes que nous eussions vus ; il avait environ six pieds de haut ; ses traits étaient réguliers et pleins d’expression, ses yeux noirs et vifs, et et son maintien aisé , sérine, gracieux les autres paraissaient l’égaler en force et avaient le corps bien proportionné. Jusqu’à ce moment nous n’avions point eu à nous plaindre des habitait s ; ils avaient agi avec autant de loyauté que de confiance , et ce n’était cependant qu’avec des domestiques et des pêcheurs que nous avions eu quelque commerce. Ici nous essuyâmes des vols fréquens ; leurs chefs les y encourageaient, leur grand nombre semblait les assurer de l’impunité , et ils nous volaient avec d’autant plus de hardiesse que c’était pour leurs maîtres qu’ils le faisaient ; car nous avons vu dans les maisons des chefs tout ce qu’on nous avait dérobé. Un troisième chef fut amené par les deux dont nous venons de parler. Celui-ci se trouvait dans sa vieillesse de la classe des prêtres , après avoir été un guerrier distingué dans l’âge de la vigueur. Il était petit et maigre , ses yeux étaient rouges et chassieux , tout son corps était couvert d’une gale blanche , lépreuse , qui nous parut l’effet de l’usage immodéré de Vava. Il s’approcha de Cook avec respect, lui fit des présens , le revêtit d’une pièce d’étoffe rouge semblable à celle qui Y L 3ï9 Troisième Voyage ornait leurs idoles, comme nous le vîmes dans la suite. Ildina avec lui et mangea de tout ce qu’on lui présenta avec avidité ; mais il refusa le vin après l’avoirgoûté. Nous le visitâmes à notre tour nous lûmes reçus à terre par quatre hommes qui portaient des baguettes gai nies de poils de cliien vers le bout ils marchèrent devant nous en déclamant à haute voix une phrase très-courte le peuple se retirait à notre approche, quelques- uns demeuraient , mais avaient la lace prosternée sur la terre. Nous passâmes près du moraï c’était un bâtiment solide , bâti en pierre, et de forme quarrée , long d’environ cent vingt pieds, large de soixante, haut de quarante-deux le sommet applati et pavé était entouré d'une balustrade de bois, sur laquelle ou voyait des crânes de captifs sacrifiés à la mort des chefs. Le centre offrait un bâtiment de bois tombant en ruine ; sur cinq poteaux hauts de vingt pieds reposait un échafaud de forme irrégulière en face de la mer étaient deux maisons qui communiquaient l’une à l’autre par un chemin qu’un pavillon défendait des injures de l’air. Koah nous mena au sommet de cette espèce d’édifice par un chemin d’une pente douce nous apperçfimes à l’entrée deux grosses figures de bois , dont les traits offraient des contorsions bizarres, ayant sur leurs têtes un long cône renversé ; leur corps était enveloppé détoffes rouges. Un jeune et grand homme à longue bai be , les présenta au capitaine Koah et lui chantèrent en chœur , et ils nous conduisirent à l’extrémité ns Jacques Cook. 3iï du moraï où étaient les cinq poteaux, au pied desquels étaient rangés en demi-cercle une douzaine de ligures devant l’une d’elles était un whattas ou espèce d’autel, sur lequel était un cochon déjà pourri étendu sur des cannes à sucre , des ncix de cocos , du fruit à pain , des bananes et des patates. Koah prit le cochon avec les mains , prononça rapidement un discours , et laissa tomber l'animal par hommes s’avancèrent en silence portant un cochon en vie et une pièce d’étolfe rouge ; Koah rgyêtit le capitaine de celle-ci, lui offrit l’autre, ei le laissa tomber aptès avoir prononcé une espèce d’hymne fort longue. Il le ramena près des douze figures , dit un mot à chacune d’un air malin , et fit claquer ses doigts en passant devant elles. Il se prosterna devant celle du centre, la baisa et engagea le capitaine à en làire autant ; ensuite il le conduisit dans un espace creux où il le fit asseoir entre deux idoles. Une procession d’insulaires apporta en cérémonie un cochon cuit au four, une espèce de pudding , du fruit à pain , des noix de cocos et des légumes le grand jeune homme se mit à sa tête , offrit le cochon à notre commandant avec des chants auxquels ses compagnons répondaient ; puis tous s’assirent , découpèrent le cochon, pelèrent les végétaux, cassèrent des noix et firent de l’ava. On nous donna ensuite les morceaux dans la bouche j le capitaine , servi par Koah , se ressouvenait du cochon pourri, et ne pouvait avaler , Koa qui s’en appercut lui servit les mor- V 4 oia Troisième Voyage ceaux tous mâchés ; ce qui ne lit qu’accroître le dégoût de celui qui les recevait. Nous fîmes des présens à tous les insulaires, et ils en furent charmés. On nous ramena sur le rivage avec les memes cérémonies qui avaient rendu notre marche solemnelle , et qui ne nous parurent avoir d'autre but que de nous témoigner du respect. Je descendis ensuite à terre avec huit soldats pour protéger les gens qui remplissaient des futailles, et pour établir un observatoire. Je choisis un champ de patates , voisin du moraï, qu’on voulut bien nous céder , et les prêtres, pour en écarter les insulaires , le consacrèrent en entourant de baguettes l’espèce de mur qui le fermait cet espace enfermé de baguettes est alors Taboo , mot dont ils se servent comme dans d’autres isles que nous avions parcourues ; cette espèce d’interdiction nous procura une grande tranquillité ; mais aussi une solitude plus entière que nous ne l'aurions désirée aucun insulaire n’osa pénétrer dans notre enceinte , aucune pirogue n’osa aborder près de nous. Nous étions dans un lieu inviolable et sacré. Tandis que nous étions occupés de ces soins sur la terre , on réparait les vaisseaux , on salait des cochons , opération qu’on ne croyait pas possible dans des climats chauds ; mais qui , pour réussir , ne demande qu’un peu plus de soins. Il faut couper la chair en morceaux de quatre à huit livres, les essuyer, ne point laisser de sang évagulé dans les veines, les saler tandis UE Jacques Cook. 3i3 qu’ils sons chauds encore , les entasser ensuite sur un échafaud en plein air , et les couvrir de plantes surchargées de pierres pesantes le lendemain au soir on les visite , on en ôte les parties suspectes , on dépose le reste dans une cuve qu’on remplit de sel et de marinade j on les visite encore , on enlève tout ce qui paraît n’avoir pas pris le sel, et on reporte le reste dans une nouvelle cuve assaisonnée de vinaigre et desel. Six jours après on les enferme dans des barriques , en mettant une couche de sel entre chacune de celle de la viande. On a ramené en Angleterre un an après de ce porc , salé sous la zone torride , et on l’a trouvé très-bon encore. Comme nous avions découvert près de nous une société de prêtres , le capitaine résolut de les visiter. Leurs cabanes étaient placées près d’un étang , et environnées de bocages de cocotiers qui les séparaient du rivage. On le conduisit d’abord dans un édifice sacré appellé la maison de VOrona $ on le fît asseoir à l’entrée près d’une idole de bois , on soutint un de ses bras , on l’emmaillota d'étoffes rouges , on lui présenta un cochon qu'on jeta ensuite dans les cendres chaudes d’un feu qu’on avait allumé ; on. vint l’offrir encore au capitaine , en le lui tenant quelque temps sous le nez , en le déposant à ses pieds , ainsi qu’une noix de cocos ; puis tout le monde s’assit , on fit de l’ava , on apporta un cochon cuit, et on nous en servit les morceaux dans la bouche. Depuis cette cérémonie, le capitaine ne des- 3l4 TltOïSIEMS Voyaöb cendit pins à terre sans être accompagné d’un prêtre qui marchait devant lui, avertissait que l’Orona avait débarqué, et ordonnait au peuple de se prosterner. Il l’accompagnait aussi sur l’eau , et avec une baguette il avertissait les insulaires de sa venue ; à l’instant ils abandonnaient leurs pagaies et se couchaient ventre à terre jusqu'à ce qu'hl eût passé les chefs paraissaient le voir avec un respect religieux. Ces prêtres ne se bornaient pas à de vaines cérémonies; ils nous rendaient des services réels il nous faisaient souvent des présens de cochons et de végétaux de l’isle , et ne demandaient jamais rien en retour. Ils semblaient faire ces dons comme une offrande religieuse, et nous sûmes que le chef des prêtres en faisait tous les frais. Nous avions tout lieu d’être contens de ces prêtres j mais nous ne l’étions pas également des chefs qui employaient des moyens vils et déshonorans pour nous tromper et nous voler. Le j5 janvier, Terreeoboo , roi de l’isle , re- >ïiil de son expédition ; mais son arrivée jeta l’interdiction redoutable sur la baie , et dès-lors aucun habitant n’osa s’embarquer. Le roi vint sur le soir nous visiter sans appareil , dans une pirogue avec sa femme et ses enfans. 11 revint deux jours après ; mais alors son cortège avait de la grandeur et une sorte de magnificence ses chefs l’environnaient, revêtus de casques et de manteaux de plumes , armés de longues piques et de dagues; les prêtres et des idoles gigantesques d’osier, revêtuesd’étolfesrouges,le suivaient. dï Jacques Cook. 3i5 Ces idoles étaient ornées de petites plumes de diverses couleurs ; de gros morceaux de nacres de perle , ayant une noix noire au centre , représentaient leurs yeux , et leurs bouches étaient garnies d'un double rang de dents de^chien des cochons et des végétaux étaient à la suite de ces idoles. Nous le reçûmes à terre dans la tente , le roi jeta son manteau sur l'épaule du capitaine, lui mit un casque de plumes sur la tête , et un éventail curieux dans les mains à ses pieds il étendit cinq ou six manteaux très-jolis et d’une grande valeur parmi eux il lui ht présent de cochons et de divers végétaux ; il changea de nom avec lui , témoignage d’une amitié inviolable. Un vieillard d’une physionomie vénérable, était aussi à la tête des prêtres ; il nous lit encore des dons , et c’était lui qui jusqu’alors avait fourni généreusement à nos besoins. Nous fûmes surpris de retrouver dans le roi Terreeoboo un vieillard infirme et maigre qui était venu sur la Résolution , lorsque ce vaisseau était près des côtes de l’isle Mowée ; nous reconnûmes ses fils , son neveu , ses courtisans. On les conduisit de nouveau sur Je vaisseau , on les y reçut avec tous les égards possibles , et le capitaine revêtit le roi d’une chemise et l’arma de sa propre épée. Les insulaires se tinrent durant tout ce temps dans leurs cabanes , ou la face prosternée contre terre. Le roi leva ensuite l’interdiction jetée sur la baie ; le commerce reprit son activité j les femmes seules ne se montrèrent plus. Z16 Troisième Voyage Mais avant de poursuivre notre récit, donnons une idée générale des isles Sandwich où nous nous trouvions alors. Ce petit archipel est composée de douze isles dont trois sont inhabitées, ce sont celles de Morotinnée , de Tahoora et de Tannnapapa ou Koinodoopapa ; lôs deux dernières plates et sablonneuses , ne sont visitées que pour y prendre des tortues et des oiseaux toutes sont situées entre le 18 e . degré 5 .\ minutes et le 22 e . degré i 5 minutes de latitude septentrionale , entre le 217 e . degré 3 o minutes et le 2 . 2 . 5 e . degré 34 minutes de longitude. Les neuf isles qui sont habitées , sont celles d 'Owhihée t de Alowee , de lianai ou Oranai , Kahov/- rowée ou ’Tahoorcwa , Alorotoi ou Morokoi, Woü/ioo ou Oahoo , Alooi ou Atowi. , Ne- chcehow ou Onceheow , et Oreehoua ou Reell ou a. Owhihée est la plus grande , la plus orientale ; sa forme est presque celle d’un triangle équilatéral ; du nord au sud elle a 28 lieues et demie 5 de l'orient à l’occident, elle en a 24 J sa circonférence est de près de cent lieues elle est par tagée en six districts , sur Lun desquels on distingue trois pies chargés de neige ; sommets d’une meme montagne qu’on peut découvrir à 40 lieues de distance on en voit tomber dans la mer qui la baigne , une multitude de belles cascades ailleurs sont de vastes plaines et des pentes très-étendues couvertes de plantations , d’arbres de fruits à pain et de cocotiers à l'extrémité orientale de l’isle , on voit une de Jacques Cook. 817 montagne de neige nommée Moutia-Tloa , ou montagne étendue , qu’on découvre aussi de fort Soin ; son sommet applati est sans cesse enseveli dans les neiges. Selon la ligne tropicale de neige , telle que M. de la Condamine l’a déterminée , cette montagne doit avoir 16020 pieds d’élévation ; la montagne aux trois pics eot plus élevée encore , et le sommet des pics peut être haut de 18400 pieds anglais. Le district de Kavo présente un aspect sauvage et presque effrayant le sol y est entrecoupé de bandes semblables à une lave ; on y voit des scories , des rochers brisés , crevassés , empilés les uns sur les autres ; ce canton est cependant un des plus peuplés ; c’est que les habitans la trouvent plus commode pour la pêche et pour la culture des bananes et des ignames, parce qu'entre ces restes de dévastations , il y a des espaces couverts d’un sol riche et abondant ; la baie où nous étions est dans ce district , et la côte y est bordée de scories en grosses masses et de rochers noircis par le feu au-dessous de ces rocs que les habitans enlèvent est un sol abondant qui les récompense de la peine qu’ils ont eue à le découvrir. Mowée est l’isle la plus considérable après celle dont nous venons de parler et qui en est séparée par un canal large de huit lieues elle a 54 lieues de tour , et semble former réunies par un isthme bas elle a des montagnes très-élevées. Au midi d’un bas-fond situé au, couchant , il y a une vaste baie , dont les bord» 3i8 Troisième Votaok sont ombragés de cocotiers, et dont la campagne au loin est très-pittoresque j ils sont hérisses de rocs peles , mais ses lianes sont revêtus d’arbres, parmi lesquels on distingue le fruit à pain. Nous ne dirons qu’un mot des autres isles. Tahoorowa a un sol sablonneux , aride, et ne nourrit point d’ai bres. JVlorotoi paraît dénuée d’arbres , mais est riche en ignames ; la côte vers le couchant y est basse j l’intérieur en est très-élevé. Ranai est bien peuplée j elle produit peu de bananes et d’arbres à pain ; mais abonde en ignames , en patates douces et en taurow. Wohahoo est la plus belle de ces isles nulle part on ne voit de collines plus vertes , des prairies et des bois plus variés , des vallées plus fertiles et mieux cultivées. Atooi a un sol inégal ; la pente des collines y est douce vers la mer ; elles sont couvertes de bois ; les habitans paraissent soigner davantage leurs plantations , qui sont renfermées par de belles haies, coupées parties fossés et de jolis chemins. Oneeheow a une de ses parties très - élevée , une autre fort basse et unie ; elle produit beaucoup d’ignames et d’une racine nommée tée. On ehoua est une petite isle qui semble ne former qu’un ma m melon. Le climat de ces isles paraît plus tempéré que celui des isles d'Amérique situées sons la même latitude ; la pluie y est assezfréquente , mais peu durable on n’y trouve de quadrupèdes que les cochons , les chiens et les rats Ls chiens y ont 1 Cfc. Oi;j tî'ft inii Siil ' ,s D b Jacques Cook. "" 33i quoique nous dussions en avoir peut-être notre retour leur causa quelque alarme ; cependant le roi parut le lendemain , et se rendit au vaisseau bientôt les échanges recommencèrent, et tout parut paisible jusqu’au soir du i3 Février. Ce soir on nous vint dire que plusieurs chefs s’étaient rassemblés près du puits voisin du rivage , et qu’ils chassaient les insulaires qui aidaient nos matelots à remplir nos futailles on ajouta que leur conduite paraissait suspecte, et annonçait qu’on ne nous laisserait point tranquilles ; peu après on apprit que les insulaires s’étaient armés de pierres je m’avançai vers eux , dit le lieutenant King, et ils parurent se calmer; ils quittèrent leurs pierres , et ceux qui aidaient les matelots se remirent à l’ouvrage. Le capitaine Cook m’ordonna de faire charger nos fusils à balle si l’on recommençait à s’armer. Peu de temps après j’entendis des tentes de l’observatoire un bruit de mousqueterie, et l’on vit une pirogue qui ramait précipitamment vers la côte , poursuivie par un de nos petits canots on pensa qu’un vol avait causé ces coups de fusil. Le capitaine m’ordonna de le suivre avec un canot armé, afin d’arrêter la pirogue qui essayait de gagner le rivage - mais nous arrivâmes trop tard ; les insulaires avaient gagné le rivage et s’étaient enfuis. Nous les poursuivîmes, guidés par les indications des autres insulaires; mais après avoir fait inutilement une lieue de chemin, nous soupçonnâmes qu’on nous trompait pour nous fatiguer çnvain, et nous résolûmes de revenir ànos tentes. 33a Troisième Voyage II s’était élevé pendant notre absence une querelle plus sérieuse l’officier du canot qui poursuivait la pirogue s’en était emparé. Pareea, le premier cliel’ que nous avions vu à notre abord dans Pitié , vint la réclamer; on refusa de la lui rendre, il persista, il y eut des coups donnés , et Pareea fut renversé d’un violent coup de rame à la tète. A ce spectacle , les insulaires , d’abord spectateurs paisibles, firent pleuvoir une grêle de pierres sur nos gens , qui se virent forces de se retirer et de gagner à la nage un rocher à quelque distance de la côte les insulaires s’emparèrent de la pinnace , la pillèrent et l’auraient détruite si Pareea ne les en eût empêchés il fit signe à nos gens qu’ils pouvaient la venir reprendre, et qu’il s’efforcerait de retrouver les choses, qu’on y avait volés. Nos gens revinrent, et ramenèrent la pinnace au vaisseau. Pareea les y suivit, parut affligé de ce qui s’était passé , demanda si le capitaine était irrité contre lui , et on l’assura qu’il serait toujours bien reçu sur les vaisseaux» » Je crains bien , dit Cook , à l’ouïe de ces détails , » que les insulaires ne me forcent à » des mesures violentes ; car il ne faut pas leur » laisser croire qu’ils ont eu de l’avantage sur » nous. Il fit sortir du vaisseau les insulaires qui s’y trouvaient; je mis une double garde au moraï , et j’eus raison , car les insulaires vinrent durant la nuit pour nous surprendre ou nous Voter. Le lendemain on m’apprit qu’on avait volé la chaloupe de la Découverte t le capitaine N A Jacques Cook. 333 Cook Payait appris aussi, et se préparait à se la faire rendre il voulait persuader au roi de venir sur le vaisseau et le garder en otage jusqu’à ce qu’on lui eût rendu la chaloupe il donna des ordres pour qu’on se saisît de toutes les pirogues qui paraîtraient, et qu’on les gardât jusqu’à la restitution de ce qu’on nous avait volé. Nous quittâmes le vaisseau, le capitaine et moi vers les sept ou huit heures du matin lui dans la pinnace , suivi de 9 soldats de marine et de M. Philips ; moi sur le petit canot. Avant de nous quitter, il me commanda de rassurer les insulaires , de leur persuader qu’on ne leur voulait point de mal, de ne pas diviser ma petite troupe et de me tenir sur mes gardes. J’ordonnai en effet à mes soldats de ne pas sortir de la tente, de charger leurs fusils à balles , et de ne pas les quitter. J’allai visiter le vieillard Kaoo et ses prêtres , allarmés de nos préparatifs ; ils avaient ouï parler du vol qu’on nous avait fait ; et je leur dis que nous étions résolus à nous faire rendre justice ; mais je le priai d’expliquer nos raisons au peuple et de le rassurer il le fit , sans doute charmé de l’assurance que je lui donnai que nous ne ferions point de mal à Ter- reeoboo. Cependant le capitaine avait débarqué , il s’était rendu avec son lieutenant et ses neuf soldats au village de Kowrowa , où il fut reçu avec respect les habitans se prosternèrent et lui offrirent de petits cochons. Les deux fils da 334 Troisième V o r a g roi s’y trouvaient, et le conduisirent dans la I maison où leur père était couché ; ils le trou- vèrent encore à moitié endormi ; le capitaine 1 l’invita à venir passer la journée sur le vaisseau et il''accepta sans balancer la proposition. ^ Tout annonçait un succès heureux ; déjà les 1 deux fils dn roi étaient dans la pinnace , déjà le * roi était sur le rivage , lorsqu’une vieille femme 1 appelle, à haute voix la mère de ces jeunes princes, épouse favorite de Terreeoboo , pour qu’elle accourût, s’approchât de ce chef, et le conjurât en versant des larmes , de ne pas aller au vaisseau. Deux autres chefs arrivèrent, le retinrent et le firent asseoir. Les insulaires se rassemblaient en foule , effrayés des coups de canon qu’ils avaient entendu et des préparatifs qu’ils voyaient faire le lieutenant des soldats de marine les s voyant pressés et qu’ils ne pourraient se servir de leurs armes s’il fallait y avoir recours, pro- & posa de les mettre en ligne vers les rochers au e bord de la mer , et le capitaine y consentit. C Durant cet intervalle , le roi effrayé , assis par œ terre , paraissait disposé à se rendre aux ins- ce tances du capitaine ; mais les chefs employèrent même la violence pour le retenir. Alors M. k Cook s’apperçut bien que l’alarme était trop il générale pour espérer de réussir ; il dit au lieu- te tenant que s’il s’obstinait à vouloir conduire le fa roi à bord , il s’exposait à la nécessité de tuer ù beaucoup de monde , et qu’il fallait l’éviter. a 11 n’était point en danger lui-même encore j n mais un accident qu’il ne pouvait prévoir l’y h de Jacques Cook. 335 précipita. Nos canots placés en travers de la .baie, ayant tiré sur les pirogues qui cherchaient à s’échapper, tuèrent malheureusement un chef du premier rang cette nouvelle arriva au village où se trouvait le capitaine au moment où il venait de quitter le roi, et où il marchait tranquillement vers le rivage. La rumeur , la fermentation qu'elle excita, surent violentes ; les hommes renvoyèrent les femmes et les en tan s , se revêtirent de leurs nattes de combat et s'armèrent de piques et de pierres. L’un d’eux qui tenait une pierre et un long poignard de fer nommé pahooa , s’approcha de M. Cook , le défia en brandissant son arme, et le menaça de lui jeter sa pierre. Le capitaine lui conseilla de cesser ses menaces ; son ennemi en devint plus insolent encore , et alors il lui tira son coup de p^tit plomb l’insulaire ne fut point blessé ; sa natte fit tomber le plomb mort à ses pieds , et il en devint plus insolent et plus audacieux. Cependant on jetait des pierres aux soldats de marine , et l’un des Erées essaya de poignarder celui qui les commandait ; il n’y réussit pas , et reçut un coup de crosse de fusil. Le capitaine se vit dans la nécessité de se défendre $ il fit feu sur l’insulaire qui s’approchait , et l’étendit mort sur le carreau. Alors les insulaires formèrent une attaque générale , et les soldats de marine , les matelots leur répondirent par une décharge de mousqueterie les insulaires n'en furent point ébranlés , ils soutinrent le feu et se précipitèrent sur le détachement en 336 Troisième V otage poussant des cris et des Iiurlemens épouvantables, et avant que les soldats eussent le temps de recharger quatre soldats de marine environnés de toutes parts , périrent sous les coups de leurs adversaires ; trois surent dangereusement blessés ; le lieutenant déjà blessé entre les deux épaules , allait être immolé par un second coup de poignard , lorsqu 'il se retourna et tua son adversaire. Le capitaine se trouvait alors au bord de la mer ; il criait aux canots de cesser leur leu et de s’approcher du rivage , afin d’embarquer notre petite troupe aussi long-temps qu’il regarda les insulaires en face , aucun d’eux ne se permit de violence contre lui; mais au moment qu’il se tourna pour donner ses ordres aux canots , il reçut un coup de pique qui le fit chanceler et tomber ; mais comme il se relevait, il reçut un coup de poignard sur le cou , et il tomba dans un creux de rocher rempli d’eau ; il se débattit encore avec vigueur , éleva la tête , et semblait des yeux appeller du secours les Indiens le replongèrent dans l’eau ; il éleva cependant encore la tête , et se rapprochait du rocher , quand un second coup de pique lui donna la mort. Ils traînèrent son corps sur le rivage, et s’enlevant les poignards les uns aux autres , chacun d’eux, avec une brutalité féroce , voulut lui porter des coups lors même qu’il ne respirait plus. Telle fut la mort de cet homme célèbre, et qui mérite mieux le titre de grand homme que la plupart de ceux qu’on en a décoré. Le de Jacques Cook. ooj Les soldats de marine qui étaient vivans encore, se jettèrent dans l’eau avec leur lieutenant, et protégés par le feu des canots , ils échappèrent à la mort. Ce lieutenant montra un courage intrépide au moment où il atteignit une pirogue , il vit un des soldats qui, ne sachant pas bien nager , se débattait dans les flots et courait le risque d’être pris par les ennemis ; quoique blessé dangereusement lui-même , il se précipita tout de suite dans la mer pour voler à son secours, et reçut à la tête un coup de pierre qui faillit de le faire périr au fond de l’eau ; il parvint cependant à saisir le soldat par les cheveux , et à le ramener dans le canot. Pour faciliter l’évasion de leurs compagnons malheureux , au cas qu’il y en eut qui vécussent encore , les canots ne cessèrent de faire feu sur les insulaires, et quelques coups de canon du vaisseau se joignant h. leur feu continuel, on parvint à dissiper les insulaires ; un canot vint 1 sur le rivage , on y vit nos soldats de marine étendus sans vie ; mais comme il n’avait pas assez de monde pour les ramener sans danger , et que ses munitions étaient presque épuisées , ceux qui le montaient, crurent devoir revenir au vaisseau ils laissèrent nos morts entre les mains des insulaires avec dix armures complettes. La consternation et la douleur régnaient dans nos équipages , et ne permirent pas d’abord de penser au détachement posté au moraï , où avec six soldats on gardait l’observatoire , les mâts et les voiles. Il ra/est impossible de décrire, dit Tonw HL Y 338 Troisième Voyage encore le lieutenant King , tout ce que j’éprouvai durant l’affreux carnage qui eut lieu de l’autre côté de la baie. Nous l’ignorions ; niais il nous était facile de le prévoir ; nous voyions une foule immense rassemblée là où le capitaine Cook devait être , nous entendions la mousque- teric ; le feu , la fumée , les cris confus , les mou- vemens des insulaires , leur fuite , les canots qui passaient et repassaient entre les vaisseaux, nous donnèrent des pressentimens sinistres je me peignais cet homme dont la vie m’était sichere , exposé au milieu de la mêlée , je le blâmais d’une trop grande confiance ; j’étais frappé des dangers auxquels il était exposé , auxquels nous étions exposés nous-mêmes. Les insulaires s’étaient rassemblés autour du mur qui formait notre enceinte je crus devoir les assurer que nous ne leur ferions point de mal, et que je voulais vivre en paix avec eux ce qu’ils voyaient, ce qu’ils entendaient, ne leur donnaient pas moins d’inquiétude qu’à moi. Telle était notre situation quand le capitaine Clerke , nous voyant, à l’aide de sa lunette, environnés par les insulaires, craignant qu’ils ne nous attaquassent, fit faire feu sur eux l’un des boulets , brisa par le milieu un cocotier sous lequel plusieurs d’entr’eux étaient assis , l’autre fit jaillir les fragmens du rocher contre lequel il alla se briser ils furent effrayés , et je le fus comme eux , parce que je leur avais promis que nous vivrions en paix. J’envoyai tout de suite un canot au vaisseau pour faire sus- j> e Jacques Cook. pendre le t’eu et je convins d/un signal au cas que je lusse attaqué. Nous passâmes encore un quart-d’heure dans une inquiétude affreuse. Le canot revint et confirma toutes nos craintes ; on nous apportait l’ordre d’abattre nos tentes le plus promptement qu’il nous serait possible, et d’envoyer à bord la voilure. Le jeune prêtre qui, dans les premiers jours de notre arrivée , nous avait conduit vers le moraï , arriva la douleur et la consternation peintes sur le visage ; on venait de lui apprendre la mort du capitaine , et il nous demandait avec un mélange d’inquiétude et de crainte , si ce rapport était vrai. Hélas , je ne pouvais que le confirmer ! Notre situation était critique nous pouvions être attaqués et massacrés comme notre infortuné chef ; et si nous perdions nos mâts et nos voiles, nous perdions aussi un de nos vaisseaux et le fruit de notre expédition. Je craignis que le ressentiment, ou le succès de la première attaque des insulaires ne les rendît plus audacieux encore ; ils avaient une occasion favorable de vengeance ou celle de prévenir la nôtre Pour, l’éviter, je persuadai au jeune prêtre de cacher la mort de M. Cook , de la démentir auprès de ses compatriotes , et d’amener les autres prêtre» et leur vieux chef dans une grande maison qui était voisine de notre poste. Ces prêtres pouvaient suspendre la fureur des insulaires , et le vieillard sur-tout, qui jouissait d’une grande autorité sur y a 34 ° Troisième Voyage le peuple , avait le pouvoir de nous sauver , et de maintenir la paix. Je plaçai mes soldats an sommet du moraï , je leur donnai un elles, je lui recommandai de se tenir sur la défensive , et me hâtai d’aller vers le capitaine Clerke pour lui exposer l’état des choses mais à peine j’eus quitté mon poste que les insulaires l’attaquèrent à coups de pierres ; nos soldats n’y répondirent que lorsque j’arrivai aux vaisseaux ; je me hâtai de revenir à terre je vis tout autour de nous les insulaire s’armer , se revêtir de la natte du combat ; leur nombre s’accroissait rapidement ; de grandes compagnies venaient à nous sur les bords du rocher bientôt ils lancèrent des pierres ; je n’ordonnai point d’y répondre , et ils en devinrent plus insolens. Les plus courageux de leurs guerriers se glissant le long de la grève, cachés par les rochers qui la dominent, se montrèrent tout-à-eoup au pied du moraï , dans le dessein de nous assaillir dans cette partie où notre poste était le plus accessible. Nous fîmes feu sur eux , et ils ne se retirèrent que lorsque l’un d’eux eut été étendu sans vie l’un des restans revint sur ses pas pour emporter son ami mort ; une blessure le força de l’abandonner ; il revint encore, et une nouvelle blessure l’éloigna ; enfin rassemblant ses forces , il se remontra couvert de sang, et je défendis de tirer sur lui il chargea son ami sur ses épaules , et tomba lui-même l’instant après sans vie. Un renfort que nous reçûmes des deux vaisseaux , força les insulaires à se retirer derrière de Jacques Cook. 34* leurs murailles. J’engageai alors les prêtres à négocier avec eux un accommodement ; ils firent consentir ce peuple à une trêve , les hostilités cessèrent, nous emportâmes tranquillement notre mât, nos voiles , notre observatoire , et ils ne s’emparèrent du moraï que lorsque nous l’eûmes quitté. Nous résolûmes tous de concert, de redemander la chaloupe qu’on nous a^ait volée, et le corps de notre capitaine. Cette résolution était dictée par l’attachement que nous avions pour le chef infortuné que nous venions de perdre ; elle l’était aussi par la prudence. Il fallait en imposer a ces insulaires qui, fiers de leur succès, pouvaient méditer des entreprises plus hardies et plus dangereuses ; nos armes ne les avaient point intimidés , nos vaisseaux étaient en mauvais état de défense , et s’ils nous attaquaient durant la nuit, nous avions lieu de douter du succès. Montrer de la faiblesse , c’était les encourager encore. Cependant des raisons assez fortes firent peu-, cher la balance pour le parti contraire; on dit tout ce qu’on pouvait alléguer en faveur des insulaires , que leurs attaques n’avaient point été préméditées, que leur roi n’avait voulu , ni le vol qui les avait amenées , ni elles-mêmes ; qu’fis avaient montré auparavant beaucoup d’honnêteté et de bienfaisance , qu’ils ne semblaient s’être armés que pour leur propre défense ; qu’il ne fallait pas, pour tirer une vengeance stérile, s’exposer à rendre inutiles tous ses travaux , et s2 y 3 3 4^ Troisième Voyage mettre dans l’impuissance de remplir le but de notre voyage. Je cédai ; mais on vit bientôt que j’avais eu raison. Notre douceur parut faiblesse, et les insulaires vinrent nous délier auprès des vaisseaux. J’allai vers le rivage pour redemander les restes de nos morts, et sur-tout, le corps de notre commandant ; à mon approche on lit retirer les femmes et les enfans ; les guerriers se mirent en mouvement et s’armaient de piques et de dagues. Je remarquai qu’ils avaient construit des parapets de pierre le long du rivage où le capitaine Cook avait débarqué ; déjà ils nous lançaient des pierres avec la fronde , et je m’ap- perçus que je ne pouvais aborder sans combat, à moins que je ne prisse un moyen qui leur lit comprendre mes intentions j’ordonnai donc aux canots de s'arrêter , et m’avançai seul sur le plus petit avec un pavillon blanc ; les insulaires s’arrêtèrent, les femmes revinrent , les hommes déposèrent leurs nattes de combat, s’assirent au bord de la mer et m’invitèrent à descendre. Je doutais encore de leurs intentions pacifiques, quand je vis Koah se jetter dans les flots et nager vers moi avec un pavillon blanc •, il montrait cette tranquille confiance qui en inspire, et quoiqu'il fut armé , je le reçus dan s mon canot. Cependant cet insulaire était à craindre , les prêtres me l’avaient peint comme un méchant homme , ils m’avaient averti qu’il ne nous aimait pas , et quelques actes de dissimulation et de perfidie justifiaient ce qu’on tu’en avait dit. Il de Jacques Cook. 3^3 vint à moi en versant des larmes et m’embrassa ; mais en me livrant à ces marques d’affèction , j’écartai la pointe de son pahooah je lui dis ce que nous demandions ; il mandia , pour ainsi dire , un morceau de 1er, et quand il l’eût reçu , il regagna le rivage. J’attendis son retour avec beaucoup d’inquiétude ; Koala fut lent à m’apporter une réponse , et dans l’intervalle on cherchait à me faire descendre , ou à se donner la facilité d’arrêter mon canot entre les rochers. Je me déliais trop d’eux pour ne point éviter leurs pièges , et déjà je songeais à revenir au vaisseau , quand un chef, qui s’était montré l’ami du capitaine Clerke , s’avança vers nous , et m’apprit que le corps de notre commandant avait été porté dans l’intérieur de l’isle , et qu’on le rapporterait le lendemain matin. Je n’en crus point sa promesse , et envoyai demander les ordres du capitaine Clerke, qui m’envoya l’ordre de revenir à bord , après avoir fait entendre aux insulaires que nous détruirions la bourgade si l’on ne noustenait pas parole. Lorsqu’ils virent que nous retournions aux vaisseaux , ils nous provoquèrent par les gestes les plus insultans et les plus dédaigneux ; quelques-uns se promenèrent en triomphe avec les liabits de nos malheureux compatriotes , et un chef brandissait l’épée de M. Cook ; notre modération leur parut poltronnerie ; car ils n’avaient aucune notion des principes d’humanité qui nous dirigeaient. Quand j’eus annoncé les dispositions des insu- Y 4 344 Troisième Voyage laires , on se mit en état de défense contre une attaque de nuit, on s’environna de bateaux de garde pour qu’on ne pût couper nos cables. Les insulaires nous laissèrent tranquilles , mais ils s’agitèrent beaucoup durant l’obscurité nous vîmes un nombre prodigieux de lumières sur les collines; c'est sans doute qu’ils y offraient des sacrifices, à l’occasion de la guerre, à laquelle ils se croyaient engagés, et qu’ils b râlaient nos morts, des sacrifices, des lûtes, des réjouissances, sont un moyen dont se servent les chefs pour enflammer le courage de leur peuple. On entendait aussi beaucoup de cris et de lamentations. Koali vint m’offrir des étoffes et un petit cochon comme au fils de M. Cook ; mais n’ayant répondu que d’une manière ambiguë sur la restitution de son corps , je le refusai avec indignation ; il revint plusieurs fois encore pourvoir si nous étions en état de défense. Il nous pressa , le capitaine Clerke et moi , de descendre pour avoir une entrevue avec leur roi ; mais cette demande cachait un dessein perfide , puisque le vieux Terreeoboo s’était enfui dans une caverne , au sein d’une montagne qui pendait sur la mer, et où l’on ne peut arriver qu’avec des cordes Koah retourna vers ses compatriotes qui l'environnèrent, sans doutepour en tendre son rapport , et tout le matin nous entendîmes des conques appelles les guerriers au combat. Nous nous occupâmes avant tout à élever notre mât ; nos travaux remplirent le jour , la nuit vint, et l’on entendit une pirogue qui ra- » e Jacques Cook. 3 ^5 mait vers nous les deux sentinelles placées sur le pont, tirèrent sur elle , et deux hommes qui la montaient m’appellèrent, dirent qui ils étaient et qu’ils nous venaient faire une restitution on les fit monter effrayés , éperdus, ils se jettèrent à nos pieds ; c’étaient des prêtres , et l’un d’eux était celui qui accompagnait Cook il versa des larmes sur sa mort et nous présenta un paquet d'étoffes que nous dépliâmes nous fûmes saisis d’horreur en y trouvant enveloppés un morceau du corps de notre infortuné capitaine , qui pesait environ huit à dix livres il nous dit que le reste avait été dépécé et brûlé, que le chef avait la tête et les os ; que Kaoa avait reçu la portion qui était devant nous pour l'employer à des cérémonies religieuses , et qu’il nous l’envoyait pour nous prouver son attachement et son innocence. Nous essayâmes de nous assurer si ces peuples mangent de la chair humaine mais ces questions leur inspirèrent de l’horreur ; ils nous demandèrent si nous le faisions. Ils ajoutaient Quand 33 YOrono reviendra-t-il ? Que nous fera-t-il à 33 son retour 33 ? Ils parlaient du capitaine Cook dont ils s’étaient fait une idée supérieure à la nature humaine. Je voulus les engager à passer la nuit avec nous ; mais ils craignaient la colère des chefs auxquels ils avaient caché la visite qu’ils venaient de nous faire , et la nuit qui avait servi à cacher leur venue, devait aussi cacher leur retour. Ils nous avertirent de craindre l’ardeur c\e la vengeance de leurs coxnpa- 3 Troisième V o y a & * triotes , et sur-tout de nous défier de Koah quî était notre ennemi implacable. Ils nous apprirent que 17 liomines avaient été tués dans le combat où M. Cook avait péri et que huit autres l’avaient été à l’observatoire ; que Kaneena et son frère qui étaient de nos meilleurs amis , avaient été du nombre des premiers. Nous accompagnâmes les prêtres pour qu’on ne lit point encore feu sur eux. Jusqu’au lever de l’aurore, la nuit fut troublée par des cris , des liurlemens , des lamentations ; Koah revint vers nous , et malgré moi on reçut cet homme dissimulé et perfide comme si l’on eût été ses duppes ; nous n’étions point réconciliés avec les insulaires ; notre modération n’avait produit aucun effet , et nous manquions d’eau. Cependant , la plupart des insulaires, après nous avoir défiés encore, s’en retournèrent dans leurs maisons éloignées du rivage ; leurs bravades irritèrent les équipagesqui demandèrent instamment de venger la mort du capitaine j M. Clerke permit de répondre aux insultes si l’on nous en faisait encore , etfittirerquelquescoups de canon qui tuèrent ou blessèrent quelqueslndiens. Le lendemain , on descendit sur le rivage pour remplir les futailles ; les insulaires cachés derrière les parapets, ou dans les trous de la montagne qui domine l’aiguade , harassèrent nos matelots à coups de pierre, et les obligèrent à s’occuper de leur défense ; le canon d’un des vaisseaux faisait rentrer les assaillans dans leurs cavernes ; mais ils en sortaient un instant après, et les matelots de Jacques Cook.. S^7 se livrèrent à leur fureur; ils brûlèrent les maisons derrière lesquelles les insulaires se retiraient; bientôt ils mirent le feu au village tout entier, et l’incendie s’étendit jusques sur la maison des prêtres qui avaient toujours été nos amis fidèles leur confiance en nous leur rendit cet incendie plus funeste qu’à nos ennemis , parce qu’elle leur avait persuadé de laisser dans leur asyle tout ce qu’ils avaient de plus précieux et que tout avait été consumé. Bientôt nous vimes une députation de ces prêtres s’approcher du rivage avec les symboles de la paix; le jeune prêtre dont nous avons parlé était à sa tête ; il vint sur nos vaisseaux , nous reprocha notre fureur envers tous, notre ingratitude envers eux , nous nous excusâmes et nous les consolâmes le mieux que nous pûmes ; mais Koali qui vint nous visiter le lendemain, ne fut pas reçu comme eux. Je lui ordonnai de se retirer , et je l’avertis que s’il avait l’audace de se remontrer avant qu’on nous eût rendu les restes de notre chef, il devait s’attendre d’être traité comme il le méritait. Il reçut cet accueil sans en être ému, et quand il fut à terre , il se joignit à une troupe qui jet tait des pierres aux matelots qui remplissaient les futailles. Les insulaires convaincus enfin que notre inaction n’était pas lâcheté , se disposèrent à nous satisfaire. Un chef nommé Eappo vint nous demander la paix au nom de Terreeoboo, et nous en prescrivîmes la seule condition ; c’est qu’on nous rendit les tristes restes de notre chef il nous dit que la chair et les os de la poitrine et 3^3 Troisième Voyage de l’estomac de nos soldats de marine avaient été brûlés ; que le reste avait été partagé entre les chefs subalternes ; que le corps de M. Cook avait été partagé entre les chefs supérieurs , et qu'on nous apporterait tout ce qui pourrait en être rassemblé nous reçûmes des présens , les insulaires revinrent sans défiance aux vaisseaux, et le lendemain , ils formèrent une longue procession qui vint s’asseoir sur le rivage , où ils déposèrent des cannes à sucre , des fruits à pain, du taro et des bananes qu’ils avaient apportés , puis ils se retirèrent ; bientôt Eappo , revêtu de son manteau de plumes, se vint placer sur un rocher d’où il fît signe qu’on le vint chercher. Le capitaine C-lerke s’y rendit, et il nous donna un grand paquet d’une très-belle étoffe neuve , dans laquelle les restes de notre capitaine étaient renfermés. Il déplora la mort des chefs que nous avions tués , nous assura que la chaloupe avait été mise en pièces par les gens de Pareea qui l’avait faite enlever pour se vengerd’un affront qu’il prétendait avoir reçu de nous. Nous renvoyâmes Eappo , et ayant mis les ossemens de notre malheureux chef dans une bière, nous les jetâmes dans la mer avec les cérémonies accoutumées ; mais qui furent accomplies avec une douleur qui ne l'était pas, et qu’il est difficile d'exprimer. Bientôt après nous quittâmes cette isle , après avoir reçu des marques d'une réconciliation sincère de la part des habitans. Telle fut la mort, telles furent les suites de la mort du capitaine Cook. On ne peut lui refuser de Jacques C o o ic. 3 49 Dir esprit fécond et plein de ressources , une aine forte et courageuse , une sagacité rare et une constance inébranlable dans les situations les plus difficiles et les plus dangereuses. A beaucoup de génie , il joignait cette forte application sans laquelle on n'atteint jamais à un grand but , à des effets durables. Une attention constante à tout ce qui avait rapport à la marine , le distingua dès sa première jeunesse ; mais il portait cette même attention à tout ce qui pouvait être utile à sa patrie et aux hommes. Ses connaissances étaient étendues et ne se bornaient pas à la navigation son génie , son goût pour les sciences lui avaient fait vaincre les désavantages de son éducation bornée. Ses progrès dans les différentes branches des mathématiques et dans l’astronomie ; surent rapides , et l’on a vu qu’il était capable des observations confiées à des astronomes ; il parvint même à se former un style clair, dhine précision mâle , et qui font distinguer l’histoire de ses voyages , comme ceux-ci le sont par les faits qu’ils renferment, les descriptions dont ils sont ornées , et les actions courageuses et pleines d’humanité qu’on y trouve. Sa persévérance active est sur-tout remarquable ; c’est elle qui forme le trait le plus décidé de son caractère , et personne ne le surpassa en ce point; il se roidissait contre tous les obstacles, et sa fermeté les lui faisait surmonter. La force de son ame le mettait au-dessus des difficultés et des dangers z son courage n’étaiî pas impétueux ; il 3 5 o Troisième Voyage savait se maîtriser ; ferme dans le péril, il paraissait d’autant plus calme que sa situation était plus effrayante. Dans les inomens du plus grand danger , quand il avait donné ses instructions et ses ordres , il se retirait dans sa chambre et il dormait souvent du sommeil le plus tranquille, jusqu’au moment où il s’était prescrit de nouveaux travaux. A ces grandes qualités , Cook joignait des vertus aimables. Jamais personne ne connut et ne respecta mieux les droits de l’humanité. On sait avec quelle attention il veillait sur la santé , sur la sûreté de son équipage il s’occupa avec la même attention de tout ce qui pouvait améliorer la condition du peuple des isles qu'il découvrit on qu’il visita ; il excusait leurs vols, il tolérait leurs petites fautes , et s’occupait plus des moyens de leur empêcher de faire le mal, que de ceux de le punir. C’était avec peine qu’il recourait aux cluitimens, et on ne pouvait lui faire plus de plaisir, qu’en lui offrant des motifs de s’en dispenser. Dans sa vie privée , il fut un bon époux , un père tendre, un ami constant et sincère ; réservé, discret, modeste , ses vertus n’offensaient point ceux même qui les voyaient avec chagrin. Il était trop prompt quelquefois ; mais il n’était point injuste. Il avait la franchise et la simplicité de mœurs, qui presque toujours accompagnent le vrai génie et les grandes vertus- Il n’était ni affecté, ni présomptueux dans ses discours. Il parlait peu ; mais il répondait toujours avec ne obligeante simplicité, à ceux qui le que- de Jacques Cook. 35i fionnaient pour s’instruire. Il était au-dessus de la vanité ; ce défaut est celui des petites aines , et ne pouvait l’atteindre. L'est, dit M. Samwel, avec une a me forte, » un jugement sàin , une résolution constante , » un génie particulièrement entreprenant, qu’il » poursuivit toujours ses projets. II était vigilant 22 et actif au degré le plus éminent, froid et in- 3> trépide dans les dangers, patient et opiniâtre » dans les obstacles , fécond en expédions, su- y> blime dans ses desseins, ardent à les exécuter. » Dans aucune circonstance il ne pouvait avoir 22 de rival ; tous les yeux se tournaient vers lui 5 -, il était enfin l’astre qui nous conduisait, et 2- qui en disparaissant, nous laissa plongé dans 22 les ténèbres et le désespoir. » Son tempéramment était très - fort, et sa 2, manière de vivre fort sobre. Modeste, même 22 timide , sa conversation était agréable , spiri- 22 tuelle, instructive. Il semblait quelquefois un 22 peu vif ; mais sa bienveillance et son affabilité 22 réparaient ce défaut. Sa taille était haute ; il 22 avait six pieds de haut, et quoique fort bien 22 fait, il avait la tète un peu petite ses cheveux 22 étaient bruns, ses yeux petits, mais vifs et 2» pleins d’expression, ses sourcils épais 22. L’équipage le chérissait et avait en lui la confiance la plus entière , ses talens la lui assuraient, comme ses soins pour le préserver des maladies ou des dangers lui méritaient son attachement. Modéré, juste, dit l’amiral Forbès, mais exacS s» dans la discipline, il était le père de son équi- 35a Troisième Voyage » page ; ses connaissances , son expérience , sa -, sagacité, le rendirent si capable du commari- -, dement, que les plus grands obstacles étaient -, surmontés , que la navigation devenait aisée -, et presque sans danger pour les vaisseaux qu’il -» conduisait j sa bienfaisance, son infatigable -, attention , ont introduit un régime dans les -, voyages de long cours, dont les el'lets ont été -, admirables -, La mort de ce grand homme fut une perte -, pour le monde entier; mais il doit être sur- -, tout regretté des nations qui connaissent le -, prix des grands talens , qui honorent les con- - naissances utiles , et chérissent les sentiincns », de bienfaisance et de générosité , et particuliè- 3* rement encore de sa patrie. Elle a perdu en ,» lui un navigateur dont les talens n’avaient ja- -, mais été égalés ; elle l’a perdu par une lin -, déplorable , par la main d’un peuple dont il -, aurait voulu augmenter les jouissances. - O voyageur , contemple , admire et imito -, cet homme supérieur , dont les travaux et l’ha- -, bilité ont reculé les bornes de la philosophie, -, ajouté à la science de la navigation , et dé- -, couvert l’ordre admirable et longt-temps cher- -, ché, par lequel Dieu a voulu que la terre se -, reposât dans un juste équilibre , sans avoir -, besoin d’un continents ustral pour le produire. -, Si par ses longues et périlleuses recherches , -, Cook , n’a pas découvert un nouveau monde, -, il a du moins découvert des mers inconnues j -» il nous a fait connaître des isles, des peuples , ns Jacques Cook. 353 y> des productions naturelles dont on n’avait point » d’idée. Usera révéré aussi long tems qu’il sub- » sistera une page de la modeste relation de ses 3 » voyages, aussi long-tems que les Marins se gni- » deront par sa belle carte de l’hémisphère du 3 > sud, et qu’ils seront assez instruits pour admirer 33 les diverses routes qu’il y a parcourues, et les » nombreuses découvertes qu’il y a faites. 33 Si les services publics ont droit d’être conas sacrés publiquement ; si l’noinine qui a étendu 33 la gloire de son pays , doit en recevoir des a- honneurs , Cook mérite qu’un monument soit >» élevé à sa mémoire par une nation généreuse 3 » reconnaissante. Virtutis uberrimurn aLimentutn 33 est honor , dit Val ère Maxime 33 . L’évêque de Carlisle observe qu’un des grands avantages qu’on a retirés de ses dernières recherches , est d’avoir réfuté pleinement des théories imaginaires qui faisaient entreprendre des voyages sans succès. Les philosophes spéculateurs qui faisaient naître ou nourrissaient des espérances , ne feront plus de rêves ingénieux et seront obligés de se soumettre aux règles de la vérité et de l’expérience. Ses voyages ne sont donc pas seulement utiles, en diminuant les dangers et les fatigues des voyages de long cours et dans des mers inconnues ; ils le sont encore en ouvrant de nouveaux paysan commerce, et en détournant les nations Européennes de faire de vaines recherches. Il a aidé encore à perfectionner l’astronomie nautique , il a déchiré le voile qui couvrait presque la moitié du globe, et a rendu Tome III. 2 3 54 Troisième V 0 Y A a s les plus grands services à la géographie ; il a offert de nouveaux faits pour la découverte des causes des marées et des courans » il en a fixé de nouveaux sur les propriétés de la boussole , qui facilitent et étendent la théorie de ses variations ; les loix de la nature en ont été mieux connues, et il a prouvé encore que le phénomène des aurores boréales n’est point particulier aux latitudes septentrionales ; mais appartient également aux climats froids du nord et du sud. La Botanique s’est enrichie par ses voyages d'environ douze cents plantes , et l'Histoire Naturelle d’un grand nombre de connaissances dans ses différentes parties. C'est ce que prouvera sur-tout le grand ouvrage que prépare Sir Joseph Banks. Il est inutile d’ajouter à cette énumération , le lecteur en est instruit par le précis de ses voyages. On sait que M. Turgot avait ordonné qu'au milieu de la guerre , on laissât passer les vaisseaux de Cook en paix ; on sait encore que le Docteur Franklin voulut que les vaisseaux Américains respectassent aussi les siens , et c’est un trait qui annonce l’estime qu’il avait inspirée , même aux plus grands ennemis de sa nation. L’exemple de ses travaux a excité l’émulation des .utres nations ; les Espagnols ont cherché aussi à faire des découvertes ; et Mrs. de la Pérouse et de l’Angle , ne sont point encore de retour du voyage qu'ils ont entrepris , pour marcher sur ses traces. L’établissement formé par les Anglais dans la baie dé Botanique lui est du encore , il est un moyen de se délivrer des malfaiteurs sans leur donner la mort. »e Jacques C ô o k. 5 55 Diverses académies ont proposé des prix pour ceux qui célébreraient le plus dignement ce célébré navigateur. Trois Anglaises l’ont célébré dans des poërnes peut - être le lecteur ne sera pas fâché d’en trouver ici quelques traits ; ils jetteront quelque variété sur l’uniformité du style historique. Pourquoi , dit Ilannah More , dans son Poeme sur l'esclavage ; pourquoi ces mortels intrépides , qui, au travers des vagues impétueuses de l’Océan , sont allés chercher de lointains rivages , guidés par l’insatiable soif de l’or et du pouvoir, qui n’ont jamais été que des conquérans qui ravagent , ou des voyageurs avides qui semaient la ruine pourquoi n’ont-ils pas eu ton ame sensible , ô Cook, ainsi que ton amour des arts et ton amour pour le genre humain*? Ah ! s’ils eussent conçu des projets aussi nobles , aussi bienfaisans que les tiens , l'homme n’eût point maudit l’instant où il parut aux -yeux étonnés d’un autre homme ! Alors, ô sage philantropie , tes mains généreuses auraient réuni en une société de frères les mondes divisés, et les humains , sans regarder si la couleur ou le climat les sépare , vivraient et mourraient dans le doux commerce d’une amitié mutuelle ». Miss Stuard fit une élégie sur la mort de'Cook, dont voici quelques traits, Quel pouvoir inspira à ce célèbre navigateur, le mépris des dangers et d’un repos sans gloire , lui fit braver le brûlant équateur et les rigueurs du pôle antarctique! ? C’est 1 humanité c’est elle qui lui fit 2 a 3 44 Troisième Voyage chercher sur des eûtes inconnues , l'homme pauvre , nud, frissonnant, qui habite sous les plus froides zones, et l’Indien basané qui erre dans les immenses déserts où Tardent Capricorne rougit la terre de ses feux. Sur leurs rivages inf ertiles il seine les végétaux nourrissans apportés par la généreuse humanité il unit de ses doux liens les cœurs sauvages et les mains ennemies ; il couvre la terre de ses sage navigateur lait descendre son bétail sur le rivage de la Nouvelle Zélande , et plante des végétaux d’Europe dans ce sol sans culture. Là , la toison joyeuse, le fruit excellent, l’épi doré sont dûs à ses soins , et par lui , bientôt les troupeaux et les moissons couvrent les fécondes plaines. Déjà Ses chevreaux joyeux bondissent sur le gazon des prairies ; l’oiseau , messager du jour, fait entendre son chant matinal ; l’oie au blanc duvet s’avance sur la plage , étend ses ailes et se joue majestueusement sur les ondes ; le taureau rumine le long du rivage effrayé , et ses mugisse - mens font trembler des peuplades nombreuses... Mais hélas ! sur le haut des rochers qui bordent Jes rivages d’Albion et domine la profonde mer, quelle femme triste, inqulette, promène ses regards sur les flots solitaires, et prie le ciel d’écarter la tempête ? Epouse infortunée ! C’en çst fait ; en vain tes yeux avides contemplent les Ondes ; tu ne vois que les vagues agitées et blanchissantes d’écume qui s’élèvent dans le lointain, çe ne sont point ses voiles. Ton époux ne reviens Ira plus. Ses tristes restes sont dispersés sur une de Jacques Cook. 357 rive sauvage. Eloigne-toi. Nfontends-tu point l’oiseau messager des orages et de l’infortune , qui crie en sillonnant les mers du bout de ses ailes ? Ne vois-tu pas l’air s’obscurcir et confirmer ses funestes présages ! Les esprits de nuit grondent déjà dans la tempête, et en étendant un voile ténébreux sur la surface des eaux , ils font dresser tes cheveux et palpiter ton sein. Fuis, épouse désolée, fuis , va , rentre dans ta demeure ; pleure , mais songe à te consoler. Quoique tu aies perdu celui qui faisait les délices de ta vie , quoique Fastre qui embellissait tes jours soit plongé dans une nuit affreuse , élève tes pensées vers la voûte céleste , reconnais que ta douleur est vaine , qu’elle est injuste peut-être , puisque l’Angleterre va ériger un buste immortel à ton époux pour rendre hommage à ses vertus j puisque sa renommée volant sur l’aile des vents, va retentir à jamais dans l’étendue immense des deux ». Miss Hélène Maria Williams, dans son poëme sur le Moraï, s'adresse aussi à la foin me de Cook. » Mais quelle est cette femme qui aime à s’égarer parmi les ombres funèbres et qui se plait dans la tristesse des tombeaux ! où peut-elle chercher cet orgueilleux moraï qu’un souvenir trop cher lui rappelle , et où est tombé l’ami de l’humanité ? Isles lointaines , c’est dans votre sein , voua qu’environne un immense Océan , et qui pendant de si longs âges fûtes inconnues , jusqu’à ce que le généreux Cook, guidé par la philantropie , traversa des mers infréquentées , brava tant d’é- Z 3 u a 5 8 Troisième V o y a e e cueils et parut sur vos bords pour y répandre des bienfaits. Il ne ressemblait point à ces conquérant meurtriers qui ont souillé de tant de sang les vastes contrées Américaines il ne ressemblait point à quelques enfans de la Grande Bretagne , qui , insultant à la liberté si chère à leur noble patrie , vont chercher les rivages d’Afrique pour y briser les liens les plus doux et les plus sacrés , pour charger de chaînes pesantes une race de frères. . . O Cook, cette noble, cette ardente ambition qui répand la douleur et la destruction parmi les hommes , te conduisait par des routes bien différentes , et t’environnait du sou ri r de l’amour , de l’espérance et de la joie. . . Certes , où la cendre d’un héros repose, les nations qui semblent sortir à nos yeux du sein de la nuit, accourent pour lui donner des témoignages de reconnaissance et d’amour. Son tombeau parait couronné, de fleurs , et ce culte qu’on rend aux morts, inventé par une am e sensible,honore les mânes de Cook... Que dis-je, hélas! non, non, les fleurs ne jonchent point sa tombe. Les vœux , les présens funéraires ne lui sont point offerts. Son sang abreuva une rive sauvage. Une prière hâtive, une furtive larme de l’amitié, est le seul devoir rendu à ses membres déchiquetés et dispersés sur les vagues irritées. Les gouffres du profond Océan recèlent les restes du navigateur qui a péri loin de son toit domestique ; loin do de celle, hélas ! dont les vœux et les soupirs suivaient fidèlement, sa course périlleuse, de celle dont la tendre pensée aimait à errer avec de Jacques Cook. 35^ lui sur des mers inconnues et dans des contrées nouvelles, de celle qui sema long-temps , de* fleurs que lui présenta l'espérance , la ténébreuse route de la tempête. Cependant, brave Cook , des lauriers immortels te couronnent, tandis que la reconnaissante Albion t’élève un tombeau de marbre et un buste honorable, qui attesteront à jamais tes talens et tes vertus ; tandis que jalouse d’entendre tes louanges, elle commande à la muse de l’histoire de les consacrer dans ses fastes , les sauvages liabitans des contrées lointaines que tu découvris répéteront souvent ton nom sacré, etc. TJn de nos meilleurs Poètes Français, l’abbé de l’Ille dit aussi dans son Poeme des Jardins Donnez des fleurs, donnez 5 j’en couvrirai les sages , Qui, dans un noble exil, sur de lointains rivages , Cherchaient ou répandaient les arts consolateurs ; Toi sur-tout , brave Cook , si cher à tous les cœurs , Unis par les regrets la France et l’Angleterre , Toi qui dans ces climats où le bruit du tonnerre Nous annonçait jadis , Triptolème nouveau , Apportais le coursier , la brebis , le taureau , Le soc cultivateur , les arts de ta patrie , Et des brigands d’Europe expiais la furie , Ta voile en arrivant leur annonçait la paix , Et ta voile en partant leur laissait des bienfaits. Reçois donc ce tribut d’un enfant de la France. Et que fait son pays à ma reconnaissance , Ses vertus en ont fait notre concitoyen , Imitons notre roi , digne d’être le sien. Hélas ! de quoi lui sert que deux fois son audace Ait vu des deux brûlans , fendu des mers de glace , Que des peuples , des vents , djps ondes révéré , 36o Troisième Voyage SpuI , sur les vastes mers , son vaisseau fut sacré Que pour lui seul la {pierre oubliât ses ravages ? L’ami du monde, hélas ! meurt en proie aux sauvages. Les Anglais ne se sont pas bornés à de stériles éloges. La société royale de Londres lit frapper des médailles d’or et d'argent, autour desquelles on lisait JacGore lui succéda sur la Résolution, et le lie uten ant Lin g devint capitaine de la Découverte. Celui-ci continua le journal du voyage. Deux jours après la mort de Clerke , les vaisseaux jetteront l’ancre dans le havre de St. Pierre et St. Paul. On y ensevelit M. Clerke au pied d’un arbre , on y répara les agrêts et les vaisseaux , on y rétablit la santé des matelots exténués de fatigue, on y reçut de nouvelles provisions , et l’on en » £ J A 6 Q TT E S CôOk; 36y partît le 8 octobre pour revenir en Europe , en passant au levant du Japon. Après avoir suivi les côtes du Kamtchatka , les Anglais découvrirent l’une des isles Kouriles , nommée par les Russes Taramousin ; c’est une terre élevée , alors couverte de neige , et située sur le 49 ft - deg. 49 ni. de latitude elle a environ vingt lieues de long ce fut la seule qu’ils purent découvrir, des vents impétueux n e leur permirent point de visiter ni ces isles , ni celles de Zellang et de Kunashir, malgré le désir qu’ils avaient d’en donner une idée plus nette que les voyageurs précédons ont pu ou su le faire. Le 26 , ils découvrirent les côtes du Japon ; elles parurent élevées, inégales; celle au nord était plus basse. Ils crurent voir le cap Nambu ou Nabo , auquel une ville qu’ils ne purent voir, donne son nom le pays parut couvert de bois et semé de hameaux et de maisons éparses ils perdirent de vue cette terre , puis la recouvrèrent des vaisseaux Japon- nais effrayés passèrent devant eux , mais ils ne leur parlèrent point, pour ne pas les effrayer davantage. Des vents impétueux se levèrent encore , tourmentèrent leurs vaisseaux , déchirèrent leurs voiles et les forcèrent de s’éloigner des terres de cet empire sans y faire de nouvelles observations. Ils tournèrent leurs vues sur la Chine , et le 14 novembre ils découvrirent deux isles en s’approchant de l’une d’elles , ils en apperçurent une troisième celle dont ils s’approchèrent avait 5 lieues de long , et présents l’apparence d’un volcan } la terre y est différent- 368 Troisième Voyagb ment colorée , et répand une sorte odeur de soufre ils la nommèrent isle de soufre $ çà et là on y découvre quelque verdure les deux autres isles paraissent n’ètre formées que de deux hautes montagnes. Ces isles sont entre le 24 e . deg. 2L min. de latitude septentrionale et le 26. deg. 44 ndn. de longitude. Les Anglais tendirent ensuite vers les isles JBashées ; mais ils les manquèrent, parce qu’ils en crurent le comodore Byron et M. Wallis, qui les placent quatre degrés plus au couchant qu’elles ne sont. Ils rencontrèrent les écueils de B rata dont ils eurent assez de peine à se dégager, s’avancèrent vers Macao , virent les Lemas , isles dénuées de bois , prirent des pilotes Chinois , et j citèrent enfin l’ancre dans le port où ils tendaient. Ce ne fut qu’avec peine qu’ils parvinrent à y obtenir les choses nécessaires pour réparer leurs navires et pour les provisions nécessaires ; tout se fait en Chine avec réflexion , ou du moins avec une lenteur qui en a l’apparence ; les vaisseaux Anglais leur fournirent de ces derniers en se retranchant leur superflu , et ils purent penser à leur retour. On leur montra dans un jardin d’un particulier de Macao, le rocher sur lequel on assure que Le Camoens composa sa Lusiade ; il forme une voûte qui est l’entrée d’une grotte creusée dans la colline située derrière le roc il est ombragé par de grands arbres et domine sur une vaste et magnifique étendue de mer , ainsi que sur les isles qui y sont répandues. C’est he Jacques Cook. 3 69 C’est ici qu'ils apprirent que les vaisseaux Français avaient ordre de les laisser passer sans les inquiéter. O11 leur dit aussi que le Congrès Américain avait donné les mômes ordres ; mais que l’Espagne n’avait pas suivi cet exemple ils mirent donc leurs vaisseaux en état de défense , et résolurent de n’attaquer ni vaisseau Français ni vaisseau Américain. Ils quittèrent Macao le 12 janvier 1780 ; le vent les favorisa et leur permit d’examiner la situation du banc de Macclesfield et de le sonder leur examen confirma la position que lui a donnée M. Dalrimple dans sa carte. Tourmentés par les vents et les vagues , ils atteignirent Vulo-Sapata , isle petite élevée , stérile , qui doit son nom à sa forme qui est celle d’un soulier , mais les vents la leur firent dépasser ils tendirent vers Fulo - Candore et y jettèrent l’ancre ils y appelèrent, ils y cherchèrent quelque temps des habitans sans y en trouver, la peur les avait fait fuir tandis que les uns cueillaient des choux palmistes , d'autres cherchèrent à se procurer des buffles , animaux redoutables pour l’homme , mais qui se laissent conduire paisiblement par de faibles enfans ils en embarquèrent huit, et quittèrent bientôt cette terre qui est élevée , montueuse , environnée d’isles plus petites ; sa forme est celle d'un croissant elle a 8 milles de long sur deux de large. On y trouve aussi des cochons très-gras , beaucoup de fruits , de riz , des bananes, des ©ranges, des grenades, des lézards, des guanos. Tome IIJ. A a 3 jo Troisième Voyage Les bourgades y sont formées de cabanes de roseaux très - bien entrelassés. Ils s'éloignèrent de ces isles , virent Fulo- Timoan , Polo - Puissang , Pulo - Aor , Pulo- Taya puis ils franchirent le détroit de Banco , découvrirent l’isle de Java, entrèrent dans le détroit de la Sonde , et vinrent jetter l’ancre près de l’isle de Cracatoa , la plus méridionale de celles qui sont à l’entrée du détroit, et où l’on trouve un bon abri contre les vents , de l’eau pure et un air sain on y cultive le riz,, elle est couverte d’arbres ; son chef est soumis au roi de Bautain. Ils trouvèrent à l’isle du Prince où ils se rendirent, de la-grosse volaille , des tortues , une eau assez bonne. Ils se hâtèrent de s’éloigner de Java dont le climat funeste se fa isaitdéjà sentir parles fièvres putrides et malignes, les rhumes , les maux de tête , la langueur extrême qui se répandirent dans les équipages tous guérirent ; et l’on tendit vers Sic. Hélène ; mais la nécessité de se fournir d’un gouvernail les obligea de se rendre au Cap où ils entrèrent le i 3 avril. Là ils apprirent que les Espa gnolsavaient reçu ordre de ne point les attaquer ils y virent le colonel Gordon , l’homme qui connaît le mieux la partie méridionale de l’Afrique ; l’histoire de ses voyages sera intéressante. Ils quittèrent le Cap le 9 mai, et jette ren t l’ancre en Angleterre le 22 août; tous étaient en bonne santé ; et c’était le fruit des habitudes que Cook avait données à son équipage , et aux ré- glemens qu’il avait fail exécuter avec soin. FIN. KftV iC . MS MM W M y ?.. 7 mm VOYAC . DE COO < g *.^2 ^ * .' CpCTAi/O^'.
jus de raisin 50 cl vin rouge 40 cl sucre 750 g cannelle 1 bâton citron 1 eau de vie 15 cl 1 Dans une bassine à confiture faire mijoter le jus de raisin et le vin rouge, ajouter le bâton de cannelle et quelques rondelles de citron, laisser infuser quelques minutes. 2 Hors du feu retirer le citron et la cannelle avant d'ajouter le sucre, bien remuer pour le faire fondre puis remettre sur le feu, ajouter l'eau-de-vie, porter à ébullition en remuant régulièrement 3 Laisser bouillir jusqu'au point de prise,mettre en bocaux stérilisés et chauds et fermer. 4 Cette gelée accompagne très bien les viandes chaudes et les purées. Astuces Réalisez en 4 étapes cette recette de Gelée de vin avec CuisineAZ. Pour en savoir plus sur les aliments de cette recette de confiture, rendez-vous ici sur notre guide des aliments. Recettes similaires Haut de page
L’une des meilleures façons d’utiliser les baies de sureau est d’en faire un sirop ou un cordial, pour faire de délicieuses boissons et cocktails fruités comme ce Kir Royale aux baies de sureau. Vous pouvez également laisser les baies infuser leur saveur dans des spiritueux – le gin de sureau est particulièrement savoureux. Pouvez-vous manger des baies de sureau directement de l’arbre?Sommaire1 Pouvez-vous manger des baies de sureau directement de l’arbre?2 Que faire des baies de sureau après la cueillette ?3 Est-il acceptable de manger des baies de sureau crues ?4 Comment traitez-vous les baies de sureau fraîches?5 Combien de temps faut-il pour cuire les baies de sureau ?6 Pouvez-vous cuisiner des baies de sureau?7 Peut-on utiliser des baies de sureau après avoir fait du sirop ?8 Pourquoi le sureau est-il bon pour vous ?9 Le sureau peut-il être congelé?10 Qui ne devrait pas prendre de sureau?11 Comment éliminer le cyanure des baies de sureau ?12 Comment utiliser le sureau ?13 Quelle est la meilleure façon de récolter les baies de sureau ?14 Pouvez-vous manger des fleurs de sureau?15 Combien de temps durent les baies de sureau fraîches ?16 Quel goût a le sureau ?17 Le sirop de sureau doit-il être réfrigéré?18 Comment utiliser la poudre de sureau ?19 Ai-je besoin de deux buissons de sureau ? Puis-je manger des baies de sureau ? Oui, mais ils doivent d’abord être cuits pour éliminer en toute sécurité la lectine et le cyanure toxines. Les baies crues, qui sont acidulées, sont légèrement toxiques et peuvent provoquer des nausées, des vomissements et des diarrhées. Les branches, l’écorce et les feuilles de sureau ne doivent pas être consommées du tout. Que faire des baies de sureau après la cueillette ? Une fois les baies récoltées, elles doivent être retirées des tiges. Les tiges et les feuilles sont toxiques et ne doivent pas être consommées. Astuce bonus Au lieu d’essayer de retirer chaque baie des tiges individuellement, une tâche pénible et fastidieuse, placez des grappes entières au congélateur pendant quelques heures. Est-il acceptable de manger des baies de sureau crues ? Les gens peuvent manger des fleurs de sureau crues ou cuites. Cependant, les baies de sureau crues, ainsi que les graines, les feuilles et l’écorce de l’arbre, contiennent une substance toxique. Manger ou boire des baies de sureau crues ou une autre partie toxique de la plante peut entraîner des nausées, des vomissements et de la diarrhée. Les baies de sureau peuvent être pressées comme n’importe quel autre fruit mou. Mettez-les dans une casserole et ajoutez un peu d’eau pour éviter qu’elles ne brûlent. Chauffer et laisser mijoter doucement jusqu’à ce que les fruits soient ramollis, puis utiliser un moulin à légumes pour enlever les graines ou filtrer le jus à travers un sac à gelée. Combien de temps faut-il pour cuire les baies de sureau ? Mettez les baies de sureau dans une grande casserole non réactive avec l’eau. Porter à ébullition, puis réduire le feu à faible ébullition et cuire pendant 15 à 20 minutes, jusqu’à ce qu’ils soient tendres et tendres. Pouvez-vous cuisiner des baies de sureau? Les baies de sureau crues sont toxiques et peuvent provoquer des nausées, des vomissements et de la diarrhée, entre autres symptômes. Cependant, les baies de sureau mûres cuites sont parfaitement comestibles et savoureuses. Une fois cuites, les baies de sureau peuvent être utilisées pour faire toutes sortes de délicieuses recettes comme des confitures, des chutneys, des tartes et même du vin. Peut-on utiliser des baies de sureau après avoir fait du sirop ? La plupart des bienfaits des baies de sureau ont été utilisés dans le premier lot de sirop de sureau. Cependant, un deuxième lot se traduira toujours par quelque chose de valable !Mar 6, 2014. Pourquoi le sureau est-il bon pour vous ? Les baies et les fleurs de sureau regorgent d’antioxydants et de vitamines qui peuvent renforcer votre système immunitaire. Ils pourraient aider à maîtriser l’inflammation, à réduire le stress et à protéger votre cœur. Certains experts recommandent le sureau pour aider à prévenir et à soulager les symptômes du rhume et de la grippe. Le sureau peut-il être congelé? Si vous avez une abondance de baies de sureau, la congélation est un excellent moyen de les conserver pour une utilisation future ou de les stocker jusqu’à ce que vous en ayez assez pour une recette. Il est également préférable de congeler les baies de sureau avant d’essayer de les équeuter, même si vous prévoyez de les utiliser tout de suite, car cela rend le processus beaucoup plus facile. Qui ne devrait pas prendre de sureau? Mais cela peut provoquer des nausées, des vomissements, de la diarrhée, des étourdissements, des engourdissements, une distension abdominale et des difficultés respiratoires. 13 Consultez un médecin si vous ressentez l’un de ces symptômes après avoir consommé un extrait de sureau ou un fruit non mûr. Le sureau n’est pas recommandé pour les enfants, les femmes enceintes ou les mères allaitantes. Le cyanure est très volatil s’évapore légèrement au-dessus de la température ambiante, donc le séchage ou la torréfaction éliminerait efficacement tout faible niveau de poison des baies. Combien de baies de sureau devriez-vous prendre? Il n’y a pas de dose standard de sureau. Pour la grippe, certaines études ont utilisé 1 cuillère à soupe d’extrait de sirop de sureau quatre fois par jour. Une autre forme courante de sureau est une pastille, souvent avec du zinc, qui est prise plusieurs fois par jour après le début d’un rhume. Quelle est la meilleure façon de récolter les baies de sureau ? Les baies de sureau juste à côté du buisson sont généralement acidulées. Les grappes mûrissent sur une période de 5 à 15 jours. La façon la plus simple de récolter les baies de sureau est d’utiliser des ciseaux pour couper toute la grappe de l’arbuste, puis de retirer les baies de la grappe. Le rendement annuel moyen par plante est de 12 à 15 livres. Pouvez-vous manger des fleurs de sureau? Vous avez peut-être entendu parler des avantages des baies de sureau, ou même rencontré du sirop de sureau sur l’étagère de votre magasin d’aliments naturels local. Souvent négligées, les jolies petites fleurs blanches ou jaunes de l’arbuste de sureau magique sont également comestibles et médicinales, avec des avantages très particuliers qui leur sont propres. Combien de temps durent les baies de sureau fraîches ? Séchage des baies de sureau Une fois complètement séchées, elles ont une durée de conservation d’environ 1 an, ou tant qu’elles sentent bon et ne sont pas fanées. Quel goût a le sureau ? À quoi ressemblent et goûtent les baies de sureau? Tout d’abord, il est important de savoir reconnaître les baies de sureau. Ces baies noires pendent en grosses grappes sur des arbustes de sureau noir et sont de la même taille que les groseilles. Ils ont un goût très aromatique et sucré mais aussi légèrement amer. Le sirop de sureau doit-il être réfrigéré? Votre sirop doit être conservé dans votre réfrigérateur. Il ne contient pas de conservateurs, car il s’agit d’un produit fraîchement préparé. Nous vous conseillons de conserver votre sirop sur une étagère de votre réfrigérateur. Avec un goût légèrement acidulé et terreux, savourez facilement la poudre de sureau mélangée à de l’eau tiède pour faire un thé ; mijoté avec du miel pour créer un sirop sucré; mélangé à votre avoine du matin; ou mélangé à votre smoothie quotidien. C’est un aliment médicinal qui est destiné à être apprécié !. Ai-je besoin de deux buissons de sureau ? Baies. Les baies de sureau ont besoin d’une pollinisation croisée pour la production de baies. Plantez plus d’une variété. Faites une vérification rapide en ligne ou auprès de votre pépinière locale pour vous assurer que vous obtenez des plantes qui se pollinisent mutuellement.
Les feuilles de pissenlit sont disposées en rosette, c'est-à-dire que les feuilles sont étalées en cercle à partir du centre de la avez dû aussi remarquer que les feuilles sont de tailles variables et que leurs découpes sont elles aussi variables contrairement à beaucoup de plantes, on appelle ça le polymorphisme, c'est un genre de super-héros de la . Déposer 3 litres de fleurs de pissenlit sans la tige dans un grand récipient. Évidemment pas pour la cueillette, qui est la partie agréable et rapide, mais pour la séparation des . Amener à ébullition. Faites infuser 1 heure à petits bouillons. On peut citer par exemple, la gelée royale, de pomme, de coings ou encore de mures. Et que peut-on encore faire avec des pissenlits ? Laissez-les sécher au soleil pendant 1h ou dans un endroit sec. jusqu'à ce que la gelée soit prise en remuant de temps en temps . C'est le dosage que je préconise pour la recette de gelée de thym. Fermez le bocal. Autant dire que de 8h30 du matin à 20h00 du soir, nous ne sommes pas restés longtemps dont la maison, juste pour manger et cuisiner des fondants au chocolat recette à venir et le sirop de pissenlits que je vous présente de suite et qui nous a rafraîchis ! Réponse 1 / 2 Meilleure réponse Dominique 4 sept. 2008 à 0624 Je n'ai pas testé personnellement, mais je connais un assez bon restaurant qui met régulièrement le pissenlit à sa carte avec du foie. Il en . Laisser macérer 24 heures puis filtrer et garder le jus. 2 cc d'agar agar 4g* facultatif si vous mettez plus de sucre que moi Préparation. 2 avis 1. Ajouter au jus. Je n'ai jamais osé goûté ses tisanes ☺! Publié le 15 mai 2012 6 octobre 2013 par Digitale. Disposer 2-3 graines en poquet tous les 10-15 cm puis . En tous cas, cette année chez nous, ils sont géants j'ai une petite main, mais tout de même comme mon petit doigt, la cueillette va être . 1. oui j'ai . Coupez les citrons et les oranges en petits morceaux, mettez-les dans la bassine d'eau et ajoutez-y ensuite les fleurs. Mettez la purée de pommes et les fleurs de pissenlit dans une bassine à confiture avec le jus de citron et les pépins de pommes. Merci Dog, je te promets d'essayer si je trouve assez de fleurs, ☺. 100 fleurs de pissenlits, soit environ 50 g de pétales; 400 ml d'eau; ½ orange; 300 g de sucre environ; ½ pomme; Profitez d'une balade d'après-midi ensoleillé, lorsque les fleurs sont ouvertes, pour en cueillir de jolies bien épanouies. Gelée de fleurs de pissenlit au citron . Ils sont naturellement très faibles en sucre. Et avec le centre des roses, les pétales plus concentrées, je les rajoute dans un thé qui deviendra Thé à la rose. Publié dans Gourmandises Étiquette confiture, cramaillotte, gelée de fleurs, miel de pissenlits, pissenlit, pissenlits, recette Navigation de l'article Insectes auxilaires Des fourmis sur les pivoines . Avec du levain de gingembre ou avec une fermentation sauvage. Publié le 15 mai 2012 6 octobre 2013 par Digitale. Facilite la digestion en augmentant la sécrétion de bile. Couper en rondelles. • Ajoutez les pétales de pissenlit, que vous aurez bien rincées au préalable, l'agar agar et le citron tranché. Les hacher grossièrement et les faire revenir dans une casserole à fond épais avec un peu d'huile d'olive. • Laissez macérer environ 30mn. ⬇ Télécharger des photos de Gelée de pissenlits de la banque d'images libres de droits Grand choix des photographies de haute qualité Prix abordables La gelée de pissenlit très facile à faire d'ailleurs Je vous donne la recette d'un ami auvergnat que je suis en train de tester en ce moment, Il suffit de faire macérer 1/2 journée les . Bien les laver. Mettez en pot et fermez. Une sélection par L'Italie dans ma cuisine. huile d'olive. Laisser refroidir jusqu'au lendemain. Le semis de pissenlit démarre dès le printemps, idéalement après tout risque de gelée. D'autres encore les ajoutent aux salades pour une touche de saveur et de couleur. Filtrer l'eau dans un torchon pour ne garder que le . qui conservera plus longtemps les bienfaits de cette plante médicinale au bon gout de nature et pas de médicament. 5/5 4 avis Confiture de pissenlits ou Cramaillotte. Faites mijoter à petits bouillon un quart d'heure avec un couvercle sur la casserole. • Remettez le jus obtenu dans une casserole. 7. Les possibilités de la monter en plusieurs étages et avec plusieurs goûts . Les . Ôtez soigneusement la partie verte et ne gardez que les pistils jaunes puis lavez-les délicatement. 3 - Remplissez le bocal en verre jusqu'en haut avec l'huile de votre choix huile de pépins de raisin, huile d'avocat, huile d'olive, huile d'amande, etc.. La recette. 1/ Détacher les pétales de pissenlits de leur partie verte. On prendra de préférence un vin blanc doux. 1. Blanchis, les pissenlits se cuisinent en soupe, en salade, en gelée et même en vin à consommer avec modération . rien d'étonnant, ce sont presque les premières fleurs du printemps et elles fleurissent jusqu'en automne Alors n'hésite surtout pas à en faire de la gelée.. ou du miel ! Absolument! Laver rapidement à l'eau froide et faire sécher 1 h ou deux au soleil, sur un vieux grand drap de lit…. [9] 5. Amener à ébullition en remuant . Veillez à ce que toutes les fleurs soient immergées dans l'huile. Attendre 24 heures avant de déguster. Les feuilles de pissenlit fraîches ne fournissent que 5 grammes de glucides par tasse, avec environ 2 grammes de fibres. La recette était sur ma to-do list depuis si longtemps que, dans mon enthousiasme à la réaliser enfin, j'en ai préparé dix pots.. Pour se lancer dans la préparation de la gelée de fleurs de lilas, tout comme dans celle de la gelée de fleurs de pissenlit, il faut s'armer de patience. La couleur de la confiture est d'un rose fushia magnifique sans colorant. Hi hi ! La plante est appliquée sur la peau sous la forme de décoction en cas de problèmes cutanés dermatose, acné, cors, poireaux, verrues. Ensuite, faites bouillir cette eau. Message. • Versez l'eau dans une casserole. Sommes-nous sérieux? Les laver et retirer la grosse partie verte qui reste de la tige, pour ne récupérer que les pistils. Elles peuvent servir à aromatiser des vins ou autres alcools. fois que vous avez cueilli les pissenlits, laissez-les reposer un peu histoire de laisser s'en aller les petits insectes. Il n'y a pas de pectine à ajouter, il y avait les pépins des agrumes. Au Lieu de combattre les pissenlits avec des désherbants chimiques ou des tondeuses à gazon, vous pouvez simplement les manger! Nous avons décidé de procéder autrement et de laisser un peu de vert voir photo de la façon de couper les fleurs. Les personnes allergiques à un produit de la ruche, ainsi qu'aux fleurs de la famille des marguerites et des pissenlits doivent également s'abstenir d'en consommer. 5/5 1 avis Velouté de légumes aux pissenlits. Je devais également rédiger un article sur le Pissenlit et ses vertus donc je me suis lancée, d'autant que le pré à côté de la maison était fleurs de pissenlits. • Bien mélanger et portez ensuite à ébullition. Si avec la recette que vous avez suivie, votre gelée reste liquide, cuire à nouveau avec un peu d'agar-agar. Possède une action diurétique et laxative. il ne vous reste plus qu'a . Dans une casserole, versez 1,5 l d'eau et le jus de 2 oranges et de 2 citrons bios de préférence. Transplantez dans un petit pot comme les plantes aromatiques et laissez-les grandir. attention, ça laisse pas mal de tâches qui ne partent . Verser dans des pots propres et secs, fermer et retourner jusqu'au refroidissement. Étape 9 Laisser bouillir un instant. Côté santé, le pissenlit est un excellent dépuratif. Il stimule l'élimination urinaire, en raison de sa . Cuire 50 min à petits bouillons. Les feuilles de pissenlit ne sont pas une source importante de graisse en elles-mêmes, mais de la graisse peut être ajoutée pendant la préparation. Dans la suite de l'article, je vous explique comment faire facilement la recette de limonade de pissenlit, suivant 2 techniques différentes. Pour augmenter cette durée de conservation . De plus, les extraits de pissenlit ont des propriétés anti-inflammatoires, ce qui peut aider à lutter contre l'acné. 130 g de fleurs de pissenlit environ 500ml c'est ce que j'ai ramassé 425 g de sucre pour mon poids de jus de 530 g 1 citron; 1 pomme un peu de peau et le trognon de la gaze. Les laver une fois et bien les égoutter. Idéalement, rassemblez les feuilles de pissenlit avant que la plante ne fleurisse, car elles deviendront de plus en plus amères et dures., Les jeunes feuilles de pissenlit font un excellent ajout aux salades, apportent un goût vif au mélange. Faire bouillir jusqu'à ce que les feuilles de gelée sur le dos d'une cuillère. Répondre . Elaborée à base de pétales des fleurs de pissenlit, la cramaillote a l'apparence d'une gelée de fruit avec une couleur plus ou moins dorée qui s'apparente à celle du miel, dont elle a d'ailleurs un goût assez proche, mais avec une saveur très subtile, assez douce tout en restituant une petite pointe d'amertume de la plante, qui rappelle un peu certains miels puissants. Pendant une journée, laissez ces feuilles macérer avant de les passer à l'étamine. 3 cuillerées à soupe de tamari sauce soja 2 fleurs de pissenlit si disponible pour décorer. J'aurais beaucoup conversé avec lui s'il eût pu s'empêcher de manger de l'ail en aussi grosse quantité que je mangeais du pain. Plus loin, le long d'un chemin bordés d'arbustes, l'alliaire nous faisait de l'œil, le gaillet grateron s'étalait à nos pieds, des églantiers ployaient sous les fleurs roses magnifiques, les sureaux . Crues, elles se mangent en salade gourmande avec des œufs, des lardons, des croûtons, des pommes de terre, mais elles s'accordent aussi aux betteraves et au maïs, qui atténuent sa vivacité. se prépare avec de l'alcool 40% minimum pour extraire les principes actifs et du vin pour diluer. Fixez le couvercle et l'anneau pour sceller le pot. Quel bonheur, au sortir de deux mois de confinement, de pouvoir aller enfin se promener au delà des 1 km prescrits ! 5/5 1 avis Salade de pissenlits. Hacher l'échalote. Ajouter 1 litre et 1/2 d'eau et laisser macérer toute une nuit au frais. Les feuilles. Idéalement, on recommande de le conserver dans le bac à légumes du réfrigérateur après l'avoir nettoyé soigneusement. Je me souviens que ma grand mère cueillait les fleurs de pissenlit au gré de ses balades, qu'elle les faisait sécher, pour s'en faire des infusions. cette recette m'a été inspirée par la gelée de fleurs de pissenlit du Journal des Femmes, l'Internaute. Bien-sûr, les feuilles, j'en parlais dès l'introduction. On pourra donc semer le pissenlit de mars à juillet. 21 avr. Verser dans des pots de gelée chaude, laissant 1/4-inch de l'espace de tête. Re Congeler des fleurs pissenlits. 2/ Placer les pétales de pissenlit dans une casserole avec le jus de citron, le jus de clémentine, la peau et les pépins de pomme et l'eau. La cramaillotte est certainement la recette aux pissenlits la plus connue mais il serait dommage de vous arrêter à cette gelée. Les feuilles de pissenlit peuvent remplacer toutes les verdures dans les salades mélangées. Retirer et ne garder que la partie jaune et blanche des fleurs armez-vous de patience Couvrir les pissenlits d'eau et rajouter le jus de deux citrons et deux oranges. Gustativement, la gelée aux pétales jaunes est bien entendu plus pure que la gelée avec un peu de vert qui se révèle un peu plus amère, mais franchement, il faut goûter les 2 en parallèle pour trouver une grosse différence. Faire revenir les rondelles de racines de pissenlit à la poêle avec de l'huile d'olive en les remuant régulièrement. Pour l'eau de cuisson, compter 1 litre pour 150 g de fleurs . Plante vivace de la famille des astéracées, le pissenlit qui pousse dans nos jardins, prairies et jachères est comestible, et plutôt deux fois qu'une. Commentaires 17; Pings 0; patriarch dit 18 . oui j'ai . Ingrédients pour 2 à 3 pots de confiture - 400 grammes de fleurs de pissenlits - 1 kg de sucre spécial confitures - 2 oranges et 2 citrons bio - 1 cuillère à café de beurre Je voulais trouver des champs avec les litres de pluie tombés ces derniers jours je me disais que les chemins en forêt allaient être . 2 cc d'agar agar 4g* facultatif si vous mettez plus de sucre que moi Préparation. En premier lieu, vous devez avoir à votre disposition 02 citrons mûrs, 1 cuiller à café d'agar-agar, 200 g de sucre et 100 g de pissenlits. Coupez-les en deux, réservez les pépins, puis débitez-les en petits morceaux avant de les mixer. 18 commentaires sur " La cramaillotte, une confiture aux fleurs de pissenlits " Vielvoye Françoise a dit 20 avril 2020 à 10 10 54 04544 Mmmmmhhh! Certaines personnes les mangent crues, tandis que d'autres les écrasent pour faire du vin, de la gelée ou du sirop. 1 grande échalote. Des études sur les remèdes à base de plantes pour perdre du poids montrent que le pissenlit peut être utile. Certains font sécher les fleurs et d'autres non. Le pouvoir gélifiant de l'agar-agar ne se développera qu'au complet refroidissement. Ne les passez pas sous l'eau à cette étape au risque de vous retrouver avec des capitules tout refermés ! Le lendemain, verser dans un faitout et faire cuire pendant une heure et demi à petite ébullition en veillant à ce que toutes les fleurs . Coupez à ras la tige de 400 g environ de fleurs de pissenlit. Les fleurs de pissenlit, par exemple, sont connues pour avoir une saveur douce-amère. 5/5 1 avis Pissenlits en salade aux lards et aux noix. Si vous savez comment les trouver et les cueillir, vous pouvez directement passer à la recette un peu plus bas. En gelée, c'est une recette traditionnelle de France Comté appelée Cramaillotte » ou miel de pissenlit. Gelée de pissenlits. De ses racines et de sa tige à ses feuilles et ses fleurs, les pissenlits peuvent être utilisés pour la nourriture, les médicaments et même pour faire de la teinture pour colorer les . La gelée de pissenlits. Verser dessus 4 litres d'eau bouillante. Je conseille donc de la déguster sur des petites tartines avec un thé à la rose ou earl grey. Le vin de pissenlit. Il nettoie le foie et stimule la vésicule biliaire. Il aide également à hydrater votre peau. et voila ! mettez en pot bien lavés et sèchés évidement mettez le couvercle rapidement et retournez vos pots pour assurer une bonne conservation ! Ajoutez 1 l d'eau, portez à ébullition et faites cuire à petits bouillons sur . se prépare avec de l'alcool 40% minimum pour extraire les principes actifs et du vin pour diluer. Coupez en tranches 2 mandarines, 1 citron jaune, 1 citron vert. Ajoutez 1 kilo de sucre. attention, ça laisse pas mal de tâches qui ne partent . ou miel de pissenlit ! 4/5 2 avis Pissenlits aux oeufs pochés. Filtrez soigneusement. 4 conseils pour faire de la grande gelée de pissenlit . Le vin de pissenlit. Avant de les cuisiner, choisissez les plus gros et les plus beaux pieds. Gelée de fleurs de pissenlits Cramaillotte ou Miel de Pissenlits Préparation Une bonne après-midi en comptant la cueillette des fleurs de pissenlits. Pour cela, mixez la gelée puis ajoutez l'agar-agar dilué et cuisson . Pour réaliser environ 4 à 6 pots, il faut ramasser environ 400 à 500 fleurs dans un environnement protégé de toute pollution, les laver, enlever la tige et la partie verte au dos de la fleur, vous devez avoir environ 300 grammes de fleurs triées fraîches. La gelée est un dessert généralement fait de gélatine mais il en existe aussi à base de confiture. Le pissenlit soulage l'inflammation. À la maison, rincez bien les pissenlits et séparez les pétales du reste de la fleur. Recouvrez d'1,5 l d'eau. Une recette de mamytartine Récolter au moins 500 fleurs de pissenlit mais c'est tout à fait approximatif, ce sont les enfants qui cueillent…. Une recette de mamytartine Récolter au moins 500 fleurs de pissenlit mais c'est tout à fait approximatif, ce sont les enfants qui cueillent…. La gelée de pissenlits. Graisses . Faites cuire 30 à 40 minutes , le temps que la gelée prenne. Puis mettez vos fleurs de pissenlit. 17 réponses. Pour cette préparation, vous utiliserez des fleurs de pissenlit fraîches mélangées à des feuilles.. Pour ce faire Rassemblez les fleurs et les feuilles de pissenlit fraîches, rincez-les bien et remplissez un pot un peu au dessus des 3/4, sans trop serré les pissenlits. Organigramme Dsi Université, Keygen Sims 4 Chien Et Chat, Anthurium Toxique Lapin, Gabarit Percage Maximera, English To Amazigh Translator, L'enfer C'est Les Autres Dissertation, Jeux De Doigts Retour Au Calme, Question Pour Demander Des Nouvelles,
avec quoi manger de la gelée de vin